L’audience bat son plein. Le juge égrène la pile de dossiers déposés sur la table. La salle est bondée de monde. La chaleur étouffante laisse échapper de fortes odeurs dues à la transpiration. C’est dans cette ambiance que le président du tribunal appelle N’guetta Kouakou Julien, assis dans le box des accusés. Il se lève et se présente à la barre. C’est un jeune homme de 28 ans, cheveux crépus, vêtu d’un débardeur crasseux de couleur blanche et mesure environ 1,70 m. Il avance à grandes foulées. Son histoire : les flics le prennent, dans la nuit du 17 février, avec 100 grammes de cannabis destinés à la vente. Au fait, Julien est un habitué des fumoirs qui sont disséminés dans la ville. Il en consomme mais vend aussi l’herbe. Selon le ministère public, le prévenu maîtrise parfaitement les rouages du milieu des dealers car il avait déjà été condamné à 12 mois de prison en 2007 pour consommation de cannabis. Ainsi, Julien revient le 25 février à la barre du tribunal des flagrants délits du Plateau. Trois ans après, il est accusé de détention de cannabis en vue de la vente. Le mis en cause plaide non coupable. Il nie les faits. « Je n’ai rien fait. Les policiers m’ont pris sans rien trouver en ma possession. Je ne fume pas la drogue. Je ne vends pas non plus. Je vous jure M. le juge ; je n’ai rien fait », se défend-il.
Le prévenu nie les faits
Les murmures au fond de la salle finissent par agacer le juge. Il demande à l’un des trois policiers commis à l’audience d’imposer le silence. Une femme, visiblement une parente du prévenu, est sévèrement réprimandée par le magistrat à voix forte. Il la met en garde contre ses agissements visant à troubler l’ordre. « Si vous recommencez à murmurer, je vous prends. Vous passez en jugement pour outrage à magistrat. Cela est valable pour tout le monde », lance-t-il agacé. L’audience reprend là où elle a été interrompue avec le plaidoyer de l’accusé. Celui-ci n’a pas d’avocat pour assurer sa défense. Julien lève ses deux bras au ciel pour dire qu’il n’est pas fautif. Pour confondre le prévenu, le juge lui présente les 100 grammes de cannabis saisis. Ils sont mis sous scellés. Mais, l’inculpé campe sur sa position. Il nie toujours l’accusation. Alors le président du tribunal invite le parquet à faire son réquisitoire. Selon le substitut du procureur, le prévenu n’est pas un novice en la matière. « Il revient de prison. Mais son séjour carcéral ne l’a pas servi. Il s’est pleinement investi dans la vente de cannabis. C’est un réseau bien organisé dont la règle d’or consiste à donner sa langue au chat. La quantité de drogue saisie a bel et bien été trouvée en sa possession. Le rapport de l’officier de police judiciaire est clair. Donc, le délit de détention de cannabis en vue de la vente est bien établi. Nous requerrons donc qu’il soit retenu coupable et condamné à 5 ans fermes », communique le parquet. Le juge entérine la décision assortie de 500.000 francs d’amende. Escorté par un policier armé, Julien sort de la salle des flagrants délits les mains menottées. Tous deux, ils empruntent le couloir qui mène au violon du parquet où le cargo stationné attend ses passagers pour la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca).
Le film de l’évasion
Il est 15 h 45, ce jeudi 25 février. Coup de théâtre ! Julien qui vient d’être condamné, prend une autre direction et file à l’anglaise vers la sortie Est du palais de justice. C’est le branle-bas. La foule amassée sur l’estrade se disperse au coup de pistolet tiré en l’air en guise de sommation. Ces faits nous invitent à voir une évasion spectaculaire. Le prisonnier, ayant pris de vitesse son garde du corps, sans coup férir les guérites où d’ordinaire sont postés des policiers de faction, bizarrement, absents ce jour-là. Ces deux entrées sont surveillées habituellement par des flics, appelés à contrôler et à filtrer les mouvements de personnes. Julien franchit l’espace sans obstacle sous la clameur de vendeuses d’eau. Le détenu fonce comme un beau diable dans le jardin public d’en face après avoir sauté la clôture. Il se dirige tout droit dans le ravin et à toutes jambes la pente située non loin du Stade Félix Houphouët Boigny. Entre-temps, le flic qui le suit tire encore deux coups de sommation. Peine perdue, le détenu n’est pas inquiet. Il traverse comme un éclair le boulevard lagunaire où les véhicules roulent aussi à vive allure. A son passage au bas de la pente, un passant, tente de freiner sa course. Julien le repousse à bras raccourcis et les menottes cèdent. Libéré, le prisonnier plonge dans la lagune. Et s’en va à la nage au grand dam du policier sidéré. Il regarde le détenu partir. Un jeune homme essaie de prendre Julien en chasse. Celui-ci abandonne bien vite la course car « le maître nageur » était déjà loin. Julien tente de rallier la rive, du côté du Bnetd (Bureau national d’études et de développement) mais la distance le décourage. Ayant pris un nouveau souffle il s’oriente du côté latéral de la lagune en direction du «Café de Rome ». Ce changement n’est pas fortuit.
