A l’issue de sa visite dans la région des Savanes, une visite marquant la clôture de ses tournées à l’intérieur du pays, le Dr Alassane Dramane Ouattara a échangé avec les journalistes présents à Korhogo. Sans faux-fuyant, le candidat du RDR à l’élection présidentielle du 31 octobre prochain a répondu, avec sérénité, à toutes les questions des hommes des médias.
Propos liminaire
Chers frères, chers amis journalistes, merci d’être là. Nous avions pris l’habitude de nous voir à la fin de chaque tournée, pour échanger. Je suis heureux que nous ayons, à nouveau, l’opportunité d’échanger. D’autant plus que nous sommes à la fin des tournées de la précampagne. Certains d’entre vous ont été avec nous dès le début. C’était en juin 2009 dans le Bas-Sassandra. Cela fait donc 16 mois que nous tournons. Nous venons donc de boucler la boucle. Nous avons visité les 19 régions de la Côte d’Ivoire, les 71 départements et les quelques 400 sous-préfectures. Egalement, nous avons sillonné de nombreux villages. Je vais maintenant prendre quelques jours de réflexion, avant la grande campagne qui commence le 14 octobre à partir de 00 h 01 mn. A partir du 15 octobre donc, nous avons la campagne qui doit se poursuivre jusqu’au soir du 29 octobre. Ensuite, ce sera le premier tour de l’élection présidentielle, le 31 octobre. Nous souhaitons tous que ce soit des élections apaisées. Et que tout se déroule normalement. Qu’il n’y ait pas de contestation inutile ou abusive, qui puisse retarder le scrutin. Parce que nous avons tous maintenant besoin, comme nous l’avons dit au niveau des trois candidats membres du CPC (Cadre permanent de concertation), d’un président légitime pour la Côte d’Ivoire. C’est donc une bonne chose que ces élections aient lieu le 31 octobre. Moi, je m’en réjouis personnellement. Voilà ! Je suis donc à votre disposition.
Questions – réponses
Question : Président, y a-t-il des raisons particulières pour que vous boucliez la boucle à Korhogo ? Ensuite, vous avez dit qu’il est souhaitable qu’il n’ y ait pas des contestations inutiles. A votre avis, qu’est-ce qui pourrait provoquer de telles contestations et que faut-il faire pour les éviter ?
Alassane Dramane Ouattara : Boucler la boucle à Korhogo est le fait du Directeur national de campagne, Amadou Gon Coulibaly. Vous savez, moi je suis très discipliné. Il m’a fait un programme de campagne que je respecte. Peut-être parce que lui et Marcel Amon Tanoh étant les deux grands responsables de ma campagne, ils ont souhaité que leurs régions se fassent en dernières positions. C’est pour cela qu’après le Sud-Comoé la semaine dernière, nous sommes venus boucler avec la région des Savanes. Quand j’ai dit que je souhaite qu’il n’ y ait pas de contestations inutiles, c’est un peu à cause de l’expérience des élections en Afrique. Où après les élections, quelque soit le gagnant, les perdants contestent. Souvent, c’est même le gagnant qui conteste. Pour ma part, je souhaite qu’après tout ce travail laborieux qui a duré des années et des mois, que nous n’ayons pas cette expérience en Côte d’Ivoire. D’abord, parce que la Côte d’Ivoire a déjà eu l’expérience des élections durant le monopartisme, puisqu’il y avait la pluralité des candidatures. Il y a eu aussi des élections législatives, municipales et celles des Conseils généraux. Nous avons maintenant une liste électorale qui est consensuelle. Par conséquent, si les choses se passent bien et que les électeurs arrivent à voter dans la tranquillité et dans la paix et que les commissions font leur travail comme on s’y attend, je pense que les contestations ne devraient pas s’étendre sur des jours ou des mois comme on l’a vu ailleurs. Il faut que nous puissions sortir très rapidement de cette élection avec un président démocratiquement élu et reconnu par ses adversaires comme ayant été le vainqueur. Et qu’ensemble, on remette la Côte d’Ivoire au travail.
Question : Une année et demie de tournée, cela fait beaucoup. Et vous avez vu beaucoup de choses. Mais quelle est l’étape qui vous a le plus marqué ? Secundo, on a l’impression qu’Abidjan n’a pas été concernée par la précampagne, en dehors de quelques sorties. Qu’est-ce qui explique cela ?
ADO : Merci. Pour la première question, il faut dire que j’ai été impressionné à toutes les étapes. Essayer donc de singulariser là où j’ai été le plus frappé, c’est difficile. Korhogo, c’était bien sûr l’apothéose. Vous avez tous été témoin, au niveau de la ferveur, de la chaleur, de l’accueil, de la mobilisation, aussi bien à l’entrée de la ville qu’au meeting. Cela a été ainsi aussi bien dans toutes les villes, que dans les sous-préfectures de la région. Quand l’avion nous a amenés le mercredi (6 octobre, ndrl), nous sommes allés en hélicoptère à Kolia, à Gbon, à Kouto, à Kasséré, à Tengrela, à Kanakono, avant de terminer à Boundiali. Nous avons fait sept meetings de la journée du 6 au 7 octobre. Et partout, je me suis dit que les informations que nous avions, montrent bien que les gens veulent des élections. C’est pour cela qu’ils sont impatients. Ils veulent exprimer leurs sentiments dans les urnes. Maintenant, au niveau de ce que j’ai vu, j’ai été frappé par la très grande pauvreté dans le Nord-Est, surtout dans le département de Bouna. J’ai fait Bouna, Doropo et Téhini. Et honnêtement, je crois que c’était désolant. J’ai été très ému et très triste de voir l’état de délabrement de la Côte d’Ivoire. Dans cette région et comme partout en Côte d’Ivoire, la pauvreté, a atteint un niveau inacceptable. Quand nous sommes allés d’Abengourou à Bettié, en passant par Zaranou et dans les régions comme Toulepleu, au-delà des routes, ce sont toutes les infrastructures, écoles, centre de santé et autres, qui sont en ruine. On dirait que la Côte d’Ivoire est un pays qui est vieux de 100 ans. C’est-à-dire que rien n’a été entretenu durant ces dernières années. Depuis 10 ou 15 ans, on a l’impression que tout est resté à l’abandon. Cela m’a beaucoup frappé. Parce que moi, j’ai beaucoup sillonné le pays quand j’étais plus jeune. Chaque fois que je revenais des Etats-Unis, je faisais un peu le tour du pays avec mes oncles qui étaient transporteurs. Et comme je l’ai dit, j’avais le souvenir d’un pays où tout semblait beau. Mais là aujourd’hui, il y a vraiment une dégradation. Il y a aussi la pauvreté dans beaucoup de régions. Surtout dans le Nord, les infrastructures sont dans un état abominable.
