“Sans fil”, sous-quartier de Marcory. Lundi 22 septembre 2008, deuxième semaine de la rentrée des classes. Le cœur remplit de tristesse, Félicien Kambou, 12 ans, a les larmes aux yeux, lorsqu’il voit ses camarades reprendre le chemin de l’école tout joyeux. Son père l’avait pourtant prévenu qu’il n’irait pas à l’école cette année. Faute de moyens, ses études sont ainsi hypothéquées et il n’aura même pas la chance d’avoir son certificat d’études primaires (Cepe). Mais c’est ce lundi là que, voyant tout le monde en tenue, il se rend véritablement compte de ce que c’est que ne plus partir à l’école. Il n’est pas né dans un univers propice aux enfants, mais d’une famille aux revenus très faibles. L’égalité des chances et l’accès à une éducation de qualité gratuite et obligatoire, tels que prônés par les bureaucrates du Fonds des Nations-Unies pour l’Enfance (UNICEF) sont des vœux pieux pour beaucoup d’enfants de ce quartier où l’environnement même, contraste avec les objectifs de développement pour le millénaire(OMD). Le père de Félicien est veilleur de nuit. Avec son maigre salaire, il ne peut continuer d’assurer la scolarité de tous ses enfants.
Profession du père, veilleur de nuit
C’est une villa ordinaire avec un pavillon moderne. La longue clôture de crépi gris n’est pas aussi infranchissable. Au lieu dit, une résidence d’une famille française située aux II Plateaux. Il est 00 h 30 minutes. C’est le creux de la nuit, une heure morte où tout mouvement devient suspect pour un gardien de nuit dont la mission est de rester en alerte. Ce dimanche 21 septembre 2008, E. Kambou qui veille sur la sécurité de la famille C., jaillit subitement de son siège croyant avoir affaire à une menace. Il n’avait pourtant pas été surpris par notre silhouette parce que nous avions pris le soin de faire du bruit en arrivant. Nous devons veiller cette nuit là ses patrons avec son accord.
Première consigne à nous, donnée par « l’agent de sécurité » : éviter de faire du bruit qui puisse perturber la sérénité des locataires de la villa.
Quelques coins de la cour comme le garage, et le petit jardin restent éclairés. Les lanternes du vaste salon sont également maintenues allumées. Chaque heure, Kambou doit faire la ronde dans la cour. « Il faut toujours revenir sur ses pas pour s’assurer que rien n’est bizarre parce que la moindre inadvertance peut profiter à un voleur », nous explique t-il. Selon lui, le portail de l’entrée de la villa, où se trouve le sas de contrôle n’est pas la porte d’entrée du danger.
Mais pour rester éveillé, surveiller tout ce qui parait suspect et ne pas se laisser surprendre par le danger, Kambou ne se contente pas seulement d’une forte dose de café noir. Quelque part dans les poches de son accoutrement qui frise le ridicule, se trouve des noix de colas qui lui servent de temps en temps d’amuse gueule. « Ça me permet de rester éveillé toute la nuit », révèle t-il.
Mais rester éveillé ne suffit pas pour faire de vous un excellent gardien, selon lui. Il faut savoir flairer le danger et savoir l’affronter. A cet effet, comme arsenal de défense, il porte une ceinture artisanale en cuir à la hanche qui fixe le long de sa jambe droite, le fourreau d’une machette. Sa chemise dissimule également un couteau qui pend au niveau de sa poitrine, soutenu par un collier en cuir. Kambou tient enfin à portée de main, un gourdin et une torche. Son fidèle compagnon demeure son poste radio qui reste allumé toute la nuit.
Toute la nuit, nous sommes allés en sa compagnie faire plus de cinq fois le tour de la cour sans que la famille C., plongée dans un profond sommeil, ne se doute de rien.
