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Société Publié le mercredi 6 mai 2009 | Nord-Sud

Pr Angèle Gnonsoa (Serviteur de masque wê) : “Des personnalités ont subi la circoncision”

Avec elle, le débat sur les rites initiatiques atteint les hauteurs. Dans cet entretien, Angèle Gnonsoa parle de la place des masques dans la société traditionnelle africaine. Le serviteur de masque wê dévoile ensuite, dans toute sa profondeur, le rôle que jouent ces divinités dans sa région.


•Quels sont les rites initiatiques du pays wè ?

Il y a évidemment le masque qui est peut-être la structure la plus répandue. Parce qu'on le trouve depuis le Nord jusqu'au Sud en passant par le Centre. Il y a l'institution qu'on appelle le « kwi » qui est plus vieille que le masque. Il y a les ''hommes panthères'' qui sont plus récents. C'est un héritage du contact avec le pays gnaboua. Et puis, il y a ce qu'on appelle le ''blon'' qui est l'initiation des filles et des garçons à partir de l'excision et de la circoncision.


•Qui est soumis à ces rites et à quelles conditions ?

Les masques, le kwi et les panthères, d'une manière générale, concernent les hommes. Ce sont des jeunes gens qui, après leur circoncision, sont retenus pour être, soit des serviteurs des masques, soit du kwi, ou pour être des hommes panthères. Maintenant, en ce qui concerne le blon, c'est la circoncision pour les garçons et l'excision pour les filles.


•La circoncision et l'excision se font à quel âge ?

16 ou 17 ans. C'est maintenant que les garçons sont circoncis à la naissance. Sinon, avant, c'était l'une des étapes de l'initiation à travers laquelle on devait montrer le courage, faire honneur à la famille. Au niveau des garçons, aujourd'hui c'est pratiquement nul. C'est avec les filles que l'excision continue dans certains milieux. Chez les garçons ils sont circoncis dès le bas âge.


•L'absence de l'excision et de la circoncision ne dévalorise-t-elle pas l'institution ?

Avant cela donnait lieu à des manifestations grandioses. Par exemple, pour l'excision, à partir de 16 et 17 ans, chaque génération de filles allait se livrer à l'exciseuse qu'on appelle « zau ». Et quand elles étaient une dizaine, une vingtaine, une trentaine, on faisait un camp dans la forêt et on l'entourait d'une palissade. Ce camp s'appelait « la maison » de zau. Le premier jour, on chante pour les encourager et les mettre en condition. Le jour ''j''de l'opération, on les conduisait à la rivière où on procédait à la mutilation génitale. L'opération se faisait pendant la saison sèche où il fait frais chez nous. Cela permet de lutter contre les microbes en réduisant les risques d'infection. Et le soir, elles rentrent dans la maison, parées de bijoux. Les parents les acclament. Et elles pouvaient demeurer sur ce camp jusqu'à un an. Durant ce séjour elles apprenaient à devenir des femmes accomplies. Avec la discipline. Parce qu'on n'a pas le droit de sortir sans permission. On n'a pas le droit de parler à n'importe qui. N'importe qui n'entre pas. Il faut avoir une autorisation préalable. On apprenait également à chanter, à danser et à connaitre la société. Et même à soigner les enfants, les femmes en grossesse. Elles apprenaient tout ce qu'il faut pour être une femme accomplie. Et, à la fin, ayant appris à chanter et à danser, elles se déplaçaient dans les villages voisins pour exprimer leur art. Pendant l'initiation, elles changeaient de nom . Parce que c'est une renaissance. Pour les filles, on leur donne des noms d'homme. Des noms de notabilité, de personnalité. Et à la fin, elles allaient rendre visite à ces personnalités. Cela donnait lieu à une véritable compétition. Ces personnalités organisaient de grandes fêtes pour leurs homonymes. C'était également une compétition pour les parents. C'est un peu à l'image des baptêmes et des mariages auxquels on assiste de nos jours. Au cours de ces célébrations, chaque parent veut honorer au mieux son enfant. Chez les garçons, c'était à peu près la même chose. On leur apprenait la vie, l'organisation de la société, puisqu'ils sont amenés à être des citoyens actifs. Aujourd'hui, tout cela a un peu disparu. Les filles sont à l'école. Et à 16 et 17 ans, certaines d'entre elles sont déjà à l'université. On n'en voit plus l'utilité. Puisqu'avant, quand on n'était pas excisée, on était exclue des femmes adultes. Quand tu n'étais pas excisée et que tu venais là où les femmes initiées parlaient, en te voyant venir, elles se taisaient. Donc, on voulait absolument entrer dans cette société. C'est ce qui amenait les jeunes filles à se faire exciser. Maintenant, elles sont plus savantes que le zau.


