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Politique Publié le vendredi 5 juin 2009 | Fraternité Matin

Soro parle de sa collaboration avec Gbagbo : “Nous travaillons dans la sincérité et c`est serieux !”

Dans une interview accordée et diffusée, hier, simultanément aux télévisions ivoirienne et burkinabé, le Premier ministre Soro Guillaume fait le point.

Ma première question, comment allez-vous? L’image qu’on a de vous dans le peuple, c’est que vous êtes un peu comme une femme qui a accouché, il n’y a pas longtemps, le 26 mai dernier, mais qui a eu besoin d’un forceps. Comment se passe la suite de l’accouchement?

Disons que je n’ai malheureusement pas connu le bonheur d’un tel enfantement. Mais ce que je veux dire, c’est que je suis aujourd’hui sur ce plateau parce que je considère que nous avons fait beaucoup de progrès dans la sortie de crise. Rappelez-vous que j’avais déjà indiqué aux Ivoiriens qu’il ne servait à rien de remplir les écrans de télévision quand il n’a pas d’actes concrets. A quelques mois de l’échéance électorale, je considère que la Côte d’Ivoire a fait beaucoup de progrès dans le sens de la sortie de crise, de la réalisation des élections. Et je suis bien entendu en bonne position pour pouvoir donner des éléments d’information aux Ivoiriens. Donc je me porte bien, la Côte d’Ivoire aussi se porte bien et nous sommes content d’être ici et de parler avec vous.

Même si la passation des charges aux préfets a été un peu…

Ça a été un acte historique!

Mais qui a eu du mal à passer, Monsieur le Premier ministre.

Je ne crois pas.

Ça a été reporté plusieurs fois…

Ça a été reporté non pas pour des raisons politiques, mais pour des questions d’ordre technique. Je m’explique...

On pensait plutôt que c’étaient des commandants de zone qui refusaient de céder leurs pouvoirs?

Il n’en a jamais été question. Les premiers reports ont été d’ordre technique et j’explique ce qui s’est passé. Au retour de la réunion de Ouagadougou, nous avions prévu la passation des charges le 20 ; mais il se trouvait qu’elle coïncidait avec un programme du Premier ministre qui devait se rendre à Londres. Alors, j’ai demandé au ministre de l’Intérieur de reporter la date, ce qui a été fait et fixé au 26. Bien avant, il a fallu que le ministère de l’Intérieur et la Primature coordonnent leurs actions pour retenir, dans le détail, ce qui devrait constituer les éléments concernés par la passation des charges. Donc il n’y a pas eu de problème politique. Aucun com’zone ne s’est opposé à la passation des charges. Il faut que je le précise. Mais c’était un problème soit de calendrier, de questions d’ordre technique. Parce qu’il fallait qu’on s’accorde sur ce que devait constituer la passation des charges. Ça a été fait et le 26, ça a été un événement historique. Je salue tous les acteurs qui ont participé à la réalisation de cet événement. Maintenant, peut-être qu’il me faut préciser ce en quoi a constitué la passation des charges faite aux préfets et ce qu’elle est. Les préfets, d’ailleurs, je voudrais encore les saluer, ont été redéployés autour de juillet 2007, dans des conditions difficiles. Vous vous souvenez qu’ils sont partis sans bureau, sans logement. Ensuite, sans être sûrs de pouvoir exercer convenablement les responsabilités et leurs prérogatives.

A l’époque, je leur avais demandé d’être des pédagogues, des pères de famille et d’aider au renforcement de la réconciliation nationale. Ils l’ont joué à merveille, ce rôle. Je peux même vous dire que quand nous devions faire à nouveau le mouvement préfectoral, j’ai reçu plusieurs coups de fil de préfets qui ne souhaitaient plus quitter cette zone. Le ministre de l’Intérieur sait de quoi je parle. Ils ont travaillé pendant deux ans quasiment dans des situations et des conditions extrêmement difficiles, je le reconnais. Et chaque fois que l’Etat a pu, nous avons essayé de régler leurs problèmes. Nous avons commencé par réhabiliter les domiciles, les bureaux. Puis, nous leur avons affecté des véhicules. Vous avez suivi en même temps que moi. Maintenant, il était question de donner aux préfets une force pour exercer leur pouvoir. Parce que, jusque-là, ils n’avaient pas de force sous leur responsabilité. Quand il est question d’appliquer par exemple une décision, que fait le préfet?

