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Politique Publié le jeudi 12 mai 2011 | Le Nouveau Réveil

Le ministre Ibrahim Sy Savané (président de la Haute autorité de la communication audiovisuelle) : “Nul ne pourra créer une télé pour soutenir un parti politique”

© Le Nouveau Réveil Par Prisca
Couverture médiatique des élections - Le CNCA remet un guide aux journalistes
Mercredi 1er septembre 2010. Abidjan. Hôtel du district. Le guide de la couverture médiatique des élections est remis aux journalistes, en présence du président de l`Assemblée nationale, le professeur Mamadou Koulibaly, et des membres de nombreuses représentations diplomatiques. Photo: le ministre Ibrahim Sy Savané, de la Communication
Nommé récemment à la tête de la Haute autorité de la communication audiovisuelle, le ministre Sy Savané a accepté de répondre aux question que se posent les Ivoiriens au sujet de cette nouvelle institution.

Monsieur le ministre Ibrahim Sy Savané, après avoir été ministre de la Communication pendant de longues années, vous venez d`être désigné pour diriger la Haute autorité de la communication audiovisuelle. Comment appréhendez-vous cette nouvelle responsabilité ?

D`abord, une pensée pour nos morts innombrables. Il ne faut jamais les oublier. Compassion collective et compassion individuelle. Pour en revenir à votre question, effectivement, j`ai été ministre durant trois années et demie dans un gouvernement d`union qui avait pour tâche essentielle, l`organisation des élections. Cependant, même si c`était cela l`objectif à atteindre, nous avons essayé de mener à bien un certain nombre de reformes au ministère même. A commencer par certaines petites réformes qui ne sont pas spectaculaires, mais n`en sont
pas moins importantes. Le retour de la carte d`identité, la signature de la convention collective, la mise en place d`un fonds de soutien à la presse. L`organisation des producteurs audiovisuels dans le cadre d`une structure; le décret sur l`affichage publicitaire, l`organisation même de cette profession. Il y a également un aspect qui continue de me tenir à cœur, c`est la situation matérielle des journalistes. La convention collective en faisait partie mais la protection sociale des journalistes est l`élément essentiel. Nous avons mené ces réformes dont un des aspects les plus importants est la libéralisation de l`espace audiovisuel. Et pour cela, nous avions confié une étude à un cabinet français choisi par l`Union européenne qui a financé ce projet. Je pense que les conclusions sont très intéressantes, de mon point de vue. Parce que nous leur avions posé en quelque sorte comme contrainte principale, la nécessité de libéraliser tout en faisant émerger les entités économiquement viables. Parce que libéraliser sans que les nouvelles radios et télévisions aient un minimum de base économique ne nous parait pas de bonne politique. Et je pense que cela peut même être dangereux, comme on l`a vu dans certains pays où il y a beaucoup de chaînes sans qu`on sache qui les contrôle vraiment.

Avant de revenir à cette libéralisation, on remarque que la Haute autorité reprend presque trait pour trait les attributions du Cnca. Alors on se demande, qu`est-ce qui fera la différence entre elle et la défunte structure?

Il faut d`abord le voir dans son fonctionnement. Il y a beaucoup de choses que le Cnca devrait faire et n`a pu faire, faute de moyens. La Haute autorité qui sera érigée en institution aura une latitude plus grande pour agir. Dans le domaine de la régulation, tout à l`heure je vous ai dit que toute notre matrice régulatoire était à revoir; que la façon de désigner les collèges de conseillers doit être revue. Et puis, la réflexion même sur le développement du secteur, tout cela fait partie de ce que la Haute autorité ambitionne de faire. Vous savez, ce
n`est pas une innovation ivoirienne, la Haute autorité. Il y a beaucoup d`autres pays qui en ont créé et chacun donne le nom qu`il veut. Et je pense que dans la dynamique actuelle, il était bon, non pas seulement pour marquer la rupture, mais montrer la nécessité de faire un saut qualificatif. Et d`élargir les possibilités qui nous sont offertes. Il était bon de mon point de vue, qu`on mette en place cette Haute autorité, et c`est ce que le président de la République vient de faire.

Le président de la République est très souvent revenu sur la nécessité de cette Haute autorité de la Communication. En quoi consiste véritablement sa mission, étant donné que vous en êtes le responsable ?

