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Société Publié le samedi 30 mai 2009 | Notre Voie

Dire bien - Une crise ne va pas sans reconsidération linguistique

Lorsque la réalité socio-politique se transforme, comme c’est tout particulièrement le cas aujourd’hui, le langage est forcément appelé à se transformer et le chercheur, l’écrivain, le journaliste… doivent alors s’adapter linguistiquement à ce qu’ils veulent analyser ou plus précisément adapter les processus de procréation textuelle (ou article) aux caractéristiques de ce qu’ils observent. Il convient alors d’accorder la langue en partant à la recherche de nouvelles expressions formelles. Ainsi voit-on que la fin de la guerre ne va pas sans conséquences linguistiques. On ne dit plus «rébellion» mais «ex-rébellion», les zones assiégées, elles, sont désormais des «ex-zones assiégées» ou par euphémisme des «zones CNO». Depuis le 26 de ce mois, jour de la passation de charges entre les «com’zones» et les préfets, les com’zones sont devenus des «ex» et le mot qui fait l’actualité est le mot «encasernement» (des FAFN)…

1/- Nommer est un défi d’une difficulté inouïe

Ce qui s’impose à ceux qui rendent compte par écrit et qui nomment, dira avec justesse François Laplantine, c’est une reconsidération (ou adaptation) autant lexicologique que grammaticale qui soit à la mesure des mutations dans lesquelles nous sommes tous engagés. Ne sommes-nous pas tous embarqués sur le même bateau ? (cf. Méta XL, 3, 1995, p. 501). Sur ce bateau désormais fort engagé dans le processus de sortie de crise, je suis constamment frappé par l’indifférence de nombreux confrères (en journalisme) pour les mots, pour le sens des mots et pis pour les nuances qui les distinguent. Est-ce par ignorance ou par paresse ? Pensons plutôt comme François Laplantine et disons qu’il s’agit sans doute aucun d’une frigidité, que dis-je, d’une insensibilité à ce que chaque objet, chaque situation voire chaque rencontre ont de spécifique et appellent par conséquent chaque fois des formes lexicales et grammaticales particulières et spécifiques.
Pour exemplifier ces propos, prenons le cas des mots «déploiement» et «redéploiement» qui occupent l’actualité encore marquée par la nécessité de la restauration de l’autorité de l’Etat sur toute l’étendue du territoire. Qui a lu constamment la presse ces deux dernières semaines a dû relever l’indifférence de certains organes de presse vis-à-vis de ces deux mots qu’ils emploient l’un pour l’autre alors qu’ils ne sont ni équivalents ni substituables. Ces bonnes âmes (en journalisme) voudraient-elles nous imposer une synonymie qui n’existe pas. C’est si déplorable et si fâcheux que je m’interdis d’en rire à gorge déployée (ou aux éclats). Si nul ne confond une «élection» avec une «réélection» (cf. pour cette élection présidentielle, l’on parle déjà et à raison de la réélection du Président Laurent Gbagbo au premier tour), pourquoi ce qui n’a jamais été déployé (comme le Centre de Commandement intégré ou CCI) peut-il être redéployé ? Comment cela est-il possible par ces temps fragiles de bruits de bottes à notre frontière est (cf. «le Ghana a déployé son armée aux frontières», dans Notre Voie n° 3287 des 23-24/05/09) ? A quoi joue-t-on en ignorant le sens des mots, preuve que les dires ne tiennent même plus compte de tant de recompositions et de bouleversements socio-politiques en cours et sous nos yeux ? L’anormal et la banalité mènent à l’évidence notre quotidien qui n’a plus de repères… A preuve, le faux prend par effraction le visage du vrai et prospère ; l’imposture se donne sans se gêner une posture normale telle la concertation nationale qui (pour se donner une jeune jeunesse) se métamorphose en consensus national… Quelle histoire ! Allah yé an soutara ! Que Dieu nous protège…