Justement, le préfet de Bouaké, M. le Premier ministre, a dit son bonheur après la passation des charges le 26 mai. Mais le lendemain, dans une interview accordée à Fraternité Matin, il disait simplement et clairement que tant que le Centre de commandement intégré (Cci) n’est pas redéployé, sa passation des charges serait une passation virtuelle.

Tout à fait. C’est pourquoi nous avons pris le temps de déployer le Cci; et à ce jour, nous avons déployé à Bouaké avec 500 éléments des Forces de défense et de sécurité que le général Mangou Philippe a envoyés et 500 autres éléments des Forces armées des Forces nouvelles que le général Bakayoko a affectés. C’est sur cette force du Cci que, désormais, le préfet pourra compter pour mettre en application, selon la loi et strictement selon la loi, les actions qu’il a à réaliser à Bouaké. C’est important parce qu’avant, il ne pouvait que commencer par le commandant de zone. Or, s’il y a un conflit d’intérêt, il est évident que le préfet ne pourra pas mettre sa mesure en œuvre. Maintenant, il a une force que l’Etat de Côte d’Ivoire met à sa disposition pour assurer la sécurité dans la région de Bouaké.

Il se pose la question de l’avenir des commandants de zone.

C’est vrai que le 4e accord complémentaire à l’Accord politique de Ouaga règle sur le papier cette question. Mais si par extraordinaire le nouveau pouvoir ivoirien de la sortie de crise décide de ne pas s’inscrire dans cette dynamique et demande par exemple à ces commandants de zone de rendre compte de leur administration, qu’allez-vous faire? Sont-ils rassurés sur cette question?

Je pense que les choses sont très claires. Quand on parle de commandants de zone, c’est la sémantique, c’est un nom qu’on peut biffer. Ailleurs, on les appelle com’théâtre ; à Bouaké, on les appelle commandants de zone. Ce n’est pas cela qui est important. Je pense que dans le terme commandant de zone, c’est plutôt la fonction qu’ils vont exercer. Le fait de commander des militaires, des régions. En l’absence de l’administration, ils ont eu à administrer ces zones aussi bien sur le plan militaire, politique qu’administratif.

Maintenant, la passation des charges faite le 26 mai, dit aux commandants de zone que, désormais, ils sont confinés dans une activité strictement militaire. Donc ils auront maintenant une activité de défense dans les casernes. Le 4e accord prévoit qu’à l’issue du processus de sortie de crise, ceux-ci vont à la retraite. Ça veut dire qu’après les élections, les commandants de zone ne feront plus partie de l’armée réunifiée, ils iront faire valoir leurs droits à la retraite. Ce sera le moment de la reconversion. Cependant, si certains voudront aller dans la Fonction publique, cette possibilité leur est offerte. Les autres encore voudront-ils aller en politique? C’est aussi de leur responsabilité. Comme d’autres encore voudront s’engager dans des activités lucratives. C’est une porte ouverte.

Permettez, M. le Premier ministre, que nous revenions sur le Centre de commandement intégré.

Selon les informations en notre possession, jusqu’au 29 mai, ce sont seulement 441 Fds qui ont été déployés sur Bouaké et 101

des Forces armées des Forces nouvelles sur Abidjan. Quand on sait qu’ils sont 8000 éléments

à déployer jusqu’à la date des élections, on se dit qu’à ce rythme, on va encore tanguer, avancer, reculer.