•Cette initiation participait-elle à l'organisation de la vie sociale ?

Absolument ! Cette vie sociale est complètement disloquée aujourd'hui. Parce qu'il n'y a plus de valeur, plus de référence. Lorsque je regardais la télé avec ma mère et que je lui montrais le concours Miss Côte d'Ivoire, elle se moquait en disant : « Une femme qui n'a ni poitrine, ni fesse, on dit qu'elle est belle. » ce qui veut dire que nous avons perdu l'ensemble de nos repères. Le rite n'a plus la même valeur. On trouve néanmoins des endroits où ces pratiques continuent.


•Le blon a-t-il le même contenu que les trois autres rites ? L'initié revenait-il chaque année ou bien il était initié une bonne fois pour toute ?

Cette initiation se faisait une fois pour toute. Maintenant, quand on entre dans la société des masques, on fait partie de l'assemblée des initiés. Donc, on assiste à toutes les réunions, on participe aux prises de décision. Et c'est ainsi qu'on apprend. A chaque réunion, selon les événements, les anciens nous apprennent quelque chose. C'est donc une formation sur le tas qui dure toute la vie.


•Concernant l'initiation de départ, vous avez dit qu'elle dure un an pour les filles ? Et pour les garçons?

C'est moins long. C'est d'une manière générale un ou deux mois.


•Et quel en était le contenu ?

Jusqu'à cet âge, on leur disait que le masque est tombé du ciel. Mais là, on leur dit la réalité. On leur explique comment le lignage a eu son premier masque, et comment la société est organisée


•Pour recevoir ces informations il faut intégrer la société secrète des masques…

Oui, c'est quand l'initié intègre la société des masques qu'on lui apprend cela. Quand il a fait la circoncision, en ce moment, on lui apprend la réalité sociale. Parce que jusqu'à cet âge, il est considéré comme un enfant. Donc, on lui raconte des mythes, des légendes pour qu'il soit un responsable qui prend des décisions en connaissance de cause.


•Les trois autres rites commencent-ils par la circoncision ?

Oui. En principe, celui qui n'est pas circonci ne peut pas entrer dans un enclos de masques. Maintenant, les autorités administratives viennent et symboliquement on les circoncit. La personne n'est pas de chez nous, mais, puisqu'elle veut honorer les masques, on l'initie.


•Qu'apprend-on pendant l'initiation en dehors des légendes et des fonctions des masques?

Chez nous, l'histoire c'est la mère de toutes les sciences. C'est par l'histoire qu'on apprend la biologie, la botanique. Parce qu'il y a la genèse de toutes les sciences dans l'histoire. Donc, là-bas, il y a des personnes qui connaissent par exemple les plantes. Elles peuvent vous apprendre la plante qui soigne telle ou telle maladie. C'est dans cette société de personnes initiées que vous pouvez vous spécialiser dans quelque chose. C'est là aussi qu'on apprend l'art. La danse, le chant, le discours. Quand on est dans cette société, on sait comment parler : ce qu'il faut dire, ce qu'il ne faut pas dire. On apprend à bien chanter, à bien danser. C'est également dans cette société d'hommes adultes que se retrouvent les devins. Néanmoins, il y a quelques femmes servantes des masques. Elles assistent à ces assemblées-là. Mais, elles ne sont pas nombreuses. Chaque masque, surtout le grand masque, a une servante qui assiste et qui participe au rituel. Cependant, d'une façon générale, les femmes et les jeunes garçons sont écartés.