Concernant la campagne à Abidjan, vous savez, nos conseillers nous ont fait un planning. A Abidjan, nous avons commencé avec un grand meeting des jeunes à Yopougon. Ensuite, il y a eu le meeting des femmes et bien sûr d’autres meetings à Koumassi, à Marcory. Nous avons eu des visites de proximité. Nous avons donc couvert Abidjan, mais d’une manière différente. Le mode de contact a été différent. Il s’agissait de faire beaucoup plus de proximité, avec les acteurs socio économiques, avec les populations. Nous sommes allés aussi voir des sites inondés. Nous sommes allés voir les problèmes d’eau, avec les châteaux d’eau en construction. Nous sommes allés dans des familles, pour nous entretenir avec elles sur les problèmes d’école, de santé, etc. nous avons donc fait une bonne campagne à Abidjan. Et d’ailleurs, nous allons reprendre avec Abidjan dans les jours qui viennent. Par conséquent, nous menons la campagne partout.
Question : Au cours de votre rencontre avec les populations de Boundiali et de Korhogo, vous avez lancé un message aux Forces de Défense et de Sécurité (FDS). Alors, quel jugement portez-vous sur ces forces et est-ce une manière pour vous d’exprimer votre inquiétude face à une éventuelle intrusion de ces forces dans le débat politique pendant la période électorale ? Ma seconde question est que vous avez eu pour habitude de sillonner les régions par la route. Mais cette fois à Korhogo, vous êtes venu avec des avions, un jet et deux hélicoptères privés. Qu’est-ce que Alassane Ouattara veut donc prouver ?
ADO : Je commencerai par la deuxième question concernant les avions. Vous savez, j’ai visité presque toute la Côte d’Ivoire par la route. Mais j’ai indiqué ici que les distances sont particulièrement longues. La région des Savanes est très étendue. Il nous aurait fallu près de dix jours pour faire ce que nous avons fait en quatre jours. Or nous sommes pratiquement dans la campagne. Il y a donc aussi des problèmes de temps qui nous ont forcé à prendre cette option. Mais en tout état de cause, souvenez-vous que j’avais déjà indiqué, c’était à Duékoué ou à Man, qu’à l’approche des élections, j’utiliserais des avions et des hélicoptères. Cela est tout à fait normal, parce que nous sommes quasiment dans la période de la campagne. Maintenant, si j’ai la possibilité d’avoir des avions, pourquoi ne pas les utiliser. J’ai voulu, au départ, voir l’état des routes. Mais ici (dans les Savanes), je connais tous les villages. Mais c’est surtout à cause du temps, qui a été une contrainte majeure.
Alors, concernant mon message aux Forces de Défense et de Sécurité, ce n’est pas que j’ai une peur quelconque, non ! Moi, je crois que nos forces sont loyalistes. Mais je suis écoeuré par la propagande qui est faite par certains candidats, avec des propos du genre «Si je tombe, vous tombez ». L’armée est républicaine. Alors, pourquoi doit-elle être attachée à un candidat. Je trouve cela inacceptable. C’est pour cela que j’appelle les Forces de Défense et de Sécurité, dont les responsables sont des personnes intelligentes, à comprendre que ce sont des phrases vides comme toujours. Elles en ont d’ailleurs l’habitude. Moi, j’ai tout de même présidé plusieurs sorties de promotions à l’Ecole de Gendarmerie. Au moment où j’étais Premier ministre, c’est moi qui présidais toutes les sorties au niveau de l’Ecole des Forces Armées (EFA). Mme Ouattara, mon épouse, a présidé des sorties à l’Ecole de Police. J’ai quand même géré l’Etat, dans sa composante militaire avec le Général Robert Guéi. Celui-ci me rendait compte directement. Rappelez-vous que le Président était absent six mois par an. En 91, 92 et 93, j’étais pratiquement Président par intérim. Alors, qu’on vienne après dire qu’Alassane n’aime pas les militaires ou qu’il n’aime pas l’Armée, je trouve cela désolant. Qu’on laisse l’Armée en paix. On dit que c’est la grande muette, mais je considère aussi que les militaires ont beaucoup trop de problèmes. Il y a eu de la manipulation. Il y a eu des recrutements sur des bases tribales, des recrutements sur des bases de corruption, etc. Tout cela crée des problèmes au sein de l’Armée. Il y a eu quelques fois des promotions indues. Mais ce qui est fait est fait. Il ne s’agit pas de remettre en cause les promotions de ceux qui les ont eues, point du tout. Moi, je suis pour les droits acquis. Mais je ne peux pas accepter que l’on essaie d’introduire l’Armée, de manière indirecte, dans le débat politique. C’est pour cela que j’ai voulu m’adresser à nos Forces de Défense et de Sécurité. Aussi, à la composante Forces nouvelles qui doit rejoindre l’Armée unifiée. Parce qu’il nous faut avoir une vraie armée, où les compétences sont reconnues, où l’expérience est récompensée. L’Armée doit être précise, en matière de promotion. Il faut définir combien d’année il faut pour passer du grade de Lieutenant à Capitaine, de Capitaine à Commandant et ainsi de suite. Ce sont des choses qu’il faut respecter. Parce que c’est ce qui crée des problèmes au sein de l’Armée. Nous ne devons pas faire en sorte que des suspicions s’installent entre les militaires, les gendarmes ou les policiers. Je suis très attentif à cela. Et je rappelle qu’en 90, quand le Général Guéi est arrivée, l’Armée était dans un piteux état. Les militaires n’avaient qu’un seul