Treizième sur la liste des candidats, invité à s’expliquer face aux électeurs, Alassane Ouattara était sur le plateau de la RTI dans la nuit d’hier. Pendant 90 minutes, l’ancien Premier ministre, candidat à l’élection présidentielle a déroulé face à trois journalistes (Jean-Claude Bayala, Radio Côte d’Ivoire ; Abel Doualy, Fraternité Matin et Victorien Angoua, la Première) son programme pour la Côte d’Ivoire. Le débat, modéré par Thomas Bahinchi aura tenu toutes ses promesses. Politique, économie et société, tels les trois chapitres qui ont meublé les 90mn d’échanges. ADO a eu l’occasion de parler à ses compatriotes sur la chaîne publique nationale de paix, de bonne gouvernance, d’emploi, de santé et d’éducation. Le Patriote vous propose l’intégralité de cet instant fort dans la vie démocratique de Côte d’Ivoire.
Enfin, peut-on dire, M. Ouattara vous êtes candidat à une élection présidentielle en Côte d’Ivoire. Peut-on savoir le sentiment qui vous anime depuis que vous avez franchi cette étape d’éligibilité ? Quel commentaire cela vous inspire-t-il?
Alassane Ouattara : J’ai envie de répondre : « Que de temps perdu » ! Je pense que ce n’est pas cela l’essentiel. L’essentiel, c’est d’aller à ces élections et qu’elles soient démocratiques, transparentes et apaisées. Je crois que la Côte d’Ivoire a besoin de ces élections pour normaliser la situation politique, économique et sociale, normaliser ses relations dans le monde et surtout, mettre fin aux souffrances des Ivoiriens.
Donc, la page est tournée ?
ADO : Pour moi, c’est un mauvais souvenir. J’ai pardonné et je ne voudrais même pas revenir sur ces questions.
Monsieur le Premier ministre, on ne peut pas vous voir sans évoquer cette si longue histoire de carte d’identité. Histoire écrite malheureusement en lettres de sang. Aujourd’hui vous avez une carte d’identité sans histoire. Que vous inspire-t-elle ?
ADO : Vous savez, la vie d’une nation est ainsi faite. Il y a des moments de joie, des moments de douleur et des moments de souffrance. Mais, je souhaite ne pas revenir sur le passé. Je pense que la Côte d’Ivoire doit entrer dans un Etat de droit. Nous devons tenir compte de ces millions d’Ivoiriens qui souhaitent que des élections démocratiques aient lieu et je pense que nous y arrivons et que le peuple ivoirien se prononcera dimanche prochain. Nous saurons en ce moment là, la réalité du poids des partis politiques.
N’empêche, M. Ouattara, vous avez une histoire qui vous lie au Président Gbagbo, au président Bédié sur cette question d’ivoirité. Avec Gbagbo vous étiez ensemble au Front Républicain, soldé par le divorce. Vous allez avec ces deux compagnons membres du CPC, au vote, dans quelle atmosphère ? De rancune ? De tolérance ou de pardon ?
ADO : Alassane Ouattara ne connaît ni rancune ni rancœur. Je suis un homme de paix et de pardon. Avec mon aîné Bédié, nous nous sommes expliqués. Nous avons considéré que la Côte d’Ivoire était plus importante que chacun de nous et que nous sommes des Houphouétistes. Nous avons la même philosophie politique, économique. Alors, il était bon de nous allier pour gagner ces élections et mettre fin aux souffrances des Ivoiriens. M. Laurent Gbagbo est un frère. On se téléphone, on se voit à l’occasion des CPC. Je n’ai aucun problème avec M. Laurent Gbagbo.
Quand on vous suit dans vos campagnes, vous vous présentez comme un homme de paix. Permettez-nous, en tant qu’observateur, de constater qu’une partie de l’opinion n’est pas d’accord avec vous sur cette conviction. On vous a vu applaudir le coup d’Etat de 1999 que vous avez qualifié de « révolution des œillets ». Certains de vos adversaires politiques disent que vous êtes le parrain de la rébellion.
ADO : Il y a eu beaucoup de manipulations, comme tout le monde le sait maintenant. Vous avez parlé de la question de la nationalité, je ne reviens pas là-dessus. Concernant l’affaire du coup d’Etat, souvenez-vous que plus d’un s’en étaient réjouis, y compris M. Laurent Gbagbo d’ailleurs. Mais, ce coup d’Etat a ouvert la boîte de pandore. Cela a été une très mauvaise chose. Evidemment, en son temps, la direction de mon parti était en prison pour des raisons que vous connaissez bien. J’étais en exil. Je voulais rentrer dans mon pays. Tout d’un coup, on me dit qu’il y a un coup d’Etat, mes amis sont libérés et que je peux rentrer au pays. J’étais joyeux comme tous les Ivoiriens qui ont dansé dans la rue. Mais, je condamne les coups d’Etat. Cela a été le point de départ d’une aventure malheureuse pour la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens.
Parrain de la rébellion ? Je suis un peu surpris de tout cela parce que des gens se sont réclamés de la rébellion. Ils disent qu’ils ont organisé la rébellion. On les laisse de côté et on dit que c’est Alassane Ouattara. Or, Alassane Ouattara était tranquillement chez lui le 19 septembre quand on m’a averti qu’un groupe de personnes venaient à mon domicile. Le Général Guéi venait d’être assassiné avec 17 personnes. J’ai essayé de m’informer. C’était vrai. J’ai eu à plusieurs reprises Lida Kouassi Moïse (ministre de la Défense au moment des faits, ndlr). Il m’a donné les assurances, quand j’ai appris que le Général Guéi qui avait été accusé d’avoir organisé le coup d’Etat a été assassiné. Pendant qu’on me menaçait, j’entendais de ma cour : « après le Premier ministre, nous allons chez le vieux Bédié pour l’achever ». Cette affaire a été beaucoup douloureuse pour tout le monde. Vous savez, des gens sont morts de part et d’autre. Un coup d’Etat manqué qui se transforme en rébellion, qui divise la Côte d’Ivoire, amène des enfants de ce pays à se tuer, je déteste et je condamne cela. Ces jeunes gens ont pris les armes. C’était leur manière de faire, mais je condamne le coup d’Etat. Cela n’aurait jamais dû arriver. On ne doit pas régler les problèmes de la Côte d’Ivoire par les armes. Cela doit se faire par le dialogue, par la politique. C’est ce que j’ai essayé de faire. Ces jeunes gens ont cru bien faire en épousant les objectifs que j’avais, par rapport à une société de justice et d’équité. J’espère qu’ils ont bien compris que ce n’est pas par les armes qu’on peut résoudre les problèmes. Nous devons aller aux élections qui doivent être démocratiques et transparentes. Le choix doit être laissé à la majorité des Ivoiriens. Je tiens à le préciser, je suis contre la violence.
J’ai fait mes études aux Etats-Unis au moment où luttait Martin Luther King. Il était la personne la plus admirée au monde. Cela m’a marqué. Je continuerai ce combat de non-violence, de paix. C’est pour cela que, dans mes meetings, j’insiste sur la paix, sur la réconciliation.
L’après élection, l’acceptation du résultat du scrutin inquiète plus d’un observateur. Est-ce que vous n’avez pas peur ? Est-ce qu’il n’y a pas de danger à l’horizon quand on sait que vous êtes adulé par vos militants pour lesquels vous représentez un mythe ?
ADO : Je pense que les uns et les autres sous-estiment la maturité des Ivoiriens. J’ai fait les 19 régions de la Côte d’Ivoire, tous les départements, toutes les sous-préfectures. J’ai été accueilli avec enthousiasme. Je n’ai pas eu un sachet d’eau, même pas une pierre sur la tête. En réalité, la politique a tenté de diviser les Ivoiriens et cette crise a été longue et douloureuse. Moi, je souhaite que les populations comprennent que c’est l’avenir de la Côte d’Ivoire qui importe. Je suis persuadé que ces élections, quelles que soient les manipulations intentionnelles de certaines personnes, seront paisibles. Les Ivoiriens, civils comme militaires, ne veulent plus aller dans une situation de trouble, de tuerie, de massacre. C’est terminé. Vous dites que mes militants m’adulent, je suis très heureux qu’ils soient attachés à moi. Même à Yopougon où j’étais hier (ndlr : mercredi), j’ai dit à mes militants de ne pas céder aux provocations. J’ai dit que nous voulons des élections apaisées. C’est ce que j’ai dit partout. Je profite de ce plateau pour dire aux Ivoiriens notamment à mes militants et sympathisants de ne pas céder aux provocations.
C’est le respect du Code de bonne conduite ?
ADO : Oui ! Je l’ai signé et je respecterai toujours ma parole et ma signature.
Tous les sondages publiés par la Sofres vous donne troisième, après les présidents Gbagbo et Bédié. Mais, vous et vos militants persistez que vous serez au deuxième tour. Pourquoi ?
ADO : Vous savez, moi aussi j’ai fait des sondages. J’en ai fait tous les six mois. Je n’ai pas voulu les publier. Ces sondages ne m’ont jamais mis troisième. Vous savez, on dit souvent que les sondages sont toujours en faveur de celui qui les commande. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé avec la Sofres. Nous, nous avons fait le point, pas seulement par les sondages. Je précise que le sondage que nous avons fait est allé sur la base de 6000 personnes, 2000 à Abidjan et 4000 à l’intérieur du pays. Le sondage de la Sofres est basé sur 600 personnes à Abidjan et 800 à l’intérieur. C’est donc le 1/5. Et ce sondage de la Sofres a été payé à coût de milliards sur le budget de l’Etat. Nous, notre sondage a été fait par des jeunes Ivoiriens qui sont compétents et qui ont fait leur preuve ici en Côte d’Ivoire. Il est important de signaler cela.
N’est-ce pas la crédibilité de la Sofres que vous mettez ici en cause ?
ADO : Ecoutez, moi je dis ce qui est la réalité. J’ai mes sondages. Et je suis persuadé qu’ils sont justes. Vous savez, je suis un statisticien de formation. Un sondage qui a un échantillonnage cinq fois supérieur à un autre, est bien meilleur. Surtout avec des jeunes Ivoiriens. Si je précise la nationalité, c’est parce que ces jeunes Ivoiriens connaissent mieux la Côte d’Ivoire. Ils connaissent la psychologie des Ivoiriens. Ils connaissent mieux la répartition des opinions. Ce n’est pas un sondage manipulé.
Avec la crise, l’unité nationale a pris un coup. Il s’agira certainement pour vous, si vous êtes élu, de recoller les morceaux. Alors, comment allez-vous procéder ?
ADO : Je crois que c’est la question fondamentale. Ces élections doivent nous permettre d’abord de faire en sorte que la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens se retrouvent, en totalité. Il faut l’unité totale des Ivoiriens et l’unité du pays. C’est pour cela que j’ai promis dans mon programme, un gouvernement de rassemblement. Un gouvernement qui ne comprend pas seulement le RHDP. Mais comprendrait des éléments du FPI, de la Société civile. En somme, je veux les meilleurs.
En prenant partout, vos militants, pour avoir été au charbon avec vous, accepteraient-ils cela ?
ADO : Il n’y a pas que les postes de ministres dans ce pays. Moi, je pars d’un principe que j’ai appris avec le Président Nelson Mandela. Parce que quand il formait son premier gouvernement, j’étais au Fonds Monétaire International (FMI) et je suis allé le voir. J’ai remarqué que le tiers de son gouvernement était composé de ministres qui ont servi sous l’apartheid. Et quand je lui ai posé la question, il m’a répondu simplement ceci : « Je veux rassembler les Sud-africains. Il faut qu’ils apprennent à vivre ensemble pour bâtir la nouvelle Afrique du Sud ». Moi, je veux rassembler les Ivoiriens pour essayer de bâtir cette Côte d’Ivoire nouvelle. Il faut que ces antagonismes cessent. Que les hommes politiques ne se regardent plus avec méfiance. Qu’on trouve les plus compétents, les plus méritants et qu’on les mette au travail. Vous avez parlé tout à l’heure de mon cursus. Des gens disent que la crise, c’est en 1999 avec le coup d’Etat. D’autres disent que c’est en 2002 avec la rébellion. Mais, vous oubliez dans quelle situation se trouvait la Côte d’Ivoire en 1990. C’était une crise aussi grave que celle d’aujourd’hui. On ne pouvait pas retirer un chèque de 10.000 Fcfa d’une banque parce que les banques n’avaient plus d’argent.
Président, nous allons revenir sur les questions économiques. Cependant, vous parlez d’un gouvernement de large ouverture. Est-ce à dire qu’il faudrait s’attendre à un gouvernement pléthorique une fois Alassane Ouattara au pouvoir?
ADO : Vous savez, rappelez-vous quand le Président Houphouët-Boigny m’a demandé de former le gouvernement le 7 novembre 1990. Je suis passé d’un gouvernement de 44 ministres à un gouvernement de 20 ministres. Je ne dis pas que je ferai à nouveau un gouvernement de 20 ministres. Mais, avec un gouvernement de 30 ministres, ce qui serait moins que le gouvernement actuel, on peut accommoder tout cela. On n’a pas besoin d’un gouvernement de 100 ministres pour accommoder tout le monde. Il faut prendre les meilleurs, les plus expérimentés et les plus compétents. Si dans cette définition, vous prenez deux par parti et deux dans la société civile, le gouvernement est composé.
Sur la base de la géopolitique?
ADO : Tout à fait. Je pense que ce n’est pas un élément fondamental. Mais, il faut en tenir compte. Souvenez-vous que moi, j’avais découpé la Côte d’Ivoire en 10 grandes régions. Parce qu’on n’a pas besoin d’avoir 19 régions ou 70 départements. On peut trouver un regroupement qui permet d’avoir à peu près deux personnes par grande région. Et ainsi de suite. On compose une équipe de meilleure, une équipe de gens qui se mettront vraiment au travail. Et le chef de l’Etat, que j’espère que je serai, mettra les gens au travail avec les méthodes comme je l’ai fait de 1990 à 1993. C’est moi qui ai demandé que le samedi soit férié. C’est moi qui faisais venir les fonctionnaires à l’heure au travail à 7h30. J’ai mis fin aux véhicules « D » (véhicules de services) qui déambulaient partout en ville, y compris les week-ends. J’ai donc fait des choses que je vais reprendre. Parce que nous avons besoin de remettre la Côte d’Ivoire au travail.
Vous avez effectué beaucoup de voyages ces temps-ci à Yamoussoukro. J’imagine qu’à travers ces déplacements, il y a comme un message que vous adressez aux Ivoiriens.
ADO : Effectivement, je l’avais déjà dans mon programme de 2000, quand je n’ai pas eu la chance d’aller aux élections. Pour moi, Yamoussoukro est d’abord la capitale politique d’Houphouët-Boigny, là où il repose. Ensemble, nous avons tenu des Conseils de ministres là-bas. Et je considère que c’est important que cette réalisation se fasse. Je tiens à préciser que non seulement, j’y serai investi, et j’y habiterai, mais que le gouvernement, dans ses éléments essentiels, sera à Yamoussoukro.
Vous avez dit que votre ambition est d’appliquer la démocratie, en impliquant le peuple dans les prises de décisions. Mais quelle sera votre formule, dans la mesure où le peuple est déjà représenté à l’Assemblée nationale ?
ADO : Mais cela ne suffit pas. Je pense qu’il doit y avoir encore peut-être un Senat pour faire en sorte que toutes les Institutions judiciaires soient mises en place. La Cour des comptes et toutes ces institutions qui n’ont pu être mises en place pendant cette période de crise. Et il nous faut aussi évoluer vers un régime semi-présidentiel et donner des contre-pouvoirs plus importants pour que le Président ne soit pas un « demi-dieu ».
Vous n’êtes donc pas pour un régime présidentiel ?
ADO : D’accord pour le régime présidentiel au départ pour définitivement régler la crise. Mais, je crois qu’il faut évoluer. C’est l’évolution de la démocratie. Même le Parlement et le système judiciaire ont besoin d’évoluer. Vous savez, il y a trop de confusion dans tous ces systèmes.
Mais face à tout cela, quelles mesures prévoyez-vous ?
ADO : Des mesures simples. Vous savez, pour avoir un papier maintenant, c’est tout un problème. Aussi bien dans les procédures, qui sont totalement archaïques. Il faut donc les moderniser. Il faut trouver les instruments de modernisation. Il faut donc un système électronique. Il faut également un système rapide et gratuit pour régler ces problèmes de papiers. Et vous savez que la justice elle-même a besoin de formation en ce qui concerne ses hommes. Il faut aussi construire les infrastructures nécessaires pour que le monde judiciaire soit à l’aise. J’ai déjà fait une conférence dans ce sens, par rapport aux problèmes des huissiers, des avocats et de toutes les composantes du monde judiciaire.
Certains ont promis réviser la constitution. Vous, vous avez sans doute dans votre viseur les articles 35 et 38 qui parlent des problèmes d’éligibilité et aussi des pouvoirs spéciaux du Président de la République. Vous allez certainement extraire des dispositions et aussi enrichir ?
ADO : Je pense que tout ce qui est confligène doit être retiré de la constitution. Nous l’avons décidé à Marcoussis. C’aurait pu être fait, mais ce n’est pas encore fait. Ce serait l’une des premières choses à faire. Mais il y a un élément clef qui m’importe, c’est d’introduire dans la Constitution un statut spécial des Rois et Chefs traditionnels de Côte d’Ivoire.