•Y a-t-il un lien entre les masques, le bois sacré, le pouvoir et la richesse?

Si je prends l'exemple du masque qui est généralisé dans la région, il est censé être au sommet de tous les pouvoirs : pouvoir politique, pouvoir économique, pouvoir culturel. Pouvoir politique parce que c'est le masque qui a signé un pacte avec les ancêtres. Le masque est une créature de Dieu. Il n'est pas Dieu. C'est une créature que Dieu a donnée aux Wè pour les aider à s'organiser, à se gouverner. Mais, la différence avec l'être humain, c'est que, une fois créé, il est immortel. Le masque ne meurt pas. Ne mourant pas, il est le réceptacle du savoir. Il était là depuis. Il a vu tout ce qui s'est passé. Et il fait les lois avec le chef, l'assemblée des initiés. Il participe à l'édition des lois. Donc, il connait l'organisation de la société. Et quand il vient au village, il est au-dessus de tous les membres de la communauté. Y compris le chef. Quand il vient, le chef devient un citoyen ordinaire. C'est cela le masque. Il a le pouvoir suprême. Il est le porte-parole de la communauté. Le pouvoir est aussi économique, parce que pour parer le masque, c'est un véritable investissement. Car les objets utilisés pour parer le masque sont des objets rares. Il y a d'abord la peau de panthère, les plumes d'aigle. Souvent, il tient une défense d'ivoire. Ce sont des choses extrêmement rares que tout le monde ne peut pas avoir. Les animaux nobles que sont l'éléphant, la panthère, l'aigle, s'ils sont tués par un chasseur ne sont pas sa propriété. Il doit aller les donner au chef de son lignage. Il y a des lignages qui bénéficient particulièrement de ce droit. Le chasseur doit leur remettre l'animal entier. Et celui qui reçoit l'animal doit organiser une cérémonie pour faire disparaître la malédiction liée au fait de tuer l'un de ces animaux. Car ce sont des animaux qui sont mystiquement très puissants. Les tuer, équivaut à tuer un être humain. A celui qui a organisé la cérémonie revient la peau si c'est une panthère, les défenses si c'est un éléphant et les plumes si c'est un aigle. Vous ne pouvez pas parer un masque sans ces objets. Il y a également des matériaux qui viennent de l'étranger. De très loin d'ailleurs. Nous avons les cauris. Avant, en pays wè, pour avoir des cauris, cela était très difficile. Pour avoir les clochettes aussi ce n'était pas facile car nous ne sommes pas forgerons. Pour avoir également le tissu, il fallait aller en pays yacouba ou malinké. Donc, le lignage qui pare un masque, est un lignage riche. Mais, cette richesse lui revient. Dans la mesure où lorsque quelqu'un organise une manifestation à laquelle on invite le masque, il reçoit des biens. Et ces cadeaux reviennent à la famille qui a paré le masque. Le grand masque est aussi le juge suprême. C'est lui qui, en pays wè tranche les affaires difficiles.


•Et est-ce qu'il a un nom particulier?

On l'appelle ''Cola Gla'' c'est le ''grand masque''. C'est-à-dire celui dont sont issus tous les autres masques. Il est le dernier recours. Nous pouvons le comparer à la Cour suprême dans notre système actuel.


•Comment ça se passe concrètement un jugement fait par un masque?

Quand vous avez un conflit, vous essayez de le régler d'abord au sein de votre famille. Si ça ne marche pas, alors, vous allez vers le chef. Si là encore il n'y a pas de solution, en ce moment vous allez vers le masque.


•Comment le saisit-on ?

On saisit l'un des serviteurs du grand masque. C'est quelqu'un qui le représente au village et que tout le monde connait. Lorsque vous approchez ce dernier, il appelle le grand masque. Et le grand masque vient au village. Et quand le conflit est réglé, la sentence du grand masque est absolue. Il n'y a pas de voie de recours. Celui qui croit avoir été lésé fait appel à Dieu tout en se soumettant au verdict.