D`abord, nous devons faire en sorte que la régulation soit effective, ce qui veut dire ne pas embrigader les médias, ne pas leur couper la respiration, puisque les médias sont une soupape de sécurité. Dans le même temps, accélérer et accompagner la libéralisation du secteur. On le voit déjà, presque toutes les télévisions du monde sont reçues en Côte d`Ivoire. Pourquoi alors avoir peur d`une libéralisation? Tous les textes de la libéralisation
ont été préparés. Et une des missions de la Haute autorité est de préparer cette libéralisation. L`encadrer pour qu`elle soit profitable à la Côte d`Ivoire. C`est essentiellement cela notre mission. Ce n`est donc pas une mission de gendarme en permanence. J`espère qu`au point où nous en sommes arrivés dans ce pays, les uns et les autres savent jusqu`où on peut aller maintenant dans le bon ou mauvais usage des médias. Je pense qu`on n`a pas besoin
de faire le gendarme en ce qui concerne les questions éthiques. Mais n`oubliez pas que la télévision et la radio sont aussi des enjeux économiques colossaux et donc l`Etat a un devoir d`arbitrage. Si vous ajoutez à cela que de nombreuses radios au statut hybride et parfois même nées spontanément, existent, il va quand même falloir faire un travail de recensement et j`allais ,dire, de réhabilitation administrative de ces radios.

En 1990, avec la libéralisation de la presse, l`on a assisté a un désordre installé par la faute de certains partis politiques qui s`en sont accaparée en créant certains titres. Aujourd`hui, avec la libéralisation de l`audiovisuel, ne craignez-vous pas qu`on puisse assister à ce désordre ?

Très franchement, je n`ai aucune crainte à ce sujet. D`abord le ticket d`entrée sur le marché de la presse écrite est très faible. Il suffit d`avoir quelques millions ou même sa seule volonté, pour entrer sur le marché de la presse écrite, de créer son propre journal. En ce qui concerne la télévision, ce sont des investissements colossaux.

Tout le monde ne peut pas y accéder. De plus, dans le cas de la presse où il y avait un système déclaratif, on créait son journal, puis on informait le pouvoir public par la suite. Il se trouve que dans le cas de la télévision, ce sont les fréquences, les autorisations qui sont attribuées. Et il y a quand même des cautionnements qui sont assez lourds. Pour l`instant, c`est trois cent cinquante millions de francs Cfa (350.000.000f). Mais beaucoup de personnes pensent qu`on pourrait même revoir à la hausse ce cautionnement. Mais à côté de cela, il y a que les fréquences n`étant pas infinies, il faudrait bien qu`il y ait des appels d`offre. Et puis, il y a des règles, des cahiers de charges. Si maintenant un homme d`affaires qui a créé une télévision parce qu`il aura rempli toutes les conditions, qu`il aura été retenu après un appel d`offres, tente par la suite de mettre cette télévision là au service d`un parti politique, je pense que la Haute autorité interviendra aussitôt.

Seriez-vous donc regardant sur l`activité quotidienne de ces médias ?

Absolument, le monitoring, le respect de l`équilibre. On veut ériger l`équité en règle dans ce pays, dans tous les domaines. Aussi bien dans le domaine social, mais singulièrement dans la question des médias. Si vous avez remarqué, c`est surtout dans les médias qu`on parle beaucoup d`équité. Moi-même j`en ai usé et abusé parfois.

Mais je suis convaincu que tous ceux qui viendront dans ce domaine-là, seront obligés de se conformer à cela. Et n`oubliez pas que les concessions sont renégociées périodiquement. Donc, on n`est pas propriétaire une bonne fois pour toutes. L`Etat a le droit de retirer la concession, l`autorisation au vu de l`usage qu`on en fait. Ce point me parait extrêmement important. Il faut libéraliser, il faut que cela se fasse sur des bases équitables, et il faut aussi
que ce soit des entités économiques viables.


Que renferme l`aspect entité économique fiable dont vous parlez tant ?

Ecoutez, vous avez cité vous-mêmes le cas de la presse écrite. Vous savez bien qu`un pays où il y a en gros 100.000 lecteurs, pour 20 quotidiens, cela pose un problème évidemment, non pas à la démocratie et au pluralisme, mais un problème économique non négligeable. Et vous savez très bien que si le printemps de la presse a failli se transformer en harmattan, c`est justement parce que les bases économiques n`avaient pas été consolidées. Et je vous prends l`exemple de certains pays qu`on dit avancés par rapport à la Côte d`Ivoire en
matière de libéralisation où il y a cinquante chaînes de télévisions qui sont de vagues entités, qui ne peuvent même pas vivre économiquement. Et qui sont parfois aux mains de personnes non identifiées, de mains invisibles qui injectent de l`argent. Cela peut-être des télé-évangélistes ou peut-être des propriétaires de mines qui veulent faire pression sur le gouvernement. Cela peut être des sociétés, ou peut-être plus simplement des hommes politiques. Ce n`est pas la multiplicité qui fait en réalité le pluralisme de l`information. Autrement dit, ce n`est pas le nombre élevé de télévisions qui introduit la diversité. Si les gens ont le même modèle économique, qu`ils vivotent, utilisent les mêmes canaux pour s`approvisionner avec les mêmes séries, parfois sans même payer de droits d`auteur, alors c`est une régression. Mais hélas, on le constate dans beaucoup de nos pays.