Vous savez, ce qui est intéressant dans notre situation en Côte d’Ivoire, chaque fois qu’on a démarré une opération, il y a eu ces mêmes inquiétudes, ces mêmes interrogations. Je me rappelle que quand on a commencé les audiences foraines, les uns et les autres se demandaient si ces audiences allaient vraiment se réaliser. Aujourd’hui, nous avons 800 mille citoyens qui sont sortis de l’anonymat administratif pour avoir des papiers. Ce n’est pas rien. C’est quand même 800 mille Ivoiriens qui ont obtenu des papiers. C’est la même chose pour le Cci. C’est vrai qu’il y a un démarrage et comme tel, il y a toujours des hésitations. Mais je suis convaincu que les moyens financiers que nous allons mettre à la disposition du Cci permettront effectivement d’atteindre un certain rythme.

Donc je ne peux que vous rassurer, Bouaké était déjà le premier essai. Nous avons connu quelques difficultés de logistique, par exemple, des logements pour les 500 qui arrivent. Fort de l’expérience de cette difficulté, nous pensons que dans les autres régions, le processus gagnera sa vitesse de croisière.

Nous sommes foncièrement optimiste, mais quand même avec des informations aussi précises. Nous savons qu’au niveau des Fds, la liste des 4000 éléments a été déposée auprès du commandement de cette structure. Par contre, au niveau des Fafn, seulement une liste de 2600 a été déposée, il reste encore 1400 personnes.

Cela s’explique aisément. Le général Bakayoko nous a dit qu’il avait déposé cette liste de 2600 personnes et qu’il était en train de procéder au recrutement des 1400 autres.

Ils sont censés exister!

Oui, ils existent; mais justement dans les 4000 que les Forces nouvelles auront à déployer au Cci, il y a des critères. Certains devront se soumettre au concours. Alors il ne faut pas envoyer des gens qui ne rempliront pas les critères du concours. C’est pourquoi il a pris le soin, et je pense que c’est intelligent, de procéder d’abord à une visite médicale de ses éléments pour s’assurer qu’ils sont en bonne santé, qu’ils remplissent les critères du futur concours qu’ils auront à passer avant de les déployer. Si non ce n’est pas par manque de personnels que la liste des 4000 n’a pas été déposée.

Vous étiez tout à l’heure en train de nous communiquer votre optimisme en ce qui

concerne l’avenir des com’zones. On veut bien vous croire; mais quand on pense au récent mouvement des délégués, c’est l’occasion de nous expliquer comment sont organisées les Forces nouvelles et comment elles fonctionnent. Quels sont les véritables rapports entre

les politiques et les militaires?

On a lu dans les journaux que vous avez même été menacé, on vous a demandé de démissionner. Sont-ils d’accord avec tout ce que vous dites?

Il faut peut-être relativiser. Je pense que la déclaration publique des délégués était simple. Ils ont dit : «le Premier ministre fait l’objet de critiques de la part de l’autre partie signataire des accords, peut-être que la solution la bonne, c’est qu’il rende sa démission». Je vous dit bien que quand les instances des Forces nouvelles se sont réunies, elles ont non seulement apporté leur soutien au processus en cours, et au Premier ministre, mais ont laissé à la responsabilité de celui-ci la décision quant à la poursuite du processus. Donc je pense qu’il faut relativiser ce qui a été dit par les délégués.

Pour revenir aux militaires des Forces nouvelles, je vous assure que cela fait sept ans que nous sommes dans la sortie de crise. Cela fait sept ans que tous les matins, les journaux ont annoncé des crises permanentes et perpétuelles au sein des Forces nouvelles, crise qui n’est jamais arrivée. Je peux vous rassurer, de toute façon, que ce qui se passe au niveau des zones centre, nord et ouest est sous contrôle. Et aussi, les chefs militaires, et je l’ai dit le 26, qui sont là sont ceux-là justement qui ont été les leviers sur lesquels nous avons mis en place tout le dispositif qui consiste à appliquer l’accord. Donc ce sont des gens qui ont joué et assumé leurs responsabilités. Je voudrais plutôt qu’on les encourage à continuer de mettre en œuvre l’Accord politique de Ouagadougou.

