Nombreux sont les Ivoiriens qui n'ont plus retrouvés leur documents administratifs après un vol ou une perte. Ces pièces ne se sont pas volatilisées, elles sont au contraire récupérées et revendues comme de la marchandise. Enquête.
«Bonjour, j'ai perdu ma pièce d'identité. On m'a dit que je pouvais la trouver ici », lance un homme arrivé sur les lieux. Derrière son pousse-pousse, un adulte, la cinquantaine, à la gare d'Abobo, devant la pharmacie «La Mé», observe d'abord l'homme qui s'adresse à lui avant de lui montrer le contenu du tombereau en bois. Cet objet, qui sert d'ordinaire à transporter les bagages, contient des centaines de documents administratifs empilés et rangés selon leur nature. Ce sont des cartes d'identité, des cartes professionnelles, des cartes de bus, des attestations, des permis de conduire et même des passeports. Dans le pousse-pousse, il y a un papier indicatif portant la mention suivante : «Carte d'identité : fouille, 100 Fcfa et retrait 1.000 Fcfa ; carte professionnelle, carte de bus, attestation : fouille, 100 Fcfa et retrait, 500 Fcfa; permis de conduire, passeport : fouille, 200 Fcfa et retrait 5.000 Fcfa». L'homme à la recherche de sa pièce d'identité demande d'autres renseignements, mais son interlocuteur se contente d'indiquer de la main les informations inscrites sur le papier dans le pousse-pousse. C'est un sourd-muet. Il n'entend rien et ne dit rien. Cela parait curieux, quand on sait que ce genre de travail exige des échanges. Le client se contente de lire la note dans le pousse-pousse. Il paye 100 Fcfa avant de commencer à fouiller. D'autres personnes le rejoignent. Elles sont-là pour chercher soit un permis de conduire soit une pièce d'identité, perdus ou volés. Ici, ce sont uniquement les documents plastifiés. Un papier non plastifié égaré à peu de chance d'être retrouvé en bon état.
La joie de la pièce retrouvée
Les clients qui fouillent dans le pousse-pousse en sont conscients. En se rendant compte qu'ils ont un sourd-muet en face d'eux, les personnes à la recherche de leurs papiers lisent la tarification. Pendant ce temps, une petite scène se passe près du tombereau. Le sourd-muet que nous désigneront par M.K., fait signe à un homme qui s'approche discrètement il se nomme Ibrahim, la trentaine. Ibrahim vient rarement voir M.K. Et quand il est là, c'est pour quelques minutes. Contrairement à M.K, il parle et écrit le français. Après des gestes avec M.K., Ibrahim aide quelques personnes à fouiller dans le pousse-pousse. Cela peut prendre une demi-heure quand il s'agit d'une carte d'identité. Ces documents sont les plus nombreux. Une centaine. Pour faciliter les recherches, les cartes d'identités hommes sont séparées de celles des dames et les cartes d'identité nationale des pièces étrangères. Après ce lot, ce sont les attestations d'identité qui abondent dans le pousse-pousse. Puis, viennent les cartes de bus, les cartes professionnelles et les permis de conduire. Bien que rares, on y retrouve souvent, selon Ibrahim, des passeports. Depuis 1999, MK fait ce métier. Il sort tous les matins à partir de 8 heures et rentre à 16 heures quand les vendeurs de nuit, devant cette pharmacie, s'installent. Le sourd-muet y tire des revenus. « Les recettes journalière varient. Nous pouvons avoir 15.000 Fcfa dans la journée ou même 1.000 FCfa », indique Ibrahim. Il y a, selon lui, des clients qui trouvent leurs pièces d'identité mais qui n'ont pas d'argent pour les retirer. « Souvent, à cause de 1.000 Fcfa, ils abandonnent leur document ici. Ils nous disent le plus souvent qu'ils reviendront les chercher, mais on ne les voit plus », explique Ibrahim. Ce désœuvré, qui vit de petits travaux quotidiens, dit avoir fait la connaissance du sourd-muet il y a près de 5 ans. Malgré l'ingratitude decette activité, M.K, arrive à nourrir sa famille.
Une affaire de sourd-muet.
Dans la fouille, un client retrouve sa pièce d'identité. Tout heureux, il comble Ibrahim et M.K de remerciements. « Cela fait deux semaines que je l'ai égarée. C'était inespéré. Voilà la preuve que Dieu existe », lance-t-il, tout heureux. Il se nomme Jean-Louis. Il a été la victime d'un pick-pocket à Abobo BC, lors d'un show. Le voleur lui a pris son portefeuille contenant de l'argent et sa pièce d'identité. « L'argent, ce n'est pas grave. Ce sont les pièces qui m'inquiétaient», indique-t-il.