Vous y tenez beaucoup ?
ADO : Ah oui ! Je tiens beaucoup à cela. Un peu comme au Ghana. J’ai vu comment cela fonctionne. Cela va faciliter la tâche à l’administration. Parce que nous savons ce que ces Rois et Chefs traditionnels font au quotidien dans la gestion du village, dans la gestion des conflits, que ce soit des conflits de personnes ou des conflits de terre. Alors, il faut formaliser cela et prévoir également des moyens afin que ces personnes ne soient pas manipulables par des hommes politiques. Parce que la difficulté de la démocratie, c’est la place de l’argent. Il faut s’assurer qu’il y ait un minimum d’autonomie financière des Rois et Chefs traditionnels dans l’administration de base dans notre pays
Vous comptez construire quelle fonction publique ? Une fonction publique basée sur le mérite, la culture du résultat, du contrôle…
ADO : Oui !
Mais c’est très facile. Vous savez, la fonction publique est aujourd’hui gangrénée par la fraude, la corruption, les lacunes…c’est un travail de titan.
ADO : Vous savez, je l’avais fait de 1990 à 1993. Vous vous souvenez vous deux. Je vous ai connu en cette période. Les problèmes de la fonction publique, c’était les mêmes. On parlait de corruption, on parlait d’abus de pouvoir, on parlait de gens qui avaient 10 voitures D dans leurs maisons, des gens qui habitaient des villas, qui ne payaient pas l’eau, qui ne payaient pas l’électricité, alors que l’Ivoirien moyen doit peiner pour faire cela. Donc, moi j’ai géré ces situations avant et je peux les gérer à nouveau. Il y a trop de gaspillage, il y a trop de corruption, il y a trop de laisser-aller. Je sui désolé de le dire, mais il y a un proverbe qui dit que le poisson pourrit par la tête. Donc, l’exemple se donne par la tête aussi. Les gens voyaient comment je travaillais quand j’étais Premier ministre. Moi j’étais à mon bureau dès 7H et demi. Je ne le quittais pas avant 14H. J’étais de retour à 15h. Je ne quittais jamais le bureau avant 21H. La Côte d’ivoire était au travail. Les fonctionnaires étaient contents. J’ai même supprimé les véhicules D aux Chefs de services. Ils n’en ont pas fait un problème. Parce qu’ils étaient enthousiastes. Ils ne voyaient que le résultat de leurs efforts au quotidien. C’est cela que je vais réintroduire. Le travail dans l’administration, l’équité dans le traitement des citoyens. Et la bonne gouvernance.
Nous sommes dans un pays avec 26% d’étrangers, selon les experts. Cela rend difficile la maitrise de la démographie et la planification du développement. C’est vous qui avez pris la décision en son temps d’imposer la carte de séjour aux étrangers. Si vous revenez, vous revenez avec la carte de séjour ?
ADO : Vous savez bien que cette affaire de carte de séjour avait été élaborée avant moi. Moi, je l’ai l’appliquée. J’assume. Ceci étant, Nous faisons partie de la CEDEAO qui a demandé la suppression des cartes de séjours et la libre circulation des populations ouest-africaines sur l’ensemble du territoire ouest africain. Moi je respecterai la loi. Introduire une carte de séjour en son temps était nécessaire parce qu’on faisait un état des lieux de la population ivoirienne. Vous vous souvenez que les statistiques avaient été faites pour savoir quelle était la composition des Ivoiriens par rapport aux non Ivoiriens. Et dans tous les pays du monde, cela se fait. En France, c’est la carte de séjour, aux Etats-Unis, c’est la Green card, etc. Mais cela ne veut pas dire que ceci doit conduire à une discrimination entre les personnes, d’abord entre les Ivoiriens et ensuite entre les Ivoiriens et les autres. Tout cela a été dévoyé et porte des préjudices.
Qu’est ce que vous allez faire concrètement pour mettre de l’ordre ?
ADO : Il faut que la loi soit appliquée de manière stricte. La définition de la nationalité est claire dans notre code de la nationalité. Est ivoirien toute personne née d’un père ou d’une mère ivoirienne. Il faut qu’au sommet de l’Etat, cela soit affirmé. Que l’on sache que la question de la nationalité n’est pas une question de patronyme, que la question de la nationalité n’a rien à voir avec le régionalisme, que nous devons vivre ensemble dans la paix. Et que les droits des citoyens doivent être respectés, et que la diversité est une richesse. Regardez les Etats-Unis, Ce qui me frappe dans ce pays – moi j’y suis allé à 20 ans – quand les gens viennent d’où que ce soit, ils se considèrent d’abord comme américain, ils ne se considèrent pas comme originaire de l’Inde, du Pakistan ou d’Afrique. C’est ce dont je rêve pour la Côte d’Ivoire. Que tous les Ivoiriens soient fiers d’abord d’être Ivoirien. Avant de dire : « je suis Agni, je suis Baoulé, je suis Dioula », on est d’abord Ivoirien. Je rêve de cela et je pense que nous allons y arriver.
Vous avez été présenté comme le candidat de l’Etranger… les relations avec l’Occident, notamment la France sont difficiles. Comment comptez-vous arranger la situation ?
ADO : D’abord, je voudrais bien savoir ce que ça veut dire candidat de l’Etranger ? Ce sont des Ivoiriens qui votent. Les 14 candidats sont de Ivoiriens. Donc, je n’entre pas dans ce débat. Mais je veux qu’on comprenne que nous sommes dans une période de mondialisation. La Côte d’ivoire ne peut pas vivre seule, isolée de tout le monde. Donc ce sont des notions qui me paraissent regrettables. On doit bannir ce genre de langage. Il faut arrêter de diviser les Ivoiriens. Disons aux Ivoiriens : « nous sommes tous Ivoiriens – c’est ce que je disais toute à l’heure – Nous voulons vivre sur notre terre, ensemble, sans distinction et sans discrimination ». Maintenant, les relations avec les autres, cela se fait par cercle concentrique, nous avons des pays voisins avec lesquels nous avons une longue histoire, que ce soit le Burkina ou le Mali ou le Ghana au plan économique, ou le Liberia par exemple au plan géographique, ainsi de suite. Il faut renforcer cette coopération. Ce sera ma première priorité.
Et la France ?
ADO : La France même a demandé la révision des accords de coopération. C’est tout à fait naturellement que nous allons le faire. Dans l’intérêt de la Côte d’Ivoire, bien entendu.
M. Le Premier ministre, nous allons commencer, dans la rubrique économique, par les réalités que vivent les Ivoiriens. Nous nous souvenons, vous l’avez dit vous-même, que dans le dernier trimestre de 1990, les Ivoiriens n’arrivaient même plus à retirer 10 000 FCFA dans une banque. Et vous êtes arrivé. Et vous avez dit que les salaires ne pouvaient plus être payés parce que la situation était très critique. Qu’est-ce qui vous fonde à dire aux Ivoiriens, qui ont retenu ces moments difficiles, que vous pourrez mieux faire que par le passé ?
Alassane Ouattara : Ah oui. Je pense que les Ivoiriens ont vu ce que j’ai fait à cette époque. Souvenez-vous quand il y a eu la crise, c’est parce que le président Houphouët savait que je diminuerais les salaires – et les salaires ont été diminués dans tous les pays voisins, voire de l’Afrique centrale, le Cameroun, le Burkina, le Gabon – il n’y a qu’en Côte d’Ivoire que les salaires des fonctionnaires n’ont pas été touchés. Pourquoi ? C’est grâce à moi.
C’est parce qu’ils n’ont pas voulu….
A.O : Non, non, attendez. Le chef de l’Etat avait quand même décidé de réduire les salaires. Et quand il a vu qu’il y avait la fronde, c’est là qu’on m’a demandé de créer ce fameux comité et le 12 avril 1990, je crois que vous l’avez dans vos archives, j’ai fait un discours de six minutes à la télé, alors que je n’étais que gouverneur de la banque centrale, je n’étais pas ministre. Et j’ai dit à mes compatriotes : « rassurez-vous, je vais mettre en place un plan de reforme qui fait qu’on ne touchera pas à vos salaires ». Et on n’a pas touché aux salaires des uns et des autres. Maintenant, au fil des mois, nous avons compressé la masse salariale, nous avons pris des mesures douloureuses. C’est certain, mais c’était mieux de prendre ces mesures douloureuses que de réduire les salaires de 10 ou 15%, surtout les plus bas salaires. Ayant réglé cela, nous sommes passés aux reformes et c’était des reformes importantes. La deuxième chose qu’il y avait, c’était le problème d’électricité. Les étudiants avaient insulté le président Houphouët parce qu’il y avait des pannes d’électricité. J’ai résolu le problème d’électricité avec la création de la CIE. Autre chose, des étudiants, quand ils m’ont vu, qu’est-ce qu’ils m’ont dit ? « Nous sommes des milliers dans un environnement malsain, nous voulons de nouvelles infrastructures ». En deux ans, j’ai construit deux universités, j’ai fait deux URES à Daloa et à Korhogo. C’est très facile que les gens aient retenu une partie de ce que l’on a fait. Aucune œuvre n’est parfaite. J’assume. Il y a eu des mesures que j’ai eu à prendre, que je ne prendrais pas aujourd’hui. Mais la situation était une crise. Et elle n’était pas seulement en 99 et en 2002. La crise était réelle en 90. Et vous, M. Bahinchi, vous le savez. En 1990, on ne pouvait pas retirer un chèque de 10 000 FCFA dans une banque ici. C’était la crise financière. On était au bord de la banqueroute.
En 93, lorsque le président Houphouët est parti, votre successeur Henri Konan Bédié a parlé de pluie de milliards…
A.O : Vous êtes économiste, moi aussi. Une économie, elle se fait en un, deux ou trois ans. Et c’est après qu’on a les résultats. Je suis très heureux qu’il y ait eu cette pluie de milliards. Mais, la pluie ne tombe pas soudainement. Il faut des nuages. Ensuite, ils se transforment en pluie.
Il faut convaincre certaines personnes notamment les enseignants qui se souviennent de leur raccrochage…
A.O : C’est une décision douloureuse également. Vous voyez, j’avais une promotion de 200 médecins qui étaient sortis et nous ne pouvions en recruter que 100. Ils sont venus dormir devant la Primature en m’empêchant de sortir en disant : « nous préférons que votre voiture monte sur nous, nous tue parce que nous ne pouvons pas vivre sans emploi ». J’ai trouvé cette formule temporaire de les décrocher de quelques mois, un ou deux ans, en leur payant un salaire au moins et en leur donnant un emploi, en me disant que quand la situation financière irait mieux, en ce moment-là, on régulariserait la situation. Vous savez, il y a la manipulation, la désinformation, les mensonges. Je souhaite que le débat soit sain. Qu’on aille dans les archives, on verra que cette mesure était temporaire et qu’au total, 2000 personnes étaient concernées. On aurait réglé leurs problèmes deux ou trois ans après. Et la Côte d’ivoire serait bien repartie.
Nous allons maintenant aborder la fiscalité. Vous proposez de procéder à une reforme en profondeur en envisageant relever trois défis majeurs : promouvoir la fiscalité incitative, créer des entreprises, procéder à un large recouvrement des impôts et faire en sorte qu’il y ait une réduction de cette fiscalité-là. Comment cela peut-il être possible quand on sait que beaucoup d’efforts ont déjà été faits ? En Côte d’Ivoire, nous avons aujourd’hui par exemple environ 18% d’impôts par rapport à certains pays qui en ont 30%. Pensez-vous que c’est cela aujourd’hui le problème pour les Ivoiriens ?
A.O : Oui. C’est important, la fiscalité. D’abord, je voudrais féliciter le ministre Diby, il fait du bon travail. Je suis même allé à Washington pour le soutenir pour le programme PPTE. J’ai payé le billet et l’hôtel de ma poche parce qu’il fallait absolument ce PPTE avant le 31 mars de l’année dernière. Donc, ce n’est pas une question de personne. Je voudrais expliquer à mes compatriotes, ce qui est important. Vous dites que le taux (d’impôts) est de 18%. Mais à un moment donné, c’était 21%. C’est parce qu’il y a de la corruption. C’est parce que les recettes douanières ne rentrent pas aussi bien qu’on le dit. C’est parce que l’impôt ne rentre pas bien aussi qu’on le dit. C’est parce que le niveau de fiscalité est trop élevé. C’est-à-dire l’impôt que vous payez, et que moi je paie est trop élevé. Il faut le réduire. Et cela m’amène à parler du financement de mon programme. Pour cela, je dis que ce n’est pas aussi marginal. Si vous voulez faire un programme économique et financier, c’est comme si vous voulez construire une maison. Vous commencez par dire ‘’combien je peux mettre dans cette maison, comment je vais trouver l’argent, avec quel matériau je vais bâtir la maison’’. C’est cela mon programme économique. Donc, je me dis que pour faire mon programme de 12000 milliards, il me faut améliorer la fiscalité, c’est-à-dire les impôts, la douane, faire rentrer toutes les recettes des mines, du pétrole qui sont hors budget et réduire les dépenses. Cela fait une partie du financement. Je poursuis le travail fait par Charles Diby pour l’allègement de la dette. Et nous payons près de 500 milliards de FCFA par an pour la dette. Une fois que cela est allégé, ça me donne à peu près 500 milliards et après cela, tout ce qui a trait à la coopération internationale. Vous savez qu’à cause de cette crise et de la mauvaise gestion, la Côte d’Ivoire n’a pratiquement pas de vrais décaissements de pays comme la France, les Etats-Unis, le Japon, le Canada. Je veux dire de grosses sommes. Alors que dans une situation normale, c’est par an près de 600 à 700 milliards de FCFA que nous obtenions. Une fois que vous avez fait cela, sur une base annuelle, c’est plus de 2000 à 3000 milliards que vous obtenez. Et sur les 5 ans, vous êtes au minimum à 12000 milliards. Comment on y arrive ? On y arrive parce que nous avons fait un plan qui prend en compte les préoccupations de chaque village, de chaque sous-préfecture, de chaque département, de chaque région. Dans telle région, les pompes villageoises ne marchent pas. Et la réparation d’une pompe coûte 100 000 FCFA. Il y en a 200 à réparer, ça fait tant. Des centres de santé sont délabrés. Il faut 2 millions pour réparer le centre de santé, l’hôpital qui est dans le département est délabré. Il faut peut-être par exemple y investir 20 millions de FCFA. C’est tous ces montants additionnels, d’abord dans nos villages, ensuite dans les départements, les régions, qui ensemble donnent les 12 000 milliards. Je profite de la fiscalité pour expliquer cela. C’est important que mes compatriotes le comprennent qu’on ne peut rien faire sans argent. Et on ne va pas s’adresser aux autres pour faire ce que l’on doit faire. Ceux qui disent que ce financement est impossible ne connaissent pas les questions de financement. Et ceux qui pensent que cela va endetter la Côte d’Ivoire, je dirai que c’est faux parce que toutes le ressources que j’ai citées sont des ressources intérieures ou des ressources concessionnelles comme le disent les économistes. En plus de cela, le quart du montant que j’ai prévu, 2500 à 3000 milliards sont des investissements privés de grands projets, par exemple les barrages, l’exploitation de minerai de fer à Bangolo, de bauxite à Odienné et ainsi de suite. Je trouve que c’est une question qui intéresse beaucoup de mes compatriotes. Je voudrais profiter de cela pour le dire, parce que vous voyez, si on n’explique pas cela, c’est très facile d’aller tromper les Ivoiriens et dire qu’il va donner des milliards. Ce n’est pas cela.
Les Ivoiriens sont habitués aux promesses qu’on fait mais qu’on ne tient pas…
ADO : Cher ami, de 90 à 93, j’ai quand même construit deux universités et deux URES, une à Korhogo et une à Daloa, en période de crise. Depuis que je suis parti, il n’y a pas une seule université, qui a été construite. Ça par contre c’est une preuve que je fais ce que je dis…
L’élection présidentielle, est une équation personnelle importante surtout quand on souhaite le retour des investisseurs étrangers et l’appui des bailleurs de fonds.
ADO : Vous me permettez de revenir à nouveau sur le financement. J’ai dit 12 mille milliards, prenons à peu près 2 mille à 2, 5 milliards par an. Il y a 500 milliards sur l’année que vous obtenez à partir de l’amélioration des recettes du budget et de la compression des dépenses, telles que les fonds de souveraineté qui sont extraordinaires – on gaspille de l’argent, on achète des 4X4 à des gens qui n’ont rien à avoir avec le gouvernement – Cela donne de l’argent. Deuxièmement, la réduction de la dette. Je vous l’ai dit, cela donne pratiquement 500 à 700 milliards. Prenons 500 milliards. Cela fait déjà 1000 milliards. La coopération bilatérale et multilatérale, tous les fonds qui n’ont pas été décaissés depuis des années donnent également la même chose. Et quatrièmement, l’investissement privé. Et il y a aussi la confiance. Si vous allez voir votre banquier, vous remplissez des dossiers pour avoir un crédit, il va se renseigner pour savoir qui vous êtes. Si vous avez pris un crédit avant dans une autre banque et que vous n’avez pas remboursé, il ne vous donnera pas de crédit. Le fait est que moi j’ai travaillé dans ces institutions – vous savez que pour aller au Fonds monétaire international, il y a une enquête de moralité, une enquête financière, on vous suit avec les plus grands services de renseignement. Si moi, j’étais un farfelu – excusez-moi du terme – je ne serais jamais recruté comme Directeur général adjoint du FMI. Il y a une équation personnelle, je ne vais pas vous le cacher. Mais ce n’est pas cela l’essentiel. Je sers mon pays d’abord. La Côte d’Ivoire a beaucoup de ressources. La Côte d’Ivoire a un potentiel humain, il faut remettre l’administration au travail. Il faut que les Ivoiriens d’abord et également les investisseurs, aient confiance en la Côte d’Ivoire et aux Ivoiriens.