uniforme. Beaucoup se plaignaient que quand ils lavaient leur uniforme et qu’il pleuvait le même jour, ils ne pouvaient plus rien porter. Nous avons donc beaucoup investi pour mettre les militaires à l’aise. Pour ceux qui étaient dans la zone de la frontière du Libéria, nous avons même acheté des moustiquaires pour qu’ils soient protégés des maladies. Moi, j’ai donc beaucoup fait pour l’Armée. Parce que je considère que c’est un corps qui a beaucoup de responsabilités. Et il faut amener l’Armée à bien comprendre son rôle par rapport aux citoyens. On ne doit pas utiliser l’Armée pour faire des choses qui ne relèvent pas du métier des militaires. Mais l’Armée a été mal utilisée. C’est pourquoi je veux que l’Armée ait confiance. Nous allons régler les problèmes des militaires, des gendarmes et des policiers, comme nous l’avons fait de 90 à 93. Cependant, il y a deux choses qui me désolent dans cette campagne. C’est d’abord la manipulation de l’Armée et ensuite, la manipulation de la religion. J’ai vu par exemple dans un journal où il est écrit qu’Alassane a failli tuer Mgr Kutwa. J’ai eu Mgr Kutwa au téléphone, il était outré. Nous sommes des amis et il n’ y a jamais eu de problèmes entre nous. Je ne sais pas pourquoi des gens veulent coûte que coûte introduire la religion et l’Armée dans les élections. Ce sont des choses qu’il faut vraiment éviter. Et si vous l’avez remarqué dans mon discours d’aujourd’hui (samedi dernier à Korhogo, ndrl), j’ai dit un certain nombre de choses. Surtout qu’on porte un homme à la tête d’un pays, pas pour son parti politique, pas à cause de son ethnie ou de sa région, encore moins pour sa religion. On choisit la personne qui, véritablement, peut être la meilleure personne à diriger tous les Ivoiriens sur l’ensemble du territoire ivoirien. C’est un point sur lequel je voudrais insister à nouveau.
Question : Vous avez tourné durant 16 mois. Nous sommes tenté de demander combien cela vous a coûté ?
ADO : Il faut dire que tout cela participe d’une stratégie. J’au toujours été très clair, quelle que soit la durée, nous serons prêts. Et à partir de maintenant, c’est par avion et par hélicoptère que je ferai ma campagne. Concernant donc les moyens, ce n’est pas moi qui compte les sous. C’est plutôt le Directeur national de campagne qui les gère et il les gère bien. Je le félicite pour cette bonne gestion qui, je le signale, est rigoureuse.
Question : Votre présence à Korhogo a coïncidé avec celle du chef de l’Etat. Comment avez-vous apprécié cela ? Egalement, la bonne conduite des élections relève-t-elle des électeurs ou de la responsabilité des leaders que vous êtes ?
ADO : Pour la dernière partie de votre question, je dirai que oui, nous avons une grande responsabilité dans la bonne tenue de ces élections. D’abord, par le message que nous portons et que nous délivrons aux populations. Et aussi par les relations que nous entretenons entre nous leaders. Pour la petite histoire, le mardi dernier (le 4 octobre, ndlr), j’ai essayé de joindre Laurent Gbagbo, parce qu’il y avait tellement de rumeurs sur sa venue à Korhogo. Certains parlaient du 6 octobre, d’autres du 7 octobre. Mais quand j’ai essayé de le joindre, il était en meeting à Abengourou. Et quand il est arrivé à Yamoussoukro, il m’a appelé. Je lui ai dit que moi je pars à Korhogo le 06 octobre et que j’apprends que lui aussi sera à Korhogo le même jour. Il m’a répondu que oui, lui aussi sera à Korhogo. Je lui ai dit que c’est dommage et que ces gens auraient pu nous informer. Mais que notre programme est fait depuis des semaines et qu’à la veille, nous ne pouvions pas la déplacer. Et quand je lui ai demandé l’heure de son arrivée, il m’a dit vers 15 h 30 – 16 h. J’ai alors dit que moi j’essaierai de venir un peu plus tard, pour qu’il n’ y ait pas de problèmes. Il m’a dit que c’est très bien et qu’il comptait même m’appeler à ce sujet. J’ai donc demandé à mon Directeur national de campagne d’appeler Tagro pour que tout soit bien coordonné, de sorte qu’il n’y ait pas de problème. Et vous avez vu qu’il n’y pas eu de problème. La seule difficulté, c’est que la résidence du Préfet où il logeait est en face de la mienne. Il y a eu donc un peu de bruit. Mais autrement, il n’ y a pas eu de problème. Et ce n’est d’ailleurs pas la première fois ? Nous nous sommes déjà rencontrés à Gagnoa et tout s’est bien passé. Nous essayons de faire les choses en bonne intelligence. Chaque fois que moi, je sens qu’il peut y avoir un problème, j’appelle le chef de l’Etat et j’attire son attention là-dessus. Et avec la campagne, le temps est tellement court qu’il faut comprendre que ce n’est pas la dernière fois que les leaders se rencontrent dans une même ville. Mais, il faut faire en sorte que nos messages soient des messages de paix.
Question : Ce matin (samedi dernier, ndlr), le candidat Laurent Gbagbo a été investi. Il en a profité pour répondre à votre campagne, en disant que ceux qui promettent des milliards par leurs amis savent que ce n’est pas possible. Quelle réponse donnez-vous à cela ? Ma deuxième question est relative à vos tournées. En parcourant le pays, vous avez vu et entendu les réalités que vivent les populations. Cela va-t-il vous amener à réévaluer le montant de 10.000 milliards que vous annonciez pour sauver la Côte d’Ivoire ?