Jean-Louis paye 1.000 Fcfa à M.K, la somme de retrait de la pièce et repart tout joyeux. Tous les clients n'ont pas la chance de Jean-Louis. Amidou, chauffeur, est venu chercher son permis de conduire. Il se redresse au bout d'un moment. Contrairement à Jean-Louis, il dit avoir égaré son document. « Y a-t-il un autre endroit où je peux trouver mon permis de conduire ?», demande-t-il, désespéré, à Ibrahim. Il explique l'avoir égaré à Adjamé « en bas du pont ». Ibrahim lui indique un lieu à Adjamé, « devant l'agence citelcom, non loin de la mosquée ». A Adjamé, en effet, près de l'agence Citelcom, se trouve un autre homme qui expose les documents volés ou perdus. C'est un sourd-muet, comme M.K. Coïncidence ou un genre d'association ? Difficile de le savoir. Toujours est-il qu'il est sourd-muet. Il expose dans un pousse-pousse les cartes d'identité, les cartes professionnelles, les cartes de bus, les attestations et les permis de conduire. Ce sont les mêmes tarifications : 200 Fcfa la fouille, pour le permis de conduire et 100 Fcfa pour les autres documents. 5.000 Fcfa, pour le retrait du permis et 1.000 Fcfa pour les autres pièces. Des clients autour du sourd-muet fouillent dans le pousse-pousse. «J'ai été braqué et le voleur s'est enfui avec mon sac à main. J'avais à l'intérieur mon téléphone, de l'argent, mon attestation d'identité, ma carte professionnelle et mon permis de conduire», raconte Elyse K., une jeune femme. Mais sa fouille ne donnera rien. Plus heureux que Elyse, deux hommes retrouvent leurs documents respectifs. Un permis de conduire et une carte d'identité. Ils payent et repartent, satisfaits. Par contre, déçu après une fouille infructueuse, un jeune homme à la recherche de sa carte d'identité se demande : «Comment font-ils pour récupérer tous ces documents volés ou perdus ?» Ils doivent être de mèche avec les voleurs, rechignent d'autres qui ont eux-aussi arrêté de fouiller. Le sourd-muet se tient près d'eux. Il n'y prête pas attention. Son état semble lui éviter de répondre à ce genre de question.
De mèche avec les voleurs ?
Sur ce sujet, Ibrahim à Abobo, l'un des rares porte-parole des ces commerçants singuliers, précise qu'ils n'ont aucun lien avec les voleurs des victimes qui viennent chercher leurs documents. « Nous achetons ces documents avec des personnes qui nous connaissent et qui viennent nous les vendre. Un document s'achète entre 100 et 300 Fcfa», révèle-t-il. Ces jeunes en question récupèrent les documents à plusieurs endroits de la ville où ils sont susceptibles d'avoir été jetés ou perdus. Ce sont les gares, les quartiers précaires, dans les rues, les caniveaux et même les poubelles. Le récupérateur peut être n'importe qui. Un citoyen honnête qui veut juste rendre service à celui qui a perdu ses documents. Ibrahim raconte que très souvent des gens viennent leur donner des documents administratifs perdus sans rien exiger. En revanche, il existe des désœuvrés qui font de la recherche de ces papiers leur gagne pain. Ces personnes vendent les pièces retrouvées. « Nous achetons le plus souvent ces documents à perte. Parce qu'il y a des pièces qui sont-là depuis 2000 et qui n'ont pas encore de propriétaire », indique Ibrahim. En plus, les citoyens qui retrouvent les objets volés ou perdus ne se sentent pas obligés de chercher le propriétaire, s'ils n'ont pas d'indication. « Le plus souvent, les gens abandonnent ces documents. Beaucoup ignorent notre existence et ils ont peur d'aller au commissariat parce qu'on leur pose trop de questions là-bas», note Ibrahim. C'est déjà un miracle de retrouver un document perdu sur leurs stands. Tout comme lui, le sourd-muet d'Adjamé, selon les quelques vendeurs qui l'assistent, achète en leur présence des pièces avec de jeunes. Nous avons eu la chance d'assister à un achat de document administratif. Un garçon dans la dizaine, sale et accompagné de quelques camarades du même âge, arrive devant le tombereau. Il a une carte nationale d'identité (Cni) en main. Sans parler, le garçon, qui semble un habitué de cet endroit, tend la pièce au sourd-muet. Celui-ci l'examine et donne une pièce de 100 Fcfa au gamin qui repart aussitôt avec ses camarades. Nous tentons de leur arracher quelques mots sur la provenance de la pièce qu'ils ont “vendue”. Mais ils s'enfuient sans repondre.
