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Société Publié le mardi 4 août 2020 | AIP

Retour sur les vestiges d’Elima, berceau de la Côte d’Ivoire moderne (Reportage)

Aboisso-Perchée sur une colline, une maison de style coloniale est à l’abandon dans la broussaille. Un peu plus bas, des piliers et un petit pan de mur indiquent qu’une autre bâtisse non moins importante que la première a existé à cet endroit. A quelques mètres de là, de l’autre coté de la ruelle, des machines rouillées, aussi abandonnées. De petits wagons renversés traînent par ci par là. des tracteurs abîmés, démontés dont les pièces encore solides sont éparpillées dans les environs de l’usine, une balance servant à peser le café encore solidement plantée.

Ce spectacle est offert dans un petit village de quelques centaines d’âmes situé à quelques encablures d’Assinie et d’Adiaké et dans la sous-préfecture d’Etuéboué dont il dépend, au bord de la lagune Aby. Elima pour le rôle capital joué lors de la colonisation est vu par ses habitants et par bien d’autres ivoiriens comme le berceau de la Côte d’Ivoire moderne. Et pourtant le petit village est resté l’ombre de lui-même.

La négligence et l’indifférence dont sont victimes les vestiges de la colonisation sont inexplicables.

« Voici ce qui reste de la première école de Côte d’Ivoire implantée ici » fait savoir, triste, Assohoun Ahico, fils du village et conservateur.

Juste quelques poteaux et un petit pan de mur maintiennent encore le souvenir de cette école créée en 1882 Par Arthur Verdier colonisateur et négociant français. Le spectacle qu’offre la toute première école française de Côte d’Ivoire est ahurissant.

« Elle a commencé avec quelques élèves la première année et la deuxième année ils étaient au nombre de 28 » assure le guide.

Elle sera par la suite fermée et rouverte en 1887 avec 20 élèves à l'arrivée d'un instituteur, Fritz-Emile Jeand'heur venu d'Algérie. Au nombre des figures marquantes ivoiriennes qui ont fréquenté cette école, les populations n'hésitent pas à citer M. Joseph Anoma, l'un des compagnons de Félix Houphouët-Boigny dans la lutte pour l'indépendance de la Côte d'Ivoire.

En 1892, une école de moniteurs sera également créée à Elima. Ce qui va donner un rayonnement certain à cette cité jusqu'à la fin de la deuxième guerre mondiale.

« Cette école va finir par disparaître », affirme amer, Ahico, tête baissée, saisie par la douleur du gâchis auquel il assiste constamment.

« Tout était intact explique-t-il jusqu’en 1970 quand un certain Sandoko est venu emporter toute la toiture y compris celle de la résidence et de l’usine de café explique » le guide.

En 1995, la venue du ministre de l’éducation nationale d’alors et des responsables de l’UNESCO en vue de la réhabilitation de cette école avait donné espoir au village. Mais hélas, la première pierre de la réhabilitation posée est restée jusque-là sans suite.

Une pancarte en marbre que s’empresse de faire voir le guide, porte cette inscription « Ici a été construite la première école de Côte d’Ivoire en 1882.»

« C’est le ministre Pierre Kipré qui est venu avec cette pancarte à bord de sa voiture » révèle Ahico.

Non loin de là, sur la colline, la maison de style coloniale n’est autre que la résidence d’Arthur Verdier. Il écrit d’ailleurs à ce propos à la page 17 de ses mémoires qu’il s’agit de la première maison en dur de la Côte d’Ivoire.

Même spectacle de désolation ici aussi. Ce qu’il est convenu d’appeler la maison blanche de l’époque, construite en R+1 , est en ruine. Plus de toiture, plus de porte, plus de commodité, tout a été emporté, le tout recouvert par la broussaille avec ses occupants, des reptiles et des rats.

« C’était un véritable joyaux. Aucun noir n’avait le droit d’arriver dans cette cour gardée par une société de sécurité déjà à l’époque », explique M. Assohoun Ahico.

Un peu plus bas, des machines abandonnées, des wagons renversés et rouillés, des tracteurs abîmés, démontés dont les pièces encore solides sont éparpillées dans les environs de l’usine. une balance servant à peser le café encore solidement plantée, un bâtiment complètement détruit, tel est le triste spectacle auquel est soumis le visiteur de cet endroit pourtant hautement symbolique pour l’agriculture ivoirienne.

Cette usine de café, la première du genre, servait à traiter le café provenant des premières plantations de café du pays développées par Arthur verdier à partir de 1881, fait savoir Ahico.

Il explique que le petit train d’Arthur verdier allait chercher la production de café dans les champs et le ramenait à l’usine où le café était décortiqué avant d’être acheminé par voie lagunaire à Assinie où attendaient les bateaux pour le port de la Rochelle en France.

"En fait, explique Ahico, Elima au moment de la colonisation bénéficiait de toutes les commodités. Adduction en eau potable, électricité, dispensaire, école primaire etc…Elima avait sa propre monnaie ."

Mais depuis le départ des colonisateurs, plus rien. Plus de centre de santé. L’école n’a revu le jour qu’en 2015 grâce à des organismes internationaux après le transfert de la première école à Assinie en 1890.

La cité d'Elima après avoir servi de porte d'entrée du savoir et de la culture du café et du cacao en Côte d'Ivoire est aujourd'hui à la traîne du développement. Alors qu'« au Ghana la première école occidentale a été créée à Cape coast. Qui est aujourd'hui un grand centre d'éducation de ce pays, soutien le guide.

A Elima on pouvait en faire de même, propose Ahico visiblement déçu par le sort réservé au berceau de la Côte d’Ivoire moderne qui a abrité la première école française, la première maison en dur, la première plantation de café et la première usine de café de Côte d’Ivoire.

Ce sentiment est partagé par des populations rencontrées.

Sur la lagune Aby pendant ce temps, les pêcheurs continuent leurs activités comme pour signifier que malgré tout Elima doit vivre. Les vagues qui frappent fortement la berge semblent cependant réclamer à la France et à son ancienne colonie la Côte d’Ivoire la reconnaissance à Elima pour service rendu.

akn/ask
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