Et les encourager, c’est faire comme ce qui est arrivé à Zacharia Koné. Le faire exiler au Burkina Faso. Est-ce cela l’encouragement?

Ce n’est pas ça. Je ne parle pas de ça. Le problème de Zacharia Koné est simple, et à l’époque, nous en avons parlé. Dans toute organisation, il y a une discipline. L’état-major des Forces armées des Forces nouvelles s’est réuni et a constaté des manquements que M. Zakaria Koné avait posés. Il a pris une décision de le sanctionner. Je m’en tiens à cette sanction. Mais le Chef de l’Etat et moi-même, quand nous sommes allés à Ouagadougou, avons échangé avec le président Blaise Compaoré. J’ai moi-même reçu Zacharia qui m’a encore réaffirmé sa disponibilité à nous servir et à continuer de faire confiance au processus. C’est juste une question de discipline militaire. Je peux vous rappeler que le général Mangou a fait passer quelques militaires en conseil de discipline, des sanctions ont été prises. C’est ainsi dans toutes les armées au monde, nous avons suivi le cas Poncet en France. Ça ne pose pas un problème spécifique à la Côte d’Ivoire. C’est le fonctionnement normal de toute armée. Quand un soldat faillit à la discipline, il doit s’attendre à une sanction.

Son retour est-il envisageable?

Ecoutez, on n’en est pas là pour le moment. Mais la Constitution interdit d’exiler des citoyens de ce pays. Donc tous ceux qui sont à l’extérieur de la Côte d’Ivoire et qui voudront rentrer d’une manière ou d’une autre, nous sommes disposés à ouvrir le dialogue avec eux et à les accueillir en Côte d’Ivoire.

Le problème, c’est que lors de la célébration de la Journée des Casques bleus récemment,

le Président de la République, Gbagbo Laurent, avait donné l’information sur Zacharia Koné en disant que c’est d’un commun accord avec le Président Compaoré que celui-ci s’est proposé de garder Zacharia au Burkina Faso pour que le processus aille à son terme.

Vous savez, je suis témoin des différentes discussions entre le Chef de l’Etat et le Président Comaporé. J’en suis un témoin privilégié. Je les remercie encore de la confiance qui m’est faite pour que je puisse participer à ce niveau de discussion et donner mon avis. Ce que le Président a dit est exact. Zacharia Koné est pour le moment au Burkina Faso; mais s’il veut rentrer en Côte d’Ivoire et qu’il fait amende honorable, le Président Gbagbo ne s’y opposera pas.

Là, il est en résidence surveillée au Burkina!

Je ne peux pas entrer dans un certain nombre de détails. Pour le moment, M. Zakaria Koné est au Burkina Faso en pleine connaissance de cause.

Monsieur le Premier ministre, une transition pour parler des élections. Mais juste deux questions. Quelle est la réalité de vos rapports avec le Président Laurent Gbagbo? Est-ce un jeu de façade ou alors est-ce vraiment sérieux?

Si c’était un jeu de façade, je crois que ça se serait découvert au bout de six mois, un an. Maintenant, cela fait deux ans qu’avec le Chef de l’Etat, nous travaillons. En tout cas, dans la sincérité et c’est sérieux. Je pense qu’on doit se réjouir qu’il n’y ait pas une forme de dyarchie au niveau de l’exécutif, qu’il y ait cette homogénéité au niveau de l’exécutif. Si non ce serait intenable. Peut-être que les relations anciennes que j’avais avec le Chef de l’Etat ont permis justement que très rapidement, nous puissions nous parler et que nos relations s’améliorent de façon notoire aujourd’hui. Ce qui est un adjuvant pour le processus de sortie de crise. Et je pense que c’est important. En ce qui nous concerne, nous sommes sincères dans la façon de se parler, de travailler et de présider aux destinées de ce peuple.

Tandem, duo?

Je préfère ne pas avoir de qualificatifs de ce sens. Il y a un Chef de l’Etat, un Premier ministre ; chacun connaît sa responsabilité et sait ce qu’il a à faire. Nous fonctionnons dans ce sens.