ADO : Je suis un peu surpris d’entendre que le Chef de l’Etat ait pu dire cela. Je prends un exemple simple. Quand vous devez construire une maison, vous devez savoir combien elle va coûter avant d’entreprendre la fondation. Vous devez ensuite essayer de voir comment vous allez trouver les ressources. Si la maison coûte 30 millions et que vous voulez la construire sur 18 mois, vous devez savoir comment vous allez la financer. Peut-être que vous apporterez 20 % comme apport personnel, c’est-à-dire 6 millions. Et les 24 autres millions, peut-être que j’irai les emprunter dans une banque. C’est exactement comme ça la gestion d’une économie. Nous, nous avons évalué les besoins de reconstruction de la Côte d’Ivoire sur cinq ans. Au départ, en 2008, c’était 10.000 milliards. Maintenant, c’est 12.000 milliards. Mais si vous avez remarqué, c’est que je n’insiste plus sur les détails, parce que je pense que vous pouvez aller sur mon site : www.adosolutions.ci, pour voir les détails. Le deuxième aspect, c’est le financement. Moi, je n’ai pas dit que ce sera fait par mes amitiés. Je crois que ses conseillers devraient mieux lire mon programme et lui donner des choses plus précises et rigoureuses. J’ai dit qu’il s’agira d’abord de voir du côté des ressources intérieures. Ce, avec l’amélioration des régies, douanes et finances. Nous l’avons fait de manière spectaculaire quand j’étais Premier ministre. Deuxièmement, nous allons ramener dans le budget toutes les ressources extrabudgétaires, c’est-à-dire les mines et le pétrole. Troisièmement, il faut faire en sorte que les dépenses publiques soient mieux gérées. Parce qu’il y a trop de déperditions de dépenses en ce moment. Cette bonne gestion pourra faire entrer des centaines de milliards. Quatrièmement, il y a le rééchelonnement de la dette qui doit permettre, avec l’aboutissement du PPTE, de donner au moins 500 milliards par an à la Côte d’Ivoire, sur cinq ans. Ensuite, j’ai indiqué que les investissements privés auront une part très importante pour moi, compte tenu de mon option libérale. C’est peut-être pour cela qu’il parle d’amitiés. Les investisseurs ne viendront pas investir s’ils n’ont pas confiance au gouvernement en place. Et là, nous prévoyons 2.500 milliards d’investissements privés. Ce sont sur de grands projets que sont des barrages, le chemin de fer de San Pedro jusqu’à Odienné, etc. Ce sont des choses qui se font ailleurs, mais pourquoi pas en Côte d’Ivoire ? Il y a aussi tout ce qui est investissement privé national. Beaucoup de nationaux ont de l’argent, mais ils préfèrent le garder à l’extérieur parce qu’ils n’ont pas confiance. Ils se disent que le pays peut basculer à tout moment. Et enfin, il y a la coopération bilatérale et multilatérale. Si vous prenez par exemple la France, la Côte d’Ivoire a été privée de financement de l’Agence française de développement depuis huit ou neuf ans. Pourtant cette agence investissait plus de 100 milliards par an. Sur donc cinq ans, cela doit faire 500 milliards. Et ainsi de suite, le compte y est. Mais, comme ses conseillers ne comprennent pas grande chose en économie, ils n’arrivent pas à lui expliquer les choses. Je m’excuse, je ne veux pas être méprisant. Mais, je veux dire qu’il faut qu’ils expliquent au chef de l’Etat qu’il ne s’agit pas de milliards lancés en l’air. Il y a d’abord les secteurs, les régions et les financements. Alors je mets au défi quelqu’un de chez lui de critiquer mon programme sur ces points. La Banque mondiale elle-même a fait des estimations après que moi, j’eus annoncé mon programme. Elle a estimé qu’il fallait 17.000 milliards en 7 ans. Et quand on ramène cela en 5 ans, on trouve 12.000 milliards. Vous savez, j’ai tellement fait ce genre de choses pour certains pays, que je trouve que c’est un exercice d’école primaire.
Question : Durant vos rencontres, vous annonciez la création d’un statut particulier pour les chefs traditionnels. Et déjà, des administrateurs civils se plaignent. Ils disent qu’ils ne comprennent pas que des chefs de village viennent les commander. A ce niveau, ne pensez-vous pas que votre message n’est peut-être pas bien perçu ?
ADO : Vous savez, la difficulté que nous avons en Afrique, part du fait que nous avons copié des constitutions. Même ceux qui se disent « anti-occidents » ou « patriotes » en abusent, ils ont copié des constitutions. Houphouët a quand même fait l’effort de faire en sorte que la Constitution de la Côte d’Ivoire soit le mélange de trois constitutions : française, américaine et suisse. Mais, il y a un élément dont il n’a pas tenu compte, c’est le caractère traditionnel de nos sociétés. Il faut les moderniser certes, mais on ne peut passer de l’indépendance à la modernisation totale. Et des pays comme le Ghana l’ont compris. Il y a un statut pour les chefs dans la constitution ghanéenne et cela fonctionne très bien. Il s’agit d’un rôle d’institution de conseils. Je suis donc confiant, parce que j’ai vu que cela a marché dans beaucoup de pays anglophones. Cela n’a rien à avoir avec le travail de l’Administration. Bien au contraire, cette implication des chefs doit pouvoir faciliter le travail des administrateurs. Ce qui est sûr, c’est que nous continuons de travailler sur cette question avec un groupe d’experts, dont le professeur Henriette Dagri Diabaté. Et il est clair qu’il ne faut surtout pas de conflit de compétence.
Question : Vous évoquiez dans vos meetings des question comme l’école, la santé, l’économie et autres. Mais, à aucun moment, vous ne parliez de sports. Pourquoi?
ADO : Je vous encourage vraiment à aller sur mon site : www.adosolutions.ci. Dans un meeting, c’est difficile de parler de tout. On ne prend que des éléments essentiels. Sur la santé, je ne dis pas tout sur ce que je compte faire dans ce domaine. Je dis ce qui semble intéresser l’audience. J’ai vu par exemple que parler de frais d’accouchement gratuits intéresse plus les hommes que les femmes et ainsi de suite. C’est vous dire que tous les détails sont bien inscrits dans notre programme. Moi, je suis sportif et je fais de la piscine tous les jours. C’est pour cela que vous voyez que je suis en forme.
Question : Lorsque vous arrivez à l’aéroport de Korhogo, des militants étaient à la fois heureux de vous voir venir par avion, mais aussi inquiets. Surtout à cause de ce qui s’est passé le 29 juin 2007 à Bouaké. Ne croyez-vous pas un attentat ?
ADO : Franchement, à aucun moment, je n’ai pensé à cela. Honnêtement, je pense que la vie appartient à Dieu et que chacun a son moment. Je ne crois pas que ce soit le moment pour moi. C’est plutôt le moment pour que je devienne président. Je crois que les temps ont aussi changé. Il faut que les gens comprennent enfin que la violence n’est pas une solution pour notre pays.