Tout à l’heure, vous parliez de la gestion qui n’est pas bonne. Mais vous ne trouvez pas qu’il y a quand même un minimum d’effort qui est fait, lorsqu’on sait que ce sont les efforts économiques d’une partie du pays qui supportent tout le poids des charges de l’Etat.
ADO : Moi, je ne suis pas aux affaires mais j’entendais dire qu’il y avait une partie utile et une partie inutile. Donc cette partie utile devait suffire pour tout régler. Même dans la partie ‘utile’’ qu’est ce qui a été fait ? Est-ce qu’il y a eu une nouvelle université à Abidjan depuis 10 ans ?
C’est parce qu’il y avait la crise
ADO : Et les deux ans avant et les quatre ans après la signature des accords de Ouagadougou ? Moi j’ai fait deux universités en 3 ans. Des gens qui ne peuvent pas en faire une seule en 10 ans ? Mais écoutez, il faut arrêter de nous raconter des choses. Je considère que c’est important qu’on dise aux Ivoiriens ce que nous pouvons faire. Moi j’ai un bilan, je n’étais pas président de la république, de 90 à 93. J’ai fait de bonnes choses, j’ai fait des choses que je ne referais pas aujourd’hui. C’est cela la vie normale. Mais ceci étant, j’ai un bilan. Il est là, il est physique, il est concret. Mais si je suis candidat aujourd’hui, c’est parce que j’ai compris parce que je ne peux pas continuer de voir les Ivoiriens et l’état dans lequel la Côte d’Ivoire se trouve aujourd’hui.
Vous avez dit qu’il y a des choses que vous ne referiez pas. Est-ce que parmi ces choses, on peut classer la politique de privatisation ?
ADO: Non, d’ailleurs heureusement que j’ai privatisé l’électricité. Autrement, on serait dans le noir. On ne ferait pas d’émission spéciale
Et les derniers délestages ?
ADO: Il y a eu le délestage tout simplement parce qu’il n’y a pas eu d’investissements pendant 10 ans. Vous savez, la gestion économique et financière, c’est comme la maintenance d’une voiture. Il faut que chaque trois mois, on regarde, on s’assure que telle partie marche, les barrages, que s’il n’y a pas d’eau, on doit investir dans tel secteur. Tout cela n’a pas été fait. Pendant des années cela s’accumule et après on prend les pots cassés… Ce n’est pas normal que le super soit pratiquement à 700 F ici alors qu’au Burkina et au Mali, il est à 500F.
On parle de l’électricité
ADO : Tout est lié. Dans le cadre des conditions de négociation. Si la privatisation était mauvaise, ils ont eu 10 ans, pourquoi, ils n’ont pas nationalisé?
A l’époque, vous disiez qu’il n’y a pas de secteur stratégique en matière de privatisation. Vous êtes dans la même logique?
ADO : Qu’est ce qu’il y a d’autre à privatiser, dites-moi ?
Vous privatiseriez la SIR si vous êtes aux affaires ?
ADO: La SIR, non, je ne pense pas, mais il faut amener d’autres grosses sociétés de
raffinage à s’installer en Côte d’Ivoire. Et faire baisser le prix de l’essence. C’est la compétition qui permet de réduire les coûts. Quand l’offre est abondante, les prix baissent. Je suis confiant que je le ferais parce que ce n’est pas normal. Je suis désolé de le dire, que le litre de l’essence est plus cher ici que dans les autres pays, que les prix de l’électricité soit plus cher qu’au Burkina ou au Mali à qui nous vendons le courant. Quand j’ai privatisé l’EECI en CIE, deux ans après, on exportait l’électricité au Ghana. Mais aujourd’hui, c’est nous qui importons.
Alors, de façon concrète, si vous arrivez, qu’est ce qui va changer ?
ADO: Moi, j’ai fait un programme où j’ai insisté sur le financement, c’est pour convaincre mes compatriotes. D’abord, pour les projets, nous avons calculé de manière précise dans chaque village, dans chaque sous-préfecture, dans chaque département. Que ce soit dans le domaine de la santé, de l’école, des routes …
C’est un problème de gouvernance. Et il faut faire en sorte que l’Ivoirien profite de la gestion de l’économie nationale. Et c’est ce que je propose à mes compatriotes.
En même temps que vous parlez de la réduction de la fiscalité, dans le même temps, vous voulez faire de la fiscalité, un élément moteur pour accroître la politique de la solidarité. Comment cela va se passer ?
ADO: Non, non, je suis un libéral. Je dis que je préfère du libéralisme à visage humain. C’est-à-dire, beaucoup de social et c’est ce que vous verrez dans mon projet. Alors, j’ai dit dans mon projet qu’il y a deux composantes. Il y a d’abord tout ce qu’il y a à faire pour améliorer le bien-être des Ivoiriens. Que ce soit des investissements pour l’eau, pour l’électricité, les infrastructures, etc. et tout ce qui a trait à la création d’emplois. La création d’emplois se fait comment ? Cela se fait d’abord en ayant les sociétés privées et publiques qui recrutent des gens. Et ces investissements permettront de faire cela. L’autre chose, c’est de mettre en place des fonds spécifiques pour les jeunes, pour les femmes ou leur faire des crédits à taux réduits pour leur permettre d’entreprendre un certain nombre d’activités. Prenez tous ces jeunes gens, qui ont cru en cette ‘’politique de ‘’Refondation’’, ces jeunes patriotes qui ont défendu la république en novembre 2004, dans la douleur, il y a eu des morts, et combien d’années après ils n’ont pas de travail. Ils ne font rien du tout. Ils sont dans la rue. Il faut leur trouver des emplois. Ça peut être un objectif. L’Afrique du Sud a trouvé du travail à tous les jeunes de l’ANC. Pourquoi nous ne le faisons pas. Ça fait 4 ans que nous avons l’Accord de paix de Ouagadougou. Donc je veux vous dire que c’est possible. Moi je peux le faire. Et je dis à mes compatriotes, j’aime mon pays. Je veux faire en sorte qu’on sorte de cette crise. Ce n’est pas en bavardant qu’on va le faire. C’est en se mettant au travail. Vous parlez maintenant de tout ce qui a trait à l’aspect fiscal par rapport aux autres politiques. Moi je ne suis pas un fiscaliste. Mais on ne peut pas prendre juste une partie de la gestion de l’économie. Il y a aussi la monnaie. Vous savez que tous les grands économistes qui ont eu des prix Nobel sont quasiment tous Américains. Et ce sont tous des monétaristes. Parce qu’ils trouvent que la gestion de la monnaie a une grande influence sur l’économie globale que la fiscalité. Moi je suis de cet avis. Je pense qu’il faut un équilibre. Alors pour la monnaie, qu’est ce qu’il faut faire ? Il faut amener la BCEAO à réduire l’impôt bancaire. Nous devons nous aligner sur l’impôt français.
Et l’arrimage de l’Euro ?
ADO : C’est une question communautaire. Je ne serai pas le seul à décider et je ne ferai pas d’impérialisme économique ou monétaire. Il y a cette image de l’Union monétaire qui a protégé notre économie. Nous devons nous concerter et voir si cela nous arrange ou si nous devons continuer. En tout cas pour moi, cela a bien marché. A supposer que nous ayons une situation où la monnaie est couchée, nous allons injecter de l’argent dans le système et cela va provoquer une inflation. Au lieu que le kilogramme de viande soit à 1700 Fcfa chez le boucher, cela sera à 6000 Fcfa ou 10 000 Fcfa.
Que dit la Communauté ?
ADO : Quand j’étais Gouverneur de la Bceao, j’ai pris des contacts avec le Ghana et le Liberia pour qu’ils rejoignent le Franc CFA. J’ai pris également contact avec le Directeur du Trésor français, Jean-Claude Trichet qui est d’ailleurs un ami. Le Gouverneur Fadiga m’a envoyé à plusieurs occasions au Nigeria pour que ce pays soit un pool avec le Naira et rattaché au dollar et que nous, nous ayons notre pool après que le Ghana et le Liberia soient accrochés à l’Euro. Cette monnaie n’avait pas encore été fabriquée mais nous on le savait. Et après, on mettait les deux pools ensemble. Moi, j’ai cette vision. Quand que je serai élu, je prendrai l’initiative d’aller les voir et leur dire que dans un horizon pas lointain nous devons arriver à une monnaie ouest africaine.
Vous avez demandé aux banques de faire plus et moins cher ? Mais à vous écouter, vous faites incursion dans le système bancaire.
ADO : Il n’y a pas plus libéral que les Etats-Unis. Regardez le Benin. Et même en Côte d’Ivoire, il y a des escrocs qui se baladent. Il faut une régulation, même une surveillance. Il y avait la banqueroute. C’est-à-dire, la mauvaise gestion des banques, donc la faillite. Ce n’est pas immodestie, mais c’est moi qui ait créé la commission bancaire quand j’étais gouverneur et j’ai exigé qu’elle soit à Abidjan, parce que Abidjan a le plus grand nombre de banque. Et j’ai demandé le bilan des banques chaque année.
Il y a des projets plus accessibles à Abidjan. Vous envisagez la mise en place d’un plan de réduction immédiate de l’extrême pauvreté.
ADO : Dans les ressources globales que l’on met en place, il y a des ressources à côté pour régler les problèmes de pauvreté et de couches défavorisées. Il y a des problèmes spécifiques. Ma première mesure, c’est d’équiper et réhabiliter les centres de santé et les hôpitaux. C’est important. Il faut qu’il y ait un fonds pour régler ces questions des couches les plus défavorisées. Ca se fait partout. Je me suis occupé de l’Inde, du Pakistan et de l’Indonésie. Ces pays qui ont des centaines de millions d’habitants arrivent à le faire. Pourquoi la Côte d’Ivoire qui a vingt millions d’habitants ne peut le faire. Justement on peut le faire. On peut chercher les ressources pour le faire. Il faut avoir la volonté.
Qu’en est-t-il de la dette intérieure et extérieure de la Côte d’Ivoire et la question de la filière café-cacao ?
ADO : Ce n’est pas la faute du ministre Amadou Gon Coulibaly. Combien de fois le ministre Amadou Gon a été obligé d’écrire au Chef de l’Etat pour attirer son intention sur la manière dont les choses étaient faites. Il y a un ministère de l’Agriculture à la Présidence. Je ne voudrais pas faire de la polémique, mais je voudrais simplement dire que ce sont des questions fondamentales de gestion et de gouvernance dans notre pays qu’il faudrait régler. Je voudrais surtout expliquer mon programme et pourquoi je tiens à le mettre en place et ce sera une vraie sortie de crise. Et dire aux Ivoiriens d’adhérer à ce programme parce que j’estime que ce sera la vraie sortie de crise. Il y a certains aspects que vous ne m’avez pas donné l’occasion d’expliquer. Je veux m’assurer que j’aurais le temps d’expliquer aux Ivoiriens les choses qui les concerne. Parce que cette émission est très objective. C’est une occasion d’expliquer ce que je vais faire pour chaque Ivoirien.
Quel sera le nouveau système sanitaire que vous proposez ?
ADO : La particularité, c’est de dire aux Ivoiriens ce que l’Amu a proposé de faire et cela n’a pas marché. L’Amu, en fait, voulait créer un fonds pour la couverture médicale. Bien sûr, ce serait un fonds déficitaire parce qu’on connaît la gestion de tous établissements publics. Y compris la gestion du café-cacao. Moi ma couverture médicale, c’est une assurance médicale à 1000 Fcfa par personne. Ce qui permet donc avec cette somme de donner des soins de base et des médicaments de base. C’est ce qui est appliqué dans certaines entreprises de la place avec des employés et cela marche très bien. Une assurance médicale qui permet, bien sûr avec ceux qui ont un peu plus de moyens, de payer un peu cher, et pour les couches défavorisées de bénéficier d’une série de soins et de manière gratuite. Voilà comment je prévois le système sanitaire ivoirien.
L’initiative de Bamako recommande la participation des populations pour les frais de santé. Malheureusement, les tickets modérateurs font fuir les patients. Vous remettez en cause l’initiative ?
ADO : Non, c’est le système d’assurance. Une fois que vous payez 1000 Fcfa, vous avez accès aux soins. Je dis que je commencerai par tout ce qui est en rapport avec la santé. Parce que les Ivoiriens en bonne santé c’est bon, non seulement pour les Ivoiriens, c’est bon pour l’économie ivoirienne. Ce serait une priorité. Bien sûr, il y a d’autres priorités. Vous savez, ces choses ont été négociées. Même le protocole de Bamako a été négocié. Parce qu’à l’époque, j’ai négocié avec les plus grands pays. Si c’est à reprendre on reprendra. Et on va négocier pour que cela soit conforme aux intérêts de la Côte d’Ivoire. Parce que je tiens à résoudre les problèmes de santé des Ivoiriens. Je ne connais pas cette question en détail, je ne connais pas le protocole de Bamako. Moi, je voudrais être honnête avec mes compatriotes.
Ce protocole dit que les soins doivent être payés. Allez-vous remettre en cause ce protocole?
ADO : Tous les accords se négocient. Je pense que cet accord peut être renégocié. Je l’ai fait avec de grandes institutions et je suis prêt à la faire à nouveau. Je pense qu’une assurance de 1000FCFA suffit pour les personnes les plus défavorisées. Pour les personnes défavorisées, je ne peux pas soumettre les gens qui n’ont pas d’emploi ou qui n’ont pas d’argent à payer de l’argent avant d’être soignés. Où est-ce qu’on va ? Je n’accepterai pas cela.
Vous parlez d’augmenter le personnel de santé et les enseignants, n’est-ce pas là une augmentation de la masse salariale, ce qui serait en contradiction avec les directives de l’UEMOA, qui estime que l’Etat ne doit pas franchir un certain seuil ?
ADO : vous savez que quand nous avions travaillé sur la question de la dévaluation, et vous avez raison, c’était l’une des difficultés. Parce que la masse salariale en Côte d’Ivoire représentant un chiffre au-delà de ce qui était considéré comme la moyenne. La dévaluation a réglé le problème. Cela dit, il faut donner la priorité aux secteurs qui en ont besoin plutôt que de gonfler le nombre de travailleurs dans les secteurs où on n’en a pas besoin. Vous savez – et je suis obligé de le dire – moi, j’avais réduit de moitié les effectifs à la Présidence de la République, le Président Houphouët m’avait autorisé à le faire. A la Primature, nous étions 40 personnes : du Premier ministre au planton. C’est comme cela qu’on a pu recruter les instituteurs, les médecins et autres. Aujourd’hui, c’est tout l’inverse. On gonfle le nombre des administratifs et les instituteurs, les infirmiers, les médecins et autres ne sont pas recrutés. Il faut recruter le personnel dans les structures qui peuvent profiter au pays. Je pense à l’école, à la santé.
Comment allez-vous faire baisser le coût général de la santé dans votre système ?
ADO : je l’ai fait déjà en 90. Il faut continuer. Et pour cela, il faut arrêter d’importer à tout bout de champ les médicaments. Nous avons ici de grands laboratoires à qui on pourrait faire confiance. On peut faire les médicaments ici. Ce ne sont pas les infrastructures qui manquent. Je pense que nous avons la capacité de le faire.
Les parents d’élèves ont le sentiment que l’école n’est pas gratuite comme on le dit actuellement. Votre politique est-elle différente de ce qui se fait aujourd’hui ?
ADO : Nous savons à la pratique qu’il y a un système de cotisation, et que les fournitures ne sont pas gratuites. Moi, je crois qu’il faut faire autre chose. J’ai vu par exemple quand je faisais mes tournées, la joie des parents d’élèves lorsque mon épouse donnait gratuitement les kits scolaires. Parce que beaucoup de parents disaient qu’ils n’avaient pas l’argent pour acheter les fournitures de leurs enfants. Il faut réellement que les fournitures scolaires soient données gratuitement. Et cela jusqu’à 15 ans, c’est-à-dire jusqu’en 3e.
Comment se fera la reconstruction de l’Ecole ?
ADO : ça, c’est un vaste chantier. Parce que vous savez qu’aujourd’hui, l’école est un échec. Les taux d’échec aux examens de fin d’année en sont l’expression. Il y a aussi les problèmes à l’université. Malheureusement, je crois qu’il y a trois aspects du problème : il y a d’abord tout ce qui a trait aux infrastructures. Je le disais tantôt, il y a un véritable problème d’infrastructures. Depuis que j’ai fait les deux universités de Bouaké et d’Abobo-Adjamé, rien d’autre n’a été fait. J’ai prévu dans mon programme de construire 5 universités, 5 centres hospitaliers universitaires (CHU) en 5 ans. C’est important parce que ça va désengorger déjà l’existant. C’est cela la première chose
Est-ce que c’est possible ?