Un métier aux multiples risques
Ce métier qui s’assimile à la débrouillardise par rapport aux risques et aux gains, demande de faire preuve de beaucoup de présence d’esprit. Contrairement à ce qu’on pourrait penser. Ce, en raison de la bonne décision à prendre dans l’urgence en cas de problème. « J’ai repoussé à maintes reprises des voleurs ici sans que le patron ne s’en rende compte», confie t-il avec un air de bravoure. Selon lui, il suffit parfois d’un bruit produit par le gardien pour faire fuir des bandits. Mais, la stratégie ne marche pas dans tous les cas. Et ce n’est pas toujours réconfortant d’être seul, la nuit, en train de veiller sur la sécurité des dormeurs en abandonnant sa femme et parfois ses enfants à la maison. Pourtant ces " Night audit " n’ont pas le choix. « Je gagne 35.000 FCFA le mois », indique le vieux Kambou, sans gène. Un salaire de misère dont il s’accommode cependant depuis 16 ans, dans ce métier, parce que y étant arrivé par nécessité. « Lorsque j’ai débarqué ici à Abidjan pour l’aventure, il me fallait trouver quelque chose à faire le plus vite possible et c’est un frère qui m’a proposé à un Blanc aux 2 Plateaux, lequel m’a pris comme veilleur de nuit », se souvient-il. A cette époque là, Kambou ne percevait que 25.000 FCFA. Un salaire avec lequel, il doit se loger, se nourrir et nourrir sa femme. Mais, avec le temps, la maisonnée a commencé à grossir avec la naissance de ses quatre enfants. Il faut assurer leur éducation, leur santé. La scolarisation pour Kambou n’était pas une priorité, lui qui n’est pas allé à l’école. On comprend pourquoi, cette année, Félicien, son fils, n’aura pas la chance de poursuivre ses études. « Il est arrivé un moment où mon salaire ne pouvait servir qu’à nourrir la famille. Il fallait pourtant payer mon loyer et le transport», avoue t-il. Il a dû se résoudre à s’acheter un vélo, en sollicitant un prêt auprès de son patron. C’est donc avec son vieux vélo qu’il se rend au travail. Pourtant, la situation de Kambou semble enviable par rapport à d’autres de la même corporation qui n’ont pas la chance de travailler pour les Européens expatriés.
Une sécurité de la misère
Entre deux gorgées de Tchapalo (Vin local à base du sorgho), B. Tiémtoré conte ses malheurs. Il a failli être éborgné, il y a quelques mois, par quatre bandits venus attaquer nuitamment l’immeuble qu’il gardait en Zone 4 (Marcory). « J’ai reçu un coup de crosse de fusil sur l’œil avant d’être ligoté et enfermé », se souvient Tiémtoré. Il marque un temps d’arrêt puis ajoute: « Quand on m’a retrouvé et délivré, j’avais l’œil rougi par le sang et très enflé. Il m’a fallu deux semaines pour retrouver l’usage de mon œil. Mais quand je suis revenu, on m’avait remplacé par un autre. » La quarantaine entamée, le burkinabé qui croyait avoir reçu l’autorisation d’aller se faire soigner était loin de s’imaginer que l’on mettait ainsi fin à ses fonctions.
Eh oui ! Malgré toute leur bonne volonté, les veilleurs de nuit sont des proies faciles pour les braqueurs et autres cambrioleurs armés jusqu’aux dents. Ils n’ont pas le droit d’user d’armes à feu, ni même d’arme blanche dans le cadre de leur métier. Tout au plus, un gourdin, pour arme. Un moyen de défense bien dérisoire face à des gangsters déterminés et de plus en plus surarmés.
Comme on le voit, le métier de gardien de nuit est un métier à hauts risques. Beaucoup d’entre eux ont été marqués à vie dans des attaques, quand ils n’ont pas été purement et simplement tués. Et lorsqu’il arrive qu’ils soient agressés, ils bénéficient rarement de la pitié de leurs patrons qui profitent de leur handicap pour les remercier. Leur drame est réel d’autant plus que même la loi ne semble pas les protéger.
En effet, sans statut juridique, ils ne sont pas reconnus comme des agents de sécurité professionnels. La plupart sont des alphabètes expatriés qui se battent pour survivre. Ils travaillent pour ainsi dire au noir. Aucune assurance, aucune couverture sociale. A plus forte raison, un salaire décent ou un quelconque avantage. Ils font partie du secteur des domaines d’activité non encore couverte par la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNPS). Pour la Cnps, ces métiers sont quelque peu cachés. «Nous avons un programme de sensibilisation envers ce type de travailleurs et leurs employeurs en vue de leur faire comprendre que c’est nécessaire qu’ils soient déclarés à la Cnps» promet-on.
