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Société Publié le mardi 21 février 2017 | Diasporas-News

Côte d’Ivoire : Injustice et frustration…Les « ingrédients » qui embrasent la société ivoirienne

© Diasporas-News Par DR
Premier conseil des ministres après la réélection du Président Ouattara
Le chef de l`Etat SEM Alassane Ouattara (photo) a présidé ce mercredi 4 novembre 2015 son premier conseil des ministres après sa réélection à la tête de la magistrature suprême
Mutineries répétitives des militaires, grève des fonctionnaires, colère des élèves et étudiants constituent les ingrédients d’un malaise profond qui paralyse la Côte d’Ivoire depuis le début de l’année 2017.

C’est dans une atmosphère d’agitation militaire comme un air de coup d’état que le président ivoirien Alassane Ouattara est rentré, dare-dare, le samedi 7 janvier dernier d’Accra où il avait assisté à l’investiture de son homologue ghanéen, Nana Akufo-Addo.

En effet, pendant les 24 heures écoulées, la plupart des casernes du pays étaient en ébullition. Et pour cause, des militaires mécontents de leurs conditions de travail, de vie, d’avancement dans les grades et de primes non versées avaient usé de leurs armes pour se faire entendre à Abidjan et dans les principales villes du pays, terrorisant les populations et paralysant les activités économiques du pays.

Alors exceptionnellement ce jour-là, dans ce climat social très tendu, des précautions particulières avaient été prises pour sécuriser la piste de l’aéroport. L’aéronef présidentiel était-il visé comme cible par les mutins ou simples manœuvres de dissuasion ? Difficile à vérifier dans un contexte où très peu d’information officielle a vraiment filtré.

Mais chose curieuse, le chef de l’Etat s’est fait accueillir sur le tarmac par le président de l’Assemblée nationale, Guillaume Kigbafori Soro, accompagné de Daniel Kablan Duncan, alors Premier ministre avant sa nomination au poste de la vice-présidence fraîchement crée sous l’ère de la 3e République de Côte d’Ivoire après l’adoption de la nouvelle constitution le 30 octobre 2016.

Mine de rien, la scène n’est pas passée inaperçue. Car, elle bouscule les habitudes protocolaires. A l’accoutumée, le président Ouattara se faisait accueillir par le chef du gouvernement et son inamovible ministre de l’Intérieur Hamed Bakayoko, un homme du sérail et de confiance.

Comme il fallait s’y attendre, cette image n’a pas manqué de nourrir les supputations et commentaires de tout genre. La rumeur populaire dont la capitale économique ivoirienne est très friande a vite fait le lien entre le mouvement d’humeur des militaires et un supposé plan machiavélique qui consisterait à écarter de la tête de l’hémicycle ivoirien Guillaume Soro. Celui-là même qui a incarné durant une décennie la rébellion dont les combattants constituent aujourd’hui l’épine dorsale des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI). Ce qui expliquerait cela.

Une armée encore aux ordres de Soro Guillaume Kigbafori
Les observateurs sont unanimes, cette scène a été savamment réfléchie pour faire passer un message d’apaisement. Celui de montrer aux yeux des mutins et de l’opinion nationale l’image d’une parfaite entente entre le président de la République et le président de l’assemblée nationale (sic !). Le consensus autour de sa personne pour présider un deuxième mandat à l'assemblée nationale a certainement servi à éteindre le feu. Pouvait-il en être autrement dans le contexte actuel ?

Pour revenir aux dispositions prises à l’aéroport avant l’atterrissage de l’avion du Président Alassane Ouattara, Guillaume Soro, lui-même, n’avait-il pas échappé de justesse à un attentat perpétré contre son avion à l’aéroport de Bouaké le 29 juin 2007 ? Le Fokker 100 qui le transportait, avait essuyé les tirs de roquettes et de Kalachnikov au moment de son atterrissage causant la mort de quatre de ses proches collaborateurs et faisant une dizaine de blessés. Cette affaire non encore élucidée fait d’ailleurs partie des énigmes ivoiriennes. Un précédent qui est encore dans toutes les mémoires.

Cet énième ras-le-bol de la grande muette n’était donc pas du bluff comme certains ont laissé penser. Avant que le chef de l’Etat ne reprenne le dossier en main, son ministre délégué à la Défense, Alain-Richard Donwahi, était en première ligne des négociations face à des mutins très agités. En dépit de l’instabilité de la situation, il s’était rendu à Bouaké, épicentre de la mutinerie, accompagné d’un petit comité composé du préfet de région, du maire de la localité et du commandant en second de la garde républicaine récemment promu patron de cette unité d’élite, le lieutenant-colonel Issiaka Ouattara dit Wattao, pour tenter de désamorcer le mouvement d’humeur des militaires déterminés à en découdre avec le pouvoir si leurs revendications n’étaient pas satisfaites.