ADO : bien sûr, cela est possible puisque le financement est prévu dans mon paragramme. Ce ne sont quand même pas les entreprises qui manquent en Côte d’Ivoire pour réaliser ces choses. On voit les immeubles qui montent chaque jour. On n’aurait rien à redire si c’étaient des écoles ou des hôpitaux. J’en profite pour rendre hommage à tous les entrepreneurs qui ont résisté à cette crise, que ce soit les amis Libanais, qui ont cru à la Côte d’Ivoire, qui ont laissé leur argent. C’est possible de le faire. Le deuxième volet concerne le recrutement des enseignants. Nous allons le faire par département. Pour ce qui est des universités, je vais transformer les URS de Korhogo et de Daloa en universités, je vais faire une autre université à San Pedro, une autre à Abengourou et une université à l’américaine dans la région d’Abidjan pour désengorger totalement l’université de Cocody. C’est vrai que tout cela ne pourra pas se faire en un an. Mais il faut qu’on soit ambitieux dès la première année pour étudier tout cela pour faire une université chaque année. Une fois qu’on aura fait cela, il faut mettre l’accent sur la formation et le recrutement des enseignants. Vous savez, pour moi, après la santé, l’école est le meilleur investissement.
Q : Mais, les enseignants se plaignent de plus en plus de leurs statuts. Comment comptez-vous les remobiliser ?
ADO : Mais si les enseignants veulent que les conditions de travail soient meilleures, c’est déjà un plus. Moi, j’ai vu plusieurs enseignants parler de problème de salaire. Fort heureusement, c’est réglé. Mais ce sont les conditions de travail en général. Si nous avons cinq nouvelles Universités, ils seront à l’aise. Ils seront motivés. Ils auront moins d’étudiants dans leurs amphis, etc.
Donc le problème de salaire est réglé ?
ADO : Non, pas cela. Je dis c’est réglé par rapport à cette affaire de décrochage dont on parlait. Mais il n’y a pas que cela.
Mais beaucoup ne sont plus dans le circuit. Certains sont allés aux Etats-Unis. D’autres en France. Beaucoup sont restés sur le carreau. Comment allez-vous faire pour les motiver ?
ADO : Les Ivoiriens sont des Ivoiriens qu’ils soient en Côte d’Ivoire ou à l’étranger, cher ami.
Mais ils y sont à cause du plan Ouattara. Quelle est la garantie ? En 1991, c’est vous qui étiez là. C’est vous qui aviez pris les mesures.
ADO : J’ai pris ces mesures pour leur donner du travail. C’est cela qu’ils doivent retenir.
Mais ce n’est pas comme cela que les Ivoiriens voient les choses.
ADO : Je profite pour dire, chers enseignants, avec moi vous serez bien. Vous aurez de nouvelles infrastructures, vous serez recrutés et vous aurez la garantie du salaire en chaque fin de mois. Et ce n’est pas très compliqué de le faire. J’ai expliqué que ces mesures étaient des mesures temporaires. Et qu’après quelques mois, un ou deux ans, on devait ramener ces salaires à un niveau normal. Ce qui a été fait depuis quelques années. En fonction de la croissance économique que j’ambitionne d’amener à 6 ou 8% par an, je prévois revaloriser les salaires à un moment donné. Quand on voit les salaires bloqués pendant des années et des années, ce n’est pas bon pour l’économie. Pour la croissance, l’investissement seul ne suffit pas. Il faut que la consommation suive. Et pour consommer, les gens doivent avoir un salaire.
Mais avec ces mesures, l’image de l’enseignant a pris un coup. C’est la vérité.
ADO : Je le regrette. J’ai dit tout à l’heure qu’il y a des mesures que je regrettais. J’estime que cela n’aurait pas du rester aussi longtemps sans avoir une solution. Pour moi, c’était une affaire de quelques mois. Cela a duré des années. Je ne veux pas rentrer dans la polémique. Par contre, s’il y a quelque chose qu’il faut réparer ou faire accélérer, c’est de donner des meilleures conditions de vie aux enseignants. Il faut leur donner de meilleures conditions de travail. Il faut leur donner une rémunération décente. Il faut de la formation. Parce qu’il y a beaucoup qui n’ont de recyclage, qui sont démotivés. Tout cela va ensemble. C’est donc un vaste programme qu’il faudra.
Quel est votre projet dans le cadre de la gouvernance de l’Ecole, les problèmes à l’université ?
ADO : Quand les gens en parlent, on parle du cas de la FESCI. Là encore qu’est-ce qu’on n’a pas dit à mon sujet? Vous savez, moi je suis un libéral et je crois aux syndicats. La FESCI est un syndicat. Malheureusement, à un moment donné, ses membres ont versé dans la violence. Mais, toutes les indications que nous avons maintenant, nous disent qu’ils sortent de cela et ils s’orientent vers un syndicalisme normal. Ce dont je me félicite. Ils peuvent continuer de jouer leur rôle de syndicat et qu’ils quittent définitivement la violence. Moi, je n’ai aucun problème avec les syndicats d’étudiants ou d’élèves. Mais, ce qui me préoccupe plus, c’est l’ensemble de la jeunesse. Il y a pratiquement un million d’emplois que je veux créer dans mon programme. J’ai indiqué aux jeunes dans quelles conditions. Je ne vais pas prendre le temps avec les téléspectateurs et les électeurs avec cela. Les deux volets de mon programme concernent d’une part, l’amélioration de conditions de vie des Ivoiriens et la création d’emplois d’autre part. Un million d’emplois sur cinq ans, c’est qu’en même 200 mille emplois par an. Ce n’est pas rien. Cela s’est fait en Afrique du Sud, lorsque l’ANC est arrivé au pouvoir. Il faut développer des programmes qui soient créateurs d’emplois. Le secteur du tourisme, par exemple, est un secteur créateur d’emplois où la formation est courte. Dans trois ou quatre mois, on peut former des jeunes gens. Il y a aussi le secteur des nouvelles technologies où les jeunes gens qui un BAC +2, peuvent être formés rapidement pour avoir un emploi.
Vous avez cité pêle-mêle, des exemples au niveau de la gestion. Que dites-vous de l’université qui est incapable de s’autofinancer ?
ADO : Je pense que le problème de l’université n’est pas trop difficile à régler une fois qu’on a réglé les difficultés d’infrastructures et d’enseignants. C’est un domaine où il y a beaucoup d’intérêts qui concernent tout le monde. J’ai fait mes études aux Etats-Unis. Vous savez que là-bas les universités sont plus grandes. J’avais dit lorsque je rentrerai, je créerai une université privée. Mais après, je suis entré en politique. J’encourage les cadres ivoiriens qui ont de l’argent, à ne pas se limiter aux collèges privés. Mais qu’ils créent des universités privées. C’est possible avec tous jeunes Ivoiriens qui sont à l’extérieur, dans les pays francophones au Canada ou ailleurs. Qu’ils reviennent et contribuent à la reconstruction de la Côte d’Ivoire. Cela me parait essentiel. Si dans l’environnement général, le pays devient un Etat de droit et la démocratie s’installe durablement et que les problèmes de sécurité sont réglés, que l’économie devient stable, vous verrez qu’il y aura un afflux des jeunes Ivoiriens qui sont à l’extérieur.
Nous constatons que le politique est trop impliqué dans l’élection du président de l’université.
ADO : Vous savez, je suis pour les élections démocratiques. Je prendrais quelques exemples. En ce qui concerne le Conseil supérieur de la magistrature, on parle de séparation des pouvoirs et on nous dit que le président de la République est le président du Conseil supérieur de la magistrature. J’ai dit au monde judiciaire que je trouvais cela anormal. Il faut que ce soit les magistrats qui élisent le président. On fait des élections dans les dix communes et après on va dire que les élections ne suffisent pas. On laisse celui que les conseillers municipaux ont choisi et on nomme quelqu’un par décret. Il faut mettre fin à cela. Il faut laisser la démocratie jouer jusqu’au bout. Moi je suis un démocrate et j’appliquerai ces règles.
Le RDR gère l’enseignement supérieur depuis un certain temps. Endossez-vous la mesure qui fixe les frais d’inscription à l’université à 50 mille FCFA ?
ADO : Je ne suis pas chef de l’Etat actuellement. Peut-être à partir de dimanche soir. Ceci étant, il faut tenir compte de la capacité des uns et des autres à payer. On ne peut pas dans ce pays où les salaires n’ont pas bougé, où beaucoup de nos concitoyens dans certains quartiers ne mangent qu’une seule fois par jour, aller augmenter les frais d’inscription pour manque d’infrastructures. Des gens qui envoient des enfants de Tengrela ou de Bouna et autres pour les mettre à l’université et leur demander en plus de payer 50 mille FCFA. Le ministre actuel est sous l’autorité du chef de l’Etat avec qui il travaille. Vous savez que beaucoup de décrets sont pris sans les ministres qui les apprennent dans la presse. Le chef de l’Etat considère qu’il ne travaille qu’avec ceux de son équipe. Donc, je n’ai pas vérifié ce point avec le ministre Bacongo. Mais je serai surpris qu’il apprécie une telle charge.
La FESCI réclamerais 1000 FCFA sur chaque inscription et les autres syndicats réclament eux aussi leur part du gâteau.
ADO : Non, cela n’est pas normal. Il faut discuter avec la FESCI pour leur faire comprendre qu’il y a l’Etat d’un côté et qu’il y a les syndicats de l’autre. Les syndicats prélèvent quelque chose sur les salaires des travailleurs. Cela se fait dans tous les pays du monde. Mais il faut qu’ils le règlent avec les étudiants. L’Etat n’a rien à voir avec une telle situation. Vous savez, lorsqu’il y a une séparation nette des responsabilités, c’est comme cela qu’on peut travailler si le système marche bien. Mais quand il y a la confusion, personne ne sait qui est responsable et on ne va nulle part. Avec moi, ce sera clair et précis. On va s’assurer que les décisions qui sont prises, sont appliquées. Et elles seront bien appliquées. Pas le contraire.
Vous parliez tantôt dans votre programme de 200000 emplois par an pour la jeunesse. Cela me donne le sentiment que vous visez particulièrement le secteur informel.
ADO : Non ! Non ! Non ! Il y a les deux. Il y a le secteur informel mais aussi le secteur formel.
Comment allez-vous organiser le secteur informel ?
Il faut les associer de plus en plus. Par exemple, quand il y a les appels d’offre, il faut inciter les toutes petites entreprises, même quand elles sont informelles, à s’associer à de grosses entreprises. Il faut amener, ces petites entreprises, à leur apprendre le minimum de la comptabilité. Et que ceci leur apprenne à devenir des entreprises formelles avec le temps. Ça se fait dans beaucoup de pays et pourquoi pas en Côte d’Ivoire ? Je pense que ce sont des jeunes qui ont beaucoup de talent et beaucoup pensent qu’ils font des bénéfices. Ils pensent que ça marche bien alors que ne marche pas et au bout d’un certain temps, ils sont endettés, ils perdent tout ce qu’ils ont. Il faut les encadrer et les amener à avoir un minimum de comptabilité et les amener à recruter également et à élargir leur base d’opération.
Vous parlez de la construction d’un lycée sport-étude à Bouaké. Est-ce l’amorce d’un projet qui va s’étendre sur toute la Côte d’Ivoire ?
C’est ce que j’ai dans mon projet actuellement, étant entendu qu’on ne peut pas tout faire en même temps. J’ai prévu ce projet et avec l’expérience, on verra si c’est possible d’aller plus loin. Le sport est important pour nous tous et moi j’aimerais faire plus. J’ai donné la priorité aux cinq (5) CHU et aux cinq (5) universités. Dans l’ensemble dans universités, il y aura un dispositif de sport comme dans les universités américaines. Ceci étant, le lycée sport-étude est un projet pilote, précis, qui veut montrer ma détermination à soutenir le monde sportif.
Etes-vous pour la légalisation de la polygamie ?
ADO : J’ai mon avis personnel mais je suis un démocrate…
Certains souhaitent voir l’introduction de la polygamie dans la constitution ivoirienne.
La Côte d’Ivoire est un Etat laïc et moi je ne veux pas être un président qui décide à la place des autres. Si c’est le vœu, il faudrait un débat national. Mais, je considère qu’à présent la polygamie n’est pas dans les lois, donc elle n’est pas reconnue. Si à l’évolution des choses, l’Assemblée nationale se saisie d’une proposition de loi pour le faire, ça sera la décision de l’Assemblée nationale. Mais je ne voudrais pas donner mon avis personnel sur une telle question.
Juste une préoccupation. Vous proposez de créer 200000 emplois pour les jeunes et en même temps vous voulez faire appel aux retraités. Est-ce que vous pouvez l’expliquer ?
ADO : Vous savez que dans tous les pays du monde maintenant, l’âge de la retraite est repoussé parce que les gens vivent plus longtemps. Par exemple pendant cette crise, les retraités enseignants ou soignants volontaires, ont beaucoup aidé. Sans eux, beaucoup de personnes seraient mortes et beaucoup d’enfants n’auraient pas reçu d’éducation. Moi je pense qu’ils sont peut être partis trop tôt à la retraite et ceux qui veulent revenir reviendront. Il faut amener le maximum de personnes à travailler. C’est par le travail qu’on accroit les richesses nationales.
Est-ce une manière de vous rattraper sur les départs volontaires et le départ à la retraite après 30 ans de service ?
ADO : Ce sont des mesures qui étaient exceptionnelles parce que la crise était difficile. Moi, je voudrais que mes compatriotes reconnaissent que 1990 était une année de crise aussi difficile que 1999, que 2002 ou qu’aujourd’hui. Vous savez que la situation économique du pays est totalement délabrée. Les problèmes de chômage, les problèmes pour les Ivoiriens de se nourrir trois fois par jour, s’accumulent. Il n’ ya pas beaucoup d’Ivoiriens qui se nourrissent trois fois par jour. Il y a les problèmes de routes. Moi j’ai visité les 19 régions de Côte d’Ivoire et j’ai vu l’état du pays. Mais, je ne peux pas accepter que mon pays soit dans une telle situation avec le potentiel que nous avons. Nous pouvons aller plus loin.
Quelle est la solution originale pour vous pour résoudre la question de l’insalubrité ?
ADO : Fondamentalement, l’Etat n’est pas géré. Il y a eu des décaissements de la Banque mondiale pour assainir la ville. Ils ont fait un coup ou deux et puis après c’est reparti. Quand il pleut, ce sont des inondations partout. Pourtant, on fait des travaux et trois mois après ça ne marche pas. Je suis allé visiter des familles à Cocody où il y a des châteaux d’eau qui sont en construction depuis trois ans et qui ne sont pas terminés. Les pauvres dames sont obligées de se lever à quatre heures du matin pour espérer trouver de l’eau avant que leurs maris n’aillent au travail. Je pourrai continuer ainsi avec des exemples à profusion. Mais je ne suis pas venu ici pour me lamenter. Je suis venu pour dire aux ivoiriens que moi j’ai des solutions. J’ai des solutions à ces problèmes parce que je les ai étudiés, nous les avons chiffrés.
Quelles solutions pouvez-vous avoir contre les ordures ?
ADO : Il faut avoir des structures qui peuvent enlever les ordures et qui peuvent les traiter, et même les utiliser à autre chose. Ça se fait partout ailleurs. Pourquoi en Côte d’Ivoire nous n’arrivons pas à le faire ?
Comme si c’était une fatalité ?
ADO : Vous voyez bien que c’est pénible et que nous ne pouvons pas accepter cela.
Votre projet de construction de logement ressemble au projet « habitat rural ». Quelle est sa particularité, surtout que vous parlez de maison à 5 millions ?
C’est un projet réel et quand je serai Président de la république, je vais aller inaugurer certaines de ces maisons. Ce sont des maisons qui doivent être faites sur une superficie de 150 m2, avec 50 m2 de surface habitable. Le coût de la maison sera peut être supérieur à 5 millions, mais l’Etat va subventionner une partie. C’est ce qui se fait en Afrique du Sud dans les townships et autres. L’Etat subventionne une partie du taux d’intérêt pour que le remboursement ne soit, par exemple, que de 25000 FCFA par mois sur 20 ou 25 ans, selon les modalités et la personne sort de la pauvreté. Parce qu’elle aura un environnement sain. Elle sera dans une maison avec sa famille, même si elle n’est pas très grande comme les châteaux de Cocody que nous voyons pousser tous les jours avec les milliards des fonds publics. Je ne souhaite pas faire de polémiques, mais je voudrais dire que ce qui m’intéresse, c’est l’ivoirien moyen et les ivoiriens les plus défavorisés en matière de logement, en matière d’école et surtout en matière de bien-être. C’est une ambition parce que j’aime mon pays, j’aime mes compatriotes. Je suis prêt à faire une contribution, j’en ai les capacités et je pense que par mon expérience, par ce que je suis, par ma qualité morale, mes compatriotes peuvent me faire confiance. Je peux et je vais apporter les solutions dont ils ont besoin.
On a entendu dire qu’on ne sort pas d’une longue crise comme on sort d’un diner gala. Dites aux ivoiriens que ce que vous leur promettez de faire.
Chers compatriotes, je profite de ces instants pour vous dire que vous devez croire en Alassane Ouattara. J’ai apporté mes preuves de 90 à 93. C’était une crise très grave, la Côte d’Ivoire était au bord de la faillite, j’ai redressé mon pays. Des mesures douloureuses ont été prises. Le Président Houphouët n’a soutenu, il m’a protégé. Je suis parti. La situation de la Côte d’Ivoire est celle qu’elle est aujourd’hui. Vous la connaissez, nous la connaissons, elle est déplorable. Je pense que notre pays mérite mieux que ce que nous avons aujourd’hui. Je suis fier d’être Ivoirien, j’aime mon pays. Et je souhaite que mon pays retrouve sa grandeur d’antan. Je crois que mon programme que je vous promets permettra d’atteindre cet objectif. Je suis sûr qu’en votant pour moi le 31 octobre, c’est-à-dire dimanche prochain, nous tournerons cette page de la crise.