Les mal lotis de la société
Outre cet aspect, la misère des veilleurs de nuit est frappante. Logés soit dans des baraques sur les terrains nus, soit dans des maisons inachevées sur lesquels ils veillent aussi, ou tout au plus dans les quartiers précaires, ces gardiens conjuguent leur vie au quotidien avec le dénuement. Difficile de se loger autrement quand on a un revenu mensuel qui dépasse à peine le salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig). C’est le cas de Kambou, de Tiémtoré et de bien d’autres qui vivent dans des habitations insalubres en bordure de la lagune polluée, dans les quartiers comme Anoumabo et Sans fil. On les trouve également dans les bidonvilles comme Boribana, Gobelet, et dans tout ce que le district d’Abidjan comporte de quartiers précaires.
Pour ceux qui vivent en couple, la contribution de la femme est très remarquable dans la gestion des charges familiales. Car nombreuses sont ces épouses qui aident souvent leurs maris en tenant un petit commerce de galettes, de beignets, de fruits ou de légumes à l’étal. Certaines servent comme lavandières de semaine dans certains foyers. Les célibataires tiennent la journée, un tablier de cigarettes, ou pratiquent la blanchisserie pour arrondir leur fin de mois. Dans les abris de fortune, où certains subsistent sans eau ni électricité, les enfants qui mangent à peine à leur faim, n’ont pas toujours la chance d’être scolarisés. « J’ai deux enfants qui sont en âge d’aller à l’école, mais qui n’y vont pas parce que je n’ai pas les moyens », témoigne l’un d’eux. Même quand ces enfants ont la chance d’être scolarisés, ils sont très souvent expulsés pour tenue déchirée, problème de fourniture ou bien pour impossibilité de payer les droits et autres frais de scolarité. Car, à vrai dire, les salaires si on peut parler ainsi, sont dérisoires. « Nous ne sommes pas bien payés. Rares sont ceux d’entre nous qui touchent 40.000 FCFA. C’est difficile », avoue Sawadogo Mathieu, un autre gardien.
En effet, pour les gardiens qui veillent les immeubles et les quartiers, l’employeur n’est pas clairement identifié. C’est un syndic des occupants qui leur verse leur pécule qui correspond à la somme des cotisations par porte. Et comme personne n’est obligatoirement tenu de cotiser, le salaire minimum n’est donc pas garanti. Les plus chanceux sont : « Les gardiens des expatriés européens qui peuvent gagner jusqu’à 60.000 FCFA », confie Salam Karamoko. A l’en croire, les Blancs leur font des cadeaux et font preuve de générosité envers eux. Certains déclarent même leurs domestiques (cuisiniers, gardiens etc.) à la Caisse nationale de prévoyance sociale, d’après ce dernier.
Mais hélas, avec les évènements de novembre 2004, beaucoup sont partis et bon nombre de veilleurs de nuit se sont retrouvés au chômage. Notamment, dans les quartiers comme Zone 4, II Plateaux et Cocody.
Une espèce en perdition
Au-delà même de ces cas de chômage massif enregistré avec le départ des Européens, d’une façon générale, les gardiens de nuit sont une espèce en voie de perdition. Car, ils sont supplantés par les professionnels de la sécurité privée. Autrement dit, les vigiles recrutés par les sociétés de gardiennage. A la différence des veilleurs de nuit, les vigiles, eux, justifient d’une formation et disposent, pour certains, de moyens de défense plus adaptés à toutes les formes de cambriolage. Avec plus de 900 entreprises qui emploient près de 35.000 agents, la sécurité privée est désormais le pré carré des sociétés de gardiennage. La Première Dame, des anciens ministres, des généraux de l’armée comme le général Tanny, et des opérateurs économiques s’y investissent. Mais faute d’existence d’une loi claire, les agents de ce secteur, pour le moins anarchique, n’échappent pas, eux aussi, au mauvais traitement salarial. « J’en connais qui sont payés entre 25.000 et 35.000 FCFA », reconnaît M. André Sérikpa, président de l’union des entreprises privées de sécurité. Pour lui, certains promoteurs de ces sociétés de gardiennage qui poussent comme des champignons vivent sur le dos des vigiles. Lesquels croulent sous le poids de la misère, de la discrimination salariale, des arriérés de salaires, et des licenciements abusifs. Des misérables pour lesquels se vante très souvent le patronat pour le travail qu’il leur aurait donné. Pour André Sérikpa, la sécurité privée est très importante pour que l’Etat s’en désintéresse. C’est pourquoi, il souhaite de tous ses vœux, que le secteur soit régi par une loi. Mais en attendant, veilleurs de nuit et vigiles, c’est tout simplement blanc bonnet, bonnet blanc. C'est-à-dire la même galère.