•Pendant ce genre d'audience, le masque s'exprime à travers son représentant ou il parle lui-même ?

Le masque est présent. Il parle souvent, mais, à huis clos. Dans le bois sacré. Là, le masque n'est pas paré. Il a seulement sur lui quelques objets qui le caractérisent. Et quand il parle, il y a toujours un intermédiaire qui rapporte ce qu'il dit. Et lorsqu'il tranche, il fixe au coupable l'amende à payer.


• Et s'il ne s'exécute pas ?

S'il ne s'exécute pas, il y a des sanctions. Avant, celui qui ne respectait pas le masque était rejeté. Le masque peut sanctionner en fixant une amende. Ou même, il peut infliger une sanction corporelle. Le contrevenant était ligoté, bastonné jusqu'à ce que ses parents viennent demander pardon. Ce n'est pas comme maintenant où le fautif peut simplement se sauver du village.


•Quel est le lien avec la sorcellerie?

Les sorciers sont dans une secte en quelque sorte. Ce sont des personnes qui sont organisées à leur façon et qui, selon ce que je sais, ne disent pas à nous autres les profanes la vérité sur leurs activités et leur existence. Quand par exemple on dit qu'on a mangé une personne, nous autres l'avons entre les mains, on est avec elle à la morgue. C'est difficile à comprendre. Souvent, il est toujours vivant et on vous dit qu'il est déjà mort. Donc il y a un code propre à eux. Mais, cela n'a rien à voir avec les masques. En principe, même les masques interdisent la sorcellerie. Mais cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas savoir. Car, la sorcellerie aussi c'est la science. C'est le fait de savoir utiliser les plantes, l'atmosphère et tous les autres éléments de la nature. Donc, on doit savoir. Le problème, c'est la mauvaise utilisation. Si on sait que telle chose peut soigner ou empoisonner, et qu'on l'utilise pour empoisonner, cela est interdit. Un masque qui veut sortir la nuit et aller faire du mal sera sanctionné. Mais là, c'est au niveau de Dieu. Car Dieu, en nous donnant le masque a fait de lui un gage de sécurité, de bonheur, d'abondance, de prospérité. Ce sont là les noms du masque. Il est tout cela à la fois. Donc il ne peut pas en principe apporter le malheur. Lui et la sorcellerie, c'est différent. N'empêche qu'ils connaissent les secrets des sorciers.


•Les sorciers ont parfois recours à des pratiques qui nuisent à la société. Est-ce que dans ces cas-là le masque peut les sanctionner ?

Le masque lui-même n'est pas fait pour sanctionner. Il y a des devins qui s'en chargent. Ceux-ci sont aussi des sorciers, mais, des sorciers qui détectent les sorciers. Qui ont des fétiches qui peuvent attraper les sorciers, les cogner la nuit, les rendre malades. Lorsque le sorcier se lève le matin, il a un problème de santé, par exemple la tête qui est enflée ; on lui demande ce qu'il a et il avoue que c'est tel fétiche qui l'a attaqué la nuit. Mais, le masque lui n'est pas chargé de dénoncer la sorcellerie. Il la combat. Par exemple, le jour de la sortie des masques, on fait tout pour que les sorciers ne viennent pas troubler la cérémonie. Et cela, c'est le rôle du masque guerrier qui est le premier à arriver sur les lieux de la cérémonie. Et quand il arrive, il fait le tour. Il demande à tout le monde de se lever car on estime que certains peuvent être assis sur des choses. On se lève, il bouscule tout le monde. Tout cela pour empêcher que les sorciers ne perturbent la cérémonie en déstabilisant les masques qui doivent venir.


•Y a-t-il une compatibilité entre la croyance aux masques et la pratique du christianisme ou de l'islam?

