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Politique Publié le mercredi 26 juillet 2017 | Pôle Afrique

Succession de visites de personnalités ivoiriennes à la CPI – FPI, « On n’est pas dupe! »

Nouveau lieu de pèlerinage ? La Cour Pénale Internationale (CPI) de la Haye reçoit dernièrement de nombreuses visites de personnalités ivoiriennes élues ou non. Tous, avec pour désirs de rencontrer et échanger avec l’ancien dirigeant ivoirien Laurent Gbagbo. Un enchaînement qui intrigue.

Ce lundi 24 juillet, les députés de Facobly, Evariste Méambly et des membres de « Agir pour le peuple », le groupe parlementaire qu’il dirige à l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, se sont rendus à la Cour Pénale Internationale. A leur demande, Laurent Gbagbo l’ex-président de Côte d’Ivoire, et Charles Blé Goudé, qui y sont en procès pour crimes contre l’humanité, les ont reçu et leur ont accordé une audience. Aux dires des visiteurs, le déplacement s’inscrit dans l’esprit de la consolidation de la paix et la favorisation de la réconciliation en Côte d’Ivoire.

« Grand merci au président Laurent Gbagbo et à Charles Blé Goudé qui nous font l’honneur de nous recevoir ce lundi 24 juillet 2017 à La Haye. Le groupe parlementaire « Agir pour le peuple » ne ménagera aucun effort pour la paix et la réconciliation vraie dans notre pays. Excellent début de semaine chers tous et surtout merci du soutien », s’est réjouit sur les réseaux sociaux Evariste Méambly à son arrivée à la Haye avec en illustration une photo assurément prises dans les locaux de la CPI et dans laquelle il s’affiche fièrement avec ses deux collaborateurs.

Ces défilés sont pris avec des réserves au Front Populaire Ivoirien (FPI). « J’apprécie la démarche d’aller voir le président Laurent Gbagbo. C’est la preuve qu’il est fréquentable. Je regrette simplement l’utilisation opportuniste du fait de sa détention pour essayer de capter l’électorat FPI. Je trouve particulièrement nauséabond ce défilé devant ce bâtiment où les gens vont se photographier comme si c’était un lieu de tourisme. Et qu’ils vont exhiber sur les réseaux sociaux pour se donner de la contenance. Je trouve cela malsain. Simone Gbagbo est auprès d’eux ici en Côte d’Ivoire, elle n’a pas toutes ces visites. Le capitaine Séka séka, le colonel Abéhi, Assoa Adou et autres sont ici à la Maca. Ils n’ont pas ces traitements. On estime que c’est au niveau de Gbagbo qu’il faut avoir l’onction pour pêcher dans les rangs du FPI. Je le regrette parce que c’est profiter comme des vautours de la souffrance du président Gbagbo pour essayer de dépecer un peu sa maison », dénonce à Poleafrique.info, Jean Bonin Kouadio, Secrétaire Général adjoint du FPI chargé de la communication.

Cette visite du député Evariste Méambly est loin d’être un acte isolé. Depuis leur cellule, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ne chôment pas. Plusieurs autres personnalités ivoiriennes, avant l’élu de Facobly, s’y sont rendues. Si jusque-là c’étaient des cadres du parti fondé par l’ancien dirigeant ivoirien qui effectuaient le déplacement. Dernièrement, le relais est pris par bien d’autres acteurs politiques du pays, y compris du bord opposé. Guillaume Soro lui-même, ne vient-il pas, le 20 juillet dernier, d’annoncer qu’il se rendra à La Haye, « demander pardon » à l’ancien président, avec pour objectif de renforcer la réconciliation nationale?

Il y a deux ans, peu avant la présidentielle de 2015, à sa demande, Kouadio Konan Bertin dit KKB, alors député PDCI de Port-Bouët, était reçu par Gbagbo et Blé Goudé. Mi-juin 2017, c’était Yasmina Ouégnin, la députée de Cocody et des membres de « Vox populi », son groupe parlementaire, qui demandaient et obtenaient d’être reçus par les accusés de la CPI.

Comme Evariste Méambly et son groupe parlementaire, tous clament le désir de favoriser la réconciliation nationale.

Dr François Adou est géo-politologue et enseignant-chercheur à l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan Cocody. La réconciliation telle qu’évoquée dans ce contexte, « n’a pas son sens », commente-t-il. « La réconciliation ici est un mot creux et vide. Il y a eu deux parties prenantes dans la crise en Côte d’Ivoire. Il y a eu le camp de monsieur Laurent Gbagbo qui était au pouvoir et celui de l’opposition d’alors dirigé par monsieur Ouattara. Et il se trouve que c’est uniquement le camp du premier qui est en prison, y compris lui-même. Comment peut-il y avoir réconciliation alors qu’il n’y a pas de justice et de vérité. La réconciliation n’a pas son sens dans la mesure où les ivoiriens n’ont pas été traités au même niveau du droit tant au niveau national comme au niveau international. Ceux qui le disent c’est une comédie politique ou pour se repositionner », analyse l’universitaire pour qui les visites qui se multiplient à la CPI sont liées à la popularité de l’ex-chef de l’Etat.

Selon Jean Bonin Kouadio, ces visites sont intéressées. « Beaucoup estime que 2020 approche et que le FPI est une terre sans maître. Pour eux donc, il faut aller chercher l’onction auprès du président Gbagbo pour pouvoir capter cet électorat qui est là et qui semble être désemparé compte tenu de la guéguerre que se livre un certain nombre de cadres. C’est la réalité que les gens ne disent pas. Le président Laurent Gbagbo est à la CPI depuis bientôt six ans. Ils n’ont jamais fait cette démarche. Mais, à l’approche de 2020, ils se sentent tous des partisans, des élèves et des disciples de Laurent Gbagbo. Mais on n’est pas dupes. On sait très bien que tout ceci est un calcul politicien », commente le collaborateur d’Affi N’Guessan.

Des impacts sur la politique nationale ?

Non, estime-t-on au RDR, le parti au pouvoir. « On ne peut pas dénier le droit à des personnalités ivoiriennes, élues ou non, de se rendre à la Haye pour apporter leur soutien franc, ou teinté d’arrières-pensées et de calcul politique, à l’ex-Président ivoirien. Ceci étant, ces visites qui sont personnelles ne peuvent en aucune manière influencer sur la situation politique ivoirienne. Les ivoiriens sont dans la phase d’inaugurer des ères nouvelles en politiques. Ces ères nouvelles vont nécessairement se construire avec de nouveaux leaders. C’est cela aussi une des composantes de l’ivoirien nouveau dont nous attendons l’avènement avant et après 2020 », commente Joël N’Guessan le porte-parole du RDR.

C’est un avis que partage également le FPI. « Je ne pense pas que ces visites puissent influencer le cours des choses. Plus nous allons nous rapprocher de 2020, plus les choses vont se clarifier. La présidentielle c’est un marathon, ce n’est pas un sprint. Certains pensent qu’il faut juste rendre visite à Gbagbo et le tour est joué. Mais Konan Banny a rendu visite à Gbagbo. Essy Amara et KKB aussi. Ils ont cru que cela suffisait pour retourner complètement la situation. Les militants du FPI sont certes émotifs, mais ils ne sont pas dupes. Le moment venu ils sauront faire la différence entre le grain et l’ivraie », tranche Jean Bonin Kouadio.

Dr François Adou, lui pense que les visites à la CPI profitent à l’ancien dirigeant ivoirien. Pour lui, « si monsieur Gbagbo était dans l’anonymat, il serait déjà condamné ».



Richard Yasseu
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