Recueillis par Diawara Samou
Propos liminaire
Chers frères, chers amis journalistes, merci d’être là. Nous avions pris l’habitude de nous voir à la fin de chaque tournée, pour échanger. Je suis heureux que nous ayons, à nouveau, l’opportunité d’échanger. D’autant plus que nous sommes à la fin des tournées de la précampagne. Certains d’entre vous ont été avec nous dès le début. C’était en juin 2009 dans le Bas-Sassandra. Cela fait donc 16 mois que nous tournons. Nous venons donc de boucler la boucle. Nous avons visité les 19 régions de la Côte d’Ivoire, les 71 départements et les quelques 400 sous-préfectures. Egalement, nous avons sillonné de nombreux villages. Je vais maintenant prendre quelques jours de réflexion, avant la grande campagne qui commence le 14 octobre à partir de 00 h 01 mn. A partir du 15 octobre donc, nous avons la campagne qui doit se poursuivre jusqu’au soir du 29 octobre. Ensuite, ce sera le premier tour de l’élection présidentielle, le 31 octobre. Nous souhaitons tous que ce soit des élections apaisées. Et que tout se déroule normalement. Qu’il n’y ait pas de contestation inutile ou abusive, qui puisse retarder le scrutin. Parce que nous avons tous maintenant besoin, comme nous l’avons dit au niveau des trois candidats membres du CPC (Cadre permanent de concertation), d’un président légitime pour la Côte d’Ivoire. C’est donc une bonne chose que ces élections aient lieu le 31 octobre. Moi, je m’en réjouis personnellement. Voilà ! Je suis donc à votre disposition.
Questions – réponses
Question : Président, y a-t-il des raisons particulières pour que vous boucliez la boucle à Korhogo ? Ensuite, vous avez dit qu’il est souhaitable qu’il n’ y ait pas des contestations inutiles. A votre avis, qu’est-ce qui pourrait provoquer de telles contestations et que faut-il faire pour les éviter ?
Alassane Dramane Ouattara : Boucler la boucle à Korhogo est le fait du Directeur national de campagne, Amadou Gon Coulibaly. Vous savez, moi je suis très discipliné. Il m’a fait un programme de campagne que je respecte. Peut-être parce que lui et Marcel Amon Tanoh étant les deux grands responsables de ma campagne, ils ont souhaité que leurs régions se fassent en dernières positions. C’est pour cela qu’après le Sud-Comoé la semaine dernière, nous sommes venus boucler avec la région des Savanes. Quand j’ai dit que je souhaite qu’il n’ y ait pas de contestations inutiles, c’est un peu à cause de l’expérience des élections en Afrique. Où après les élections, quelque soit le gagnant, les perdants contestent. Souvent, c’est même le gagnant qui conteste. Pour ma part, je souhaite qu’après tout ce travail laborieux qui a duré des années et des mois, que nous n’ayons pas cette expérience en Côte d’Ivoire. D’abord, parce que la Côte d’Ivoire a déjà eu l’expérience des élections durant le monopartisme, puisqu’il y avait la pluralité des candidatures. Il y a eu aussi des élections législatives, municipales et celles des Conseils généraux. Nous avons maintenant une liste électorale qui est consensuelle. Par conséquent, si les choses se passent bien et que les électeurs arrivent à voter dans la tranquillité et dans la paix et que les commissions font leur travail comme on s’y attend, je pense que les contestations ne devraient pas s’étendre sur des jours ou des mois comme on l’a vu ailleurs. Il faut que nous puissions sortir très rapidement de cette élection avec un président démocratiquement élu et reconnu par ses adversaires comme ayant été le vainqueur. Et qu’ensemble, on remette la Côte d’Ivoire au travail.
Question : Une année et demie de tournée, cela fait beaucoup. Et vous avez vu beaucoup de choses. Mais quelle est l’étape qui vous a le plus marqué ? Secundo, on a l’impression qu’Abidjan n’a pas été concernée par la précampagne, en dehors de quelques sorties. Qu’est-ce qui explique cela ?
ADO : Merci. Pour la première question, il faut dire que j’ai été impressionné à toutes les étapes. Essayer donc de singulariser là où j’ai été le plus frappé, c’est difficile. Korhogo, c’était bien sûr l’apothéose. Vous avez tous été témoin, au niveau de la ferveur, de la chaleur, de l’accueil, de la mobilisation, aussi bien à l’entrée de la ville qu’au meeting. Cela a été ainsi aussi bien dans toutes les villes, que dans les sous-préfectures de la région. Quand l’avion nous a amenés le mercredi (6 octobre, ndrl), nous sommes allés en hélicoptère à Kolia, à Gbon, à Kouto, à Kasséré, à Tengrela, à Kanakono, avant de terminer à Boundiali. Nous avons fait sept meetings de la journée du 6 au 7 octobre. Et partout, je me suis dit que les informations que nous avions, montrent bien que les gens veulent des élections. C’est pour cela qu’ils sont impatients. Ils veulent exprimer leurs sentiments dans les urnes. Maintenant, au niveau de ce que j’ai vu, j’ai été frappé par la très grande pauvreté dans le Nord-Est, surtout dans le département de Bouna. J’ai fait Bouna, Doropo et Téhini. Et honnêtement, je crois que c’était désolant. J’ai été très ému et très triste de voir l’état de délabrement de la Côte d’Ivoire. Dans cette région et comme partout en Côte d’Ivoire, la pauvreté, a atteint un niveau inacceptable. Quand nous sommes allés d’Abengourou à Bettié, en passant par Zaranou et dans les régions comme Toulepleu, au-delà des routes, ce sont toutes les infrastructures, écoles, centre de santé et autres, qui sont en ruine. On dirait que la Côte d’Ivoire est un pays qui est vieux de 100 ans. C’est-à-dire que rien n’a été entretenu durant ces dernières années. Depuis 10 ou 15 ans, on a l’impression que tout est resté à l’abandon. Cela m’a beaucoup frappé. Parce que moi, j’ai beaucoup sillonné le pays quand j’étais plus jeune. Chaque fois que je revenais des Etats-Unis, je faisais un peu le tour du pays avec mes oncles qui étaient transporteurs. Et comme je l’ai dit, j’avais le souvenir d’un pays où tout semblait beau. Mais là aujourd’hui, il y a vraiment une dégradation. Il y a aussi la pauvreté dans beaucoup de régions. Surtout dans le Nord, les infrastructures sont dans un état abominable.