Je vous remercie.
Enfin, peut-on dire, M. Ouattara vous êtes candidat à une élection présidentielle en Côte d’Ivoire. Peut-on savoir le sentiment qui vous anime depuis que vous avez franchi cette étape d’éligibilité ? Quel commentaire cela vous inspire-t-il?
Alassane Ouattara : J’ai envie de répondre : « Que de temps perdu » ! Je pense que ce n’est pas cela l’essentiel. L’essentiel, c’est d’aller à ces élections et qu’elles soient démocratiques, transparentes et apaisées. Je crois que la Côte d’Ivoire a besoin de ces élections pour normaliser la situation politique, économique et sociale, normaliser ses relations dans le monde et surtout, mettre fin aux souffrances des Ivoiriens.
Donc, la page est tournée ?
ADO : Pour moi, c’est un mauvais souvenir. J’ai pardonné et je ne voudrais même pas revenir sur ces questions.
Monsieur le Premier ministre, on ne peut pas vous voir sans évoquer cette si longue histoire de carte d’identité. Histoire écrite malheureusement en lettres de sang. Aujourd’hui vous avez une carte d’identité sans histoire. Que vous inspire-t-elle ?
ADO : Vous savez, la vie d’une nation est ainsi faite. Il y a des moments de joie, des moments de douleur et des moments de souffrance. Mais, je souhaite ne pas revenir sur le passé. Je pense que la Côte d’Ivoire doit entrer dans un Etat de droit. Nous devons tenir compte de ces millions d’Ivoiriens qui souhaitent que des élections démocratiques aient lieu et je pense que nous y arrivons et que le peuple ivoirien se prononcera dimanche prochain. Nous saurons en ce moment là, la réalité du poids des partis politiques.
N’empêche, M. Ouattara, vous avez une histoire qui vous lie au Président Gbagbo, au président Bédié sur cette question d’ivoirité. Avec Gbagbo vous étiez ensemble au Front Républicain, soldé par le divorce. Vous allez avec ces deux compagnons membres du CPC, au vote, dans quelle atmosphère ? De rancune ? De tolérance ou de pardon ?
ADO : Alassane Ouattara ne connaît ni rancune ni rancœur. Je suis un homme de paix et de pardon. Avec mon aîné Bédié, nous nous sommes expliqués. Nous avons considéré que la Côte d’Ivoire était plus importante que chacun de nous et que nous sommes des Houphouétistes. Nous avons la même philosophie politique, économique. Alors, il était bon de nous allier pour gagner ces élections et mettre fin aux souffrances des Ivoiriens. M. Laurent Gbagbo est un frère. On se téléphone, on se voit à l’occasion des CPC. Je n’ai aucun problème avec M. Laurent Gbagbo.
Quand on vous suit dans vos campagnes, vous vous présentez comme un homme de paix. Permettez-nous, en tant qu’observateur, de constater qu’une partie de l’opinion n’est pas d’accord avec vous sur cette conviction. On vous a vu applaudir le coup d’Etat de 1999 que vous avez qualifié de « révolution des œillets ». Certains de vos adversaires politiques disent que vous êtes le parrain de la rébellion.
ADO : Il y a eu beaucoup de manipulations, comme tout le monde le sait maintenant. Vous avez parlé de la question de la nationalité, je ne reviens pas là-dessus. Concernant l’affaire du coup d’Etat, souvenez-vous que plus d’un s’en étaient réjouis, y compris M. Laurent Gbagbo d’ailleurs. Mais, ce coup d’Etat a ouvert la boîte de pandore. Cela a été une très mauvaise chose. Evidemment, en son temps, la direction de mon parti était en prison pour des raisons que vous connaissez bien. J’étais en exil. Je voulais rentrer dans mon pays. Tout d’un coup, on me dit qu’il y a un coup d’Etat, mes amis sont libérés et que je peux rentrer au pays. J’étais joyeux comme tous les Ivoiriens qui ont dansé dans la rue. Mais, je condamne les coups d’Etat. Cela a été le point de départ d’une aventure malheureuse pour la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens.
Parrain de la rébellion ? Je suis un peu surpris de tout cela parce que des gens se sont réclamés de la rébellion. Ils disent qu’ils ont organisé la rébellion. On les laisse de côté et on dit que c’est Alassane Ouattara. Or, Alassane Ouattara était tranquillement chez lui le 19 septembre quand on m’a averti qu’un groupe de personnes venaient à mon domicile. Le Général Guéi venait d’être assassiné avec 17 personnes. J’ai essayé de m’informer. C’était vrai. J’ai eu à plusieurs reprises Lida Kouassi Moïse (ministre de la Défense au moment des faits, ndlr). Il m’a donné les assurances, quand j’ai appris que le Général Guéi qui avait été accusé d’avoir organisé le coup d’Etat a été assassiné. Pendant qu’on me menaçait, j’entendais de ma cour : « après le Premier ministre, nous allons chez le vieux Bédié pour l’achever ». Cette affaire a été beaucoup douloureuse pour tout le monde. Vous savez, des gens sont morts de part et d’autre. Un coup d’Etat manqué qui se transforme en rébellion, qui divise la Côte d’Ivoire, amène des enfants de ce pays à se tuer, je déteste et je condamne cela. Ces jeunes gens ont pris les armes. C’était leur manière de faire, mais je condamne le coup d’Etat. Cela n’aurait jamais dû arriver. On ne doit pas régler les problèmes de la Côte d’Ivoire par les armes. Cela doit se faire par le dialogue, par la politique. C’est ce que j’ai essayé de faire. Ces jeunes gens ont cru bien faire en épousant les objectifs que j’avais, par rapport à une société de justice et d’équité. J’espère qu’ils ont bien compris que ce n’est pas par les armes qu’on peut résoudre les problèmes. Nous devons aller aux élections qui doivent être démocratiques et transparentes. Le choix doit être laissé à la majorité des Ivoiriens. Je tiens à le préciser, je suis contre la violence.
J’ai fait mes études aux Etats-Unis au moment où luttait Martin Luther King. Il était la personne la plus admirée au monde. Cela m’a marqué. Je continuerai ce combat de non-violence, de paix. C’est pour cela que, dans mes meetings, j’insiste sur la paix, sur la réconciliation.
L’après élection, l’acceptation du résultat du scrutin inquiète plus d’un observateur. Est-ce que vous n’avez pas peur ? Est-ce qu’il n’y a pas de danger à l’horizon quand on sait que vous êtes adulé par vos militants pour lesquels vous représentez un mythe ?
ADO : Je pense que les uns et les autres sous-estiment la maturité des Ivoiriens. J’ai fait les 19 régions de la Côte d’Ivoire, tous les départements, toutes les sous-préfectures. J’ai été accueilli avec enthousiasme. Je n’ai pas eu un sachet d’eau, même pas une pierre sur la tête. En réalité, la politique a tenté de diviser les Ivoiriens et cette crise a été longue et douloureuse. Moi, je souhaite que les populations comprennent que c’est l’avenir de la Côte d’Ivoire qui importe. Je suis persuadé que ces élections, quelles que soient les manipulations intentionnelles de certaines personnes, seront paisibles. Les Ivoiriens, civils comme militaires, ne veulent plus aller dans une situation de trouble, de tuerie, de massacre. C’est terminé. Vous dites que mes militants m’adulent, je suis très heureux qu’ils soient attachés à moi. Même à Yopougon où j’étais hier (ndlr : mercredi), j’ai dit à mes militants de ne pas céder aux provocations. J’ai dit que nous voulons des élections apaisées. C’est ce que j’ai dit partout. Je profite de ce plateau pour dire aux Ivoiriens notamment à mes militants et sympathisants de ne pas céder aux provocations.
C’est le respect du Code de bonne conduite ?
ADO : Oui ! Je l’ai signé et je respecterai toujours ma parole et ma signature.
Tous les sondages publiés par la Sofres vous donne troisième, après les présidents Gbagbo et Bédié. Mais, vous et vos militants persistez que vous serez au deuxième tour. Pourquoi ?
ADO : Vous savez, moi aussi j’ai fait des sondages. J’en ai fait tous les six mois. Je n’ai pas voulu les publier. Ces sondages ne m’ont jamais mis troisième. Vous savez, on dit souvent que les sondages sont toujours en faveur de celui qui les commande. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé avec la Sofres. Nous, nous avons fait le point, pas seulement par les sondages. Je précise que le sondage que nous avons fait est allé sur la base de 6000 personnes, 2000 à Abidjan et 4000 à l’intérieur du pays. Le sondage de la Sofres est basé sur 600 personnes à Abidjan et 800 à l’intérieur. C’est donc le 1/5. Et ce sondage de la Sofres a été payé à coût de milliards sur le budget de l’Etat. Nous, notre sondage a été fait par des jeunes Ivoiriens qui sont compétents et qui ont fait leur preuve ici en Côte d’Ivoire. Il est important de signaler cela.
N’est-ce pas la crédibilité de la Sofres que vous mettez ici en cause ?
ADO : Ecoutez, moi je dis ce qui est la réalité. J’ai mes sondages. Et je suis persuadé qu’ils sont justes. Vous savez, je suis un statisticien de formation. Un sondage qui a un échantillonnage cinq fois supérieur à un autre, est bien meilleur. Surtout avec des jeunes Ivoiriens. Si je précise la nationalité, c’est parce que ces jeunes Ivoiriens connaissent mieux la Côte d’Ivoire. Ils connaissent la psychologie des Ivoiriens. Ils connaissent mieux la répartition des opinions. Ce n’est pas un sondage manipulé.
Avec la crise, l’unité nationale a pris un coup. Il s’agira certainement pour vous, si vous êtes élu, de recoller les morceaux. Alors, comment allez-vous procéder ?
ADO : Je crois que c’est la question fondamentale. Ces élections doivent nous permettre d’abord de faire en sorte que la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens se retrouvent, en totalité. Il faut l’unité totale des Ivoiriens et l’unité du pays. C’est pour cela que j’ai promis dans mon programme, un gouvernement de rassemblement. Un gouvernement qui ne comprend pas seulement le RHDP. Mais comprendrait des éléments du FPI, de la Société civile. En somme, je veux les meilleurs.
En prenant partout, vos militants, pour avoir été au charbon avec vous, accepteraient-ils cela ?
ADO : Il n’y a pas que les postes de ministres dans ce pays. Moi, je pars d’un principe que j’ai appris avec le Président Nelson Mandela. Parce que quand il formait son premier gouvernement, j’étais au Fonds Monétaire International (FMI) et je suis allé le voir. J’ai remarqué que le tiers de son gouvernement était composé de ministres qui ont servi sous l’apartheid. Et quand je lui ai posé la question, il m’a répondu simplement ceci : « Je veux rassembler les Sud-africains. Il faut qu’ils apprennent à vivre ensemble pour bâtir la nouvelle Afrique du Sud ». Moi, je veux rassembler les Ivoiriens pour essayer de bâtir cette Côte d’Ivoire nouvelle. Il faut que ces antagonismes cessent. Que les hommes politiques ne se regardent plus avec méfiance. Qu’on trouve les plus compétents, les plus méritants et qu’on les mette au travail. Vous avez parlé tout à l’heure de mon cursus. Des gens disent que la crise, c’est en 1999 avec le coup d’Etat. D’autres disent que c’est en 2002 avec la rébellion. Mais, vous oubliez dans quelle situation se trouvait la Côte d’Ivoire en 1990. C’était une crise aussi grave que celle d’aujourd’hui. On ne pouvait pas retirer un chèque de 10.000 Fcfa d’une banque parce que les banques n’avaient plus d’argent.
Président, nous allons revenir sur les questions économiques. Cependant, vous parlez d’un gouvernement de large ouverture. Est-ce à dire qu’il faudrait s’attendre à un gouvernement pléthorique une fois Alassane Ouattara au pouvoir?
ADO : Vous savez, rappelez-vous quand le Président Houphouët-Boigny m’a demandé de former le gouvernement le 7 novembre 1990. Je suis passé d’un gouvernement de 44 ministres à un gouvernement de 20 ministres. Je ne dis pas que je ferai à nouveau un gouvernement de 20 ministres. Mais, avec un gouvernement de 30 ministres, ce qui serait moins que le gouvernement actuel, on peut accommoder tout cela. On n’a pas besoin d’un gouvernement de 100 ministres pour accommoder tout le monde. Il faut prendre les meilleurs, les plus expérimentés et les plus compétents. Si dans cette définition, vous prenez deux par parti et deux dans la société civile, le gouvernement est composé.
Sur la base de la géopolitique?
ADO : Tout à fait. Je pense que ce n’est pas un élément fondamental. Mais, il faut en tenir compte. Souvenez-vous que moi, j’avais découpé la Côte d’Ivoire en 10 grandes régions. Parce qu’on n’a pas besoin d’avoir 19 régions ou 70 départements. On peut trouver un regroupement qui permet d’avoir à peu près deux personnes par grande région. Et ainsi de suite. On compose une équipe de meilleure, une équipe de gens qui se mettront vraiment au travail. Et le chef de l’Etat, que j’espère que je serai, mettra les gens au travail avec les méthodes comme je l’ai fait de 1990 à 1993. C’est moi qui ai demandé que le samedi soit férié. C’est moi qui faisais venir les fonctionnaires à l’heure au travail à 7h30. J’ai mis fin aux véhicules « D » (véhicules de services) qui déambulaient partout en ville, y compris les week-ends. J’ai donc fait des choses que je vais reprendre. Parce que nous avons besoin de remettre la Côte d’Ivoire au travail.
Vous avez effectué beaucoup de voyages ces temps-ci à Yamoussoukro. J’imagine qu’à travers ces déplacements, il y a comme un message que vous adressez aux Ivoiriens.
ADO : Effectivement, je l’avais déjà dans mon programme de 2000, quand je n’ai pas eu la chance d’aller aux élections. Pour moi, Yamoussoukro est d’abord la capitale politique d’Houphouët-Boigny, là où il repose. Ensemble, nous avons tenu des Conseils de ministres là-bas. Et je considère que c’est important que cette réalisation se fasse. Je tiens à préciser que non seulement, j’y serai investi, et j’y habiterai, mais que le gouvernement, dans ses éléments essentiels, sera à Yamoussoukro.
Vous avez dit que votre ambition est d’appliquer la démocratie, en impliquant le peuple dans les prises de décisions. Mais quelle sera votre formule, dans la mesure où le peuple est déjà représenté à l’Assemblée nationale ?
ADO : Mais cela ne suffit pas. Je pense qu’il doit y avoir encore peut-être un Senat pour faire en sorte que toutes les Institutions judiciaires soient mises en place. La Cour des comptes et toutes ces institutions qui n’ont pu être mises en place pendant cette période de crise. Et il nous faut aussi évoluer vers un régime semi-présidentiel et donner des contre-pouvoirs plus importants pour que le Président ne soit pas un « demi-dieu ».
Vous n’êtes donc pas pour un régime présidentiel ?
ADO : D’accord pour le régime présidentiel au départ pour définitivement régler la crise. Mais, je crois qu’il faut évoluer. C’est l’évolution de la démocratie. Même le Parlement et le système judiciaire ont besoin d’évoluer. Vous savez, il y a trop de confusion dans tous ces systèmes.
Mais face à tout cela, quelles mesures prévoyez-vous ?
ADO : Des mesures simples. Vous savez, pour avoir un papier maintenant, c’est tout un problème. Aussi bien dans les procédures, qui sont totalement archaïques. Il faut donc les moderniser. Il faut trouver les instruments de modernisation. Il faut donc un système électronique. Il faut également un système rapide et gratuit pour régler ces problèmes de papiers. Et vous savez que la justice elle-même a besoin de formation en ce qui concerne ses hommes. Il faut aussi construire les infrastructures nécessaires pour que le monde judiciaire soit à l’aise. J’ai déjà fait une conférence dans ce sens, par rapport aux problèmes des huissiers, des avocats et de toutes les composantes du monde judiciaire.
Certains ont promis réviser la constitution. Vous, vous avez sans doute dans votre viseur les articles 35 et 38 qui parlent des problèmes d’éligibilité et aussi des pouvoirs spéciaux du Président de la République. Vous allez certainement extraire des dispositions et aussi enrichir ?
ADO : Je pense que tout ce qui est confligène doit être retiré de la constitution. Nous l’avons décidé à Marcoussis. C’aurait pu être fait, mais ce n’est pas encore fait. Ce serait l’une des premières choses à faire. Mais il y a un élément clef qui m’importe, c’est d’introduire dans la Constitution un statut spécial des Rois et Chefs traditionnels de Côte d’Ivoire.
Vous y tenez beaucoup ?
