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Société Publié le lundi 14 juin 2021 | AIP

L’hypothèque des plantations en pays Gban, le cercle vicieux qui entretient la pauvreté (Enquête)

Gagnoa - Le phénomène des ventes et location de terre, une pratique destructrice pour les familles, avec les interminables procès coutumiers et/ou modernes à rebondissement, cède le pas de plus en plus à l’hypothèque des plantations en pleine productivité, pour faire face, dans la plupart des cas, à des frais funéraires. Ce nouveau phénomène, depuis une vingtaine années, fait le lit de la pauvreté en pays Gban (Gagou).

Constat par la chefferie

Environ cinq héritiers sur dix, ont aujourd’hui leurs plantations de cacao en gage, pour des périodes allant de deux, trois, voire quatre ans après le décès du père. C’est le constat fait auprès des chefs de villages et de cantons, des sous-préfectures de Diégonéfla, Guépahouo, Tonla et Oumé, localités peuplées en majorité par les autochtones Gban (ou Gagou). Le gage dure entre un et deux ans dans le principe. Mais en réalité, il est prorogé au bout d’un an, lorsqu’un nouveau décès survient dans la famille (...), commence alors le cercle vicieux de la précarité.

Tout commence par le décès d’un des parents

Lorsque survient le décès d'un parent, deux options sont au choix pour les proches chargés d'organiser les funérailles. La première, c’est lorsque le décès survient à l’hôpital en ville (Abidjan, Gagnoa ou Oumé). Les parents décident que le corps du défunt soit immédiatement conservé à la morgue, le temps de fixer la date des obsèques qui ont généralement lieu, dans la première semaine du mois suivant, si le décès a lieu avant la première quinzaine du mois en cours. Si par contre, le décès a lieu après la seconde moitié du mois, la décision d'inhumer est portée à la fin du mois suivant. Commencent alors les tractations pour l'élaboration du budget des obsèques.

S’il s’agit du chef de famille, les parents paternels décident avec ou sans l’avis des enfants héritiers, même majeurs, d’hypothéquer la plantation de cacao. Entre 200 000 et 300 000 mille F CFA, sur une période de deux ans, pour environ deux hectares, si la plantation est un peu vieille, et entre 400 mille et 500 mille, toujours, pour la même période, si elle a une très bonne productivité. Si les enfants contestent la décision de vente, ils se retrouvent seuls face aux frais funéraires, comprenant la conservation du corps, du cercueil, son transfert, la location des bâches et chaises, la boisson et la nourriture durant les obsèques. A cela s'ajoutent les diverses amendes forfaitaires, aussi bien vis-à-vis des parents paternels que maternels. Tout y passe, y compris l’apport financier des amis et connaissances. Les obsèques achevées, les descendants sont alors livrés à eux-mêmes, sans revenus.

Dans l’hypothèse où le décès a lieu au village. Là encore deux cas de figures se présentent. Soit le corps est enterré dans les 48 heures, soit il est emmené en conservation dans l'une des morgues de Gagnoa, Oumé, ou maintenant Diégonéfla, qui vient d’ouvrir, pour un service de traitement des corps humains. S’il doit être inhumé dans le village, il revient aux enfants du défunt de trouver une somme d'environ 120 000 F, pour un cercueil ( 50 000 à 70 000 FCFA), location de bâches, chaises, sono, donner à boire et à manger.

« C’est souvent 100 000 à 150 000 FCFA pour la plantation ou partie de la plantation, pour une période d’un an », fait observer le chef de village de Zaddi, dans la sous-préfecture de Tonla, Koffi Valia, secrétaire général du collectif des chefs de village du département d’Oumé. Les cas les plus compliqués auxquels sont confrontés souvent les jeunes, sont lorsqu’ils sont contraints, d’aller mettre le corps à la morgue, et cela, bien que le parent soit décédé au village.

C’est là que se trouve toute la problématique, selon le chef Koffi Valia. Non seulement, la famille a du mal à réunir les 120 000 FCFA minimum pour couvrir dans l’immédiat les obsèques, mais en plus, elle subit le poids des habitudes, qui recommandent que l’on laisse le temps aux autres membres de la famille, aux amis et connaissances, d’effectuer le déplacement au village, pour les obsèques. A la vérité, tous dans le village et cela, sans le confesser, considèrent que la plantation laissée par le défunt ou la parcelle de celui qui a en charge les obsèques, doit être mise en cage pour faire face aux charges.