Concernant la campagne à Abidjan, vous savez, nos conseillers nous ont fait un planning. A Abidjan, nous avons commencé avec un grand meeting des jeunes à Yopougon. Ensuite, il y a eu le meeting des femmes et bien sûr d’autres meetings à Koumassi, à Marcory. Nous avons eu des visites de proximité. Nous avons donc couvert Abidjan, mais d’une manière différente. Le mode de contact a été différent. Il s’agissait de faire beaucoup plus de proximité, avec les acteurs socio économiques, avec les populations. Nous sommes allés aussi voir des sites inondés. Nous sommes allés voir les problèmes d’eau, avec les châteaux d’eau en construction. Nous sommes allés dans des familles, pour nous entretenir avec elles sur les problèmes d’école, de santé, etc. nous avons donc fait une bonne campagne à Abidjan. Et d’ailleurs, nous allons reprendre avec Abidjan dans les jours qui viennent. Par conséquent, nous menons la campagne partout.
Question : Au cours de votre rencontre avec les populations de Boundiali et de Korhogo, vous avez lancé un message aux Forces de Défense et de Sécurité (FDS). Alors, quel jugement portez-vous sur ces forces et est-ce une manière pour vous d’exprimer votre inquiétude face à une éventuelle intrusion de ces forces dans le débat politique pendant la période électorale ? Ma seconde question est que vous avez eu pour habitude de sillonner les régions par la route. Mais cette fois à Korhogo, vous êtes venu avec des avions, un jet et deux hélicoptères privés. Qu’est-ce que Alassane Ouattara veut donc prouver ?
ADO : Je commencerai par la deuxième question concernant les avions. Vous savez, j’ai visité presque toute la Côte d’Ivoire par la route. Mais j’ai indiqué ici que les distances sont particulièrement longues. La région des Savanes est très étendue. Il nous aurait fallu près de dix jours pour faire ce que nous avons fait en quatre jours. Or nous sommes pratiquement dans la campagne. Il y a donc aussi des problèmes de temps qui nous ont forcé à prendre cette option. Mais en tout état de cause, souvenez-vous que j’avais déjà indiqué, c’était à Duékoué ou à Man, qu’à l’approche des élections, j’utiliserais des avions et des hélicoptères. Cela est tout à fait normal, parce que nous sommes quasiment dans la période de la campagne. Maintenant, si j’ai la possibilité d’avoir des avions, pourquoi ne pas les utiliser. J’ai voulu, au départ, voir l’état des routes. Mais ici (dans les Savanes), je connais tous les villages. Mais c’est surtout à cause du temps, qui a été une contrainte majeure.
Alors, concernant mon message aux Forces de Défense et de Sécurité, ce n’est pas que j’ai une peur quelconque, non ! Moi, je crois que nos forces sont loyalistes. Mais je suis écoeuré par la propagande qui est faite par certains candidats, avec des propos du genre «Si je tombe, vous tombez ». L’armée est républicaine. Alors, pourquoi doit-elle être attachée à un candidat. Je trouve cela inacceptable. C’est pour cela que j’appelle les Forces de Défense et de Sécurité, dont les responsables sont des personnes intelligentes, à comprendre que ce sont des phrases vides comme toujours. Elles en ont d’ailleurs l’habitude. Moi, j’ai tout de même présidé plusieurs sorties de promotions à l’Ecole de Gendarmerie. Au moment où j’étais Premier ministre, c’est moi qui présidais toutes les sorties au niveau de l’Ecole des Forces Armées (EFA). Mme Ouattara, mon épouse, a présidé des sorties à l’Ecole de Police. J’ai quand même géré l’Etat, dans sa composante militaire avec le Général Robert Guéi. Celui-ci me rendait compte directement. Rappelez-vous que le Président était absent six mois par an. En 91, 92 et 93, j’étais pratiquement Président par intérim. Alors, qu’on vienne après dire qu’Alassane n’aime pas les militaires ou qu’il n’aime pas l’Armée, je trouve cela désolant. Qu’on laisse l’Armée en paix. On dit que c’est la grande muette, mais je considère aussi que les militaires ont beaucoup trop de problèmes. Il y a eu de la manipulation. Il y a eu des recrutements sur des bases tribales, des recrutements sur des bases de corruption, etc. Tout cela crée des problèmes au sein de l’Armée. Il y a eu quelques fois des promotions indues. Mais ce qui est fait est fait. Il ne s’agit pas de remettre en cause les promotions de ceux qui les ont eues, point du tout. Moi, je suis pour les droits acquis. Mais je ne peux pas accepter que l’on essaie d’introduire l’Armée, de manière indirecte, dans le débat politique. C’est pour cela que j’ai voulu m’adresser à nos Forces de Défense et de Sécurité. Aussi, à la composante Forces nouvelles qui doit rejoindre l’Armée unifiée. Parce qu’il nous faut avoir une vraie armée, où les compétences sont reconnues, où l’expérience est récompensée. L’Armée doit être précise, en matière de promotion. Il faut définir combien d’année il faut pour passer du grade de Lieutenant à Capitaine, de Capitaine à Commandant et ainsi de suite. Ce sont des choses qu’il faut respecter. Parce que c’est ce qui crée des problèmes au sein de l’Armée. Nous ne devons pas faire en sorte que des suspicions s’installent entre les militaires, les gendarmes ou les policiers. Je suis très attentif à cela. Et je rappelle qu’en 90, quand le Général Guéi est arrivée, l’Armée était dans un piteux état. Les militaires n’avaient qu’un seul uniforme. Beaucoup se plaignaient que quand ils lavaient leur uniforme et qu’il pleuvait le même jour, ils ne pouvaient plus rien porter. Nous avons donc beaucoup investi pour mettre les militaires à l’aise. Pour ceux qui étaient dans la zone de la frontière du Libéria, nous avons même acheté des moustiquaires pour qu’ils soient protégés des maladies. Moi, j’ai donc beaucoup fait pour l’Armée. Parce que je considère que c’est un corps qui a beaucoup de responsabilités. Et il faut amener l’Armée à bien comprendre son rôle par rapport aux citoyens. On ne doit pas utiliser l’Armée pour faire des choses qui ne relèvent pas du métier des militaires. Mais l’Armée a été mal utilisée. C’est pourquoi je veux que l’Armée ait confiance. Nous allons régler les problèmes des militaires, des gendarmes et des policiers, comme nous l’avons fait de 90 à 93. Cependant, il y a deux choses qui me désolent dans cette campagne. C’est d’abord la manipulation de l’Armée et ensuite, la manipulation de la religion. J’ai vu par exemple dans un journal où il est écrit qu’Alassane a failli tuer Mgr Kutwa. J’ai eu Mgr Kutwa au téléphone, il était outré. Nous sommes des amis et il n’ y a jamais eu de problèmes entre nous. Je ne sais pas pourquoi des gens veulent coûte que coûte introduire la religion et l’Armée dans les élections. Ce sont des choses qu’il faut vraiment éviter. Et si vous l’avez remarqué dans mon discours d’aujourd’hui (samedi dernier à Korhogo, ndrl), j’ai dit un certain nombre de choses. Surtout qu’on porte un homme à la tête d’un pays, pas pour son parti politique, pas à cause de son ethnie ou de sa région, encore moins pour sa religion. On choisit la personne qui, véritablement, peut être la meilleure personne à diriger tous les Ivoiriens sur l’ensemble du territoire ivoirien. C’est un point sur lequel je voudrais insister à nouveau.