ADO : Ah oui ! Je tiens beaucoup à cela. Un peu comme au Ghana. J’ai vu comment cela fonctionne. Cela va faciliter la tâche à l’administration. Parce que nous savons ce que ces Rois et Chefs traditionnels font au quotidien dans la gestion du village, dans la gestion des conflits, que ce soit des conflits de personnes ou des conflits de terre. Alors, il faut formaliser cela et prévoir également des moyens afin que ces personnes ne soient pas manipulables par des hommes politiques. Parce que la difficulté de la démocratie, c’est la place de l’argent. Il faut s’assurer qu’il y ait un minimum d’autonomie financière des Rois et Chefs traditionnels dans l’administration de base dans notre pays
Vous comptez construire quelle fonction publique ? Une fonction publique basée sur le mérite, la culture du résultat, du contrôle…
ADO : Oui !
Mais c’est très facile. Vous savez, la fonction publique est aujourd’hui gangrénée par la fraude, la corruption, les lacunes…c’est un travail de titan.
ADO : Vous savez, je l’avais fait de 1990 à 1993. Vous vous souvenez vous deux. Je vous ai connu en cette période. Les problèmes de la fonction publique, c’était les mêmes. On parlait de corruption, on parlait d’abus de pouvoir, on parlait de gens qui avaient 10 voitures D dans leurs maisons, des gens qui habitaient des villas, qui ne payaient pas l’eau, qui ne payaient pas l’électricité, alors que l’Ivoirien moyen doit peiner pour faire cela. Donc, moi j’ai géré ces situations avant et je peux les gérer à nouveau. Il y a trop de gaspillage, il y a trop de corruption, il y a trop de laisser-aller. Je sui désolé de le dire, mais il y a un proverbe qui dit que le poisson pourrit par la tête. Donc, l’exemple se donne par la tête aussi. Les gens voyaient comment je travaillais quand j’étais Premier ministre. Moi j’étais à mon bureau dès 7H et demi. Je ne le quittais pas avant 14H. J’étais de retour à 15h. Je ne quittais jamais le bureau avant 21H. La Côte d’ivoire était au travail. Les fonctionnaires étaient contents. J’ai même supprimé les véhicules D aux Chefs de services. Ils n’en ont pas fait un problème. Parce qu’ils étaient enthousiastes. Ils ne voyaient que le résultat de leurs efforts au quotidien. C’est cela que je vais réintroduire. Le travail dans l’administration, l’équité dans le traitement des citoyens. Et la bonne gouvernance.
Nous sommes dans un pays avec 26% d’étrangers, selon les experts. Cela rend difficile la maitrise de la démographie et la planification du développement. C’est vous qui avez pris la décision en son temps d’imposer la carte de séjour aux étrangers. Si vous revenez, vous revenez avec la carte de séjour ?
ADO : Vous savez bien que cette affaire de carte de séjour avait été élaborée avant moi. Moi, je l’ai l’appliquée. J’assume. Ceci étant, Nous faisons partie de la CEDEAO qui a demandé la suppression des cartes de séjours et la libre circulation des populations ouest-africaines sur l’ensemble du territoire ouest africain. Moi je respecterai la loi. Introduire une carte de séjour en son temps était nécessaire parce qu’on faisait un état des lieux de la population ivoirienne. Vous vous souvenez que les statistiques avaient été faites pour savoir quelle était la composition des Ivoiriens par rapport aux non Ivoiriens. Et dans tous les pays du monde, cela se fait. En France, c’est la carte de séjour, aux Etats-Unis, c’est la Green card, etc. Mais cela ne veut pas dire que ceci doit conduire à une discrimination entre les personnes, d’abord entre les Ivoiriens et ensuite entre les Ivoiriens et les autres. Tout cela a été dévoyé et porte des préjudices.
Qu’est ce que vous allez faire concrètement pour mettre de l’ordre ?
ADO : Il faut que la loi soit appliquée de manière stricte. La définition de la nationalité est claire dans notre code de la nationalité. Est ivoirien toute personne née d’un père ou d’une mère ivoirienne. Il faut qu’au sommet de l’Etat, cela soit affirmé. Que l’on sache que la question de la nationalité n’est pas une question de patronyme, que la question de la nationalité n’a rien à voir avec le régionalisme, que nous devons vivre ensemble dans la paix. Et que les droits des citoyens doivent être respectés, et que la diversité est une richesse. Regardez les Etats-Unis, Ce qui me frappe dans ce pays – moi j’y suis allé à 20 ans – quand les gens viennent d’où que ce soit, ils se considèrent d’abord comme américain, ils ne se considèrent pas comme originaire de l’Inde, du Pakistan ou d’Afrique. C’est ce dont je rêve pour la Côte d’Ivoire. Que tous les Ivoiriens soient fiers d’abord d’être Ivoirien. Avant de dire : « je suis Agni, je suis Baoulé, je suis Dioula », on est d’abord Ivoirien. Je rêve de cela et je pense que nous allons y arriver.
Vous avez été présenté comme le candidat de l’Etranger… les relations avec l’Occident, notamment la France sont difficiles. Comment comptez-vous arranger la situation ?
ADO : D’abord, je voudrais bien savoir ce que ça veut dire candidat de l’Etranger ? Ce sont des Ivoiriens qui votent. Les 14 candidats sont de Ivoiriens. Donc, je n’entre pas dans ce débat. Mais je veux qu’on comprenne que nous sommes dans une période de mondialisation. La Côte d’ivoire ne peut pas vivre seule, isolée de tout le monde. Donc ce sont des notions qui me paraissent regrettables. On doit bannir ce genre de langage. Il faut arrêter de diviser les Ivoiriens. Disons aux Ivoiriens : « nous sommes tous Ivoiriens – c’est ce que je disais toute à l’heure – Nous voulons vivre sur notre terre, ensemble, sans distinction et sans discrimination ». Maintenant, les relations avec les autres, cela se fait par cercle concentrique, nous avons des pays voisins avec lesquels nous avons une longue histoire, que ce soit le Burkina ou le Mali ou le Ghana au plan économique, ou le Liberia par exemple au plan géographique, ainsi de suite. Il faut renforcer cette coopération. Ce sera ma première priorité.
Et la France ?
ADO : La France même a demandé la révision des accords de coopération. C’est tout à fait naturellement que nous allons le faire. Dans l’intérêt de la Côte d’Ivoire, bien entendu.
M. Le Premier ministre, nous allons commencer, dans la rubrique économique, par les réalités que vivent les Ivoiriens. Nous nous souvenons, vous l’avez dit vous-même, que dans le dernier trimestre de 1990, les Ivoiriens n’arrivaient même plus à retirer 10 000 FCFA dans une banque. Et vous êtes arrivé. Et vous avez dit que les salaires ne pouvaient plus être payés parce que la situation était très critique. Qu’est-ce qui vous fonde à dire aux Ivoiriens, qui ont retenu ces moments difficiles, que vous pourrez mieux faire que par le passé ?
Alassane Ouattara : Ah oui. Je pense que les Ivoiriens ont vu ce que j’ai fait à cette époque. Souvenez-vous quand il y a eu la crise, c’est parce que le président Houphouët savait que je diminuerais les salaires – et les salaires ont été diminués dans tous les pays voisins, voire de l’Afrique centrale, le Cameroun, le Burkina, le Gabon – il n’y a qu’en Côte d’Ivoire que les salaires des fonctionnaires n’ont pas été touchés. Pourquoi ? C’est grâce à moi.
C’est parce qu’ils n’ont pas voulu….
A.O : Non, non, attendez. Le chef de l’Etat avait quand même décidé de réduire les salaires. Et quand il a vu qu’il y avait la fronde, c’est là qu’on m’a demandé de créer ce fameux comité et le 12 avril 1990, je crois que vous l’avez dans vos archives, j’ai fait un discours de six minutes à la télé, alors que je n’étais que gouverneur de la banque centrale, je n’étais pas ministre. Et j’ai dit à mes compatriotes : « rassurez-vous, je vais mettre en place un plan de reforme qui fait qu’on ne touchera pas à vos salaires ». Et on n’a pas touché aux salaires des uns et des autres. Maintenant, au fil des mois, nous avons compressé la masse salariale, nous avons pris des mesures douloureuses. C’est certain, mais c’était mieux de prendre ces mesures douloureuses que de réduire les salaires de 10 ou 15%, surtout les plus bas salaires. Ayant réglé cela, nous sommes passés aux reformes et c’était des reformes importantes. La deuxième chose qu’il y avait, c’était le problème d’électricité. Les étudiants avaient insulté le président Houphouët parce qu’il y avait des pannes d’électricité. J’ai résolu le problème d’électricité avec la création de la CIE. Autre chose, des étudiants, quand ils m’ont vu, qu’est-ce qu’ils m’ont dit ? « Nous sommes des milliers dans un environnement malsain, nous voulons de nouvelles infrastructures ». En deux ans, j’ai construit deux universités, j’ai fait deux URES à Daloa et à Korhogo. C’est très facile que les gens aient retenu une partie de ce que l’on a fait. Aucune œuvre n’est parfaite. J’assume. Il y a eu des mesures que j’ai eu à prendre, que je ne prendrais pas aujourd’hui. Mais la situation était une crise. Et elle n’était pas seulement en 99 et en 2002. La crise était réelle en 90. Et vous, M. Bahinchi, vous le savez. En 1990, on ne pouvait pas retirer un chèque de 10 000 FCFA dans une banque ici. C’était la crise financière. On était au bord de la banqueroute.
En 93, lorsque le président Houphouët est parti, votre successeur Henri Konan Bédié a parlé de pluie de milliards…
A.O : Vous êtes économiste, moi aussi. Une économie, elle se fait en un, deux ou trois ans. Et c’est après qu’on a les résultats. Je suis très heureux qu’il y ait eu cette pluie de milliards. Mais, la pluie ne tombe pas soudainement. Il faut des nuages. Ensuite, ils se transforment en pluie.
Il faut convaincre certaines personnes notamment les enseignants qui se souviennent de leur raccrochage…
A.O : C’est une décision douloureuse également. Vous voyez, j’avais une promotion de 200 médecins qui étaient sortis et nous ne pouvions en recruter que 100. Ils sont venus dormir devant la Primature en m’empêchant de sortir en disant : « nous préférons que votre voiture monte sur nous, nous tue parce que nous ne pouvons pas vivre sans emploi ». J’ai trouvé cette formule temporaire de les décrocher de quelques mois, un ou deux ans, en leur payant un salaire au moins et en leur donnant un emploi, en me disant que quand la situation financière irait mieux, en ce moment-là, on régulariserait la situation. Vous savez, il y a la manipulation, la désinformation, les mensonges. Je souhaite que le débat soit sain. Qu’on aille dans les archives, on verra que cette mesure était temporaire et qu’au total, 2000 personnes étaient concernées. On aurait réglé leurs problèmes deux ou trois ans après. Et la Côte d’ivoire serait bien repartie.
Nous allons maintenant aborder la fiscalité. Vous proposez de procéder à une reforme en profondeur en envisageant relever trois défis majeurs : promouvoir la fiscalité incitative, créer des entreprises, procéder à un large recouvrement des impôts et faire en sorte qu’il y ait une réduction de cette fiscalité-là. Comment cela peut-il être possible quand on sait que beaucoup d’efforts ont déjà été faits ? En Côte d’Ivoire, nous avons aujourd’hui par exemple environ 18% d’impôts par rapport à certains pays qui en ont 30%. Pensez-vous que c’est cela aujourd’hui le problème pour les Ivoiriens ?
A.O : Oui. C’est important, la fiscalité. D’abord, je voudrais féliciter le ministre Diby, il fait du bon travail. Je suis même allé à Washington pour le soutenir pour le programme PPTE. J’ai payé le billet et l’hôtel de ma poche parce qu’il fallait absolument ce PPTE avant le 31 mars de l’année dernière. Donc, ce n’est pas une question de personne. Je voudrais expliquer à mes compatriotes, ce qui est important. Vous dites que le taux (d’impôts) est de 18%. Mais à un moment donné, c’était 21%. C’est parce qu’il y a de la corruption. C’est parce que les recettes douanières ne rentrent pas aussi bien qu’on le dit. C’est parce que l’impôt ne rentre pas bien aussi qu’on le dit. C’est parce que le niveau de fiscalité est trop élevé. C’est-à-dire l’impôt que vous payez, et que moi je paie est trop élevé. Il faut le réduire. Et cela m’amène à parler du financement de mon programme. Pour cela, je dis que ce n’est pas aussi marginal. Si vous voulez faire un programme économique et financier, c’est comme si vous voulez construire une maison. Vous commencez par dire ‘’combien je peux mettre dans cette maison, comment je vais trouver l’argent, avec quel matériau je vais bâtir la maison’’. C’est cela mon programme économique. Donc, je me dis que pour faire mon programme de 12000 milliards, il me faut améliorer la fiscalité, c’est-à-dire les impôts, la douane, faire rentrer toutes les recettes des mines, du pétrole qui sont hors budget et réduire les dépenses. Cela fait une partie du financement. Je poursuis le travail fait par Charles Diby pour l’allègement de la dette. Et nous payons près de 500 milliards de FCFA par an pour la dette. Une fois que cela est allégé, ça me donne à peu près 500 milliards et après cela, tout ce qui a trait à la coopération internationale. Vous savez qu’à cause de cette crise et de la mauvaise gestion, la Côte d’Ivoire n’a pratiquement pas de vrais décaissements de pays comme la France, les Etats-Unis, le Japon, le Canada. Je veux dire de grosses sommes. Alors que dans une situation normale, c’est par an près de 600 à 700 milliards de FCFA que nous obtenions. Une fois que vous avez fait cela, sur une base annuelle, c’est plus de 2000 à 3000 milliards que vous obtenez. Et sur les 5 ans, vous êtes au minimum à 12000 milliards. Comment on y arrive ? On y arrive parce que nous avons fait un plan qui prend en compte les préoccupations de chaque village, de chaque sous-préfecture, de chaque département, de chaque région. Dans telle région, les pompes villageoises ne marchent pas. Et la réparation d’une pompe coûte 100 000 FCFA. Il y en a 200 à réparer, ça fait tant. Des centres de santé sont délabrés. Il faut 2 millions pour réparer le centre de santé, l’hôpital qui est dans le département est délabré. Il faut peut-être par exemple y investir 20 millions de FCFA. C’est tous ces montants additionnels, d’abord dans nos villages, ensuite dans les départements, les régions, qui ensemble donnent les 12 000 milliards. Je profite de la fiscalité pour expliquer cela. C’est important que mes compatriotes le comprennent qu’on ne peut rien faire sans argent. Et on ne va pas s’adresser aux autres pour faire ce que l’on doit faire. Ceux qui disent que ce financement est impossible ne connaissent pas les questions de financement. Et ceux qui pensent que cela va endetter la Côte d’Ivoire, je dirai que c’est faux parce que toutes le ressources que j’ai citées sont des ressources intérieures ou des ressources concessionnelles comme le disent les économistes. En plus de cela, le quart du montant que j’ai prévu, 2500 à 3000 milliards sont des investissements privés de grands projets, par exemple les barrages, l’exploitation de minerai de fer à Bangolo, de bauxite à Odienné et ainsi de suite. Je trouve que c’est une question qui intéresse beaucoup de mes compatriotes. Je voudrais profiter de cela pour le dire, parce que vous voyez, si on n’explique pas cela, c’est très facile d’aller tromper les Ivoiriens et dire qu’il va donner des milliards. Ce n’est pas cela.
Les Ivoiriens sont habitués aux promesses qu’on fait mais qu’on ne tient pas…
ADO : Cher ami, de 90 à 93, j’ai quand même construit deux universités et deux URES, une à Korhogo et une à Daloa, en période de crise. Depuis que je suis parti, il n’y a pas une seule université, qui a été construite. Ça par contre c’est une preuve que je fais ce que je dis…
L’élection présidentielle, est une équation personnelle importante surtout quand on souhaite le retour des investisseurs étrangers et l’appui des bailleurs de fonds.
ADO : Vous me permettez de revenir à nouveau sur le financement. J’ai dit 12 mille milliards, prenons à peu près 2 mille à 2, 5 milliards par an. Il y a 500 milliards sur l’année que vous obtenez à partir de l’amélioration des recettes du budget et de la compression des dépenses, telles que les fonds de souveraineté qui sont extraordinaires – on gaspille de l’argent, on achète des 4X4 à des gens qui n’ont rien à avoir avec le gouvernement – Cela donne de l’argent. Deuxièmement, la réduction de la dette. Je vous l’ai dit, cela donne pratiquement 500 à 700 milliards. Prenons 500 milliards. Cela fait déjà 1000 milliards. La coopération bilatérale et multilatérale, tous les fonds qui n’ont pas été décaissés depuis des années donnent également la même chose. Et quatrièmement, l’investissement privé. Et il y a aussi la confiance. Si vous allez voir votre banquier, vous remplissez des dossiers pour avoir un crédit, il va se renseigner pour savoir qui vous êtes. Si vous avez pris un crédit avant dans une autre banque et que vous n’avez pas remboursé, il ne vous donnera pas de crédit. Le fait est que moi j’ai travaillé dans ces institutions – vous savez que pour aller au Fonds monétaire international, il y a une enquête de moralité, une enquête financière, on vous suit avec les plus grands services de renseignement. Si moi, j’étais un farfelu – excusez-moi du terme – je ne serais jamais recruté comme Directeur général adjoint du FMI. Il y a une équation personnelle, je ne vais pas vous le cacher. Mais ce n’est pas cela l’essentiel. Je sers mon pays d’abord. La Côte d’Ivoire a beaucoup de ressources. La Côte d’Ivoire a un potentiel humain, il faut remettre l’administration au travail. Il faut que les Ivoiriens d’abord et également les investisseurs, aient confiance en la Côte d’Ivoire et aux Ivoiriens.