Plus de 30.000 documents dans les rues d'Abidjan
Il existe aussi un autre commerçant de pièces d'identité, non loin des rails, à Adjamé. Mais, il manque encore une organisation dans ce secteur. L'Ong « Sauvez vos papiers», située à Adjamé près de la Grande mosquée, montre une meilleure organisation de ce métier qui a tout son intérêt. Logés dans une pièce fade meublée d'un bureau et d'un placard, les responsables de cette structure se plaignent cependant leur situation. « Nous existons depuis 2000. Depuis lors nous avons contacté les autorités compétentes, notamment le ministère de l'Intérieur pour nous soutenir, en vain», indique Diomandé Mamadou, qui se présente comme «le responsable des opérations» de l'Ong. Créée avec le récépissé n° 635/MEMID/DGAT/ SDVAC, l'Ong «Sauvez vos papiers», selon ses responsables, est la seule structure agréee dans le secteur. La structure a collecté à ce jour 6.000 documents. Pour donner plus d'impact à leur action, le Pca de l'Ong, Yapi Seka, avait mis en place un “journal hebdomadaire” qui publiait les documents perdus disponibles chez eux. Mais depuis quelques mois, faute de moyens, l'Ong a dû interrompre la parution du journal. «Nous n'exigeons pas d'argent aux personnes quand elles viennent chercher leurs pièces ici parce que nous avons le souci de faire du social », ajoute Diomandé. Et pour mieux organiser le travail, ce sont eux-mêmes qui vont sur le terrain pour récupérer les documents perdus. En attendant une quelconque action de l'Etat en faveur de ce réseau, ce sont plus 30.000 documents qui sont dispersés à travers la seule ville d'Abidjan, selon l'Ong. Les documents retrouvés et exposés à Abobo, Adjamé ou ailleurs, le sont très souvent sans que leurs propriétaires n'aient l'information.
Raphaël Tanoh
«Bonjour, j'ai perdu ma pièce d'identité. On m'a dit que je pouvais la trouver ici », lance un homme arrivé sur les lieux. Derrière son pousse-pousse, un adulte, la cinquantaine, à la gare d'Abobo, devant la pharmacie «La Mé», observe d'abord l'homme qui s'adresse à lui avant de lui montrer le contenu du tombereau en bois. Cet objet, qui sert d'ordinaire à transporter les bagages, contient des centaines de documents administratifs empilés et rangés selon leur nature. Ce sont des cartes d'identité, des cartes professionnelles, des cartes de bus, des attestations, des permis de conduire et même des passeports. Dans le pousse-pousse, il y a un papier indicatif portant la mention suivante : «Carte d'identité : fouille, 100 Fcfa et retrait 1.000 Fcfa ; carte professionnelle, carte de bus, attestation : fouille, 100 Fcfa et retrait, 500 Fcfa; permis de conduire, passeport : fouille, 200 Fcfa et retrait 5.000 Fcfa». L'homme à la recherche de sa pièce d'identité demande d'autres renseignements, mais son interlocuteur se contente d'indiquer de la main les informations inscrites sur le papier dans le pousse-pousse. C'est un sourd-muet. Il n'entend rien et ne dit rien. Cela parait curieux, quand on sait que ce genre de travail exige des échanges. Le client se contente de lire la note dans le pousse-pousse. Il paye 100 Fcfa avant de commencer à fouiller. D'autres personnes le rejoignent. Elles sont-là pour chercher soit un permis de conduire soit une pièce d'identité, perdus ou volés. Ici, ce sont uniquement les documents plastifiés. Un papier non plastifié égaré à peu de chance d'être retrouvé en bon état.