Il y a beaucoup de personnes qui sont adeptes d'une religion révélée et qui, en même temps, sortent leur masque, car c'est un héritage. Au début, c'était vraiment antinomique. C'était séparé. Vous savez, au début, quand le colon est arrivé, la conquête du territoire demandait aussi la conquête de l'esprit colonisé. Il fallait les déstabiliser dans leur spiritualité. Donc on a déclaré que tout ce qui venait des nègres était satanique. Et cela est resté dans l'esprit de beaucoup des personnes. Ils l'ont tellement réussi que nous-mêmes disons que nous sommes sataniques. Certains individus sont chrétiens, pas peut-être de grands chrétiens, ils ont été baptisés, ils vont à l'église ; ceux-là suivent les deux. Sinon, de façon générale, ceux qui sont dans le masque ne pratiquent pas les religions importées.


•Il y a les religions importées, mais, il y a aussi la modernité qui peut constituer un danger pour les masques…

Oui, il est vrai qu'il y a une grande destruction de nos cultures. Ce n'est pas seulement à l'Ouest. C'est un peu partout. Prenez l'exemple chez les Ebrié, ils ne leur reste plus grand-chose. Lorsque l'enfant nait, on le baptise à l'église, on se marie à l'église, on va à la messe tous les dimanches. Il ne reste plus que la fête de génération. On a détruit tous les objets d'art qui pouvaient nous permettre de nous remémorer notre histoire. Tous les symboles ont été détruits. Et puis, avec l'urbanisation, nous ne sommes plus dans le même cadre. Le mois d'août dernier, nous avons organisé une grande fête de purification en pays wè. Parce que nous avons nos parents qui ont été déplacés, surtout au niveau de Bangolo, et ils ont été déstabilisés, traumatisés. Ceux qui servaient les masques, on a volé les masques, volé leurs attributs. Ceux-là sont traumatisés. Ils sont venus me trouver ici (Ndlr : à son domicile d'Abidjan) pendant la guerre. Ils m'ont dit : c'est la catastrophe, on a tout perdu. Je leur ai répondu que ce n'est pas la première fois que les Wè subissent un tel sort. Il y a eu des périodes précédentes où on a brulé des villages, brulé des masques. Lorsque cela arrive, il y a des sacrifices à faire, des cérémonies à organiser. C'est-à-dire que quand il y a des troubles de ce genre, en principe, les esprits s'en vont. Ils trouvent que les hommes ne sont pas sages. Qu'ils se battent entre eux, qu'ils s'entretuent. Donc, eux, ils se retirent. Et lorsque nous finissons de nous entretuer, et qu'on a compris qu'au fond, ce n'est pas intelligent, on revient à la paix. En ce moment-là, on les appelle, et on fait les sacrifices nécessaires. On leur demande pardon. Et ils reviennent nous protéger au village. C'est ce projet que j'ai soumis au gouvernement de Côte d'Ivoire. Et il a été accepté. J'ai dit que pour que ces gens-là repartent sur les lieux, et pour qu'ils aient l'esprit tranquille pour devenir des citoyens économiquement utiles, il faut que leur esprit soit dégagé. Il faut qu'ils se disent qu'ils ont été pardonnés par les divinités et qu'ils peuvent continuer leurs activités. C'est ainsi que le gouvernement a accepté de nous donner 39.700.000Fcfa environ pour pouvoir organiser cette cérémonie. Donc nous avons tenu à organiser cela parce qu'il y a beaucoup de gens qui ont foi en ces pratiques. La foi ce n'est pas quelque chose qui s'explique comme tout le monde le sait. Si quelqu'un pense que quelque chose va lui permettre de vivre longtemps, s'il l'adore, qu'il continue de l'adorer. Les chrétiens disent que nous avons des idoles. Mais on va devant la croix, on s'agenouille, on va devant la Sainte Vierge, on va vers Saint Antoine de Padou pour retrouver des objets perdus. Moi, j'aime beaucoup les religions. J'ai étudié les religions. Et je pense que tout cela est issu d'un même désir de l'homme qui a peur de la vie. Mais, qui a surtout peur de la mort. Qu'est-ce qui se passe après ? Donc, pendant qu'on est ici-bas, on se rassure que ce qu'il y a après sera bien. L'environnement de la vie ne sied pas à l'observation de nos pratiques comme on le faisait avant. Parce qu'on n'a pas eu le temps de nous acclimater. Cela est tombé brusquement. C'est pourquoi, quand j'ai voulu faire ladite fête à Guiglo, il y a des traditionalistes qui m'ont dit qu'elle ne peut pas avoir lieu en ville. Que la ville, c'est chez les Blancs. Je leur ai rappelé que Guiglo a été créé par les Wè. Et les masques sont descendus dans ce village de Guiglo qui a grandi. Est-ce parce que nos lieux d'habitation deviennent plus grands et plus beaux que nous devons fuir pour aller dans la forêt ? Et puis, parlant de forêt, il n'y en a plus. Autour du village, ce sont des plantations de teck, d'hévéa, de manioc. Donc, il faudrait qu'on s'adapte.


