Grand prix littéraire d’Afrique noire, prix Renaudot et prix Georges Brassens reçu fin septembre 2010, Alain Mabanckou est un écrivain qui a du succès en ce moment. Arrivé en France à l’âge de 21ans pour faire des études de Droit, il s’est mis à écrire des poésies, des nouvelles, jusqu’à publier son premier roman en 1998. Dans cet entretien, il nous parle de son nouveau livre, de ses projets et de la crise en Côte d’Ivoire.
Dans vos livres, notamment dans le dernier «Demain, j’aurai vingt ans», on perçoit une omniprésence de l’Afrique…Pourquoi ce choix ?
Parce que l’Afrique a toujours été mon obsession. Quand j’écris, je pense à l’Afrique et tous mes textes ont toujours une référence africaine. Je suis quelqu’un qui n’oublie pas ses origines. Le pire chez les Africains, c’est d’oublier leur origine. Moi je suis Africain et je veux que cela se sente dans mes livres.
Vos livres font beaucoup référence au thème de l’enfance, à l’instar du dernier. Est-ce une marque de fabrique chez vous ?
Tout écrivain revient en général sur son enfance, même s’il le fait sous une forme imaginaire. J’ai lu beaucoup d’écrivains qui ont écrit sur l’enfance tels Ahmadou Kourouma, Camara Laye, Emmanuel Dongala… C’est une vision de l’Afrique qu’ils expriment. Mais chez Camara Laye ou Kourouma, cette enfance n’était pas les leurs. Ils faisaient un acte militant. De mon côté, il s’agit d’une autobiographie, c’est-à-dire ce que j’ai vécu dans les années 70-80. J’ai simplement mis une photographie de ma propre existence à cette époque. Il y a une parenté entre mon livre et celui de Camara Laye, à la seule différence que, dans le livre de Laye, il parle de ses traditions, de ses coutumes en Guinée. Dans mon roman «Demain j’aurai vingt ans», je parle du monde, de l’actualité internationale dans les années 70-80, des dictatures qui nous frappaient. Je suis dans la lignée de ces écrivains, mais je me suis, un tout petit peu, éloigné parce qu’il y a d’autres problèmes qui me préoccupent, notamment la rencontre de l’Afrique avec le reste du monde.
Comment l’étudiant en Droit s’est-il retrouvé prof de littérature aux Usa ?
En fait, je n’étais pas destiné à être prof. Ce qui est intéressant aux Usa, c’est l’ouverture quand à leur programme, quant à leur façon de percevoir l’enseignement. En France, j’ai fait un 3ème cycle de Droit. Comme j’écrivais beaucoup et que mes livres étaient traduits aux Usa, finalement, j’ai reçu une invitation à aller faire une conférence. Ensuite, on m’a demandé de rester une semaine pour faire un cours. Enfin, on m’a proposé un poste de prof de littérature. C’est à la fois une chance, mais c’est aussi une tradition américaine.
Pensez-vous revenir vous installer en France et développer des projets ?
Ce qui m’intéresse, c’est de faire un vrai projet au Congo-Brazzaville. La France n’a pas besoin de moi pour faire un projet. Mais le Congo oui. Je souhaite que les Congolais puissent bénéficier de mon travail à l’international. J’ai deux inquiétudes. Que la littérature disparaisse
fa?ci?lement au Congo-Brazza qui a formé de grands écrivains ; Tchicaya U Tam’si, Sony Labou Tansi, Henri Lopez…Et deuxièmement, je suis choqué qu’au Congo-Brazza, les salles de cinéma deviennent des églises. Dieu n’a pas besoin de tuer le cinéma pour exister. Le cinéma a aussi parfois fait aimer Dieu. Mon projet sur le plan culturel est de réinventer un système de cinéma même s’il est petit. C’est pour cela que je suis en train de finir mon premier film qui sortira l’année prochaine en France et tiré de mon roman Black bazar. Avec ce film, je pourrai amorcer un grand projet de restauration au moins d’une grande salle de cinéma avec les appuis culturels de la France et des Etats-Unis.
Parlant de l’Afrique, quel est votre avis sur les crises à répétition qui jalonnent son existence ?
