Certains voudraient, pour les besoins de la réconciliation nationale, que l’on fasse table rase sur le passé. D’autres estiment que pour ne plus que les erreurs du passé se répètent, l’on passe tous les crimes commis ces dix dernières années au scanner de la justice. C’est la deuxième option que semble avoir retenu le gouvernement du président Alassane Ouattara. Mardi dernier, à l’issue du Conseil du gouvernement présidé par le Premier ministre Guillaume Soro, il a été question des personnalités arrêtées à l’occasion de la grave crise postélectorale que les Ivoiriens viennent de vivre. Ces personnalités qui, pour la plupart cadres de l’ancien parti au pouvoir, sont assignés en résidence surveillée, font depuis mardi dernier l’objet d’enquêtes préliminaires. « Des procédures d’enquêtes préliminaires sont en cours pour les crimes et délits commis par Laurent Gbagbo et son clan», a révélé le porte-parole du gouvernement Patrick Achi après la réunion du mardi dernier à la Primature. Au nombre des personnes visées, hormis Laurent Gbagbo, figurent Mme Simone Gbagbo, son épouse, Me Bahi Patrice, chef de la sécurité civile de Laurent Gbagbo, Pascal Affi N’Guessan, le président du FPI, Mme Bro Grébé, leader des femmes patriotes, les généraux Dogbo Blé et Vagba Faussignaux pour ne citer ceux-là. Ces pontes de l’ancien régime qui sont au nombre d’une soixantaine sont aujourd’hui dans le viseur de la justice. A chacun de ces personnalités, il est reproché de graves crimes sang ou économiques commis pour eux ou en leur nom. L’ancienne première dame, Simone Gbagbo, a été citée dans de nombreuses affaires sales et obscures. Dès les premières heures du régime FPI, il lui est reproché d’avoir attisé la haine et appelé à la violence. Comme son époux, Mme Simone Gbagbo pourraient être rattrapée par les crimes d’octobre 2000, le charnier de Yopougon et les violations graves de droits de l’Homme de décembre 2000 où elle a eu des propos assez désobligeants pour les femmes violées au cours de ces événements à l’école de police et dans la cour de l’ex-ENS à Cocody. « Qu’est-ce qu’elles faisaient là-bas ? Elles l’ont un peu cherché », a-t-elle lancé à un journaliste qui l’interrogeait sur ces événements. Mais le dossier qui risque d’ébranler la pasionaria de la refondation est incontestablement celui des escadrons de la mort. Dans ce dossier où son aide de camp, le commandant Séka Séka Anselme, est nommément cité, Simone risque gros. Car beaucoup d’indices et de témoignages indiquent qu’elle est pour beaucoup dans la mort des personnes qui ont été tuées au cours des mois qui ont suivi le 19 septembre 2002. Sans oublier les tueries qui ont eu cours après le 28 novembre 2010 au cours desquelles des populations civiles ont été massacrées à Abobo sur ses ordres, selon des témoins. Me Bahi Patrice, lui, est cité comme étant l’un chef des escadrons de la mort qui ont sévi entre le septembre 2002 et février 2003. Il est soupçonné d’avoir assassiné plusieurs militants ou sympathisants de l’opposition d’alors dans cette période. Pascal Affi N’Guessan, pour sa part, est trempé jusqu’au cou dans l’assassinat du général Robert Guéi. On se souvient que c’est l’ancien Premier ministre, à la suite d’Alain Toussaint, à l’époque porte-parole de Laurent Gbagbo, qui a annoncé sur les antennes de RFI que le général coordonnait les opérations sur le terrain et s’apprêtait à aller à la RTI pour faire une déclaration le jour des douloureux événements du 19 septembre 2002. La suite, on la connait. L’ancien chef d’Etat a été retrouvé mort vers la Corniche à Cocody. Dans le sens inverse de la voie qui mène à la RTI. En outre, Pascal Affi N’Guessan également le premier à dire sur les antennes de RFI que le vote au nord allait être annulé pour violences et fraudes massives. Il a été malheureusement suivi par le Conseil constitutionnel. Ouvrant ainsi la crise postélectorale la plus grave qu’ait connue la Côte d’Ivoire. Pascal Affi N’ Guessan, rien que pour ces propos, est aussi responsable que Paul Yao N’ Dré, président du Conseil constitutionnel. S’agissant de Mme Bro Grébé, leader des femmes patriotes, elle pourrait être poursuivie pour incitation à la haine et à la violence. Car qui ne se souvient encore de ces diatribes et envolées lyriques contre les militants du RDHP, le Burkina Faso, la France et tous les pays qui ne caressaient pas le régime de Laurent Gbagbo dans le sens du poil ? Par son discours extrémiste, l’ancienne transfuge du PDCI-RDA aura largement contribué à attiser la haine tribale et la xénophobie dans le pays de Félix Houphouët-Boigny. En ce qui concerne les militaires, les généraux Dogbo Blé et Vagba Faussignaux auront été de ceux qui ont beaucoup contribué au chaos qu’a connu la Côte d’Ivoire et duquel elle a encore du mal à s’en sortir. Le premier cité s’était déjà illustré lors des événements du 24 et 25 mars 2004 où plus de 500 militants de l’opposition de l’époque avait été massacrés au cours de la marche pacifique que voulait organiser le G 7 pour protester contre les blocages dans l’application des accords de Linas Marcoussis. Avant même qu’elle n’ait lieu, la marche a été tué dans l’œuf. La plupart des manifestants et des militants ont été cueillis chez eux par les tueurs de Laurent Gbagbo. A la veille de cette marche, le colonel Dogbo Blé Brunot, commandant du palais et de la garde républicaine avait décrété tout le périmètre du Plateau et du palais présidentiel « zone rouge ». Aujourd’hui, c’est cet officier qui est encore cité dans les tueries qui ont eu cours lors des troubles qui ont eu lieu du 28 novembre 2010 au 11 avril 2011. Sa capture le 13 avril dernier permettra de situer les responsabilités, au niveau des militaires, dans cette période noire de l’histoire de la Côte d’Ivoire. Quant au contre-amiral Vagba Faussignaux, il a été, au même titre que Dogbo Blé, parmi les militaires qui ont encouragé Laurent Gbagbo à opérer son coup de force après sa défaite à l’élection présidentielle du 28 novembre 2010. Le contre-amiral Vagba est allé au bout de son aventure avec Laurent Gbagbo. Il est donc comptable de toutes les tueries et les massacres qui ont lieu à cette période. Il appartient à la justice de déterminer sa de responsabilité dans cette affaire. En dehors de ces personnalités citées, il faut ajouter tous ceux qui ne l’ont pas été, mais qui font partie de la soixantaine de personnes interpellées. Ainsi que ceux qui courent encore que la justice ne manquera pas de rattraper. A coup sûr.
Jean-Claude Coulibaly
Jean-Claude Coulibaly