Quels sont vos rapports avec le Fpi, les rapports Forces nouvelles - Fpi (Front populaire ivoirien)?

En tant que Premier ministre, c’est de partager, avec l’ensemble de la classe politique, aussi bien le Fpi, le Pdci, que le Rdr, etc., une relation de confiance. Je suis aujourd’hui dans la posture d’arbitre, je n’ai pas de choix ou de prétention à faire dans ce domaine. Ce qui est de ma responsabilité, c’est de faire en sorte qu’aussi bien le Fpi que le Pdci ou le Rdr aient confiance dans l’action que nous menons. Donc l’action que nous menons doit être concrète, transparente, limpide. Pour que, aussi bien au-delà ou dans les divergences idéologiques ou politiques, chacun puisse trouver satisfaction. Et c’est ce que nous faisons.

Vous dites «doit être», est-ce à dire que ce n’est pas le cas?

Ecoutez, pour l’instant, il n’y a pas une remise en cause. Je ne veux pas non plus avoir la prétention de dire que je suis totalement en confiance avec tout le monde. Mais je dis que je m’oblige, moi en tout cas, dans mon rôle d’arbitre, à faire en sorte que chaque jour, j’inspire confiance à l’ensemble de la classe politique.

Comment faites-vous pour être un arbitre honnête quand on sait que vous êtes aussi secrétaire général des Forces nouvelles? Comment faites-vous pour vous dédoubler, c’est ce qui m’effare d’ailleurs?

Vous savez, il suffit seulement de jouer la transparence, la limpidité. J’ai été nommé Premier ministre pour appliquer un accord; je m’en tiens à l’application de l’Accord. Sans jouer au détriment de l’une ou l’autre partie. Je pense que s’il n’y a pas, jusqu’à ce jour, une remise en cause de ce rôle impartial que je suis amené à jouer, je pense que c’est une bonne chose pour le pays.

Les Forces nouvelles deviendront-elles un parti politique?

Pour le moment, les Forces nouvelles ne peuvent pas être un parti politique.

Jusqu’aux élections?

Jusqu’aux élections, les Forces nouvelles ne peuvent pas être un parti politique parce que se transformer en parti politique, ce serait être partisans. Or, justement, nous voulons éviter d’être partisans, mais constituer le noeud central de l’impartialité, de la neutralité pour inspirer confiance, à droite et à gauche, et permettre des élections démocratiques et transparentes.

Et après, sera-ce envisageable?

A mon avis, à chaque jour suffit sa peine. Déjà, réussissons l’élection, c’est le plus important. Pour l’heure, il n’est pas question pour les Forces nouvelles de se transformer en parti politique et je m’en tiens à cela.

Nous nous sommes renseignés sur les zones centre, nord et ouest qui se libèrent du contrôle des Forces nouvelles. Nous savons que des maisons sont toujours occupées par des membres des Forces nouvelles, l’opération de restitution des biens n’a pas abouti, du moins comme on l’espérait et on n’en parle même plus d’ailleurs. Et les gens ne sont pas en sécurité car il n’y a pas encore une armée régulière déployée dans ces zones. Alors quand vous parlez de rassurer, de mettre les gens en confiance, on se dit quand même, il faut beaucoup de temps pour en arriver là.

C’est un travail permanent, perpétuel; c’est un travail de longue haleine. Je comprends qu’on soit impatient; mais en même temps, il ne faut pas tomber…

Cela fait sept ans que ça dure quand même!

Ah non. Le processus de Ouagadougou ne dure pas sept ans.

La crise dure depuis sept ans.

Bien sûr. Mais le processus véritable de règlement a commencé il y a seulement deux ans. Et en deux ans, personne ne peut nier qu’il y a eu des progrès tangibles. En deux ans, personne ne peut nier que le Chef de l’Etat fait des tournées dans le nord. De même que M. Affi N’Guessan. Et qu’à l’heure actuelle, Fds et Fafn sont à Odienné, Danané, Touba, Man pour assurer la sécurité à nos frontières, et qu’il se trouve des éléments du Cci déployés à Bouaké. C’est tangible, concret, on ne peut pas le nier. Il y a deux ans, ce n’était même pas imaginable.

