Abidjan est devenue le sanctuaire de la cybercriminalité. Comment en est-on arrivé là ?
Le 25 février 2009, la chaîne française M6 diffuse un reportage intitulé «Internet : les as de l`escroquerie». Des jeunes Ivoiriens, à visage découvert, expliquent leurs stratagèmes pour arnaquer. Les faussaires, par des courriers électroniques, entrent en contact avec des personnes installées à l’étranger, créent des histoires à dormir debout, telles que les gains à la loterie, les offres d’achats de biens, rien que pour se faire remettre des espèces sonnantes et trébuchantes. M. Jean Cournot, un expatrié suisse, qui voulait vendre un immeuble a ainsi été floué. L’individu qui prétendait vouloir acquérir l’édifice lui a soutiré de l’argent pour, disait-il, l’ouverture du compte bancaire devant accueillir les fonds. Dans le même mois de février, Fidèle Koffi Konan, 22 ans, Serges Gossé Koré, 21 ans, et Arnaud Djobo Kpagbi, 22 ans, se font passer pour le procureur de la République, Raymond Tchimou. Ils cherchent à soutirer de l’argent à un opérateur économique français établi à Dakar. Les quidams font parvenir à Jean Luc Albert Pierre Marioni, via internet, une correspondance baptisée: «La lettre du Tribunal».
Le procédé
La note adressée à l’homme d’affaires français porte les armoiries de la République et est signée du haut magistrat. Le courrier informe M. Marioni de ce qu’une certaine Camille Lurette lui lègue sa fortune. Mais, il dispose de quatre jours pour faire acheminer à l’autorité judiciaire, la somme d’environ 300.000 Fcfa destinée à la légalisation de l’acte de donation. Manque de pot pour les délinquants. M. Marioni connaît très bien le chef du parquet. Un peu agacé par les ridicules fautes dans la correspondance, l’opérateur économique alerte par fax Raymond Tchimou. Le magistrat tombe des nues et actionne aussitôt le commissaire Félix Bléa, chef de la cellule de lutte contre les infractions sur le net. Avec l’aide d’une journaliste française venue justement enquêter sur le phénomène de l’escroquerie sur Internet à partir d’Abidjan, l’officier parvient à mettre le grappin sur Fidèle Koffi Konan et Serges Gossé Koré, le troisième lascar ayant réussi à se fondre dans la nature. Les indélicats sont condamnés pour faux et usage de faux, tentative d’escroquerie. Il ne se passe plus une seule semaine sans que la police ne soit saisie de plaintes liées à la cyberescroquerie. Vous l’aurez compris ! Phénomène nouveau, la cybercriminalité est en pleine expansion en Côte d’Ivoire. Les experts la définissent comme l’ensemble des délits commis contre les systèmes d’informations et aussi l’ensemble des crimes commis en utilisant l’informatique et l’Internet. «La cybercriminalité se décline sous plusieurs formes : les crimes contre les systèmes d’information et les crimes commis par l’utilisation des systèmes d’informations », explique Corenthin Ahuili, expert en Nouvelle technologie de l’information et de la communication (Ntic). Selon lui, la Côte d’Ivoire est dans la zone rouge, en tête du peloton. L’année dernière, une commission rogatoire belge a effectué sur les bords de la lagune Ebrié des investigations. Elle avait été précédée par plusieurs autres enquêtes. Les conclusions, selon le quotidien belge «Le Soir», sont déprimantes : la Côte d’Ivoire est devenue un sanctuaire dangereux de la cybercriminalité. Mais comment en est-on arrivé là ? Tout commence au début des années 2000 avec les jeunes d’un gigantesque pays de la Cedeao. Rompus au banditisme sur le net mais fermés dans leur communauté, ils ont réussi à garder le secret jusqu’à l’avènement de la crise de 2002. «Avant la guerre, on les voyait rouler carrosse mais on ne savait pas comment ils gagnaient leur argent. Finalement, on a su que c’était grâce à l’outil informatique qu’ils devenaient aussi riches rapidement », révèle Tré Blahou, un gérant de cybercafé. En fait, les effets pervers de cette crise poussent de nombreux jeunes gens à l’exil. Ils prennent le chemin de l’aventure dans l’espoir de se faire une place au soleil de l’occident. Mais, la moisson n’est pas toujours à la promesse des fleurs. Selon M. Ahuili, les immigrés, vivant généralement dans la clandestinité et parfois dans la promiscuité, cherchent par tous les moyens à faire bombance. Peu importe la manière. «Tous les chemins mènent à Rome», clame Roger M. un Ivoirien basé en Suisse. Nos chers immigrés commencent alors par les vols de voitures. Un jeune Ivoirien, Thomas Tiacoh, serait passé maître dans ce type d’opération. En 2008, la justice française a manqué de peu de l’arrêter dans une ruelle au Plateau. L’homme a un procédé tout simple. Il s’affuble du titre d’opérateur économique, prend les engins chez des concessionnaires, prétend pouvoir les vendre dans son pays d’origine puis, en fin de compte, disparaît dans la ville. L’opération tourne toujours à l’arnaque.