J’ai très mal. Le bilan de notre continent est catastrophique. Rien que des années 90 à 2000, on y a connu les pires exactions. On a eu des guerres civiles, ethniques par-ci, par-là. Des pays calmes comme la Côte d’Ivoire…un pays où nous les Congolais venions nous refugier... Le Rwanda en 1994 avec le génocide, le Libéria avec des colonies d’enfants-soldats… C’est quand même un bilan catastrophique qui devrait faire peur à tout le monde. Mais nous restons persuadés qu’il y a encore des choses à faire, de la pédagogie à faire. J’ai envie de dire à mes frères du Rwanda, Hutus et Tutsis, entendez-vous, dire à mes frères de Côte d’Ivoire que vous avez un beau pays (j’ai vécu un mois à Yopougon), vous avez été l’exemple de l’Afrique, restez ce berceau de la paix. Soyez humbles ! Considérez vos frères comme des Ivoiriens, d’où qu’ils viennent. Je dirai la même chose aux Congolais, les guerres civiles entre les Pascal Lissouba, les Sassou N’Guesso, il faut cesser tout cela. L’ethnie ne peut rien exprimer, il faut se réunir par la couleur politique et non la couleur ethnique. Je voudrais qu’en Côte d’Ivoire, ceux du Nord et du Sud se réunissent parce qu’ils aiment tel parti et que dans un parti on retrouve toutes les congrégations. On va dire que je rêve, mais bien sûr, tout commence par le rêve.
Les écrivains africains peuvent-ils contribuer à l’évolution du continent s’ils restent en dehors de la sphère politique ?
Le problème est qu’un écrivain, un artiste est quelqu’un qui travaille pour le collectif, au nom de tous les pays. C’est-à-dire qu’en tant que Congolais, je suis responsable de l’image de tous les Congolais du Nord, du Sud, de l’Est, de l’Ouest. Quand les Français me demandent si je suis Congolais, ils n’indiquent pas si je suis du sud ou du nord. Donc, un écrivain doit être au-dessus de la mêlée.
Quel est votre regard sur la crise ivoirienne ?
Quand je venais en Côte d’Ivoire, je vivais chez Jean-Marie Adiaffi, Kourouma aussi m’a reçu. Je connais Véronique Tadjo, Tanella Boni et Maurice Bandama, grand prix littéraire d’Afrique noire que j’aime très bien. Les crises successives en Côte d’Ivoire sont dues à plusieurs incompréhensions et aussi à l’ingérence de la communauté internationale dans les affaires ivoiriennes. On ne laisse jamais les Ivoiriens régler leurs problèmes entre eux ou les régler avec les Africains. Il ne faut pas aussi qu’on rentre dans le jeu de la définition de l’identité ivoirienne. Vous êtes le carrefour de l’Afrique : c’est-à-dire que la Côte d’Ivoire est comme les Etats Unis en plein cœur d’Afrique. Les gens viennent de partout parce que c’est une terre d’accueil, c’est une terre hospitalière avec un riche patrimoine culturel. Alors, il faut considérer qu’est Ivoirien, celui qui respire l’air de la Côte d’Ivoire, celui qui est capable de dire «je peux mourir pour la Côte d’Ivoire ». Et celui qui peut mourir pour la Côte d’Ivoire, on s’en fout s’il a des origines burkinabè, on s’en fout s’il a des origines congolaises. Mais c’est celui qui aide les Ivoiriens, celui qui défend les Ivoiriens qu’il faut. On ne gouverne pas un pays par la démagogie. Donc, considérer un Ivoirien comme frère c’est déjà le début de quelque chose. Il faut refuser le jeu pervers de la communauté internationale.
Quel politicien ivoirien appréciez-vous ?
Ce que j’applaudis chez Laurent Gbagbo, c’est sa façon de refuser d’être aux ordres de la France. Ce que j’admire aussi chez Alassane Ouattara, c’est ce qu’il a fait pour la Côte d’Ivoire. Il a été un fonctionnaire de la Côte d’Ivoire dévoué pour ce pays. C’est tout cela qui forme la Côte d’Ivoire. Quand je vois les deux en photo, pour moi ce sont des Ivoiriens. Peut importe qu’on dise que tel ou tel vient d’ici ou d’ailleurs. Ç’a toujours existé. Prenez l’exemple chez nous, on a eu des Premiers ministres qui étaient métissés, comme Henri Lopès. S’il veut être président, s’il le fait dans l’intérêt de la France, c’est au peuple de voter.
Vous ne quittez jamais votre chapeau borsalino ?