Le Conseil de défense que le chef de l’Etat a présidé dans la foulée en compagnie de ses « sécurocrates » et élargi à Guillaume Kigbafori Soro, est aussi assez révélateur. Car, le dernier n’y siégeait plus depuis sa prise de fonction à la tête de l’hémicycle ivoirien. De toute évidence, le Pan (président de l’assemblée nationale) comme on l’appelle affectueusement ici, paraissait comme l’interlocuteur qui connaît mieux le dossier pour poursuivre les discussions avec les mutins, sans vraiment trembler.

A l'évidence, il demeure encore le vrai patron de cette armée à deux visages et à forte dominance de nouvelles recrues issues de la rébellion qui ont servi sous ses ordres lorsqu'il dirigeait les Forces Nouvelles.

Cette situation sociopolitique très tendue en ce début d’année 2017 rappelle à certains égards, les événements du 24 décembre 1999 où le régime d’Henri Konan Bédié était renversé par des militaires en colère dans un scénario similaire. C'était le fameux coup d'état du « père Noël » dont le général à la retraite, Robert Guėi, avait porté la lourde responsabilité avant d’être « balayé » du pouvoir à la présidentielle de 2000 contestée par les partisans de Laurent Gbagbo. Le chef de la junte militaire sera d’ailleurs assassiné lors des événements du 18 septembre 2002 marquant le début de la rébellion ivoirienne alors qu’il s’était consacré à une vie politique paisible loin des tintamarres de la grande muette. Le rappel de ces faits historiques est important pour comprendre la volatilité de la situation qui menace la stabilité de la première puissance économie de la zone Uemoa (Union économique et monétaire ouest africaine).

La défaillance des services de renseignement

Dans l’entourage du chef de l’Etat, l’on s’interroge sur l’efficacité réelle des services de renseignement censés « renifler » le danger, le prévenir et l’anticiper. Comment expliquer que rien n’a filtré le moment des préparatifs de ces mutineries dans les casernes militaires ? Tous les regards sont tournés vers le premier flic de Côte d’Ivoire, le bouillant ministre de l’Intérieur Hamed Bakayoko reconduit récemment à son poste au dernier remaniement à la grande stupéfaction de beaucoup d’Ivoiriens. Or, plusieurs membres de la précédente équipe gouvernementale avaient été sanctionnés, y compris des officiers supérieurs dans les rangs de l’armée, de la gendarmerie et de la police.

Un régime très affaibli

Dans ce rapport de force défavorable au pouvoir, c’est le dos au mur que le président Ouattara a été contraint de céder au « chantage » avéré des mutins en acceptant de verser les primes exigées et d’améliorer leurs conditions de vie. Sous la même pression des mutins, le chef suprêmes des armées qui n’est rien d’autre que le président Ouattara, lui-même, qui détient également le portefeuille de la Défense, a également procédé au limogeage du chef d'état-major des armées, du commandant suprême de la gendarmerie, et du chef de la police. Tous ont été débarqués, manu militari, de leur poste et remplacés immédiatement.

Mais ce geste n’a pas suffi à calmer la colère des mutins qui exigeaient en plus des sanctions à l’encontre de leur hiérarchie, des compensations financières individuelles. Et, le moment était bien choisi. Devant le vacillement d’un pouvoir acculé et visiblement dans les cordes, les mutins en ont profité pour faire monter les enchères. La prime initiale de 5 millions de francs Cfa (7 623 euros) exigée par chacun est passée à 12 millions (18 294 euros) non négociables et payables sous 48 heures. Initialement, c’était près de 8 400 hommes qui étaient concernés par ces primes. Le gouvernement a dû élargir cette mesure compensatoire à l’ensemble des soldats qui n’avait pas touché leur magot entre la période de 2007 et 2011 pour ne pas éveiller d’autres mécontentements au sein de l’armée.

Selon certaines indiscrétions, le Trésor public ivoirien aurait raclé les fonds des caisses des régis financières et sollicité la Banque centrale des états de l’Afrique occidentale (Bceao) pour satisfaire les mutins dans les délais convenus. Malheureusement dans les jours qui ont suivi, cette agitation des soldats, va contaminer toutes les couches sociales ivoiriennes. Emboîtant le pas aux mutins, fonctionnaires, médecins, douaniers, gardes pénitentiaires, enseignants et même les Dozos, les redoutables chasseurs traditionnels qui ont prêté main forte à la rébellion et aux forces pro-Ouattara lors de la crise postélectorale de 2010, vont tous manifester. Pour parer à la fronde sociale, le gouvernement essaie, bon an mal an, de donner satisfaction aux revendications les plus légitimes.

Cependant, la mission s’avère difficile voire impossible à moins que le chef de l’Etat sacrifie sur l’autel de toutes ces revendications sociales son programme de développement sur lequel il a été réélu.