Question : Vous avez tourné durant 16 mois. Nous sommes tenté de demander combien cela vous a coûté ?
ADO : Il faut dire que tout cela participe d’une stratégie. J’au toujours été très clair, quelle que soit la durée, nous serons prêts. Et à partir de maintenant, c’est par avion et par hélicoptère que je ferai ma campagne. Concernant donc les moyens, ce n’est pas moi qui compte les sous. C’est plutôt le Directeur national de campagne qui les gère et il les gère bien. Je le félicite pour cette bonne gestion qui, je le signale, est rigoureuse.
Question : Votre présence à Korhogo a coïncidé avec celle du chef de l’Etat. Comment avez-vous apprécié cela ? Egalement, la bonne conduite des élections relève-t-elle des électeurs ou de la responsabilité des leaders que vous êtes ?
ADO : Pour la dernière partie de votre question, je dirai que oui, nous avons une grande responsabilité dans la bonne tenue de ces élections. D’abord, par le message que nous portons et que nous délivrons aux populations. Et aussi par les relations que nous entretenons entre nous leaders. Pour la petite histoire, le mardi dernier (le 4 octobre, ndlr), j’ai essayé de joindre Laurent Gbagbo, parce qu’il y avait tellement de rumeurs sur sa venue à Korhogo. Certains parlaient du 6 octobre, d’autres du 7 octobre. Mais quand j’ai essayé de le joindre, il était en meeting à Abengourou. Et quand il est arrivé à Yamoussoukro, il m’a appelé. Je lui ai dit que moi je pars à Korhogo le 06 octobre et que j’apprends que lui aussi sera à Korhogo le même jour. Il m’a répondu que oui, lui aussi sera à Korhogo. Je lui ai dit que c’est dommage et que ces gens auraient pu nous informer. Mais que notre programme est fait depuis des semaines et qu’à la veille, nous ne pouvions pas la déplacer. Et quand je lui ai demandé l’heure de son arrivée, il m’a dit vers 15 h 30 – 16 h. J’ai alors dit que moi j’essaierai de venir un peu plus tard, pour qu’il n’ y ait pas de problèmes. Il m’a dit que c’est très bien et qu’il comptait même m’appeler à ce sujet. J’ai donc demandé à mon Directeur national de campagne d’appeler Tagro pour que tout soit bien coordonné, de sorte qu’il n’y ait pas de problème. Et vous avez vu qu’il n’y pas eu de problème. La seule difficulté, c’est que la résidence du Préfet où il logeait est en face de la mienne. Il y a eu donc un peu de bruit. Mais autrement, il n’ y a pas eu de problème. Et ce n’est d’ailleurs pas la première fois ? Nous nous sommes déjà rencontrés à Gagnoa et tout s’est bien passé. Nous essayons de faire les choses en bonne intelligence. Chaque fois que moi, je sens qu’il peut y avoir un problème, j’appelle le chef de l’Etat et j’attire son attention là-dessus. Et avec la campagne, le temps est tellement court qu’il faut comprendre que ce n’est pas la dernière fois que les leaders se rencontrent dans une même ville. Mais, il faut faire en sorte que nos messages soient des messages de paix.
Question : Ce matin (samedi dernier, ndlr), le candidat Laurent Gbagbo a été investi. Il en a profité pour répondre à votre campagne, en disant que ceux qui promettent des milliards par leurs amis savent que ce n’est pas possible. Quelle réponse donnez-vous à cela ? Ma deuxième question est relative à vos tournées. En parcourant le pays, vous avez vu et entendu les réalités que vivent les populations. Cela va-t-il vous amener à réévaluer le montant de 10.000 milliards que vous annonciez pour sauver la Côte d’Ivoire ?