(Rires…). J’ai toujours un faible pour les chapeaux. Les musiciens que j’aime, les John Lee Hooker aiment porter des chapeaux. A l’époque, les Black Panthers ont porté des chapeaux. Ça me donne cette impression d’être solitaire et de me protéger contre le ciel si un jour il arrive à tomber (rires….).
Karim Wally, correspondant permanent à Paris
Dans vos livres, notamment dans le dernier «Demain, j’aurai vingt ans», on perçoit une omniprésence de l’Afrique…Pourquoi ce choix ?
Parce que l’Afrique a toujours été mon obsession. Quand j’écris, je pense à l’Afrique et tous mes textes ont toujours une référence africaine. Je suis quelqu’un qui n’oublie pas ses origines. Le pire chez les Africains, c’est d’oublier leur origine. Moi je suis Africain et je veux que cela se sente dans mes livres.
Vos livres font beaucoup référence au thème de l’enfance, à l’instar du dernier. Est-ce une marque de fabrique chez vous ?
Tout écrivain revient en général sur son enfance, même s’il le fait sous une forme imaginaire. J’ai lu beaucoup d’écrivains qui ont écrit sur l’enfance tels Ahmadou Kourouma, Camara Laye, Emmanuel Dongala… C’est une vision de l’Afrique qu’ils expriment. Mais chez Camara Laye ou Kourouma, cette enfance n’était pas les leurs. Ils faisaient un acte militant. De mon côté, il s’agit d’une autobiographie, c’est-à-dire ce que j’ai vécu dans les années 70-80. J’ai simplement mis une photographie de ma propre existence à cette époque. Il y a une parenté entre mon livre et celui de Camara Laye, à la seule différence que, dans le livre de Laye, il parle de ses traditions, de ses coutumes en Guinée. Dans mon roman «Demain j’aurai vingt ans», je parle du monde, de l’actualité internationale dans les années 70-80, des dictatures qui nous frappaient. Je suis dans la lignée de ces écrivains, mais je me suis, un tout petit peu, éloigné parce qu’il y a d’autres problèmes qui me préoccupent, notamment la rencontre de l’Afrique avec le reste du monde.
Comment l’étudiant en Droit s’est-il retrouvé prof de littérature aux Usa ?
En fait, je n’étais pas destiné à être prof. Ce qui est intéressant aux Usa, c’est l’ouverture quand à leur programme, quant à leur façon de percevoir l’enseignement. En France, j’ai fait un 3ème cycle de Droit. Comme j’écrivais beaucoup et que mes livres étaient traduits aux Usa, finalement, j’ai reçu une invitation à aller faire une conférence. Ensuite, on m’a demandé de rester une semaine pour faire un cours. Enfin, on m’a proposé un poste de prof de littérature. C’est à la fois une chance, mais c’est aussi une tradition américaine.
Pensez-vous revenir vous installer en France et développer des projets ?
Ce qui m’intéresse, c’est de faire un vrai projet au Congo-Brazzaville. La France n’a pas besoin de moi pour faire un projet. Mais le Congo oui. Je souhaite que les Congolais puissent bénéficier de mon travail à l’international. J’ai deux inquiétudes. Que la littérature disparaisse
fa?ci?lement au Congo-Brazza qui a formé de grands écrivains ; Tchicaya U Tam’si, Sony Labou Tansi, Henri Lopez…Et deuxièmement, je suis choqué qu’au Congo-Brazza, les salles de cinéma deviennent des églises. Dieu n’a pas besoin de tuer le cinéma pour exister. Le cinéma a aussi parfois fait aimer Dieu. Mon projet sur le plan culturel est de réinventer un système de cinéma même s’il est petit. C’est pour cela que je suis en train de finir mon premier film qui sortira l’année prochaine en France et tiré de mon roman Black bazar. Avec ce film, je pourrai amorcer un grand projet de restauration au moins d’une grande salle de cinéma avec les appuis culturels de la France et des Etats-Unis.
Parlant de l’Afrique, quel est votre avis sur les crises à répétition qui jalonnent son existence ?