La mise en branle du processus d’hypothèque

C’est à ce moment qu'interviennent les « margouillats » qui sont nombreux dans ces villages, pour proposer leur service d’intermédiation. Il s’agit généralement de manœuvre exerçant dans la plantation, ou celles voisines, qui constatant le décès, approche les héritiers en ces termes, presque toujours les mêmes, relève le chef de village de Bokéda, président du collectif des chefs de village du canton N’Dah. « Patron, je connais quelqu’un dans notre communauté qui peut vous aider. Si tu es d’accord, je vais lui en parler », lâchera l'interlocuteur. Accompagné du potentiel acquéreur, il se présente au crépuscule, pour son offre. De fait, celui qui avait du mal à réunir la somme de 120 000 FCFA, pour un enterrement dans les 48H00 heures, se retrouve à envisager 500 000 FCFA pour couvrir les charges d’une inhumation ultérieure. D’un an envisagé d’hypothèque, on passe alors à deux voire trois ans de cession. L’accord est conclu, et très souvent à l’insu des chefs de village.

La transaction demeure secrète, assure Zéba Govo Maria, planteur à Guépahouo, qui révèle avoir cédé sa parcelle de cacao, pour un an, contre la modique somme de 120 000 FCFA. Il venait de perdre son neveu, dont le père était malheureusement décédé longtemps avant. Tous les regards était tourné vers M. Zéba, parce qu’il venait d’hériter de la plantation de sa mère, deux ans auparavant. « Je n’avais pas le choix, tous m’attendaient », confesse-il. Au dire du chef de village Koffi Valia, « depuis une quinzaine d'années que je suis à ce poste, jamais on ne m’a soumis un accord de cession provisoire ou hypothèque ». Par contre, l’honorable assure qu’en cas de vente, il est très souvent sollicité. Son seul regret, dira-il, c’est de voir ces vendeurs provisoires, comme il les appelle, ne jamais proposer ce deal aux parents du village, salariés, ou fils du village, en quête de plantation.

Le cercle vicieux de la pauvreté

Au bout d’un an de location, c’est la disette. On renégocie alors le contrat. Mais cette fois, le locataire se montre plus exigeant, et propose 200 000 FCFA pour deux ans supplémentaires. Cette somme est aussi très vite consommée par les différentes dettes engagées depuis lors pour essayer de survivre, les premières semaines après l’hypothèque. Le manque de revenu créé aujourd’hui dans ces villages, est une situation difficile. « C’est un véritable scandale », s’insurge le président du Conseil départemental des chefs de village d’Oumé, Kouamé Yobo Faustin. Selon lui, ce phénomène concerne l’ensemble de la trentaine de villages Gban. Aucun ne fait exception, déplore l’honorable chef, qui refuse toutes excuses face à ce qu’il considère être un « désastre ».

« Ne cherchez pas loin la cause de cette pauvreté. C’est comment faire pour enterrer mon parent », s’exclame écœuré la première autorité traditionnelle Gban. A la vérité, le problème n’est pas l’organisation de funérailles pompeuses, mais bien le culte de la mort avec des enterrements à vous rendre plus pauvre, fait-il observer.

Il relève néanmoins, que certains jeunes s'adonnent aussi à la pratique d'hypothèque, cette fois pour acquérir des engins à deux roues, en vue de faire du transport Taxi-moto. En cas d'accident et c'est très fréquent, ils se retrouvent sans moto, et sans plantation. On les retrouve comme travailleurs saisonniers. Mais ces cas, confesse le chef, sont plus rares.

A bout de solution face à cette situation qui est en train de devenir un fléau, La chefferie Gban a décidé d’édicter une charte afin que toutes les autorités communautaires autochtones ou allogènes, jeunes ou vieilles, soient soumises aux mêmes règles qui favorisent progressivement la fin de ce système et le retour progressif à la prospérité.

dd/ask
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