2/- A force d’être banalisé, tout devient ordinaire

Ou bien ? Il me semble que ce qui est différent ne peut être dit que différemment. Or, pour ces deux mots, qu’ai-je vu, mieux qu’ai-je lu ?
- «Redéploiement des FDS et FAFN/Création du Conasfor-CI” (cf. Le Temps n° 1820 du 22/05/09).
- «Redéploiement des FDS et FAFN. Les éléments grognent à Yamoussoukro» (cf. Le Temps n° 1821)
- «Déploiement de 8 000 soldats du Cci. «Les FN mettent la main à la poche» (cf. Le Temps n° 1822)
- «Redéploiement du Cci : 300 FDS et FAFN refusent de partir» (cf. L’Inter des 23-24/05/09)
- «Redéploiement des FDS-FAFN. Méambly dans l’antre de l’ex-rébellion» (cf. Soir Info n° 4416 des 23-24/05/09.
- “Déploiement FDS-FAFN. Méambly explique le Conasfor au Général Bakayoko” (cf. Soir Info n° 4420 du 28/05/09).
- Redéploiement des FDS : «Après le redéploiement de tous les FDS, il n’y aura plus de risques», dixit le Président de la République, in Frat-Mat du 25/05/09.
Quelle linguistique anarchie ! Qui a ouvert ses dictionnaires Littré, Larousse… sait que les mots «déploiement/redéploiement» sont respectivement les formes nominales des verbes «déployer» et «redéployer» ; lesquels sont des dérivés du verbe «ployer» (du latin «plicare» qui signifie «plier»). Ce verbe, lecteurs miens, est un vieux verbe qui, hélas, n’est plus depuis fin 17ème siècle. On dit qu’un mot est mort quand il ne se dit plus ou quand on ne l’entend plus. Yaako, pour dire notre linguistique compassion. On le trouve avec ce premier sens dans la comédie («La suite du Menteur», 1649) de Pierre Corneille (1606-1684) et je cite : «Tout est perdu, Cliton, il faut ployer bagages». Il se disait aussi d’un homme qui «cède, obéit, succombe» et d’une planche très chargée qui «fléchit». N’étant plus usité, il est définitivement remplacé comme on pouvait s’y attendre par le verbe «plier» son doublet ou concurrent plus vigoureux. Au total, l’on ne trouve donc plus la trace du verbe «ployer» que dans les deux verbes dérivés (déployer/redéployer) et leurs formes nominales correspondantes.

3/- Nuance, nuance !

A ce stade du raisonnement nôtre, recourons une fois encore aux dictionnaires Larousse et Petit robert pour mesurer les différences et les degrés de ressemblance entre les deux noms ; degrés de ressemblance qui ont dû induire en erreur certains confrères (du reste de bonne foi). Le «déploiement», qui se dit aussi «dépliage» ou «dépliement» (action de défaire quelque chose qui était pliée, de s’étendre, de s’ouvrir), est une large mise en œuvre. Le mot connote non pas le pli de quelque chose ou le repli sur soi, mais «ouverture, démonstration (sans retenue), déferlage». Plus qu’un «déploiement de nouveau» (cf. la présence du préfixe «re»), le «redéploiement» est une réorganisation d’un dispositif militaire, politique, économique…
Mais il serait vain de s’arrêter là, surtout quand on se rend compte (comme c’est le cas ici) des limites des définitions diction nariques. Ces définitions n’intègrent pas la crise militaro-politique qui a non seulement divisé le pays en deux (zone gouvernementale/zone rebelle), mais aussi opposé deux armées (FDS/FAFN) ; lesquelles, avec la fin de la belligérance, se retrouvent dans ce qu’on appelle le CCI (Centre de commandement intégré), embryon de la nouvelle armée ivoirienne en construction.
C’est le linguiste genevois, Ferdinand de Saussure qui le dit : «La langue est une institution sociale». Ce qui signifie que les différences entre les signes ou mots ne sont pas seulement linguistiques, elles sont socialement déterminées. Si l’on applique les deux mots (déploiement/redéploiement) à la société ivoirienne engagée dans un processus de sortie de crise, l’on voit nettement que le mot «redéploiement» sied uniquement aux FDS qui retrouvent ainsi leurs positions régaliennes avant la guerre (à savoir leur présence effective sur toute l’étendue du territoire et à toutes les frontières).
Au-delà de la définition dictionnarique, le redéploiement n’est plus une simple réorganisation du dispositif militaire, c’est aussi le retour à la normalité, à la loi et à la République une et indivisible. De même que l’on parle de redéploiement des FDS, de même l’on parle de redéploiement de l’administration. Comme quoi, avec le mot «redéploiement», l’Etat signe son retour dans les zones où il fut absent pour cause de guerre. C’est sans doute ce qui a fait dire avec justesse au Chef de l’Etat, et je cite : «Après le redéploiement de tous les soldats FDS, il n’y aura plus de risques» (cf. Frat-Mat du 25/05/09).
Les choses sont désormais claires. Les FAFN ne peuvent donc être que déployées. Leur déploiement est le signe d’un passage qualitatif (d’une position militaire rebelle à une position militaire républicaine), une extension, une ouverture. Le déploiement permet leur présence dans le Sud (ou zone gouvernementale). Pour la première fois, cette zone s’ouvre à elles. Réunification et paix obligent. Alors quand on met les deux armées ensemble, on ne peut que parler de (ou écrire) : «Déploiement du CCI (ou des FDS et FAFN)» et non «Redéploiement du CCI (ou des FDS et FAFN)». Par honnêteté intellectuelle, laquelle, me semble-t-il, est aussi une question de vocabulaire. Bon week-end à vous et bonne fête de la Pentecôte !

Koné Dramane: direbien@live.fr
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