La solution
Mais cette pratique étant devenue inopérante parce que trop usuelle, les délinquants changent de stratégie. Ils s’orientent vers la toile. La possibilité des achats en ligne est considérée comme un don du ciel. Ils se lancent, pour ainsi dire, dans les vols de cartes de crédit et font des transactions à partir d’internet. On les appelle « les brouteurs». Face «au succès grandissant», le phénomène s’étend à toutes les communes et même à tout le pays, partout où il existe une connexion internet. Les jeunes gens ont entre 15 ans et 35 ans.
Si certains cherchent à avoir du cash, d’autres sont à la recherche de correspondants pouvant les faire voyager vers l’occident. Selon un adepte, «le broutage» se décline sous diverses formes mais la plus répandue est celle qui se fait avec la complicité des agents de transfert d’argent. L’escroc va sur des sites de rencontre, s’inscrit et se «travestit ». «On lui envoie une belle photo pour l’appâter», explique Magloire, un jeune homme qui a vécu l’expérience. Lorsque la relation s’établit, les «brouteurs» demandent à rencontrer le correspondant chez lui en Europe. Mais celui-ci doit aider à l’organisation du voyage vers l’Europe. Maintenant que l’amoureux a accepté de décaisser, rentrent en jeu les agences de transfert en vue de faciliter les formalités. Selon Didier Kla, président d’Internet Society, la destination Côte d’Ivoire n’est plus sûre. Il multiplie les actions de sensibilisation en direction des autorités ivoiriennes sur la cybercriminalité, expliquant que le phénomène cause d’énormes pertes à l’économie mondiale. Malheureusement, le chef de la cellule en charge de la lutte contre les crimes via l’Internet manque de moyens pour traquer les escrocs. L’équipe du commissaire Bléa est composée d’une dizaine d’éléments qui ne dispose ni de la logistique, ni de la formation pour accomplir la mission. En attendant, Sylvanus Kla, Directeur général de l’Atci (Agence des télécommunications de Côte d’Ivoire), définit les mesures urgentes. Aux fournisseurs d’accès Internet, propriétaires et gérants de cybercafés , M. Kla a tiré sur la sonnette d’alarme. Il révèle qu’une police scientifique est née pour traquer les fossoyeurs de l’Internet. Pour sa part, le procureur Hamed Diakité annonce que l’article 403 du code pénal sera renforcé par d’autres lois spécifiques à la cybercriminalité.
Lanciné Bakayoko
Le vide juridique profite aux criminels
L’image est du Directeur général de l’Atci, Sylvanus Kla. «Nous sommes le 19 décembre, les Ivoiriens attendent patiemment les salaires pour préparer la fête. Brusquement, c’est la panique. Des criminels viennent de lancer une attaque informatique sur le système du Trésor public et des grandes banques. Les données sur la paie sont effacées, le système est paralysé. Le site internet de la présidence, véritable vitrine pour le pays est piraté et son contenu remplacé par des photos osées. Le pays est sous le choc. Des experts sont mobilisés et retrouvent les criminels. Ceux-ci avaient également, entre autres forfaits, créé à distance et de façon frauduleuse, des comptes bancaires en leur nom, crédités frauduleusement de fortes sommes d’argents. Le procès s’ouvre et coup de théâtre, les accusées sont relâchées. Le juge explique qu’aucune loi ne lui permet de les condamner, le code pénal ne prévoit que la destruction de bien matériels ». Pour lui, le vide juridique préjudiciable aux citoyens honnêtes, fait la part belle aux bandits. A cet effet, il en appelle à la mise en place d’outils juridiques, administratifs et techniques. En attendant la validation du texte de loi en préparation, l’Atci a engagé une vaste opération de traçabilité dans l’utilisation des puces de téléphonie mobile. Ainsi depuis le 1er janvier 2009, tout acquéreur de puce est tenue de s’identifier. Cela permet de savoir qui fait quoi. Mais il faut le reconnaître, la lutte ne deviendra efficace que dans un cadre de coopération internationale car le cyberespace n’a pas de frontière. La Convention de Budapest trace déjà la voie car elle propose une organisation harmonisée de textes existants en la matière avec un mécanisme d’intervention.
