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Société Publié le jeudi 17 août 2017 | Pôle Afrique

Grande enquête « Les enfants perdus d’Houphouët-Boigny » (7)

Episode 6 : « Pas de pitié pour les enfants-serpents ! »

Les enfants-serpents portent malheur. Laeticia, 30 ans, aînée des enfants de Traoré Maïmouna épouse Koffi, Yvon, 42 ans, lui aussi aîné de sa fratrie et bien d’autres sont des enfants nés avec un handicap, très loin de la volonté des parents, alors très jeunes. Inscrits à L’Institut Médico-Pédagogique de Vridi, ils ont dû en être sortis.

PoleAfrique.info est parti à la rencontre de Dr Albert Kouakou Yao, sociologue, enseignant-chercheur à l’Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody (Abidjan). Il a travaillé sur le cas des enfants handicapés psychiques, communément appelés “enfants-serpents”, et qui, souvent, ont été “accompagnés”. Le spécialiste estime que “De façon générale, la législation en Côte d’ Ivoire qui devait favoriser certaines actions pour toutes ces personnes handicapées, pour la prise en charge de tous les handicapés, est encore à l’état embryonnaire et donc la prise en charge des handicapés devient problématique.”

Se prononçant sur le cas spécifique des handicapés psychiques, il définit la maladie et présente le sujet atteint. “La trisomie 21 est une malformation liée aux chromosomes. Il y a 23 paires de chromosomes mais les trisomiques en ont 21 et cela entraine une déformation surtout au niveau du faciès. Le visage est un peu large, le front aplati avec la tête et la nuque aplaties. On les appelle généralement « les mongoliens » parce qu’ils ressemblent au peuple de Mongolie. L’enfant trisomique a un retard mental assez prononcé, un problème de langage très important et a des difficultés à se prendre en charge dans les faits et gestes de la vie quotidienne. De façon générale, c’est un handicap qui entre dans le cadre du « handicap psychique », lié à un déficit chromosomique et qui rend l’enfant dépendant”, fait-il savoir d’entrée de jeu.

De son contact avec ces enfants, il indique que ceux qu’il a rencontrés, “sont scolarisés.” “J’ai eu des approches avec eux. Il faut dire qu’ils sont très attachants. Dans le cadre de mes recherches, j’ai eu des contacts nombreux avec des trisomiques. Ce sont des personnes très attachantes. Avec eux, l’échange se fait plutôt au niveau de jeu”, raconte-t-il.

Dr Albert Kouakou Yao poursuit. « De façon générale, la réaction d’un parent face au handicap de son enfant, c’est la culpabilité. Qu’est-ce que j’ai fait pour avoir un tel enfant? Est-ce le résultat d’une méconduite de ma part? Est-ce le résultat d’un sort qu’on m’a jeté ? Les parents s’accusent et s’auto-culpabilisent. Cela amène le parent soit à accepter le handicap de l’enfant ou à nier le handicap. Quand le parent accepte, c’est bon, parce que là, il y a une prise en charge de l’enfant. Même si la prise en charge médicale ou psychosociale n’est pas élevée, le parent peut s’occuper de son enfant. Mais, quand le parent refuse le handicap, là c’est très grave parce que l’enfant reste à la maison et le parent ne fait pas cas de l’enfant, on aura beau lui demander, il dira toujours qu’il n’a pas un enfant handicapé. De façon générale, quelque soit le type de handicap, lorsque le parent l’accepte, la prise en charge fonctionne. Dans le cas contraire, malheureusement répandu, la prise en charge devient problématique », rapporte le sociologue de la Santé. « Les parents qui n’acceptent pas l’enfant trisomique le cachent, enfermé à la maison. Souvent livré à lui-même, se débrouillant comme il peut. J’ai aussi découvert, dans mes recherches, que certains parents inscrivent l’enfant dans une structure, plutôt pour s’en débarrasser et l’abandonner que pour le prendre en main », révèle-t-il.

Sur les raisons de la tentation à se débarrasser de l’enfant handicapé psychique, Dr Albert Kouakou Yao explique que « Dans la société traditionnelle, il n’y a pas de système social de prise en charge, c’est-à-dire que la prise en charge est uniquement familiale et nos sociétés reposant sur les travaux champêtres, prendre en charge un handicapé, c’est immobiliser une main valide. Cela pose un problème de perte de main d’œuvre. Donc quand un enfant nait, on l’examine déjà sous toutes les coutures dans la douche. S’il a une malformation quelconque, pas seulement psychique, et pour éviter qu’il devienne un poids pour sa famille et pour son village, on préfère l’éliminer », explique le sociologue. « Pour ne pas subir tout ce fardeau ainsi que le regard malveillant de la société, mieux vaut l’éliminer. Donc l’infanticide, lorsqu’il était pratiqué dans les villages, répondait souvent à ce type de préoccupation, celui de ne concevoir que des hommes valides, utiles, qui peuvent contribuer au développement de la société. Parce que dans certains endroits basés sur le système traditionnel, les gens n’ont pas l’information que, quel que soit le handicap, si l’enfant est pris en charge par des spécialistes, il sera assez facilement autonome pour l’accomplissement des gestes de la vie quotidienne. Mais malheureusement ni la connaissance ni ce type de structure n’existent dans la société traditionnelle et donc on préfère éliminer l’enfant handicapé. On ne peut pas gérer le problème, on ne le laisse pas perdurer, on l’élimine », termine le sociologue, Dr Albert Kouakou Yao.

