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Société Publié le samedi 8 juillet 2017 | L’intelligent d’Abidjan

Les Samedis de Biton: Alpha Blondy et les conducteurs

Dire les conducteurs serait exagéré. Tous ceux qui conduisent leurs voitures sont des conducteurs. Or, je veux parler de conducteurs particuliers. Ceux qui conduisent des véhicules de transport. A commencer par ceux des « gbaka », ces véhicules qui transportent vingt ou vingt-deux clients d’un quartier à un autre plus éloigné. Leur particularité réside dans la très mauvaise conduite des chauffeurs, de l’arrogance de leurs apprentis, ces petits qui montent et descendent au moment où le car roule pour chercher des clients. Dans cette acrobatie je n’ai jamais appris d’accidents graves survenus à l’un d’eux. Ces conducteurs dont je veux parler sont aussi ceux des woro-woro, ces véhicules, aux couleurs uniques, dans chaque quartier. Ils ne vont que d’un quartier à l’autre. Une partie de leurs conducteurs jouent aux intellectuels et rappellent, à chaque voyage, à leurs passagers qu’ils ont des diplômes et qu’ils sont devenus chauffeurs à cause de la crise économique, donc du chômage et qu’ils auraient dû être professeur dans un lycée ou haut fonctionnaire dans une administration. Et surtout ne leur parlez pas de concours. Ils vous feront tout un discours sur la corruption dans le pays. La cause de leur martyr. Il y a aussi des taxis sans aucune couleur qui font les mêmes parcours que les taxis dont je viens de parler. Tous les deux « chauffeurs » ont la même particularité. Ils font eux aussi la grande gueule. Eux parlent beaucoup plus de la politique internationale à leurs clients pour montrer qu’ils connaissent tout ce qui se passe dans le monde. Leur radio, toujours captée sur la radio mondiale. Eux aussi ont eu des diplômes et le système ne leur a pas permis d’avoir un travail digne de leur espérance, de leur valeur. Il faut absolument connaitre ces trois catégories de conducteur. Quand les vacances arrivent et chaque année, je me fais l’agréable plaisir de faire le tour d’Abidjan dans les différents transports en commun. En ce moment-là, il y a moins d’élèves, cette catégorie la plus nombreuse à emprunter les transports en commun et jamais de taxi-compteur à cause de son coût et dont les chauffeurs sont un peu plus polis avec leurs clients, la raison pour laquelle je ne les cite pas parmi les trois catégories qui sont souvent des complexés. En tant que chroniqueur, écrivain, c’est un impératif pour moi de connaitre le peuple. Et le cœur du peuple bat que dans les transports en commun avec ces conducteurs comme leurs ambassadeurs. Les conducteurs ne font que répercuter les propos de la clientèle qui devient nerveuse, aigrie et boudeuse quand la fin du mois est encore loin. Surtout les salariés. Tous les citoyens à la situation enviable, les hommes politiques particulièrement, doivent les emprunter, au moins une semaine durant les vacances ou des jours dans les mois de grandes vacances. Ils apprendront plus sur leur pays que tous les discours que distillent la radio et la télévision. Dans presque tous ces véhicules de transport en commun, surtout les deux premiers, on n’entend que des chansons d’Alpha Blondy, à l’aller, tout comme au retour. Le matin comme au soir. Le passager, le client vit un concert gratuit d’Alpha Blondy. L’un des chauffeurs m’a dit qu’Alpha est leur vieux père. La star ivoirienne doit envisager écrire une chanson pour ses « bramogo », ses partenaires. Alpha Blondy, dans les transports en commun, c’est comme l’évangile de Saint Jean dans les temples. Il peut et doit conduire, par des thèmes particuliers, ses partenaires à la discipline, à la connaissance, à l’humilité. Monter et parcourir la ville, surtout en ces moments, c’est comprendre tout le désastre que la pluie crée sur les routes. Comme je le dis souvent, si le président de la République voyait l’état de certaines routes et de certains quartiers, il serait découragé par l’immensité du travail à accomplir et comprendrait des critiques à son égard. Plus que jamais, à cause du manque criard de budget adéquat, il serait bon de pousser à l’investissement humain. Car ce qui n’est pas fait aujourd’hui, prendra de l’ampleur demain. Le peuple, dans sa grande majorité, continue de croire que le gouvernement a dans sa besace de l’argent prêt à servir dans toutes situations. Et que si elles ne sont pas faites c’est tout simplement qu’elle passe dans la poche des « grands », comme on le dit dans les transports en commun. Comment ne pas rappeler ici les propos d’un ancien ministre du Sénégal à l’époque d’Abdou Diouf. « Quand j’étais dans l’opposition je ne faisais que dénoncer le gaspillage des ressources du pays. Et le train trop élevé de l’Etat. Mais quand je suis devenu membre du gouvernement je ne voyais pas du tout de gaspillage car on n’en trouvait même pas à cause de leur rareté, à fortiori vivre au-dessus de nos moyens. » Dans l’évangile selon Alpha Blondy il serait bon qu’il chante sur la « fabrication » d’un budget afin que ces bramogo comprennent comment un Etat gagne de l’argent et comment un Etat le dépense. C’est bien d’attaquer les dirigeants mais il est encore mieux de former les dirigés d’où sortent les dirigeants. Ainsi va l’Afrique. A la semaine prochaine.

Par Isaïe Biton Koulibaly
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