L.B
Le 25 février 2009, la chaîne française M6 diffuse un reportage intitulé «Internet : les as de l`escroquerie». Des jeunes Ivoiriens, à visage découvert, expliquent leurs stratagèmes pour arnaquer. Les faussaires, par des courriers électroniques, entrent en contact avec des personnes installées à l’étranger, créent des histoires à dormir debout, telles que les gains à la loterie, les offres d’achats de biens, rien que pour se faire remettre des espèces sonnantes et trébuchantes. M. Jean Cournot, un expatrié suisse, qui voulait vendre un immeuble a ainsi été floué. L’individu qui prétendait vouloir acquérir l’édifice lui a soutiré de l’argent pour, disait-il, l’ouverture du compte bancaire devant accueillir les fonds. Dans le même mois de février, Fidèle Koffi Konan, 22 ans, Serges Gossé Koré, 21 ans, et Arnaud Djobo Kpagbi, 22 ans, se font passer pour le procureur de la République, Raymond Tchimou. Ils cherchent à soutirer de l’argent à un opérateur économique français établi à Dakar. Les quidams font parvenir à Jean Luc Albert Pierre Marioni, via internet, une correspondance baptisée: «La lettre du Tribunal».
Le procédé
La note adressée à l’homme d’affaires français porte les armoiries de la République et est signée du haut magistrat. Le courrier informe M. Marioni de ce qu’une certaine Camille Lurette lui lègue sa fortune. Mais, il dispose de quatre jours pour faire acheminer à l’autorité judiciaire, la somme d’environ 300.000 Fcfa destinée à la légalisation de l’acte de donation. Manque de pot pour les délinquants. M. Marioni connaît très bien le chef du parquet. Un peu agacé par les ridicules fautes dans la correspondance, l’opérateur économique alerte par fax Raymond Tchimou. Le magistrat tombe des nues et actionne aussitôt le commissaire Félix Bléa, chef de la cellule de lutte contre les infractions sur le net. Avec l’aide d’une journaliste française venue justement enquêter sur le phénomène de l’escroquerie sur Internet à partir d’Abidjan, l’officier parvient à mettre le grappin sur Fidèle Koffi Konan et Serges Gossé Koré, le troisième lascar ayant réussi à se fondre dans la nature. Les indélicats sont condamnés pour faux et usage de faux, tentative d’escroquerie. Il ne se passe plus une seule semaine sans que la police ne soit saisie de plaintes liées à la cyberescroquerie. Vous l’aurez compris ! Phénomène nouveau, la cybercriminalité est en pleine expansion en Côte d’Ivoire. Les experts la définissent comme l’ensemble des délits commis contre les systèmes d’informations et aussi l’ensemble des crimes commis en utilisant l’informatique et l’Internet. «La cybercriminalité se décline sous plusieurs formes : les crimes contre les systèmes d’information et les crimes commis par l’utilisation des systèmes d’informations », explique Corenthin Ahuili, expert en Nouvelle technologie de l’information et de la communication (Ntic). Selon lui, la Côte d’Ivoire est dans la zone rouge, en tête du peloton. L’année dernière, une commission rogatoire belge a effectué sur les bords de la lagune Ebrié des investigations. Elle avait été précédée par plusieurs autres enquêtes. Les conclusions, selon le quotidien belge «Le Soir», sont déprimantes : la Côte d’Ivoire est devenue un sanctuaire dangereux de la cybercriminalité. Mais comment en est-on arrivé là ? Tout commence au début des années 2000 avec les jeunes d’un gigantesque pays de la Cedeao. Rompus au banditisme sur le net mais fermés dans leur communauté, ils ont réussi à garder le secret jusqu’à l’avènement de la crise de 2002. «Avant la guerre, on les voyait rouler carrosse mais on ne savait pas comment ils gagnaient leur argent. Finalement, on a su que c’était grâce à l’outil informatique qu’ils devenaient aussi riches rapidement », révèle Tré Blahou, un gérant de cybercafé. En fait, les effets pervers de cette crise poussent de nombreux jeunes gens à l’exil. Ils prennent le chemin de l’aventure dans l’espoir de se faire une place au soleil de l’occident. Mais, la moisson n’est pas toujours à la promesse des fleurs. Selon M. Ahuili, les immigrés, vivant généralement dans la clandestinité et parfois dans la promiscuité, cherchent par tous les moyens à faire bombance. Peu importe la manière. «Tous les chemins mènent à Rome», clame Roger M. un Ivoirien basé en Suisse. Nos chers immigrés commencent alors par les vols de voitures. Un jeune Ivoirien, Thomas Tiacoh, serait passé maître dans ce type d’opération. En 2008, la justice française a manqué de peu de l’arrêter dans une ruelle au Plateau. L’homme a un procédé tout simple. Il s’affuble du titre d’opérateur économique, prend les engins chez des concessionnaires, prétend pouvoir les vendre dans son pays d’origine puis, en fin de compte, disparaît dans la ville. L’opération tourne toujours à l’arnaque.