Alexandre Lebel Ilboudo
Profession du père, veilleur de nuit
C’est une villa ordinaire avec un pavillon moderne. La longue clôture de crépi gris n’est pas aussi infranchissable. Au lieu dit, une résidence d’une famille française située aux II Plateaux. Il est 00 h 30 minutes. C’est le creux de la nuit, une heure morte où tout mouvement devient suspect pour un gardien de nuit dont la mission est de rester en alerte. Ce dimanche 21 septembre 2008, E. Kambou qui veille sur la sécurité de la famille C., jaillit subitement de son siège croyant avoir affaire à une menace. Il n’avait pourtant pas été surpris par notre silhouette parce que nous avions pris le soin de faire du bruit en arrivant. Nous devons veiller cette nuit là ses patrons avec son accord.
Première consigne à nous, donnée par « l’agent de sécurité » : éviter de faire du bruit qui puisse perturber la sérénité des locataires de la villa.
Quelques coins de la cour comme le garage, et le petit jardin restent éclairés. Les lanternes du vaste salon sont également maintenues allumées. Chaque heure, Kambou doit faire la ronde dans la cour. « Il faut toujours revenir sur ses pas pour s’assurer que rien n’est bizarre parce que la moindre inadvertance peut profiter à un voleur », nous explique t-il. Selon lui, le portail de l’entrée de la villa, où se trouve le sas de contrôle n’est pas la porte d’entrée du danger.
Mais pour rester éveillé, surveiller tout ce qui parait suspect et ne pas se laisser surprendre par le danger, Kambou ne se contente pas seulement d’une forte dose de café noir. Quelque part dans les poches de son accoutrement qui frise le ridicule, se trouve des noix de colas qui lui servent de temps en temps d’amuse gueule. « Ça me permet de rester éveillé toute la nuit », révèle t-il.
Mais rester éveillé ne suffit pas pour faire de vous un excellent gardien, selon lui. Il faut savoir flairer le danger et savoir l’affronter. A cet effet, comme arsenal de défense, il porte une ceinture artisanale en cuir à la hanche qui fixe le long de sa jambe droite, le fourreau d’une machette. Sa chemise dissimule également un couteau qui pend au niveau de sa poitrine, soutenu par un collier en cuir. Kambou tient enfin à portée de main, un gourdin et une torche. Son fidèle compagnon demeure son poste radio qui reste allumé toute la nuit.
Toute la nuit, nous sommes allés en sa compagnie faire plus de cinq fois le tour de la cour sans que la famille C., plongée dans un profond sommeil, ne se doute de rien.