Maintenant, vous dites qu’il y a encore des maisons occupées. Je prends bonne note de ce que vous me dites.

Ne le saviez-vous pas?

Je sais qu’il y a eu des maisons occupées que nous avons travaillé à libérer. Naturellement, un Premier ministre n’est pas un épicier pour faire une comptabilité de toutes les secondes. Un Premier ministre donne une orientation et met les différentes structures à contribution pour sa mise en œuvre. Et pourquoi cet exercice est d’ailleurs important parce que vous contribuez à mieux m’informer sur certaines choses. S’il y a, et je le dis encore, des maisons qui continuent d’être occupées, les propriétaires ont la possibilité de contacter les préfets ou sous-préfets, pour signaler ces cas d’occupation. Ceux-ci vont faire remonter l’information à nous et nous prendrons les dispositions pour que les biens des personnes qui les désirent soient restitués. Il ne faut pas en faire un problème politique là où il n’y en a pas.

Il n’y en a pas, M. le Premier ministre, vous le dites. Si les gens ont peur, s’ils n’ont pas la sécurité adéquate comme celle qu’on attend par exemple du Cci qui n’est pas encore totalement déployé, forcément, je me vois mal, moi, en tant que citoyenne, me sentant menacée par des hommes toujours en armes, irrégulièrement, aller me montrer au sous-préfet. C’est un problème.

C’est vrai que l’inquiétude peut être dans la tête, c’est psychologique. La première peur est d’abord psychologique. Si non, vous le savez très bien, des gens avant vous ont eu le courage d’aller demander qu’on leur restitue, même en l’absence des préfets, leurs biens. Sans qu’il leur soit arrivé malheur. Il faut qu’on comprenne que ce processus n’est pas de la magie. C’est dans la détermination, dans la volonté que nous réussirons à faire en sorte que la normalité en Côte d’Ivoire soit une réalité. Je le répète, tous ceux qui ont encore des maisons occupées, ont là des interlocuteurs que sont les préfets, les sous-préfets pour régler définitivement ce problème. Maintenant, quand vous parlez d’armée, je vous répète encore que M. Affi N’Guessan n’attend pas, comme vous, citoyenne lambda, d’avoir une sécurité particulière pour aller à Korhogo, dans les villages. Encore que lui est dans l’adversité. Pourquoi, lui aurait-il moins peur qu’un citoyen lambda? Donc il faut que les uns et les autres jouent leur rôle.

La différence, c’est que M. Affi N’Guessan ne vit pas au quotidien ni à Bouaké ni à Korhogo. Il ne fait que passer.

Quand M. Affi N’Guessan va à Korhogo, Bouaké, il trouve des représentants du Fpi qui vivent en permanence à Ferké, Kong, Korhogo, Tengréla où personne ne touche à un seul de leurs cheveux. Que des gens qui sont engagés politiquement donc potentiellement en danger y vivent tranquillement, exercent leurs activités politiques dans la sérénité, je comprends moins qu’un citoyen lamda qui n’a rien à se reprocher soit plus inquiet.

Quelques jours après la passation des charges, un richissime commerçant burkinabé a été enlevé par des hommes en armes à Bouaké.

Je suis Premier ministre de toute la Côte d’Ivoire. Je ne vais pas spéculer, lorsque je me réveille tous les matins, sur tous les faits divers qui se produisent à Abidjan, Korhogo, Man. Nous n’allons pas entrer dans ces détails. La sécurité continue d’être une préoccupation pour le gouvernement qui prend les mesures pour qu’elle soit effective aussi bien à Tabou, Dabou, qu’à Tengréla et Korhogo. Des progrès significatifs ont été faits. D’ailleurs, le Conseil de sécurité des Nations unies a ramené l’indice sécuritaire de 5 à 2 aujourd’hui en Côte d’Ivoire. C’est un acte à saluer. Maintenant si vous voulez mettre tous les faits divers à la Une, je ne sais pas quel est l’intérêt de notre pays.

