Elles viennent par vague et en convoi. Pour la plupart en provenance d'Abidjan, plus précisément d'Abobo, et d'autres quartiers chauds de la capitale économique. Ces populations s'éloignent de la lagune Ebrié pour Bouaké. Fuyant disent-elles, les tueries arbitraires et aveugles qui vont grandissantes au fil des jours dans ces quartiers. Ce flux migratoire de plus en plus important qui se faisait en interne a débordé par la suite. Inversant considérablement le sens du trafic des cars de transport du Sud vers Bouaké. Ceux-ci vont vides vers Abidjan et reviennent bien bourrés. « Depuis plusieurs semaines, personne n'ose aller vers le sud. Ce sont les cars qui vont vides et reviennent chargés. Bouaké et devenu un carrefour pour les Ivoiriens et les autres ressortissants. C'est d'ici, que les milliers de passagers qui arrivent chaque jour du Sud se dirigent vers leurs villages. Ceux qui ont des parents ici n'ont pas de problème, mais certains d'entre eux arrivent ici et sont à court de moyens financiers, nous essayons de nous organiser au sein de la gare routière pour trouver des solutions afin qu'ils regagnent leurs destinations finales qui se trouvent être les villages environnant de la commune », a témoigné M. Diarrassouba Ibrahima, l'un des responsables de la gare routière de Bouaké. Selon lui, les quelques rares passagers en partance pour Abidjan sont en majorité des jeunes filles ou des vielles femmes ainsi que des gamins de moins de douze ans. Ce sont ces catégories de personnes qui peuvent avoir, selon lui, la chance de passer le corridor de contrôle des miliciens de Gbagbo basé à Tiébissou. « Les autres risquent leurs vies puisqu'ils seront considérés comme des renforts pour ceux qui mettent en déroute leurs collègues miliciens dans le quartier d'Abobo », a ajouté Diarrassouba Ibrahim. Au constat, ce sont des dizaines de cars de différentes compagnies de transports qui déversent à Bouaké les populations qui fuient les exactions, pillages et tueries arbitraires. Du côté de la gare UTB, aucun car n'est visible sur le quai d'embarquement après 13 heures. « Nous avons moins de départ à destination d'Abidjan. Non seulement par manque de passagers pour le Sud, mais surtout il ya plus d'une dizaine de départs en provenance d'Abidjan, que dans le sens contraire », a témoigné un agent de la gare UTB qui requis l'anonymat. A côté des compagnies de transport qui font les lignes de l'intérieur, il y a celles qui vont au-delà de la frontière nord ivoirienne. Ce sont plus d'une soixante de cars faisant les lignes transfrontalières qui transitent par jour avec les ressortissants des pays de la CEDEAO. Et depuis le début de ce mois de mars, ce sont les convois composés de mauritaniens qui font escale à Bouaké, avant de continuer le voyage. « Nous avons composé un convoi de huit cars aujourd'hui (hier). Et cela se fait chaque jour à Abidjan, puisque les mauritaniens sont attaqués et tués. Ma boutique a été pillée à la Rivera 3 et j'ai été dépourvu de tout ce que je possédais, donc je rentre dans mon pays avec ma femme et mon frère. Dieu merci ils nous ont laissé en vie», a témoigné Hamed Ould Hamed qui a affirmé que ses agresseurs sont des jeunes pro-Gbagbo, se connaissant parfaitement pour avoir cohabité ensemble durant des années. Hamed Ould Hamed soutient avoir vécu à la Riviera 3 depuis plus de 15 ans. A côté de l'instinct de survie qui les pousse à s'éloigner d'Abidjan il y a aussi la pénurie alimentaire qui motive davantage cette quête d'une terre plus paisible. Surtout pour les ivoiriens qui estiment qu'Abidjan n'inspire plus que crainte et désolation. Comme témoigne Dame Atombgbré M qui a dû partir d'Abobo avec ces trois enfants. « Nous sommes partis après les tueries des femmes qui marchaient pacifiquement à Abobo. Parmi les victimes, j'en connais personnellement trois. Ce drame nous a affectés et en même temps nous a fait prendre l'option de partir définitivement de ce quartier et ensuite Bouaké. Aussi, il ya la difficulté de pouvoir se nourrir décemment qui se présentait progressivement aux habitants » a-t-elle ajouté. Pourtant, Dame Atoumgbré originaire d'un village de Béoumi revendique dix huit ans de vie paisible à Abobo. Pour elle, les tueurs d'innocentes personnes à Abobo sont connus de tous et sont des hommes à la solde. « Ceux qui tuent ne sont pas des ivoiriens et ils tirent sur ceux qu'ils trouvent en face d'eux sans chercher à comprendre », a-t-elle précisé avant d'indiquer qu'elle et ses enfants regagneront le village afin de vider le surnombre été créé au domicile de son oncle du quartier Gonfreville. Autre lieu, même réalité. Savané Mariam, laissant son mari derrière elle, à Abobo Dokui, s'est retrouvée à Bouaké au Yankadi, un secteur du quartier Dar es-salam, avec ses enfants et ses protégés, au nombre de onze personnes. Parmi ceux-ci, un bébé de huit mois. « Nous avons quitté Abobo, moi et mes enfants pour nous retrouver ici à Bouaké. Cela, après les combats du samedi et Dimanche dernier qui ont secoué Abobo. Mon mari est resté pour suivre la dépouille de son frère qui est à la morgue d'Anyama. C'était un chauffeur, il a été sauvagement abattu devant la cour avec son apprenti alors qu'ils étaient simplement arrêtés. Leurs tueurs les ont traités de rebelles. C'est à la suite de cela que je suis sortie avec les enfants. Comme le corps de mon beau frère se trouve à la morgue, mon mari y est resté pour s'en occuper », a-t-elle témoigné.
MAIGA Idrissa (Correspondant à Bouaké)
MAIGA Idrissa (Correspondant à Bouaké)