J’ai très mal. Le bilan de notre continent est catastrophique. Rien que des années 90 à 2000, on y a connu les pires exactions. On a eu des guerres civiles, ethniques par-ci, par-là. Des pays calmes comme la Côte d’Ivoire…un pays où nous les Congolais venions nous refugier... Le Rwanda en 1994 avec le génocide, le Libéria avec des colonies d’enfants-soldats… C’est quand même un bilan catastrophique qui devrait faire peur à tout le monde. Mais nous restons persuadés qu’il y a encore des choses à faire, de la pédagogie à faire. J’ai envie de dire à mes frères du Rwanda, Hutus et Tutsis, entendez-vous, dire à mes frères de Côte d’Ivoire que vous avez un beau pays (j’ai vécu un mois à Yopougon), vous avez été l’exemple de l’Afrique, restez ce berceau de la paix. Soyez humbles ! Considérez vos frères comme des Ivoiriens, d’où qu’ils viennent. Je dirai la même chose aux Congolais, les guerres civiles entre les Pascal Lissouba, les Sassou N’Guesso, il faut cesser tout cela. L’ethnie ne peut rien exprimer, il faut se réunir par la couleur politique et non la couleur ethnique. Je voudrais qu’en Côte d’Ivoire, ceux du Nord et du Sud se réunissent parce qu’ils aiment tel parti et que dans un parti on retrouve toutes les congrégations. On va dire que je rêve, mais bien sûr, tout commence par le rêve.
Les écrivains africains peuvent-ils contribuer à l’évolution du continent s’ils restent en dehors de la sphère politique ?
Le problème est qu’un écrivain, un artiste est quelqu’un qui travaille pour le collectif, au nom de tous les pays. C’est-à-dire qu’en tant que Congolais, je suis responsable de l’image de tous les Congolais du Nord, du Sud, de l’Est, de l’Ouest. Quand les Français me demandent si je suis Congolais, ils n’indiquent pas si je suis du sud ou du nord. Donc, un écrivain doit être au-dessus de la mêlée.
Quel est votre regard sur la crise ivoirienne ?
Quand je venais en Côte d’Ivoire, je vivais chez Jean-Marie Adiaffi, Kourouma aussi m’a reçu. Je connais Véronique Tadjo, Tanella Boni et Maurice Bandama, grand prix littéraire d’Afrique noire que j’aime très bien. Les crises successives en Côte d’Ivoire sont dues à plusieurs incompréhensions et aussi à l’ingérence de la communauté internationale dans les affaires ivoiriennes. On ne laisse jamais les Ivoiriens régler leurs problèmes entre eux ou les régler avec les Africains. Il ne faut pas aussi qu’on rentre dans le jeu de la définition de l’identité ivoirienne. Vous êtes le carrefour de l’Afrique : c’est-à-dire que la Côte d’Ivoire est comme les Etats Unis en plein cœur d’Afrique. Les gens viennent de partout parce que c’est une terre d’accueil, c’est une terre hospitalière avec un riche patrimoine culturel. Alors, il faut considérer qu’est Ivoirien, celui qui respire l’air de la Côte d’Ivoire, celui qui est capable de dire «je peux mourir pour la Côte d’Ivoire ». Et celui qui peut mourir pour la Côte d’Ivoire, on s’en fout s’il a des origines burkinabè, on s’en fout s’il a des origines congolaises. Mais c’est celui qui aide les Ivoiriens, celui qui défend les Ivoiriens qu’il faut. On ne gouverne pas un pays par la démagogie. Donc, considérer un Ivoirien comme frère c’est déjà le début de quelque chose. Il faut refuser le jeu pervers de la communauté internationale.
Quel politicien ivoirien appréciez-vous ?
Ce que j’applaudis chez Laurent Gbagbo, c’est sa façon de refuser d’être aux ordres de la France. Ce que j’admire aussi chez Alassane Ouattara, c’est ce qu’il a fait pour la Côte d’Ivoire. Il a été un fonctionnaire de la Côte d’Ivoire dévoué pour ce pays. C’est tout cela qui forme la Côte d’Ivoire. Quand je vois les deux en photo, pour moi ce sont des Ivoiriens. Peut importe qu’on dise que tel ou tel vient d’ici ou d’ailleurs. Ç’a toujours existé. Prenez l’exemple chez nous, on a eu des Premiers ministres qui étaient métissés, comme Henri Lopès. S’il veut être président, s’il le fait dans l’intérêt de la France, c’est au peuple de voter.
Vous ne quittez jamais votre chapeau borsalino ?
(Rires…). J’ai toujours un faible pour les chapeaux. Les musiciens que j’aime, les John Lee Hooker aiment porter des chapeaux. A l’époque, les Black Panthers ont porté des chapeaux. Ça me donne cette impression d’être solitaire et de me protéger contre le ciel si un jour il arrive à tomber (rires….).
Karim Wally, correspondant permanent à Paris