M. le Premier ministre, on va dire un mot sur le Président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, facilitateur des négociations entre Ivoiriens. Qu’est-ce qui a fait l’unanimité autour de lui, qui a permis, il faut le reconnaître, de faire de grands pas, depuis la signature de l’Accord politique de Ouagadougou jusqu’à maintenant? Est-ce parce qu’il est votre mentor?

Premièrement, pour qu’un accord marche, il faut d’abord une volonté des acteurs eux-mêmes. Le Président Compaoré n’aurait peut-être pas réussi si le Chef de l’Etat n’avait pas envie de régler la crise ivoirienne. C’est d’abord le Chef de l’Etat qui a décidé de faire une proposition de règlement de la crise. Il a sollicité un médiateur qui pouvait inspirer confiance à toutes les parties. Il a considéré que M. Compaoré pouvait jouer ce rôle. D’ailleurs, il a de bonnes relations avec le Président Gbagbo tout comme avec nous. Le fait que les deux ex-belligérants fondaient un réel espoir et ont placé leur confiance au Président Compaoré, lui a donné beaucoup plus de marge pour permettre la signature de l’Accord politique de Ouagadougou et faire des progrès notables dans la sortie de crise. Pour que ceci soit possible, il a fallu que nous soyons animés de bonne volonté et déterminés à trouver une solution à la crise.

N’y a-t-il pas de relations particulières qui ont pu ou peuvent influer sur vous?

Le Président Compaoré a des relations particulières avec tous les acteurs politiques ivoiriens. Par exemple, depuis 20 ans, il préside aux destinées du Burkina Faso. Cette longévité au pouvoir n’a pas manqué de lui donner la possibilité de connaître tous les acteurs politiques ivoiriens. Du fait que nous sommes des voisins et partageons une longue frontière. Il a de bonnes relations avec le Président Gbagbo et nous-même. Si vous les qualifiez de particulières, je vous le concède, mais toujours est-il qu’il a fallu que les acteurs politiques décident eux-mêmes de lui confier le dossier.

Nous allons ouvrir le chapitre de l’identification et des élections. Les élections, c’est dans 5 mois. L’enrôlement a été relancé pour les retardataires. A l’étranger, les choses sont annoncées mais n’ont pas encore commencé. Où sommes-nous exactement?

Effectivement, cette opération a été lancée l’année dernière. Nous sommes aujourd’hui à plus de 6 millions de citoyens qui sont allés dans les centres de collecte et qui se sont inscrits. Le Cpc a décidé qu’il ait une prolongation de l’enrôlement jusqu’au 30 juin pour permettre aux centres de collecte qui n’avaient pas été ouverts, il y a en avait 205, de l’être et de donner la possibilité aux citoyens qui le désirent de venir se faire enrôler. L’enrôlement à l’étranger va démarrer le 11 juin pour prendre fin aussi le 30 du même mois. C’est une opération qui se déroule très bien. Il est vrai qu’elle a connu des difficultés au démarrage, comme à tous les processus. Par la suite, elle devient une chose courante. L’enrôlement est aujourd’hui, courant. Je voudrais saisir l’opportunité pour inviter tous les Ivoiriens qui ne se sont pas encore déplacés, de le faire. Car le 30 juin, c’est le dernier jour.

Il n’y aura donc plus de prolongation?

Non. Il n’y en aura plus. Le Cpc l’a formellement décidé. Le dernier jour pour s’enrôler est le 30 juin. Je demande à tous, de prendre des dispositions pour le faire.

M le Premier ministre 6 millions de personnes sont allées dans les centres de collecte.

Cela correspond-il à 6 millions d’électeurs?