Un métier aux multiples risques
Ce métier qui s’assimile à la débrouillardise par rapport aux risques et aux gains, demande de faire preuve de beaucoup de présence d’esprit. Contrairement à ce qu’on pourrait penser. Ce, en raison de la bonne décision à prendre dans l’urgence en cas de problème. « J’ai repoussé à maintes reprises des voleurs ici sans que le patron ne s’en rende compte», confie t-il avec un air de bravoure. Selon lui, il suffit parfois d’un bruit produit par le gardien pour faire fuir des bandits. Mais, la stratégie ne marche pas dans tous les cas. Et ce n’est pas toujours réconfortant d’être seul, la nuit, en train de veiller sur la sécurité des dormeurs en abandonnant sa femme et parfois ses enfants à la maison. Pourtant ces " Night audit " n’ont pas le choix. « Je gagne 35.000 FCFA le mois », indique le vieux Kambou, sans gène. Un salaire de misère dont il s’accommode cependant depuis 16 ans, dans ce métier, parce que y étant arrivé par nécessité. « Lorsque j’ai débarqué ici à Abidjan pour l’aventure, il me fallait trouver quelque chose à faire le plus vite possible et c’est un frère qui m’a proposé à un Blanc aux 2 Plateaux, lequel m’a pris comme veilleur de nuit », se souvient-il. A cette époque là, Kambou ne percevait que 25.000 FCFA. Un salaire avec lequel, il doit se loger, se nourrir et nourrir sa femme. Mais, avec le temps, la maisonnée a commencé à grossir avec la naissance de ses quatre enfants. Il faut assurer leur éducation, leur santé. La scolarisation pour Kambou n’était pas une priorité, lui qui n’est pas allé à l’école. On comprend pourquoi, cette année, Félicien, son fils, n’aura pas la chance de poursuivre ses études. « Il est arrivé un moment où mon salaire ne pouvait servir qu’à nourrir la famille. Il fallait pourtant payer mon loyer et le transport», avoue t-il. Il a dû se résoudre à s’acheter un vélo, en sollicitant un prêt auprès de son patron. C’est donc avec son vieux vélo qu’il se rend au travail. Pourtant, la situation de Kambou semble enviable par rapport à d’autres de la même corporation qui n’ont pas la chance de travailler pour les Européens expatriés.
Une sécurité de la misère
Entre deux gorgées de Tchapalo (Vin local à base du sorgho), B. Tiémtoré conte ses malheurs. Il a failli être éborgné, il y a quelques mois, par quatre bandits venus attaquer nuitamment l’immeuble qu’il gardait en Zone 4 (Marcory). « J’ai reçu un coup de crosse de fusil sur l’œil avant d’être ligoté et enfermé », se souvient Tiémtoré. Il marque un temps d’arrêt puis ajoute: « Quand on m’a retrouvé et délivré, j’avais l’œil rougi par le sang et très enflé. Il m’a fallu deux semaines pour retrouver l’usage de mon œil. Mais quand je suis revenu, on m’avait remplacé par un autre. » La quarantaine entamée, le burkinabé qui croyait avoir reçu l’autorisation d’aller se faire soigner était loin de s’imaginer que l’on mettait ainsi fin à ses fonctions.
Eh oui ! Malgré toute leur bonne volonté, les veilleurs de nuit sont des proies faciles pour les braqueurs et autres cambrioleurs armés jusqu’aux dents. Ils n’ont pas le droit d’user d’armes à feu, ni même d’arme blanche dans le cadre de leur métier. Tout au plus, un gourdin, pour arme. Un moyen de défense bien dérisoire face à des gangsters déterminés et de plus en plus surarmés.
Comme on le voit, le métier de gardien de nuit est un métier à hauts risques. Beaucoup d’entre eux ont été marqués à vie dans des attaques, quand ils n’ont pas été purement et simplement tués. Et lorsqu’il arrive qu’ils soient agressés, ils bénéficient rarement de la pitié de leurs patrons qui profitent de leur handicap pour les remercier. Leur drame est réel d’autant plus que même la loi ne semble pas les protéger.
En effet, sans statut juridique, ils ne sont pas reconnus comme des agents de sécurité professionnels. La plupart sont des alphabètes expatriés qui se battent pour survivre. Ils travaillent pour ainsi dire au noir. Aucune assurance, aucune couverture sociale. A plus forte raison, un salaire décent ou un quelconque avantage. Ils font partie du secteur des domaines d’activité non encore couverte par la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNPS). Pour la Cnps, ces métiers sont quelque peu cachés. «Nous avons un programme de sensibilisation envers ce type de travailleurs et leurs employeurs en vue de leur faire comprendre que c’est nécessaire qu’ils soient déclarés à la Cnps» promet-on.
Les mal lotis de la société
Outre cet aspect, la misère des veilleurs de nuit est frappante. Logés soit dans des baraques sur les terrains nus, soit dans des maisons inachevées sur lesquels ils veillent aussi, ou tout au plus dans les quartiers précaires, ces gardiens conjuguent leur vie au quotidien avec le dénuement. Difficile de se loger autrement quand on a un revenu mensuel qui dépasse à peine le salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig). C’est le cas de Kambou, de Tiémtoré et de bien d’autres qui vivent dans des habitations insalubres en bordure de la lagune polluée, dans les quartiers comme Anoumabo et Sans fil. On les trouve également dans les bidonvilles comme Boribana, Gobelet, et dans tout ce que le district d’Abidjan comporte de quartiers précaires.