Moi, j`espère que cela va être évité en Côte d`Ivoire, parce que notre pays a bien balisé les choses en créant un Conseil supérieur de la publicité depuis les années 80, en incitant à créer une union des annonceurs, en créant une association des agences conseils. Et avec une presse qui, malgré tout ce qu`on peut dire, est structurée. Il y a des groupements, des syndicats. Avec tout cela, je considère que nous avons mis en place ou aidé à mettre
en place des structures qui peuvent nous permettre aujourd`hui de faire la libéralisation, l`esprit tranquille. C`est une décision qui revient au gouvernement et je vous disais qu`en réalité, la loi de 2004 avait déjà posé comme principe la libéralisation. Fallait-il libéraliser dans les conditions qu`on a connues ? J`en doute.


Peut-on savoir qui peut aujourd`hui prétendre ouvrir une télévision ou une chaîne de radios ? Un opérateur privé national tout comme un opérateur privé étranger peut-il le faire ? Ou il y a-t-il d`autres conditions particulières?

Dans la loi, il y a des conditions précises mais on attend d`abord un signal du gouvernement. Il y a des commissions techniques qui sont prévues d`être mises en place. Elles avaient déjà entamé leur travail par temps calme. Maintenant qu`on espère que tout sera en place, je pense que ces commissions pourront faire leur travail dans la transparence; les appels d`offres permettront de choisir les futurs opérateurs audiovisuels

A quel paysage audiovisuel les Ivoiriens doivent-ils s`attendre les jours à venir ? Vous parlez de démocratisation, de printemps des médias audiovisuels ?

Moi, je ne parle pas de printemps. On a déjà, par le passé, parlé de printemps et comme je vous le disais, ça à failli se transformer en harmattan. Donc, moi je ne vais pas aller chercher des références climatiques au loin. Ce que je sais, c`est que personne ne doit empêcher les médias de faire leur travail. Ce que je sais aussi, c`est que les médias doivent se rendre compte de l`impact sur la société, sur le présent comme sur l`avenir, de ce qu`ils disent,
de ce qu`ils produisent. Nous sommes aujourd`hui dans ce monde, dans cette médiasphère où les images circulent beaucoup ; où la parole et l`écrit circulent beaucoup; où la notion de frontières a même été abolie.

Je crois que chacun de nous doit faire preuve de responsabilité. Mais je ne crois pas du tout à un retour en arrière (si je puis dire) pour caporaliser les médias. De toutes les façons, personne ne l`acceptera. Si d`aventure des gens avaient le projet d`un tel retour en arrière, ils se tromperaient complètement. Parce que ces derniers temps l`ont même montré : les Ivoiriens ont une soif plus grande encore d`informations. Et donc les priver d`informations serait une grave erreur. Je ne crois pas que cela soit dans les projets de quiconque.

Dans la crise que nous venons de traverser, les médias ont joué un rôle particulièrement nocif au sein de la population. Parfois même, la chaîne de télévision publique a été taxée de faire de la propagande nocive à l`endroit de la population, d`attiser la haine. Aujourd`hui, vous dites que les médias ne pourront pas soutenir un parti politique de façon très ouverte. Mais que feriez-vous concrètement pour mettre la Côte d`Ivoire à l`abri de ces dérives ?

J`ai dit qu`une télévision ne peut pas se créer uniquement pour supporter un parti politique. Pour le reste, vous savez un jour, nous aurons l`occasion d`analyser toute cette période passée, à froid. Les gens n`ont pas toujours perçu les efforts qui ont été fournis par le Premier ministre, par moi-même, par nos collaborateurs pour qu`il y ait d`abord un accès équitable, qu`il y ait un traitement moins orienté de l`information. Nous avons eu des dizaines

de réunions, nous avons dû mobiliser des moyens. Et vous savez, du début de la campagne jusqu`à pratiquement la fin, tout s`est bien passé. Les gens nous ont félicité de partout et les gens continuent de dire, "c`est du jamais vu": Quatorze candidats qui accèdent à la télévision, avec des Pad (prêts à diffuser) jusqu`au face-à-face final qui a été commenté partout en Afrique et au -delà. Quant à l`arrivée, il y a des milliers de morts, cela incite à beaucoup d`humilité. Toutes les variables techniques peuvent être maitrisées, mais le facteur humain….