•Les masques sont-ils prêts eux-aussi à s'adapter ?

Il y en a qui s'adaptent. Il y a des masques qui sortent à Yopougon, à Paris. Donc on peut s'adapter. Normalement on dit que partout où il y a un Wè, le masque doit être présent. Donc, s'il est à New York, le masque doit sortir. A Paris, il y a des serviteurs de masque.


•Malgré votre parcours personnel, ponctué d'études et de modernisme, vous êtes restée attachée à la culture du terroir de sorte qu'aujourd'hui vous faites office d'ambassadrice de votre tradition. Ne craignez-vous pas que la valorisation de ces rites s'arrête si demain vous n'êtes plus là ?

Effectivement, il y a une menace qui est réelle. Mais, je ne suis pas seule. Nous avons au niveau de l'université des jeunes chercheurs qui s'intéressent à ces institutions. Il y a par exemple le pasteur Gibléon qui, bien qu'étant religieux a publié un livre sur les hommes panthères. Il y a un autre jeune dont la thèse a porté sur les masques. C'est ce qui m'a amenée à faire des études en histoire. Sinon, j'ai fait un Premier bac C en maths-physiques-latin. Et pendant cette classe, de première, j'ai eu un enseignant européen qui s'appelait M. Belleville. Il nous a fait un cours sur l'impérialisme. Et c'est ce jour-là que j'ai compris qui j'étais réellement. Parce que je suis partie en France à l'âge de 11 ans, et deux ans après, j'étais une petite Française. J'avais le comportement, les expressions de là-bas. Mais, quand j'ai passé trois mois en Côte d'Ivoire et que j'ai vu comment étaient les Blancs et les Noirs en 1954, et que je suis repartie, je n'étais plus la même personne. J'avais pris conscience.


•Ne pensez-vous que votre cas est bien particulier ? On pourrait même parler de prédestination car vous êtes l'une des rares femmes évoluées à avoir intégré le domaine des masques.
Bien sûr, puisque je suis serviteur de masque.


•N'est-ce pas quelque chose de particulier ?

Je ne peux pas dire que cela vient de Dieu. J'ai cherché. Comme je vous l'ai dit, je suis venue en vacances à la fin de ma classe de 5e en 1954 et j'ai vu comment se comportaient les Blancs à l'égard des Noirs. Et moi qui me prenais pour une petite Blanche, arrivée à Monoprix (Ndlr : une grande surface) on fait passer les Blancs avant moi. J'ai compris qu'il y avait quelque chose. C'est justement ce que je cherchais. Qu'est-ce qui s'est passé pour que moi je quitte ma forêt pour aller faire mes études dans un pays où on me bourre la tête avec quelque chose qui n'a rien à voir avec moi. C'est ainsi que j'ai commencé à comprendre l'impérialisme, la traite négrière. Et que j'ai décidé d'étudier l'histoire. Mes enseignants étaient fâchés. Ils voulaient que je fasse maths lettres modernes ou même les sciences expérimentales. J'ai dit : moi je vais en philo. Je veux faire l'histoire. J'ai obtenu un certificat d'histoire des religions. C'est de là qu'est parti mon amour pour les religions. J'ai étudié toutes les religions. Et quand j'ai fini mes études, je me suis dit : je vais voir. Mais, même quand, j'étais au collège, j'étais au village parce que mes recherches, je les ai commencées en 1958 avec les vieux. Je discutais avec eux à bâtons rompus. Je m'informais auprès d'eux. Je posais des questions. Comment sont organisés les Wè ? Comment se fait le mariage ? L'inhumation ? Quelles sont les relations?