Tout à l’heure, vous parliez de la gestion qui n’est pas bonne. Mais vous ne trouvez pas qu’il y a quand même un minimum d’effort qui est fait, lorsqu’on sait que ce sont les efforts économiques d’une partie du pays qui supportent tout le poids des charges de l’Etat.
ADO : Moi, je ne suis pas aux affaires mais j’entendais dire qu’il y avait une partie utile et une partie inutile. Donc cette partie utile devait suffire pour tout régler. Même dans la partie ‘utile’’ qu’est ce qui a été fait ? Est-ce qu’il y a eu une nouvelle université à Abidjan depuis 10 ans ?
C’est parce qu’il y avait la crise
ADO : Et les deux ans avant et les quatre ans après la signature des accords de Ouagadougou ? Moi j’ai fait deux universités en 3 ans. Des gens qui ne peuvent pas en faire une seule en 10 ans ? Mais écoutez, il faut arrêter de nous raconter des choses. Je considère que c’est important qu’on dise aux Ivoiriens ce que nous pouvons faire. Moi j’ai un bilan, je n’étais pas président de la république, de 90 à 93. J’ai fait de bonnes choses, j’ai fait des choses que je ne referais pas aujourd’hui. C’est cela la vie normale. Mais ceci étant, j’ai un bilan. Il est là, il est physique, il est concret. Mais si je suis candidat aujourd’hui, c’est parce que j’ai compris parce que je ne peux pas continuer de voir les Ivoiriens et l’état dans lequel la Côte d’Ivoire se trouve aujourd’hui.
Vous avez dit qu’il y a des choses que vous ne referiez pas. Est-ce que parmi ces choses, on peut classer la politique de privatisation ?
ADO: Non, d’ailleurs heureusement que j’ai privatisé l’électricité. Autrement, on serait dans le noir. On ne ferait pas d’émission spéciale
Et les derniers délestages ?
ADO: Il y a eu le délestage tout simplement parce qu’il n’y a pas eu d’investissements pendant 10 ans. Vous savez, la gestion économique et financière, c’est comme la maintenance d’une voiture. Il faut que chaque trois mois, on regarde, on s’assure que telle partie marche, les barrages, que s’il n’y a pas d’eau, on doit investir dans tel secteur. Tout cela n’a pas été fait. Pendant des années cela s’accumule et après on prend les pots cassés… Ce n’est pas normal que le super soit pratiquement à 700 F ici alors qu’au Burkina et au Mali, il est à 500F.
On parle de l’électricité
ADO : Tout est lié. Dans le cadre des conditions de négociation. Si la privatisation était mauvaise, ils ont eu 10 ans, pourquoi, ils n’ont pas nationalisé?
A l’époque, vous disiez qu’il n’y a pas de secteur stratégique en matière de privatisation. Vous êtes dans la même logique?
ADO : Qu’est ce qu’il y a d’autre à privatiser, dites-moi ?
Vous privatiseriez la SIR si vous êtes aux affaires ?
ADO: La SIR, non, je ne pense pas, mais il faut amener d’autres grosses sociétés de
raffinage à s’installer en Côte d’Ivoire. Et faire baisser le prix de l’essence. C’est la compétition qui permet de réduire les coûts. Quand l’offre est abondante, les prix baissent. Je suis confiant que je le ferais parce que ce n’est pas normal. Je suis désolé de le dire, que le litre de l’essence est plus cher ici que dans les autres pays, que les prix de l’électricité soit plus cher qu’au Burkina ou au Mali à qui nous vendons le courant. Quand j’ai privatisé l’EECI en CIE, deux ans après, on exportait l’électricité au Ghana. Mais aujourd’hui, c’est nous qui importons.
Alors, de façon concrète, si vous arrivez, qu’est ce qui va changer ?
ADO: Moi, j’ai fait un programme où j’ai insisté sur le financement, c’est pour convaincre mes compatriotes. D’abord, pour les projets, nous avons calculé de manière précise dans chaque village, dans chaque sous-préfecture, dans chaque département. Que ce soit dans le domaine de la santé, de l’école, des routes …
C’est un problème de gouvernance. Et il faut faire en sorte que l’Ivoirien profite de la gestion de l’économie nationale. Et c’est ce que je propose à mes compatriotes.
En même temps que vous parlez de la réduction de la fiscalité, dans le même temps, vous voulez faire de la fiscalité, un élément moteur pour accroître la politique de la solidarité. Comment cela va se passer ?
ADO: Non, non, je suis un libéral. Je dis que je préfère du libéralisme à visage humain. C’est-à-dire, beaucoup de social et c’est ce que vous verrez dans mon projet. Alors, j’ai dit dans mon projet qu’il y a deux composantes. Il y a d’abord tout ce qu’il y a à faire pour améliorer le bien-être des Ivoiriens. Que ce soit des investissements pour l’eau, pour l’électricité, les infrastructures, etc. et tout ce qui a trait à la création d’emplois. La création d’emplois se fait comment ? Cela se fait d’abord en ayant les sociétés privées et publiques qui recrutent des gens. Et ces investissements permettront de faire cela. L’autre chose, c’est de mettre en place des fonds spécifiques pour les jeunes, pour les femmes ou leur faire des crédits à taux réduits pour leur permettre d’entreprendre un certain nombre d’activités. Prenez tous ces jeunes gens, qui ont cru en cette ‘’politique de ‘’Refondation’’, ces jeunes patriotes qui ont défendu la république en novembre 2004, dans la douleur, il y a eu des morts, et combien d’années après ils n’ont pas de travail. Ils ne font rien du tout. Ils sont dans la rue. Il faut leur trouver des emplois. Ça peut être un objectif. L’Afrique du Sud a trouvé du travail à tous les jeunes de l’ANC. Pourquoi nous ne le faisons pas. Ça fait 4 ans que nous avons l’Accord de paix de Ouagadougou. Donc je veux vous dire que c’est possible. Moi je peux le faire. Et je dis à mes compatriotes, j’aime mon pays. Je veux faire en sorte qu’on sorte de cette crise. Ce n’est pas en bavardant qu’on va le faire. C’est en se mettant au travail. Vous parlez maintenant de tout ce qui a trait à l’aspect fiscal par rapport aux autres politiques. Moi je ne suis pas un fiscaliste. Mais on ne peut pas prendre juste une partie de la gestion de l’économie. Il y a aussi la monnaie. Vous savez que tous les grands économistes qui ont eu des prix Nobel sont quasiment tous Américains. Et ce sont tous des monétaristes. Parce qu’ils trouvent que la gestion de la monnaie a une grande influence sur l’économie globale que la fiscalité. Moi je suis de cet avis. Je pense qu’il faut un équilibre. Alors pour la monnaie, qu’est ce qu’il faut faire ? Il faut amener la BCEAO à réduire l’impôt bancaire. Nous devons nous aligner sur l’impôt français.
Et l’arrimage de l’Euro ?
ADO : C’est une question communautaire. Je ne serai pas le seul à décider et je ne ferai pas d’impérialisme économique ou monétaire. Il y a cette image de l’Union monétaire qui a protégé notre économie. Nous devons nous concerter et voir si cela nous arrange ou si nous devons continuer. En tout cas pour moi, cela a bien marché. A supposer que nous ayons une situation où la monnaie est couchée, nous allons injecter de l’argent dans le système et cela va provoquer une inflation. Au lieu que le kilogramme de viande soit à 1700 Fcfa chez le boucher, cela sera à 6000 Fcfa ou 10 000 Fcfa.
Que dit la Communauté ?
ADO : Quand j’étais Gouverneur de la Bceao, j’ai pris des contacts avec le Ghana et le Liberia pour qu’ils rejoignent le Franc CFA. J’ai pris également contact avec le Directeur du Trésor français, Jean-Claude Trichet qui est d’ailleurs un ami. Le Gouverneur Fadiga m’a envoyé à plusieurs occasions au Nigeria pour que ce pays soit un pool avec le Naira et rattaché au dollar et que nous, nous ayons notre pool après que le Ghana et le Liberia soient accrochés à l’Euro. Cette monnaie n’avait pas encore été fabriquée mais nous on le savait. Et après, on mettait les deux pools ensemble. Moi, j’ai cette vision. Quand que je serai élu, je prendrai l’initiative d’aller les voir et leur dire que dans un horizon pas lointain nous devons arriver à une monnaie ouest africaine.
Vous avez demandé aux banques de faire plus et moins cher ? Mais à vous écouter, vous faites incursion dans le système bancaire.
ADO : Il n’y a pas plus libéral que les Etats-Unis. Regardez le Benin. Et même en Côte d’Ivoire, il y a des escrocs qui se baladent. Il faut une régulation, même une surveillance. Il y avait la banqueroute. C’est-à-dire, la mauvaise gestion des banques, donc la faillite. Ce n’est pas immodestie, mais c’est moi qui ait créé la commission bancaire quand j’étais gouverneur et j’ai exigé qu’elle soit à Abidjan, parce que Abidjan a le plus grand nombre de banque. Et j’ai demandé le bilan des banques chaque année.
Il y a des projets plus accessibles à Abidjan. Vous envisagez la mise en place d’un plan de réduction immédiate de l’extrême pauvreté.
ADO : Dans les ressources globales que l’on met en place, il y a des ressources à côté pour régler les problèmes de pauvreté et de couches défavorisées. Il y a des problèmes spécifiques. Ma première mesure, c’est d’équiper et réhabiliter les centres de santé et les hôpitaux. C’est important. Il faut qu’il y ait un fonds pour régler ces questions des couches les plus défavorisées. Ca se fait partout. Je me suis occupé de l’Inde, du Pakistan et de l’Indonésie. Ces pays qui ont des centaines de millions d’habitants arrivent à le faire. Pourquoi la Côte d’Ivoire qui a vingt millions d’habitants ne peut le faire. Justement on peut le faire. On peut chercher les ressources pour le faire. Il faut avoir la volonté.
Qu’en est-t-il de la dette intérieure et extérieure de la Côte d’Ivoire et la question de la filière café-cacao ?
ADO : Ce n’est pas la faute du ministre Amadou Gon Coulibaly. Combien de fois le ministre Amadou Gon a été obligé d’écrire au Chef de l’Etat pour attirer son intention sur la manière dont les choses étaient faites. Il y a un ministère de l’Agriculture à la Présidence. Je ne voudrais pas faire de la polémique, mais je voudrais simplement dire que ce sont des questions fondamentales de gestion et de gouvernance dans notre pays qu’il faudrait régler. Je voudrais surtout expliquer mon programme et pourquoi je tiens à le mettre en place et ce sera une vraie sortie de crise. Et dire aux Ivoiriens d’adhérer à ce programme parce que j’estime que ce sera la vraie sortie de crise. Il y a certains aspects que vous ne m’avez pas donné l’occasion d’expliquer. Je veux m’assurer que j’aurais le temps d’expliquer aux Ivoiriens les choses qui les concerne. Parce que cette émission est très objective. C’est une occasion d’expliquer ce que je vais faire pour chaque Ivoirien.
Quel sera le nouveau système sanitaire que vous proposez ?
ADO : La particularité, c’est de dire aux Ivoiriens ce que l’Amu a proposé de faire et cela n’a pas marché. L’Amu, en fait, voulait créer un fonds pour la couverture médicale. Bien sûr, ce serait un fonds déficitaire parce qu’on connaît la gestion de tous établissements publics. Y compris la gestion du café-cacao. Moi ma couverture médicale, c’est une assurance médicale à 1000 Fcfa par personne. Ce qui permet donc avec cette somme de donner des soins de base et des médicaments de base. C’est ce qui est appliqué dans certaines entreprises de la place avec des employés et cela marche très bien. Une assurance médicale qui permet, bien sûr avec ceux qui ont un peu plus de moyens, de payer un peu cher, et pour les couches défavorisées de bénéficier d’une série de soins et de manière gratuite. Voilà comment je prévois le système sanitaire ivoirien.
L’initiative de Bamako recommande la participation des populations pour les frais de santé. Malheureusement, les tickets modérateurs font fuir les patients. Vous remettez en cause l’initiative ?
ADO : Non, c’est le système d’assurance. Une fois que vous payez 1000 Fcfa, vous avez accès aux soins. Je dis que je commencerai par tout ce qui est en rapport avec la santé. Parce que les Ivoiriens en bonne santé c’est bon, non seulement pour les Ivoiriens, c’est bon pour l’économie ivoirienne. Ce serait une priorité. Bien sûr, il y a d’autres priorités. Vous savez, ces choses ont été négociées. Même le protocole de Bamako a été négocié. Parce qu’à l’époque, j’ai négocié avec les plus grands pays. Si c’est à reprendre on reprendra. Et on va négocier pour que cela soit conforme aux intérêts de la Côte d’Ivoire. Parce que je tiens à résoudre les problèmes de santé des Ivoiriens. Je ne connais pas cette question en détail, je ne connais pas le protocole de Bamako. Moi, je voudrais être honnête avec mes compatriotes.
Ce protocole dit que les soins doivent être payés. Allez-vous remettre en cause ce protocole?
ADO : Tous les accords se négocient. Je pense que cet accord peut être renégocié. Je l’ai fait avec de grandes institutions et je suis prêt à la faire à nouveau. Je pense qu’une assurance de 1000FCFA suffit pour les personnes les plus défavorisées. Pour les personnes défavorisées, je ne peux pas soumettre les gens qui n’ont pas d’emploi ou qui n’ont pas d’argent à payer de l’argent avant d’être soignés. Où est-ce qu’on va ? Je n’accepterai pas cela.
Vous parlez d’augmenter le personnel de santé et les enseignants, n’est-ce pas là une augmentation de la masse salariale, ce qui serait en contradiction avec les directives de l’UEMOA, qui estime que l’Etat ne doit pas franchir un certain seuil ?
ADO : vous savez que quand nous avions travaillé sur la question de la dévaluation, et vous avez raison, c’était l’une des difficultés. Parce que la masse salariale en Côte d’Ivoire représentant un chiffre au-delà de ce qui était considéré comme la moyenne. La dévaluation a réglé le problème. Cela dit, il faut donner la priorité aux secteurs qui en ont besoin plutôt que de gonfler le nombre de travailleurs dans les secteurs où on n’en a pas besoin. Vous savez – et je suis obligé de le dire – moi, j’avais réduit de moitié les effectifs à la Présidence de la République, le Président Houphouët m’avait autorisé à le faire. A la Primature, nous étions 40 personnes : du Premier ministre au planton. C’est comme cela qu’on a pu recruter les instituteurs, les médecins et autres. Aujourd’hui, c’est tout l’inverse. On gonfle le nombre des administratifs et les instituteurs, les infirmiers, les médecins et autres ne sont pas recrutés. Il faut recruter le personnel dans les structures qui peuvent profiter au pays. Je pense à l’école, à la santé.
Comment allez-vous faire baisser le coût général de la santé dans votre système ?
ADO : je l’ai fait déjà en 90. Il faut continuer. Et pour cela, il faut arrêter d’importer à tout bout de champ les médicaments. Nous avons ici de grands laboratoires à qui on pourrait faire confiance. On peut faire les médicaments ici. Ce ne sont pas les infrastructures qui manquent. Je pense que nous avons la capacité de le faire.
Les parents d’élèves ont le sentiment que l’école n’est pas gratuite comme on le dit actuellement. Votre politique est-elle différente de ce qui se fait aujourd’hui ?
ADO : Nous savons à la pratique qu’il y a un système de cotisation, et que les fournitures ne sont pas gratuites. Moi, je crois qu’il faut faire autre chose. J’ai vu par exemple quand je faisais mes tournées, la joie des parents d’élèves lorsque mon épouse donnait gratuitement les kits scolaires. Parce que beaucoup de parents disaient qu’ils n’avaient pas l’argent pour acheter les fournitures de leurs enfants. Il faut réellement que les fournitures scolaires soient données gratuitement. Et cela jusqu’à 15 ans, c’est-à-dire jusqu’en 3e.
Comment se fera la reconstruction de l’Ecole ?
ADO : ça, c’est un vaste chantier. Parce que vous savez qu’aujourd’hui, l’école est un échec. Les taux d’échec aux examens de fin d’année en sont l’expression. Il y a aussi les problèmes à l’université. Malheureusement, je crois qu’il y a trois aspects du problème : il y a d’abord tout ce qui a trait aux infrastructures. Je le disais tantôt, il y a un véritable problème d’infrastructures. Depuis que j’ai fait les deux universités de Bouaké et d’Abobo-Adjamé, rien d’autre n’a été fait. J’ai prévu dans mon programme de construire 5 universités, 5 centres hospitaliers universitaires (CHU) en 5 ans. C’est important parce que ça va désengorger déjà l’existant. C’est cela la première chose
Est-ce que c’est possible ?
ADO : bien sûr, cela est possible puisque le financement est prévu dans mon paragramme. Ce ne sont quand même pas les entreprises qui manquent en Côte d’Ivoire pour réaliser ces choses. On voit les immeubles qui montent chaque jour. On n’aurait rien à redire si c’étaient des écoles ou des hôpitaux. J’en profite pour rendre hommage à tous les entrepreneurs qui ont résisté à cette crise, que ce soit les amis Libanais, qui ont cru à la Côte d’Ivoire, qui ont laissé leur argent. C’est possible de le faire. Le deuxième volet concerne le recrutement des enseignants. Nous allons le faire par département. Pour ce qui est des universités, je vais transformer les URS de Korhogo et de Daloa en universités, je vais faire une autre université à San Pedro, une autre à Abengourou et une université à l’américaine dans la région d’Abidjan pour désengorger totalement l’université de Cocody. C’est vrai que tout cela ne pourra pas se faire en un an. Mais il faut qu’on soit ambitieux dès la première année pour étudier tout cela pour faire une université chaque année. Une fois qu’on aura fait cela, il faut mettre l’accent sur la formation et le recrutement des enseignants. Vous savez, pour moi, après la santé, l’école est le meilleur investissement.