Les Evêques congédient les vilains démons

Les Evêques ont été les premiers à tirer la sonnette d’alarme devant le danger imminent qui pointe à l’horizon. Dans un message adressé à la nation, ils ont exprimé, en des termes très clairs, leur « inquiétude devant les évènements sociaux qui secouent notre pays : mécontentements des militaires, grèves des fonctionnaires et agents de l’Etat ».

Pour eux, ce malaise social persistant au sein de la population est causé par les sentiments de frustration, les procès en cours, les détentions arbitraires dans les prisons, les exclusions, l’exil forcé de certains civils et militaires, le désespoir des jeunes (…)

« Tout ce climat délétère, si nous n’y prenons garde, risque de compromettre gravement tous les acquis enregistrés, fruits de nos efforts », préviennent-ils.

Après avoir dressé ce diagnostic alarmant, les Evêques ont invité « toutes les composantes de la société ivoirienne à se retrouver autour d’une même table pour débattre de toutes les questions relatives à la sécurité, à la cherté de la vie, au chômage des jeunes, aux conditions de travail, à la situation salariale ». Ils ont exhorté le pouvoir en place à faire des efforts dans le sens d’une « redistribution des fruits de la croissance, d’une justice équitable et de la facilitation du retour des exilés, avec des garanties de sécurité pour tous…»

« Injustice sociale érigée en règle de gouvernance »

Pour l’opposition, « les pratiques moyenâgeuses du régime en place contribuent à mettre en mal le tissu social et la cohésion nationale. » Des intellectuels ne manquent pas d’ailleurs de dénoncer « un tribalisme rampant érigé en règle de gouvernance ». L’interview accordée par le chef de l’Etat ivoirien au magazine français, L’Express, dans sa parution du 25 janvier 2012, est citée comme la preuve irréfutable du privilège accordé jusqu’à ce jour aux cadres du nord dans les promotions administratives.

Pour rappel, le président Alassane Ouattara répondant à une question sur la nomination des nordistes aux postes clefs de l’administration ivoirienne avait répondu qu’« Il s'agit d'un simple rattrapage » et que « Sous Gbagbo, les communautés du Nord, soit 40 % de la population, étaient exclues des postes de responsabilité. » Faux, avait rétorqué l’opposition. Dans le camp de son allié du Pdci (Parti démocratique de Côte d’Ivoire) et des autres partis membres du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (Rhdp), coalition qui l’a porté au pouvoir, cette déclaration encore d’actualité, continue de les diviser surtout à la faveur de la vague de nominations de ces derniers temps.

Pour s’en convaincre, il suffit simplement de regarder dans les détails les derniers changements intervenus dans l’équipe gouvernementale et dans l’armée. Le nouveau gouvernement de 29 membres compte en son sein seize (16) ministres de l’ethnie du nord y compris le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, lui-même, contre seulement deux(02) ministres issus de l’Ouest. Le reste des portefeuilles ministériels étant reparti entre les cadres du groupe Akan. Idem en ce qui concerne les forces de défense et de sécurité. Les hauts officiers du groupe ethnique Krou dont sont issus Laurent Gbagbo et le général Robert Guéi, sont quasiment exclus de la hiérarchie.

Pour beaucoup d’observateurs, cette politique d’exclusion qui s’apparente à une vengeance sur un groupe ethnique n’est pas faite pour créer les conditions idoines de la réconciliation qui peine à se mettre en place.

Pour revenir à la situation de l’armée ivoirienne qui compte aujourd’hui un effectif de 23 000 hommes, les deux forces ennemis d’hier – les ex-rebelles et les forces régulières, ex-Fanci (Force armée nationale de Côte d’Ivoire), forcées de cohabitées ensemble, ne se sont pas non plus réconciliées. Manifestement, la réforme du secteur de la sécurité (RSS) qui a coûté plusieurs centaines de milliards de francs aux contribuables, n’a pas changé la donne comme le prouvent les mutineries sauvages devenues les seuls moyens d’expression des militaires pour revendiquer des droits.

Cette armée hétérogène déstructurée que la Côte d’Ivoire traine comme un boulet depuis au moins deux décennies ne fait plus la fierté des Ivoiriens. Aux yeux de nombre d’entre eux, elle a délaissé sa mission régalienne qui consiste à veiller à l’intégrité du territoire et à protéger les citoyens. Cette armée est devenue, au contraire, un véritable danger public pour les populations et la stabilité du pays.

Pendant ce second mandat, Alassane Ouattara réussira-t-il à prendre les bonnes décisions pour s’engager dans une justice sociale et la réconciliation nationale, instaurer enfin une discipline militaire exemplaire dans les casernes, imposer son autorité de chef suprême des armées, faire respecter les institutions de la République (…) ? Attendons de voir.



Clément Yao
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