Julien, un sacré veinard !
Sa planche de salut est un bidon jaune qui flottait par-là. Il s’y agrippe et couvre sa fuite, sous le regard médusé de son garde du corps soutenu par un détachement de compagnie républicaine de sécurité (Crs1) et des agents de la police judiciaire (PJ) venus eux-aussi en renfort. Tout ce beau monde boucle le périmètre allant du « Café de Rome » jusqu’à la Corniche pour remonter vers la Polyclinique Sainte Anne-Marie (Pisam). Julien continue sa nage et avance avec son bidon qui le propulse. L’étang de boue et la broussaille qui environnent le « Café de Rome » lui servent d’abri. Il abandonne alors le bidon pour patauger dans la boue. Nous décidons alors de voir encore de plus près. Nous allons au contact en descendant la pente. Julien se faufile entre les herbes et se réfugie au milieu de la broussaille. Les éléments de la PJ qui quadrillent le coin sont aux aguets. Mais, Julien ne pointe pas le bout de son nez. Pour combien de temps va-t-il rester dans sa cachette ? Peut-il déjouer le plan mis en place par la police ? « Pas si sûr. Je pense qu’il a intérêt à se rendre d’ici la tombée de la nuit. Il est épuisé et la faim aura raison de lui. S’il se hasarde à sortir la nuit, il n’y a rien à faire, ils vont l’abattre comme un chien », se persuade Gadio Fabrice, venu suivre comme la centaine de personnes la spectaculaire évasion de Julien. Selon lui, le prisonnier est un sacré veinard : il a fort risqué sa vie en traversant le boulevard lagunaire. Jusqu’à ce que nous quittions les lieux à 18 h, le prisonnier se trouvait encore dans la lagune. En tout cas, l’échappée de Julien remet en cause tout le système de sécurité au palais de Justice.
Un reportage réalisé par Ouattara Moussa
Un signe !
L’évasion de Julien et le manque de promptitude des agents de police à réagir mettent à nu l’inefficacité de tout le système de sécurité autour du palais de justice du Plateau. Un détenu, menottes aux poignets s’échappe au nez et à la barbe des gardes pénitenciers (Quatre, ndlr). En effet, comment comprendre qu’un prisonnier a pu détaler sans être rattrapé ou traqué dans le périmètre du parquet ? Cette question mérite une réponse. Les policiers commis à la surveillance au palais de justice n’ont eu que leurs yeux pour regarder impuissants, Julien filer comme une étoile filante. Et la lenteur des unités d’intervention pour freiner la course de l’évadé laisse à désirer. Ne pouvait-on pas alerter la marine nationale ou l’armée de l’air afin de coincer le bagnard. Le fait le plus déconcertant, c’est le manque de moyens d’intervention. Tout cela démontre qu’il reste encore beaucoup de failles dans le système de sécurité de la police. Ailleurs, on aurait mobilisé en peu de temps les gros moyens aériens et maritimes pour faire échec à cette évasion vu le temps qu’il a mis à tergiverser sous le regard des uns et des autres. Ce qui s’est passé jeudi au palais de justice du Plateau montre bien les limites de la police. C’est bien dommage !
Ouattara Moussa
Le prévenu nie les faits
Les murmures au fond de la salle finissent par agacer le juge. Il demande à l’un des trois policiers commis à l’audience d’imposer le silence. Une femme, visiblement une parente du prévenu, est sévèrement réprimandée par le magistrat à voix forte. Il la met en garde contre ses agissements visant à troubler l’ordre. « Si vous recommencez à murmurer, je vous prends. Vous passez en jugement pour outrage à magistrat. Cela est valable pour tout le monde », lance-t-il agacé. L’audience reprend là où elle a été interrompue avec le plaidoyer de l’accusé. Celui-ci n’a pas d’avocat pour assurer sa défense. Julien lève ses deux bras au ciel pour dire qu’il n’est pas fautif. Pour confondre le prévenu, le juge lui présente les 100 grammes de cannabis saisis. Ils sont mis sous scellés. Mais, l’inculpé campe sur sa position. Il nie toujours l’accusation. Alors le président du tribunal invite le parquet à faire son réquisitoire. Selon le substitut du procureur, le prévenu n’est pas un novice en la matière. « Il revient de prison. Mais son séjour carcéral ne l’a pas servi. Il s’est pleinement investi dans la vente de cannabis. C’est un réseau bien organisé dont la règle d’or consiste à donner sa langue au chat. La quantité de drogue saisie a bel et bien été trouvée en sa possession. Le rapport de l’officier de police judiciaire est clair. Donc, le délit de détention de cannabis en vue de la vente est bien établi. Nous requerrons donc qu’il soit retenu coupable et condamné à 5 ans fermes », communique le parquet. Le juge entérine la décision assortie de 500.000 francs d’amende. Escorté par un policier armé, Julien sort de la salle des flagrants délits les mains menottées. Tous deux, ils empruntent le couloir qui mène au violon du parquet où le cargo stationné attend ses passagers pour la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca).