Q : Mais, les enseignants se plaignent de plus en plus de leurs statuts. Comment comptez-vous les remobiliser ?
ADO : Mais si les enseignants veulent que les conditions de travail soient meilleures, c’est déjà un plus. Moi, j’ai vu plusieurs enseignants parler de problème de salaire. Fort heureusement, c’est réglé. Mais ce sont les conditions de travail en général. Si nous avons cinq nouvelles Universités, ils seront à l’aise. Ils seront motivés. Ils auront moins d’étudiants dans leurs amphis, etc.
Donc le problème de salaire est réglé ?
ADO : Non, pas cela. Je dis c’est réglé par rapport à cette affaire de décrochage dont on parlait. Mais il n’y a pas que cela.
Mais beaucoup ne sont plus dans le circuit. Certains sont allés aux Etats-Unis. D’autres en France. Beaucoup sont restés sur le carreau. Comment allez-vous faire pour les motiver ?
ADO : Les Ivoiriens sont des Ivoiriens qu’ils soient en Côte d’Ivoire ou à l’étranger, cher ami.
Mais ils y sont à cause du plan Ouattara. Quelle est la garantie ? En 1991, c’est vous qui étiez là. C’est vous qui aviez pris les mesures.
ADO : J’ai pris ces mesures pour leur donner du travail. C’est cela qu’ils doivent retenir.
Mais ce n’est pas comme cela que les Ivoiriens voient les choses.
ADO : Je profite pour dire, chers enseignants, avec moi vous serez bien. Vous aurez de nouvelles infrastructures, vous serez recrutés et vous aurez la garantie du salaire en chaque fin de mois. Et ce n’est pas très compliqué de le faire. J’ai expliqué que ces mesures étaient des mesures temporaires. Et qu’après quelques mois, un ou deux ans, on devait ramener ces salaires à un niveau normal. Ce qui a été fait depuis quelques années. En fonction de la croissance économique que j’ambitionne d’amener à 6 ou 8% par an, je prévois revaloriser les salaires à un moment donné. Quand on voit les salaires bloqués pendant des années et des années, ce n’est pas bon pour l’économie. Pour la croissance, l’investissement seul ne suffit pas. Il faut que la consommation suive. Et pour consommer, les gens doivent avoir un salaire.
Mais avec ces mesures, l’image de l’enseignant a pris un coup. C’est la vérité.
ADO : Je le regrette. J’ai dit tout à l’heure qu’il y a des mesures que je regrettais. J’estime que cela n’aurait pas du rester aussi longtemps sans avoir une solution. Pour moi, c’était une affaire de quelques mois. Cela a duré des années. Je ne veux pas rentrer dans la polémique. Par contre, s’il y a quelque chose qu’il faut réparer ou faire accélérer, c’est de donner des meilleures conditions de vie aux enseignants. Il faut leur donner de meilleures conditions de travail. Il faut leur donner une rémunération décente. Il faut de la formation. Parce qu’il y a beaucoup qui n’ont de recyclage, qui sont démotivés. Tout cela va ensemble. C’est donc un vaste programme qu’il faudra.
Quel est votre projet dans le cadre de la gouvernance de l’Ecole, les problèmes à l’université ?
ADO : Quand les gens en parlent, on parle du cas de la FESCI. Là encore qu’est-ce qu’on n’a pas dit à mon sujet? Vous savez, moi je suis un libéral et je crois aux syndicats. La FESCI est un syndicat. Malheureusement, à un moment donné, ses membres ont versé dans la violence. Mais, toutes les indications que nous avons maintenant, nous disent qu’ils sortent de cela et ils s’orientent vers un syndicalisme normal. Ce dont je me félicite. Ils peuvent continuer de jouer leur rôle de syndicat et qu’ils quittent définitivement la violence. Moi, je n’ai aucun problème avec les syndicats d’étudiants ou d’élèves. Mais, ce qui me préoccupe plus, c’est l’ensemble de la jeunesse. Il y a pratiquement un million d’emplois que je veux créer dans mon programme. J’ai indiqué aux jeunes dans quelles conditions. Je ne vais pas prendre le temps avec les téléspectateurs et les électeurs avec cela. Les deux volets de mon programme concernent d’une part, l’amélioration de conditions de vie des Ivoiriens et la création d’emplois d’autre part. Un million d’emplois sur cinq ans, c’est qu’en même 200 mille emplois par an. Ce n’est pas rien. Cela s’est fait en Afrique du Sud, lorsque l’ANC est arrivé au pouvoir. Il faut développer des programmes qui soient créateurs d’emplois. Le secteur du tourisme, par exemple, est un secteur créateur d’emplois où la formation est courte. Dans trois ou quatre mois, on peut former des jeunes gens. Il y a aussi le secteur des nouvelles technologies où les jeunes gens qui un BAC +2, peuvent être formés rapidement pour avoir un emploi.
Vous avez cité pêle-mêle, des exemples au niveau de la gestion. Que dites-vous de l’université qui est incapable de s’autofinancer ?
ADO : Je pense que le problème de l’université n’est pas trop difficile à régler une fois qu’on a réglé les difficultés d’infrastructures et d’enseignants. C’est un domaine où il y a beaucoup d’intérêts qui concernent tout le monde. J’ai fait mes études aux Etats-Unis. Vous savez que là-bas les universités sont plus grandes. J’avais dit lorsque je rentrerai, je créerai une université privée. Mais après, je suis entré en politique. J’encourage les cadres ivoiriens qui ont de l’argent, à ne pas se limiter aux collèges privés. Mais qu’ils créent des universités privées. C’est possible avec tous jeunes Ivoiriens qui sont à l’extérieur, dans les pays francophones au Canada ou ailleurs. Qu’ils reviennent et contribuent à la reconstruction de la Côte d’Ivoire. Cela me parait essentiel. Si dans l’environnement général, le pays devient un Etat de droit et la démocratie s’installe durablement et que les problèmes de sécurité sont réglés, que l’économie devient stable, vous verrez qu’il y aura un afflux des jeunes Ivoiriens qui sont à l’extérieur.
Nous constatons que le politique est trop impliqué dans l’élection du président de l’université.
ADO : Vous savez, je suis pour les élections démocratiques. Je prendrais quelques exemples. En ce qui concerne le Conseil supérieur de la magistrature, on parle de séparation des pouvoirs et on nous dit que le président de la République est le président du Conseil supérieur de la magistrature. J’ai dit au monde judiciaire que je trouvais cela anormal. Il faut que ce soit les magistrats qui élisent le président. On fait des élections dans les dix communes et après on va dire que les élections ne suffisent pas. On laisse celui que les conseillers municipaux ont choisi et on nomme quelqu’un par décret. Il faut mettre fin à cela. Il faut laisser la démocratie jouer jusqu’au bout. Moi je suis un démocrate et j’appliquerai ces règles.
Le RDR gère l’enseignement supérieur depuis un certain temps. Endossez-vous la mesure qui fixe les frais d’inscription à l’université à 50 mille FCFA ?
ADO : Je ne suis pas chef de l’Etat actuellement. Peut-être à partir de dimanche soir. Ceci étant, il faut tenir compte de la capacité des uns et des autres à payer. On ne peut pas dans ce pays où les salaires n’ont pas bougé, où beaucoup de nos concitoyens dans certains quartiers ne mangent qu’une seule fois par jour, aller augmenter les frais d’inscription pour manque d’infrastructures. Des gens qui envoient des enfants de Tengrela ou de Bouna et autres pour les mettre à l’université et leur demander en plus de payer 50 mille FCFA. Le ministre actuel est sous l’autorité du chef de l’Etat avec qui il travaille. Vous savez que beaucoup de décrets sont pris sans les ministres qui les apprennent dans la presse. Le chef de l’Etat considère qu’il ne travaille qu’avec ceux de son équipe. Donc, je n’ai pas vérifié ce point avec le ministre Bacongo. Mais je serai surpris qu’il apprécie une telle charge.
La FESCI réclamerais 1000 FCFA sur chaque inscription et les autres syndicats réclament eux aussi leur part du gâteau.
ADO : Non, cela n’est pas normal. Il faut discuter avec la FESCI pour leur faire comprendre qu’il y a l’Etat d’un côté et qu’il y a les syndicats de l’autre. Les syndicats prélèvent quelque chose sur les salaires des travailleurs. Cela se fait dans tous les pays du monde. Mais il faut qu’ils le règlent avec les étudiants. L’Etat n’a rien à voir avec une telle situation. Vous savez, lorsqu’il y a une séparation nette des responsabilités, c’est comme cela qu’on peut travailler si le système marche bien. Mais quand il y a la confusion, personne ne sait qui est responsable et on ne va nulle part. Avec moi, ce sera clair et précis. On va s’assurer que les décisions qui sont prises, sont appliquées. Et elles seront bien appliquées. Pas le contraire.
Vous parliez tantôt dans votre programme de 200000 emplois par an pour la jeunesse. Cela me donne le sentiment que vous visez particulièrement le secteur informel.
ADO : Non ! Non ! Non ! Il y a les deux. Il y a le secteur informel mais aussi le secteur formel.
Comment allez-vous organiser le secteur informel ?
Il faut les associer de plus en plus. Par exemple, quand il y a les appels d’offre, il faut inciter les toutes petites entreprises, même quand elles sont informelles, à s’associer à de grosses entreprises. Il faut amener, ces petites entreprises, à leur apprendre le minimum de la comptabilité. Et que ceci leur apprenne à devenir des entreprises formelles avec le temps. Ça se fait dans beaucoup de pays et pourquoi pas en Côte d’Ivoire ? Je pense que ce sont des jeunes qui ont beaucoup de talent et beaucoup pensent qu’ils font des bénéfices. Ils pensent que ça marche bien alors que ne marche pas et au bout d’un certain temps, ils sont endettés, ils perdent tout ce qu’ils ont. Il faut les encadrer et les amener à avoir un minimum de comptabilité et les amener à recruter également et à élargir leur base d’opération.
Vous parlez de la construction d’un lycée sport-étude à Bouaké. Est-ce l’amorce d’un projet qui va s’étendre sur toute la Côte d’Ivoire ?
C’est ce que j’ai dans mon projet actuellement, étant entendu qu’on ne peut pas tout faire en même temps. J’ai prévu ce projet et avec l’expérience, on verra si c’est possible d’aller plus loin. Le sport est important pour nous tous et moi j’aimerais faire plus. J’ai donné la priorité aux cinq (5) CHU et aux cinq (5) universités. Dans l’ensemble dans universités, il y aura un dispositif de sport comme dans les universités américaines. Ceci étant, le lycée sport-étude est un projet pilote, précis, qui veut montrer ma détermination à soutenir le monde sportif.
Etes-vous pour la légalisation de la polygamie ?
ADO : J’ai mon avis personnel mais je suis un démocrate…
Certains souhaitent voir l’introduction de la polygamie dans la constitution ivoirienne.
La Côte d’Ivoire est un Etat laïc et moi je ne veux pas être un président qui décide à la place des autres. Si c’est le vœu, il faudrait un débat national. Mais, je considère qu’à présent la polygamie n’est pas dans les lois, donc elle n’est pas reconnue. Si à l’évolution des choses, l’Assemblée nationale se saisie d’une proposition de loi pour le faire, ça sera la décision de l’Assemblée nationale. Mais je ne voudrais pas donner mon avis personnel sur une telle question.
Juste une préoccupation. Vous proposez de créer 200000 emplois pour les jeunes et en même temps vous voulez faire appel aux retraités. Est-ce que vous pouvez l’expliquer ?
ADO : Vous savez que dans tous les pays du monde maintenant, l’âge de la retraite est repoussé parce que les gens vivent plus longtemps. Par exemple pendant cette crise, les retraités enseignants ou soignants volontaires, ont beaucoup aidé. Sans eux, beaucoup de personnes seraient mortes et beaucoup d’enfants n’auraient pas reçu d’éducation. Moi je pense qu’ils sont peut être partis trop tôt à la retraite et ceux qui veulent revenir reviendront. Il faut amener le maximum de personnes à travailler. C’est par le travail qu’on accroit les richesses nationales.
Est-ce une manière de vous rattraper sur les départs volontaires et le départ à la retraite après 30 ans de service ?
ADO : Ce sont des mesures qui étaient exceptionnelles parce que la crise était difficile. Moi, je voudrais que mes compatriotes reconnaissent que 1990 était une année de crise aussi difficile que 1999, que 2002 ou qu’aujourd’hui. Vous savez que la situation économique du pays est totalement délabrée. Les problèmes de chômage, les problèmes pour les Ivoiriens de se nourrir trois fois par jour, s’accumulent. Il n’ ya pas beaucoup d’Ivoiriens qui se nourrissent trois fois par jour. Il y a les problèmes de routes. Moi j’ai visité les 19 régions de Côte d’Ivoire et j’ai vu l’état du pays. Mais, je ne peux pas accepter que mon pays soit dans une telle situation avec le potentiel que nous avons. Nous pouvons aller plus loin.
Quelle est la solution originale pour vous pour résoudre la question de l’insalubrité ?
ADO : Fondamentalement, l’Etat n’est pas géré. Il y a eu des décaissements de la Banque mondiale pour assainir la ville. Ils ont fait un coup ou deux et puis après c’est reparti. Quand il pleut, ce sont des inondations partout. Pourtant, on fait des travaux et trois mois après ça ne marche pas. Je suis allé visiter des familles à Cocody où il y a des châteaux d’eau qui sont en construction depuis trois ans et qui ne sont pas terminés. Les pauvres dames sont obligées de se lever à quatre heures du matin pour espérer trouver de l’eau avant que leurs maris n’aillent au travail. Je pourrai continuer ainsi avec des exemples à profusion. Mais je ne suis pas venu ici pour me lamenter. Je suis venu pour dire aux ivoiriens que moi j’ai des solutions. J’ai des solutions à ces problèmes parce que je les ai étudiés, nous les avons chiffrés.
Quelles solutions pouvez-vous avoir contre les ordures ?
ADO : Il faut avoir des structures qui peuvent enlever les ordures et qui peuvent les traiter, et même les utiliser à autre chose. Ça se fait partout ailleurs. Pourquoi en Côte d’Ivoire nous n’arrivons pas à le faire ?
Comme si c’était une fatalité ?
ADO : Vous voyez bien que c’est pénible et que nous ne pouvons pas accepter cela.
Votre projet de construction de logement ressemble au projet « habitat rural ». Quelle est sa particularité, surtout que vous parlez de maison à 5 millions ?
C’est un projet réel et quand je serai Président de la république, je vais aller inaugurer certaines de ces maisons. Ce sont des maisons qui doivent être faites sur une superficie de 150 m2, avec 50 m2 de surface habitable. Le coût de la maison sera peut être supérieur à 5 millions, mais l’Etat va subventionner une partie. C’est ce qui se fait en Afrique du Sud dans les townships et autres. L’Etat subventionne une partie du taux d’intérêt pour que le remboursement ne soit, par exemple, que de 25000 FCFA par mois sur 20 ou 25 ans, selon les modalités et la personne sort de la pauvreté. Parce qu’elle aura un environnement sain. Elle sera dans une maison avec sa famille, même si elle n’est pas très grande comme les châteaux de Cocody que nous voyons pousser tous les jours avec les milliards des fonds publics. Je ne souhaite pas faire de polémiques, mais je voudrais dire que ce qui m’intéresse, c’est l’ivoirien moyen et les ivoiriens les plus défavorisés en matière de logement, en matière d’école et surtout en matière de bien-être. C’est une ambition parce que j’aime mon pays, j’aime mes compatriotes. Je suis prêt à faire une contribution, j’en ai les capacités et je pense que par mon expérience, par ce que je suis, par ma qualité morale, mes compatriotes peuvent me faire confiance. Je peux et je vais apporter les solutions dont ils ont besoin.
On a entendu dire qu’on ne sort pas d’une longue crise comme on sort d’un diner gala. Dites aux ivoiriens que ce que vous leur promettez de faire.
Chers compatriotes, je profite de ces instants pour vous dire que vous devez croire en Alassane Ouattara. J’ai apporté mes preuves de 90 à 93. C’était une crise très grave, la Côte d’Ivoire était au bord de la faillite, j’ai redressé mon pays. Des mesures douloureuses ont été prises. Le Président Houphouët n’a soutenu, il m’a protégé. Je suis parti. La situation de la Côte d’Ivoire est celle qu’elle est aujourd’hui. Vous la connaissez, nous la connaissons, elle est déplorable. Je pense que notre pays mérite mieux que ce que nous avons aujourd’hui. Je suis fier d’être Ivoirien, j’aime mon pays. Et je souhaite que mon pays retrouve sa grandeur d’antan. Je crois que mon programme que je vous promets permettra d’atteindre cet objectif. Je suis sûr qu’en votant pour moi le 31 octobre, c’est-à-dire dimanche prochain, nous tournerons cette page de la crise.
Je vous remercie.