Vous m`excuserez, aujourd`hui nous devons parler de la Haute autorité, mais mon travail consiste aussi à tirer tous les enseignements de ce qui s`est passé et cela va prendre un peu de temps. Moi, je ne veux ni accabler les uns ni les exonérer. Mais ce que je peux vous dire, chers frères, c`est que beaucoup de gens qui sont dans la tourmente aujourd`hui, sont des gens ordinaires jetés dans une situation extraordinaire. Et qui n`ont pas toujours eu le bon réflexe. Vous savez, la décision n`est rien, c`est son opportunité qui importe.

Et très souvent, les gens qui ne sont pas dans le feu de l`action ne s`aperçoivent pas toujours cela. Une fois encore, je ne veux pas accabler, je ne veux pas exonérer, je redis simplement qu`il faut tirer des leçons pour qu`on puisse avoir des media dont on soit tous fiers. Des médias qui respectent l`éthique et la déontologie. Sous l`impulsion d`un Etat impartial

Je vais vous faire une petite confidence : il se trouve que nous sommes quelques-uns à être les promoteurs d`une norme de qualité en matière de contenu des médias. Et j`appartiens à ce groupe de travail depuis 2006. En mars, je partais précisément prendre part à cette réunion à Genève. Parce que de la même façon qu`il existe des normes ISO pour certaines entreprises, il y a des normes de qualité pour les entreprises de médias. Et je fais partie des auditeurs agrées du groupe de certification. Et nous voulons tout faire pour que cette norme-là puisse s`imposer à nos médias. C`est-à-dire télévision, radio, et même dire l`internet qui fleurit pas mal depuis quelque temps et qui ne doit pas être censuré, mais mérite une régulation tout aussi vigilante afin d`améliorer sa crédibilité C`est important pour les médias, c`est important également pour la société dans son ensemble. À présent, intéressons-nous à l`avenir, essayons d`améliorer ce qui existe selon des normes admises. Pour ce faire, nous avons besoin d`un véritable état des lieux et de tirer les leçons du passé. Parfois, moi j`ai tendance à m`intéresser plus à un système qu`aux individus. Je le dis une fois encore, ce sont des personnes tout à faire ordinaires qui sont jetées dans une situation extraordinaire. Et je sais trop le poids des pressions multiformes sur ceux qui ont en charge le travail de régulation

On vous connait comme un spécialiste des médias, de la communication. Vous êtes arrivé dans des conditions particulières à la tête de la Haute autorité parce qu`en son temps, il y avait un président du Cnca qui avait été nommé. Comment cela a été fait ?

Le président de la République m`a demandé de m`occuper de la Haute autorité. Il y a une seule personne qui nomme. Et je sais très bien qu`au mois de décembre, j`avais appris par la presse certaines nominations dont celle-ci et celles de la télévision. Il y avait eu la nomination de mon ami et frère Levy Niamké à la tête du Cnca.

Et puis la décision d`ériger cette structure en Haute autorité et de me la confier. Moi, je connais les qualités professionnelles et spirituelles de notre frère Levy. Personne ne se nomme soi-même. Ma nomination s`est passée comme toute autre nomination. Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas du genre à aller réclamer un poste. Et ceux qui connaissent le Président Alassane Ouattara savent aussi qu`il n`est pas du genre
à offrir un poste parce qu`on le réclame. Je crois qu`un Etat a une vision dynamique et essaye de s`ajuster en permanence. Demain, on peut estimer non seulement le concept de Haute autorité dépassé. Mais, que celui qui s`en occupe ne fait pas forcément l`affaire à un moment donné. Et on peut désigner quelqu`un d`autre. Je crois que cela ne doit pas faire l`objet de polémiques. Et je suis frappé d`une chose, c`est qu`il y a eu des dizaines de
nominations ces temps-ci, mais celle-là parce qu`elle concerne la presse justement, fait le buzz. Et puis, la presse aime bien commenter ses propres informations. Je pense qu`il y a eu ces temps-ci d`autres nominations qui sont peut-être plus importantes encore. Mais, passons à l`acte. Vous savez que l`ex-CNCA a été pillé. En plus, il y a beaucoup à faire. Il faut donc se mettre au travail.

Interview réalisée par Akwaba Saint-Clair
Coll : Dieusmonde Tadet
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