La solution
Mais cette pratique étant devenue inopérante parce que trop usuelle, les délinquants changent de stratégie. Ils s’orientent vers la toile. La possibilité des achats en ligne est considérée comme un don du ciel. Ils se lancent, pour ainsi dire, dans les vols de cartes de crédit et font des transactions à partir d’internet. On les appelle « les brouteurs». Face «au succès grandissant», le phénomène s’étend à toutes les communes et même à tout le pays, partout où il existe une connexion internet. Les jeunes gens ont entre 15 ans et 35 ans.
Si certains cherchent à avoir du cash, d’autres sont à la recherche de correspondants pouvant les faire voyager vers l’occident. Selon un adepte, «le broutage» se décline sous diverses formes mais la plus répandue est celle qui se fait avec la complicité des agents de transfert d’argent. L’escroc va sur des sites de rencontre, s’inscrit et se «travestit ». «On lui envoie une belle photo pour l’appâter», explique Magloire, un jeune homme qui a vécu l’expérience. Lorsque la relation s’établit, les «brouteurs» demandent à rencontrer le correspondant chez lui en Europe. Mais celui-ci doit aider à l’organisation du voyage vers l’Europe. Maintenant que l’amoureux a accepté de décaisser, rentrent en jeu les agences de transfert en vue de faciliter les formalités. Selon Didier Kla, président d’Internet Society, la destination Côte d’Ivoire n’est plus sûre. Il multiplie les actions de sensibilisation en direction des autorités ivoiriennes sur la cybercriminalité, expliquant que le phénomène cause d’énormes pertes à l’économie mondiale. Malheureusement, le chef de la cellule en charge de la lutte contre les crimes via l’Internet manque de moyens pour traquer les escrocs. L’équipe du commissaire Bléa est composée d’une dizaine d’éléments qui ne dispose ni de la logistique, ni de la formation pour accomplir la mission. En attendant, Sylvanus Kla, Directeur général de l’Atci (Agence des télécommunications de Côte d’Ivoire), définit les mesures urgentes. Aux fournisseurs d’accès Internet, propriétaires et gérants de cybercafés , M. Kla a tiré sur la sonnette d’alarme. Il révèle qu’une police scientifique est née pour traquer les fossoyeurs de l’Internet. Pour sa part, le procureur Hamed Diakité annonce que l’article 403 du code pénal sera renforcé par d’autres lois spécifiques à la cybercriminalité.
Lanciné Bakayoko
Le vide juridique profite aux criminels
L’image est du Directeur général de l’Atci, Sylvanus Kla. «Nous sommes le 19 décembre, les Ivoiriens attendent patiemment les salaires pour préparer la fête. Brusquement, c’est la panique. Des criminels viennent de lancer une attaque informatique sur le système du Trésor public et des grandes banques. Les données sur la paie sont effacées, le système est paralysé. Le site internet de la présidence, véritable vitrine pour le pays est piraté et son contenu remplacé par des photos osées. Le pays est sous le choc. Des experts sont mobilisés et retrouvent les criminels. Ceux-ci avaient également, entre autres forfaits, créé à distance et de façon frauduleuse, des comptes bancaires en leur nom, crédités frauduleusement de fortes sommes d’argents. Le procès s’ouvre et coup de théâtre, les accusées sont relâchées. Le juge explique qu’aucune loi ne lui permet de les condamner, le code pénal ne prévoit que la destruction de bien matériels ». Pour lui, le vide juridique préjudiciable aux citoyens honnêtes, fait la part belle aux bandits. A cet effet, il en appelle à la mise en place d’outils juridiques, administratifs et techniques. En attendant la validation du texte de loi en préparation, l’Atci a engagé une vaste opération de traçabilité dans l’utilisation des puces de téléphonie mobile. Ainsi depuis le 1er janvier 2009, tout acquéreur de puce est tenue de s’identifier. Cela permet de savoir qui fait quoi. Mais il faut le reconnaître, la lutte ne deviendra efficace que dans un cadre de coopération internationale car le cyberespace n’a pas de frontière. La Convention de Budapest trace déjà la voie car elle propose une organisation harmonisée de textes existants en la matière avec un mécanisme d’intervention.
L.B