La joie de la pièce retrouvée
Les clients qui fouillent dans le pousse-pousse en sont conscients. En se rendant compte qu'ils ont un sourd-muet en face d'eux, les personnes à la recherche de leurs papiers lisent la tarification. Pendant ce temps, une petite scène se passe près du tombereau. Le sourd-muet que nous désigneront par M.K., fait signe à un homme qui s'approche discrètement il se nomme Ibrahim, la trentaine. Ibrahim vient rarement voir M.K. Et quand il est là, c'est pour quelques minutes. Contrairement à M.K, il parle et écrit le français. Après des gestes avec M.K., Ibrahim aide quelques personnes à fouiller dans le pousse-pousse. Cela peut prendre une demi-heure quand il s'agit d'une carte d'identité. Ces documents sont les plus nombreux. Une centaine. Pour faciliter les recherches, les cartes d'identités hommes sont séparées de celles des dames et les cartes d'identité nationale des pièces étrangères. Après ce lot, ce sont les attestations d'identité qui abondent dans le pousse-pousse. Puis, viennent les cartes de bus, les cartes professionnelles et les permis de conduire. Bien que rares, on y retrouve souvent, selon Ibrahim, des passeports. Depuis 1999, MK fait ce métier. Il sort tous les matins à partir de 8 heures et rentre à 16 heures quand les vendeurs de nuit, devant cette pharmacie, s'installent. Le sourd-muet y tire des revenus. « Les recettes journalière varient. Nous pouvons avoir 15.000 Fcfa dans la journée ou même 1.000 FCfa », indique Ibrahim. Il y a, selon lui, des clients qui trouvent leurs pièces d'identité mais qui n'ont pas d'argent pour les retirer. « Souvent, à cause de 1.000 Fcfa, ils abandonnent leur document ici. Ils nous disent le plus souvent qu'ils reviendront les chercher, mais on ne les voit plus », explique Ibrahim. Ce désœuvré, qui vit de petits travaux quotidiens, dit avoir fait la connaissance du sourd-muet il y a près de 5 ans. Malgré l'ingratitude decette activité, M.K, arrive à nourrir sa famille.
Une affaire de sourd-muet.
Dans la fouille, un client retrouve sa pièce d'identité. Tout heureux, il comble Ibrahim et M.K de remerciements. « Cela fait deux semaines que je l'ai égarée. C'était inespéré. Voilà la preuve que Dieu existe », lance-t-il, tout heureux. Il se nomme Jean-Louis. Il a été la victime d'un pick-pocket à Abobo BC, lors d'un show. Le voleur lui a pris son portefeuille contenant de l'argent et sa pièce d'identité. « L'argent, ce n'est pas grave. Ce sont les pièces qui m'inquiétaient», indique-t-il.
Jean-Louis paye 1.000 Fcfa à M.K, la somme de retrait de la pièce et repart tout joyeux. Tous les clients n'ont pas la chance de Jean-Louis. Amidou, chauffeur, est venu chercher son permis de conduire. Il se redresse au bout d'un moment. Contrairement à Jean-Louis, il dit avoir égaré son document. « Y a-t-il un autre endroit où je peux trouver mon permis de conduire ?», demande-t-il, désespéré, à Ibrahim. Il explique l'avoir égaré à Adjamé « en bas du pont ». Ibrahim lui indique un lieu à Adjamé, « devant l'agence citelcom, non loin de la mosquée ». A Adjamé, en effet, près de l'agence Citelcom, se trouve un autre homme qui expose les documents volés ou perdus. C'est un sourd-muet, comme M.K. Coïncidence ou un genre d'association ? Difficile de le savoir. Toujours est-il qu'il est sourd-muet. Il expose dans un pousse-pousse les cartes d'identité, les cartes professionnelles, les cartes de bus, les attestations et les permis de conduire. Ce sont les mêmes tarifications : 200 Fcfa la fouille, pour le permis de conduire et 100 Fcfa pour les autres documents. 5.000 Fcfa, pour le retrait du permis et 1.000 Fcfa pour les autres pièces. Des clients autour du sourd-muet fouillent dans le pousse-pousse. «J'ai été braqué et le voleur s'est enfui avec mon sac à main. J'avais à l'intérieur mon téléphone, de l'argent, mon attestation d'identité, ma carte professionnelle et mon permis de conduire», raconte Elyse K., une jeune femme. Mais sa fouille ne donnera rien. Plus heureux que Elyse, deux hommes retrouvent leurs documents respectifs. Un permis de conduire et une carte d'identité. Ils payent et repartent, satisfaits. Par contre, déçu après une fouille infructueuse, un jeune homme à la recherche de sa carte d'identité se demande : «Comment font-ils pour récupérer tous ces documents volés ou perdus ?» Ils doivent être de mèche avec les voleurs, rechignent d'autres qui ont eux-aussi arrêté de fouiller. Le sourd-muet se tient près d'eux. Il n'y prête pas attention. Son état semble lui éviter de répondre à ce genre de question.