ADO : Je suis un peu surpris d’entendre que le Chef de l’Etat ait pu dire cela. Je prends un exemple simple. Quand vous devez construire une maison, vous devez savoir combien elle va coûter avant d’entreprendre la fondation. Vous devez ensuite essayer de voir comment vous allez trouver les ressources. Si la maison coûte 30 millions et que vous voulez la construire sur 18 mois, vous devez savoir comment vous allez la financer. Peut-être que vous apporterez 20 % comme apport personnel, c’est-à-dire 6 millions. Et les 24 autres millions, peut-être que j’irai les emprunter dans une banque. C’est exactement comme ça la gestion d’une économie. Nous, nous avons évalué les besoins de reconstruction de la Côte d’Ivoire sur cinq ans. Au départ, en 2008, c’était 10.000 milliards. Maintenant, c’est 12.000 milliards. Mais si vous avez remarqué, c’est que je n’insiste plus sur les détails, parce que je pense que vous pouvez aller sur mon site : www.adosolutions.ci, pour voir les détails. Le deuxième aspect, c’est le financement. Moi, je n’ai pas dit que ce sera fait par mes amitiés. Je crois que ses conseillers devraient mieux lire mon programme et lui donner des choses plus précises et rigoureuses. J’ai dit qu’il s’agira d’abord de voir du côté des ressources intérieures. Ce, avec l’amélioration des régies, douanes et finances. Nous l’avons fait de manière spectaculaire quand j’étais Premier ministre. Deuxièmement, nous allons ramener dans le budget toutes les ressources extrabudgétaires, c’est-à-dire les mines et le pétrole. Troisièmement, il faut faire en sorte que les dépenses publiques soient mieux gérées. Parce qu’il y a trop de déperditions de dépenses en ce moment. Cette bonne gestion pourra faire entrer des centaines de milliards. Quatrièmement, il y a le rééchelonnement de la dette qui doit permettre, avec l’aboutissement du PPTE, de donner au moins 500 milliards par an à la Côte d’Ivoire, sur cinq ans. Ensuite, j’ai indiqué que les investissements privés auront une part très importante pour moi, compte tenu de mon option libérale. C’est peut-être pour cela qu’il parle d’amitiés. Les investisseurs ne viendront pas investir s’ils n’ont pas confiance au gouvernement en place. Et là, nous prévoyons 2.500 milliards d’investissements privés. Ce sont sur de grands projets que sont des barrages, le chemin de fer de San Pedro jusqu’à Odienné, etc. Ce sont des choses qui se font ailleurs, mais pourquoi pas en Côte d’Ivoire ? Il y a aussi tout ce qui est investissement privé national. Beaucoup de nationaux ont de l’argent, mais ils préfèrent le garder à l’extérieur parce qu’ils n’ont pas confiance. Ils se disent que le pays peut basculer à tout moment. Et enfin, il y a la coopération bilatérale et multilatérale. Si vous prenez par exemple la France, la Côte d’Ivoire a été privée de financement de l’Agence française de développement depuis huit ou neuf ans. Pourtant cette agence investissait plus de 100 milliards par an. Sur donc cinq ans, cela doit faire 500 milliards. Et ainsi de suite, le compte y est. Mais, comme ses conseillers ne comprennent pas grande chose en économie, ils n’arrivent pas à lui expliquer les choses. Je m’excuse, je ne veux pas être méprisant. Mais, je veux dire qu’il faut qu’ils expliquent au chef de l’Etat qu’il ne s’agit pas de milliards lancés en l’air. Il y a d’abord les secteurs, les régions et les financements. Alors je mets au défi quelqu’un de chez lui de critiquer mon programme sur ces points. La Banque mondiale elle-même a fait des estimations après que moi, j’eus annoncé mon programme. Elle a estimé qu’il fallait 17.000 milliards en 7 ans. Et quand on ramène cela en 5 ans, on trouve 12.000 milliards. Vous savez, j’ai tellement fait ce genre de choses pour certains pays, que je trouve que c’est un exercice d’école primaire.
Question : Durant vos rencontres, vous annonciez la création d’un statut particulier pour les chefs traditionnels. Et déjà, des administrateurs civils se plaignent. Ils disent qu’ils ne comprennent pas que des chefs de village viennent les commander. A ce niveau, ne pensez-vous pas que votre message n’est peut-être pas bien perçu ?
ADO : Vous savez, la difficulté que nous avons en Afrique, part du fait que nous avons copié des constitutions. Même ceux qui se disent « anti-occidents » ou « patriotes » en abusent, ils ont copié des constitutions. Houphouët a quand même fait l’effort de faire en sorte que la Constitution de la Côte d’Ivoire soit le mélange de trois constitutions : française, américaine et suisse. Mais, il y a un élément dont il n’a pas tenu compte, c’est le caractère traditionnel de nos sociétés. Il faut les moderniser certes, mais on ne peut passer de l’indépendance à la modernisation totale. Et des pays comme le Ghana l’ont compris. Il y a un statut pour les chefs dans la constitution ghanéenne et cela fonctionne très bien. Il s’agit d’un rôle d’institution de conseils. Je suis donc confiant, parce que j’ai vu que cela a marché dans beaucoup de pays anglophones. Cela n’a rien à avoir avec le travail de l’Administration. Bien au contraire, cette implication des chefs doit pouvoir faciliter le travail des administrateurs. Ce qui est sûr, c’est que nous continuons de travailler sur cette question avec un groupe d’experts, dont le professeur Henriette Dagri Diabaté. Et il est clair qu’il ne faut surtout pas de conflit de compétence.
Question : Vous évoquiez dans vos meetings des question comme l’école, la santé, l’économie et autres. Mais, à aucun moment, vous ne parliez de sports. Pourquoi?
ADO : Je vous encourage vraiment à aller sur mon site : www.adosolutions.ci. Dans un meeting, c’est difficile de parler de tout. On ne prend que des éléments essentiels. Sur la santé, je ne dis pas tout sur ce que je compte faire dans ce domaine. Je dis ce qui semble intéresser l’audience. J’ai vu par exemple que parler de frais d’accouchement gratuits intéresse plus les hommes que les femmes et ainsi de suite. C’est vous dire que tous les détails sont bien inscrits dans notre programme. Moi, je suis sportif et je fais de la piscine tous les jours. C’est pour cela que vous voyez que je suis en forme.
Question : Lorsque vous arrivez à l’aéroport de Korhogo, des militants étaient à la fois heureux de vous voir venir par avion, mais aussi inquiets. Surtout à cause de ce qui s’est passé le 29 juin 2007 à Bouaké. Ne croyez-vous pas un attentat ?
ADO : Franchement, à aucun moment, je n’ai pensé à cela. Honnêtement, je pense que la vie appartient à Dieu et que chacun a son moment. Je ne crois pas que ce soit le moment pour moi. C’est plutôt le moment pour que je devienne président. Je crois que les temps ont aussi changé. Il faut que les gens comprennent enfin que la violence n’est pas une solution pour notre pays.
Recueillis par Diawara Samou