Pour ceux qui vivent en couple, la contribution de la femme est très remarquable dans la gestion des charges familiales. Car nombreuses sont ces épouses qui aident souvent leurs maris en tenant un petit commerce de galettes, de beignets, de fruits ou de légumes à l’étal. Certaines servent comme lavandières de semaine dans certains foyers. Les célibataires tiennent la journée, un tablier de cigarettes, ou pratiquent la blanchisserie pour arrondir leur fin de mois. Dans les abris de fortune, où certains subsistent sans eau ni électricité, les enfants qui mangent à peine à leur faim, n’ont pas toujours la chance d’être scolarisés. « J’ai deux enfants qui sont en âge d’aller à l’école, mais qui n’y vont pas parce que je n’ai pas les moyens », témoigne l’un d’eux. Même quand ces enfants ont la chance d’être scolarisés, ils sont très souvent expulsés pour tenue déchirée, problème de fourniture ou bien pour impossibilité de payer les droits et autres frais de scolarité. Car, à vrai dire, les salaires si on peut parler ainsi, sont dérisoires. « Nous ne sommes pas bien payés. Rares sont ceux d’entre nous qui touchent 40.000 FCFA. C’est difficile », avoue Sawadogo Mathieu, un autre gardien.
En effet, pour les gardiens qui veillent les immeubles et les quartiers, l’employeur n’est pas clairement identifié. C’est un syndic des occupants qui leur verse leur pécule qui correspond à la somme des cotisations par porte. Et comme personne n’est obligatoirement tenu de cotiser, le salaire minimum n’est donc pas garanti. Les plus chanceux sont : « Les gardiens des expatriés européens qui peuvent gagner jusqu’à 60.000 FCFA », confie Salam Karamoko. A l’en croire, les Blancs leur font des cadeaux et font preuve de générosité envers eux. Certains déclarent même leurs domestiques (cuisiniers, gardiens etc.) à la Caisse nationale de prévoyance sociale, d’après ce dernier.
Mais hélas, avec les évènements de novembre 2004, beaucoup sont partis et bon nombre de veilleurs de nuit se sont retrouvés au chômage. Notamment, dans les quartiers comme Zone 4, II Plateaux et Cocody.
Une espèce en perdition
Au-delà même de ces cas de chômage massif enregistré avec le départ des Européens, d’une façon générale, les gardiens de nuit sont une espèce en voie de perdition. Car, ils sont supplantés par les professionnels de la sécurité privée. Autrement dit, les vigiles recrutés par les sociétés de gardiennage. A la différence des veilleurs de nuit, les vigiles, eux, justifient d’une formation et disposent, pour certains, de moyens de défense plus adaptés à toutes les formes de cambriolage. Avec plus de 900 entreprises qui emploient près de 35.000 agents, la sécurité privée est désormais le pré carré des sociétés de gardiennage. La Première Dame, des anciens ministres, des généraux de l’armée comme le général Tanny, et des opérateurs économiques s’y investissent. Mais faute d’existence d’une loi claire, les agents de ce secteur, pour le moins anarchique, n’échappent pas, eux aussi, au mauvais traitement salarial. « J’en connais qui sont payés entre 25.000 et 35.000 FCFA », reconnaît M. André Sérikpa, président de l’union des entreprises privées de sécurité. Pour lui, certains promoteurs de ces sociétés de gardiennage qui poussent comme des champignons vivent sur le dos des vigiles. Lesquels croulent sous le poids de la misère, de la discrimination salariale, des arriérés de salaires, et des licenciements abusifs. Des misérables pour lesquels se vante très souvent le patronat pour le travail qu’il leur aurait donné. Pour André Sérikpa, la sécurité privée est très importante pour que l’Etat s’en désintéresse. C’est pourquoi, il souhaite de tous ses vœux, que le secteur soit régi par une loi. Mais en attendant, veilleurs de nuit et vigiles, c’est tout simplement blanc bonnet, bonnet blanc. C'est-à-dire la même galère.
Alexandre Lebel Ilboudo