Le film de l’évasion
Il est 15 h 45, ce jeudi 25 février. Coup de théâtre ! Julien qui vient d’être condamné, prend une autre direction et file à l’anglaise vers la sortie Est du palais de justice. C’est le branle-bas. La foule amassée sur l’estrade se disperse au coup de pistolet tiré en l’air en guise de sommation. Ces faits nous invitent à voir une évasion spectaculaire. Le prisonnier, ayant pris de vitesse son garde du corps, sans coup férir les guérites où d’ordinaire sont postés des policiers de faction, bizarrement, absents ce jour-là. Ces deux entrées sont surveillées habituellement par des flics, appelés à contrôler et à filtrer les mouvements de personnes. Julien franchit l’espace sans obstacle sous la clameur de vendeuses d’eau. Le détenu fonce comme un beau diable dans le jardin public d’en face après avoir sauté la clôture. Il se dirige tout droit dans le ravin et à toutes jambes la pente située non loin du Stade Félix Houphouët Boigny. Entre-temps, le flic qui le suit tire encore deux coups de sommation. Peine perdue, le détenu n’est pas inquiet. Il traverse comme un éclair le boulevard lagunaire où les véhicules roulent aussi à vive allure. A son passage au bas de la pente, un passant, tente de freiner sa course. Julien le repousse à bras raccourcis et les menottes cèdent. Libéré, le prisonnier plonge dans la lagune. Et s’en va à la nage au grand dam du policier sidéré. Il regarde le détenu partir. Un jeune homme essaie de prendre Julien en chasse. Celui-ci abandonne bien vite la course car « le maître nageur » était déjà loin. Julien tente de rallier la rive, du côté du Bnetd (Bureau national d’études et de développement) mais la distance le décourage. Ayant pris un nouveau souffle il s’oriente du côté latéral de la lagune en direction du «Café de Rome ». Ce changement n’est pas fortuit.
Julien, un sacré veinard !
Sa planche de salut est un bidon jaune qui flottait par-là. Il s’y agrippe et couvre sa fuite, sous le regard médusé de son garde du corps soutenu par un détachement de compagnie républicaine de sécurité (Crs1) et des agents de la police judiciaire (PJ) venus eux-aussi en renfort. Tout ce beau monde boucle le périmètre allant du « Café de Rome » jusqu’à la Corniche pour remonter vers la Polyclinique Sainte Anne-Marie (Pisam). Julien continue sa nage et avance avec son bidon qui le propulse. L’étang de boue et la broussaille qui environnent le « Café de Rome » lui servent d’abri. Il abandonne alors le bidon pour patauger dans la boue. Nous décidons alors de voir encore de plus près. Nous allons au contact en descendant la pente. Julien se faufile entre les herbes et se réfugie au milieu de la broussaille. Les éléments de la PJ qui quadrillent le coin sont aux aguets. Mais, Julien ne pointe pas le bout de son nez. Pour combien de temps va-t-il rester dans sa cachette ? Peut-il déjouer le plan mis en place par la police ? « Pas si sûr. Je pense qu’il a intérêt à se rendre d’ici la tombée de la nuit. Il est épuisé et la faim aura raison de lui. S’il se hasarde à sortir la nuit, il n’y a rien à faire, ils vont l’abattre comme un chien », se persuade Gadio Fabrice, venu suivre comme la centaine de personnes la spectaculaire évasion de Julien. Selon lui, le prisonnier est un sacré veinard : il a fort risqué sa vie en traversant le boulevard lagunaire. Jusqu’à ce que nous quittions les lieux à 18 h, le prisonnier se trouvait encore dans la lagune. En tout cas, l’échappée de Julien remet en cause tout le système de sécurité au palais de Justice.
Un reportage réalisé par Ouattara Moussa
Un signe !
L’évasion de Julien et le manque de promptitude des agents de police à réagir mettent à nu l’inefficacité de tout le système de sécurité autour du palais de justice du Plateau. Un détenu, menottes aux poignets s’échappe au nez et à la barbe des gardes pénitenciers (Quatre, ndlr). En effet, comment comprendre qu’un prisonnier a pu détaler sans être rattrapé ou traqué dans le périmètre du parquet ? Cette question mérite une réponse. Les policiers commis à la surveillance au palais de justice n’ont eu que leurs yeux pour regarder impuissants, Julien filer comme une étoile filante. Et la lenteur des unités d’intervention pour freiner la course de l’évadé laisse à désirer. Ne pouvait-on pas alerter la marine nationale ou l’armée de l’air afin de coincer le bagnard. Le fait le plus déconcertant, c’est le manque de moyens d’intervention. Tout cela démontre qu’il reste encore beaucoup de failles dans le système de sécurité de la police. Ailleurs, on aurait mobilisé en peu de temps les gros moyens aériens et maritimes pour faire échec à cette évasion vu le temps qu’il a mis à tergiverser sous le regard des uns et des autres. Ce qui s’est passé jeudi au palais de justice du Plateau montre bien les limites de la police. C’est bien dommage !
Ouattara Moussa