De mèche avec les voleurs ?
Sur ce sujet, Ibrahim à Abobo, l'un des rares porte-parole des ces commerçants singuliers, précise qu'ils n'ont aucun lien avec les voleurs des victimes qui viennent chercher leurs documents. « Nous achetons ces documents avec des personnes qui nous connaissent et qui viennent nous les vendre. Un document s'achète entre 100 et 300 Fcfa», révèle-t-il. Ces jeunes en question récupèrent les documents à plusieurs endroits de la ville où ils sont susceptibles d'avoir été jetés ou perdus. Ce sont les gares, les quartiers précaires, dans les rues, les caniveaux et même les poubelles. Le récupérateur peut être n'importe qui. Un citoyen honnête qui veut juste rendre service à celui qui a perdu ses documents. Ibrahim raconte que très souvent des gens viennent leur donner des documents administratifs perdus sans rien exiger. En revanche, il existe des désœuvrés qui font de la recherche de ces papiers leur gagne pain. Ces personnes vendent les pièces retrouvées. « Nous achetons le plus souvent ces documents à perte. Parce qu'il y a des pièces qui sont-là depuis 2000 et qui n'ont pas encore de propriétaire », indique Ibrahim. En plus, les citoyens qui retrouvent les objets volés ou perdus ne se sentent pas obligés de chercher le propriétaire, s'ils n'ont pas d'indication. « Le plus souvent, les gens abandonnent ces documents. Beaucoup ignorent notre existence et ils ont peur d'aller au commissariat parce qu'on leur pose trop de questions là-bas», note Ibrahim. C'est déjà un miracle de retrouver un document perdu sur leurs stands. Tout comme lui, le sourd-muet d'Adjamé, selon les quelques vendeurs qui l'assistent, achète en leur présence des pièces avec de jeunes. Nous avons eu la chance d'assister à un achat de document administratif. Un garçon dans la dizaine, sale et accompagné de quelques camarades du même âge, arrive devant le tombereau. Il a une carte nationale d'identité (Cni) en main. Sans parler, le garçon, qui semble un habitué de cet endroit, tend la pièce au sourd-muet. Celui-ci l'examine et donne une pièce de 100 Fcfa au gamin qui repart aussitôt avec ses camarades. Nous tentons de leur arracher quelques mots sur la provenance de la pièce qu'ils ont “vendue”. Mais ils s'enfuient sans repondre.
Plus de 30.000 documents dans les rues d'Abidjan
Il existe aussi un autre commerçant de pièces d'identité, non loin des rails, à Adjamé. Mais, il manque encore une organisation dans ce secteur. L'Ong « Sauvez vos papiers», située à Adjamé près de la Grande mosquée, montre une meilleure organisation de ce métier qui a tout son intérêt. Logés dans une pièce fade meublée d'un bureau et d'un placard, les responsables de cette structure se plaignent cependant leur situation. « Nous existons depuis 2000. Depuis lors nous avons contacté les autorités compétentes, notamment le ministère de l'Intérieur pour nous soutenir, en vain», indique Diomandé Mamadou, qui se présente comme «le responsable des opérations» de l'Ong. Créée avec le récépissé n° 635/MEMID/DGAT/ SDVAC, l'Ong «Sauvez vos papiers», selon ses responsables, est la seule structure agréee dans le secteur. La structure a collecté à ce jour 6.000 documents. Pour donner plus d'impact à leur action, le Pca de l'Ong, Yapi Seka, avait mis en place un “journal hebdomadaire” qui publiait les documents perdus disponibles chez eux. Mais depuis quelques mois, faute de moyens, l'Ong a dû interrompre la parution du journal. «Nous n'exigeons pas d'argent aux personnes quand elles viennent chercher leurs pièces ici parce que nous avons le souci de faire du social », ajoute Diomandé. Et pour mieux organiser le travail, ce sont eux-mêmes qui vont sur le terrain pour récupérer les documents perdus. En attendant une quelconque action de l'Etat en faveur de ce réseau, ce sont plus 30.000 documents qui sont dispersés à travers la seule ville d'Abidjan, selon l'Ong. Les documents retrouvés et exposés à Abobo, Adjamé ou ailleurs, le sont très souvent sans que leurs propriétaires n'aient l'information.
Raphaël Tanoh