•N'ont-ils pas trouvé cela curieux de la part d'une jeune fille?

J'étais curieuse avant d'aller en France. A l'époque j'étais un peu exceptionnelle, parce qu'en 1952, c'était la fin de la guerre. Ce sont les militaires qui étaient en France. L'on a dit à mon père de ne pas me laisser partir au motif qu'il fait froid là-bas. Et que comme je suis une petite fille, je ne pourrais pas le supporter. Mon père a dit : mais et les Blancs qui sont en France, n'ont-ils pas de petits-enfants ? Plus tard, cette curiosité m'a amenée à faire des recherches sur les miens. En 1958, quand j'ai commencé à venir au village, je posais des questions aux vieilles personnes. En 1979, cela faisait dix ans que j'étais arrivée en Côte d'Ivoire. Je continuais mes travaux. Et j'ai compris que si je n'intégrais pas la société des masques, mes connaissances demeureraient superficielles. C'était difficile, car j'étais une jeune fille. Or, les femmes qui étaient là-bas étaient ménopausées. Et puis, il y avait d'autres critères de sérieux, de discrétion. Alors que moi j'étais restée pendant 17 ans en France. Pendant trois ans, on m'a traitée de folle. Il a fallu les convaincre de l'utilité de la chose pour y aller. Je leur ai dit pour finir que puisque je ne suis pas en âge d'y entrer, alors j'assume les risques. C'est ainsi qu'ils m'ont acceptée. Et aujourd'hui, je crois que la majorité d'entre eux ont compris l'importance du travail que je faisais. Le couronnement, c'est cette cérémonie de purification qui a permis au peuple wê d'être reconnu dans sa spiritualité par le gouvernement. C'est au nom du président de la République que j'ai demandé pardon au masque pour qu'il vienne nous protéger. Cela les a soulagés et ils ont accepté. Je leur ai dit que moi je ne crois pas à grand-chose. Mais, ce qui m'intéresse, c'est l'influence des masques sur la population. Il ne faut donc pas laisser cette flamme s'éteindre. Car ceux qui croient en eux se font tout petits quand ils sont là. Les autres ont le Ramadan, il y a la Noël, Pâque, la Pentecôte et beaucoup d'autres fêtes. On prend tout cela. Mes parents étaient donc très heureux d'avoir eux aussi leur fête.


Cette fête a-t-elle apporté quelque chose ?

Certainement. Sur le plan matériel, d'abord il faut dire qu'une quinzaine de millions de Fcfa sur les 39 millions donnés par l'Etat ont été investis dans Guiglo. Sans compter les autres départements qui ont eu aussi leur part. On a acheté des nattes, logé les participants. On est allé dans des maquis. Au plan spirituel, le peuple wê a bénéficié de la reconnaissance de sa spiritualité. Les populations se sont vraiment éclatées. Elles étaient heureuses. L'on a même demandé que cette célébration soit reproduite partout. Mais, celle qui a eu lieu est une cérémonie qui se produit rarement car elle vient après la guerre. Cependant, chaque année il y a une cérémonie pour remercier Dieu de nous avoir donné de bonnes récoltes, des enfants, la richesse, la victoire dans la guerre, si celle-ci est survenue.


•Au cours d'une interview accordée à Nord-Sud Quotidien, le Pr Bohoussou Marcellin, gynécologue, nous a confié que lors des formations dans les sociétés secrètes, les femmes recevaient une éducation sur comment tenir leur foyers, le ménage, l'éducation des enfants. Mais également comment s'occuper de son mari au plan intime. Cela existe-t-il chez en pays wê ?
Oui cela se faisait. On enseignait aux femmes comment retenir son mari par les caresses. Il y a également les plantes aphrodisiaques qu'on leur enseignait


Interview réalisée par Kesy B. Jacob
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