Non. C’est une base de données. Nous avons plus de 6 millions de personnes qui se sont déplacées dans les centres de collecte et qui se sont fait enrôler. Une fois que l’enrôlement sera arrêté le 30 juin, va commencer le traitement informatique. Qui va consister à bien vérifier si sur les inscrits, certains ne l’ont pas fait deux ou trois fois. C’est la première étape. Nous allons bien nous assurer qu’il n’y a pas eu de double inscription. Par la suite, faire un croisement avec des fichiers historiques pour nous assurer que sur les 6 millions et plus, il n’y a pas de gens qui ont tenté de frauder. Ceux par exemple n’étaient pas Ivoiriens, mais qui ont cherché à s’inscrire. Nous allons vérifier, recouper, faire le croisement et tous ceux qui seront retenus à l’issue du croisement sont bel et bien ceux qui ont le droit d’être inscrits. Et nous procéderons ensuite au tri pour voir ceux qui seront électeurs. Pour l’être, il faut être âgé de 18 ans et plus, Ivoirien. Si vous êtes naturalisé, il faut avoir joui de la nationalité ivoirienne au moins pendant 5 ans. Ainsi, après ce tri, nous enverrons dans la base de données élections, ceux qui remplissent les critères. Ceux qui sont en-déça de 18 ans, soit entre 16 et 18 ans, leurs données seront acheminées dans la base identification. Confiée à l’Office national d’identification pour qu’ils puissent obtenir leur carte nationale d’identité. Ce n’est qu’au bout de ce processus que ceux qui remplissent les conditions pour se retrouver sur la liste électorale vont être inscrits sur la liste dite provisoire. Cette liste sera publiée par tout moyen, par voies de media, d’internet, etc pour que les partis politiques et tout autre citoyen puissent regarder cette liste provisoire. Et s’assurer qu’ils ne figurent pas sur cette liste de personnes qui n’ont pas le droit d’y être. Cela va donner lieu ce qu’on appelle le contentieux électoral, les réclamations des partis politiques. Par exemple, pour dire qu’un tel citoyen n’a pas le droit d’être sur la liste électorale. Nous allons gérer le contentieux électoral. Ce sera à la Cei de transmettre les différents dossiers qu’ils peuvent traiter. Ceux qu’ils ne peuvent pas traiter sont ramenés à la justice. Et les magistrats auront 8 jours pour rendre leur verdict. Et la liste électorale définitive sera produite et va servir pour aller aux élections. Ce qui suppose que sur cette liste électorale définitive, ne figurent que les citoyens qui ont le droit de voter, le droit d’être des électeurs dans notre pays.

Va-t-on y arriver? Avez-vous vraiment le sentiment que tout cela est possible?

Les élections se déroulent dans les autres pays et ce sont tous ces processus qu’ils ont plus ou moins suivis. Je n’ai pas de raison de penser que nous ne puissions pas le réussir. Tout ceci doit se faire dans un intervalle de 6 mois.

Le traitement informatique, c’est mécanique, c’est la technologie.

Mais il n’y a pas d’argent.

On ne paye pas pour le traitement informatique.

Mais pour le matériel.

Le matériel informatique est déjà payé. Il a servi à faire l’enrôlement. Il n’y a pas à débourser de l’argent supplémentaire. Je vous rassure. Quand nous fixons une date électorale, c’est parce que nous nous sommes assurés que les éléments techniques sont remplis. Le traitement informatique n’a besoin d’aucun moyen financier. Tout le matériel existe déjà. Des tests auxquels j’ai assisté ont été faits, c’est probant. Les satellites par lesquels les informations doivent êtres transmises à Abidjan ont été installés et fonctionnent parfaitement. Nous allons faire correctement ce traitement. Dans l’ordonnance portant modification du Code électoral pour les élections générales de sortie de crise, nous avons donné un délai de 8 jours pour que les magistrats puissent rendre leur verdict.

Propos recueillis par Paulin N. Zobo
Christian Dallet
Cissé Mamadou
Marc Yevou
Marie Chantal Obindé
coordination:
Agnès Kraidy
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