Pour les parents, l’expérience est douloureuse. « On voulait des enfants mais pas handicapés. J’ai eu Laeticia alors que j’étais encore élève. J’ai vu que l’enfant n’avait pas des réactions normales. C’était la première fois que j’entendais le mot trisomie. A l’âge d’aller à l’école, où mettre son enfant? Des amis m’ont informée que le président Félix Houphouët-Boigny avait aidé des cadres à créer l’Institut Médico-Pédagogique de Vridi. La scolarité était abordable pour tous et tous les parents étaient rassurés que leurs enfants ne seraient pas des déchets. Quand mes tantes paternelles ont vu l’enfant, elles m’ont dit: « ce n’est pas un enfant, c’est un serpent. » Elles m’ont dit qu’elles allaient mettre de la cendre de la chambre afin que ce serpent sorte après transformation. Je m’y suis opposée, avec le soutien de mon père, qui a adoré sa petite-fille jusqu’à sa mort. J’avais si peur que mes tantes ne fassent quelque chose à mon enfant que je sortais toujours avec elle. Du côté de son père, un de ses oncles lui a dit la même chose. Mon mari l’a mis en garde et menacé d’emprisonnement au cas où quelque chose arriverait à sa fille », raconte Traoré Maïmouna épouse Koffi.

Pierrette Tiémélé, a elle aussi, subi et encaissé le coup. « Le choc a été violent, j’étais très jeune. C’est lorsqu’il a eu six mois que nous avons découvert que l’enfant n’était pas comme les autres. On a eu du mal mais j’ai tant donné d’amour à mon fils Yvon que le regard des autres a changé. Mes tantes se sont réunies pour venir me demander de me séparer d’Yvon, que ce genre d’enfant porte malheur », renchérit-elle, ce qu’elle a, bien sûr, refusé.

Pour elle, « la rencontre entre Codjia Aboudo Nicolas Augustin et Mme Haddad, membre de l’association qui gérait l’Institut Médico-Pédagogique et professionnel de Vridi, a été un mauvais coup du sort. »

Dr Albert Kouakou Yao a rencontré des parents au cours de ses recherches.

« J’ai fait des entretiens de groupes et des entretiens individuels avec des parents qui ont des enfants avec plusieurs handicaps. Je vous donne un exemple qui va vous choquer certainement. Il y a des femmes qui ont perdu leur foyer parce qu’elles ont fait des enfants handicapés, peu importe le type de handicap. Cela s’explique, selon la légende populaire, parce que la femme a un “mauvais ventre”, comme on le dit en Afrique (« dans ma lignée, on n’a jamais eu ça »). Les parents, quand vous les rencontrez, ce sont des gens meurtris au plus profond d’eux-mêmes, ce sont des gens souvent à bout. Ils n’en peuvent plus mais ils ne peuvent pas le dire ouvertement. Ils sont dépassés », rapporte le sociologue, spécialiste des questions de santé. Sur la prise en charge justement dans notre pays, il explique: « Prenez quelqu’un qui a un enfant polyhandicapé, s’il n’a pas de revenu, il n’y a pas aucun système de prise en charge. Il est la seule personne qui peut s’occuper de son enfant. C’est difficile, c’est à la limite insupportable. C’est pourquoi au départ j’ai parlé de législation », fait-il savoir. Pour Dr Albert Kouakou Yao, « Les gens n’ont généralement pas l’information qu’il existe des structures qui peuvent prendre en charge des enfants handicapés. Elles existent pourtant », soutient-il. Mais, s’interroge-t-il, « combien y en a-t-il à Abidjan? la plupart sont des structures privées à des coûts exorbitants. Et quand nous savons que la population ivoirienne est à 49% pauvre, avec un revenu de moins d’un dollar par jour, difficile d’envisager d’inscrire son enfant handicapé dans une structure privée. Les structures étatiques n’existent pas à l’intérieur du pays, à part les centres médicaux de la CNPS. La prise en charge devient un problème et un fardeau familial. A la limite, il incombe à la femme de s’occuper de son enfant. C’est « ta chose » tu fais quoi? Tu es donc obligée, à ton corps dépendant, d’accepter de souffrir. Un parent me disait qu’à chaque rentrée scolaire il pleure parce que son fils, qui a un handicap auditif, n’est pas accepté dans les écoles publiques. Pourtant à chaque rentrée, son enfant vient lui dire qu’il veut aller à l’école. Et quand il entend cela, il se retire dans sa chambre pour pleurer à chaudes larmes. Où existe -t- il une école des sourds, des aveugles à Abidjan? Seulement à Yopougon. En milieu rural, la situation est encore plus déplorable. Que fait l’État, que font les ministères des Affaires sociales, le ministère de la Santé publique, le ministère des Droits de l’homme? Toutes ces questions jusqu’aujourd’hui restent posées avec un gros point d’interrogation. Voici donc les problèmes que nous rencontrons en Côte d’Ivoire. On n’en est qu’au balbutiements. Des pays de la sous-région comme le Mali et le Burkina ont à peu près une structure dans chaque grande région qui prend en charge des handicapés de sorte que ces personnes soient utiles à la société. Il y a deux sortes de handicaps, le handicap lourd et le handicap léger. En Côte d’Ivoire, que l’handicap soit lourd ou pas, sa prise en charge repose uniquement sur la famille. Ce qui amène souvent au délaissement des handicapés”, explique longuement Dr Albert Kouakou Yao.



Adam’s Régis SOUAGA
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