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Politique Publié le vendredi 9 décembre 2011 | Le Patriote

Interview / Cheick Amidou Kane : “Les dirigeants ne peuvent plus manipuler les différences ethniques”

C'est un écrivain qui force respect et considération en Afrique et dans le monde. Cheick Hamidou Kane, puisque c'est de lui qu'il s'agit, était récemment à Abidjan dans le colloque sur « la renaissance africaine et les leçons de la crise ivoirienne » organisé par le ministère de la Culture et de la Francophonie, dont il était l'invité d'honneur. L'auteur de « l'Aventure ambigüe » tire, dans cet entretien, les leçons de la crise postélectorale ivoirienne et parle de ses futurs projets artistiques.

Le Patriote : Les intellectuels africains se réunissent pour parler de renaissance africaine. Quel contenu donnez-vous à cette notion de renaissance africaine, précisément celle de la Côte d'Ivoire ?

Cheick Hamidou Kane : C'est tout à fait normal qu'il y ait un contenu. D'abord, il faut dire que l'Afrique n'est pas morte. Il ne faut pas entendre par renaissance que l'Afrique est morte et qu'il faut qu'elle ressuscite. L'Afrique n'est pas morte, elle est très vivante, très dynamique, sa démographie a changé. Les dernières études démographiques les plus récentes ont établi qu'au 15ème siècle au moment du contact de l'Afrique avec l'Europe, la proportion de la population africaine en comparaison avec le reste de la population mondiale était de 17 %. A la fin de la colonisation, cette proportion a été réduite à 5%. A cause de la traite négrière et de la colonisation, la démographie africaine a été dangereusement oblitérée. La population africaine avait beaucoup diminué par rapport au reste de la population mondiale. C'est après l'indépendance que les Africains sont en train de retrouver leur pourcentage de population par rapport au reste du monde. Mieux, cette démographie est en fort taux de croissance.

Les dernières estimations des démographes indiquent qu'en 2050, l'Afrique sera bien plus peuplée que la Chine. C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre la notion de renaissance africaine. L'Afrique avait perdu sa place, celle qu'elle occupait au 15ème siècle. Aujourd'hui l'Afrique n'existe pas. Ce qui est là, ce sont 53 anciennes colonies de l'Occident. La renaissance consistera pour nous à nous inspirer de nos valeurs traditionnelles pour modifier notre manière de nous juger. Il faut retrouver l'initiative politique que nous avons perdue, notre identité africaine que nous avons perdue. Et reconquérir notre espace africain en lieu et place des 53 ex-colonies qui constituent aujourd'hui l'Afrique.

L.P. : Qu'est-ce qui explique le fait que les intellectuels africains formés en Occident causent le malheur de leur propre population ?

C.H.K : L'existence en nombre suffisant d'intellectuels n'est pas en soit mauvais. Trop de richesse ne nuit pas. La question est de savoir, est-ce que ce sont de vrais intellectuels ?

Ce que Gramsy a appelé les intellectuels organiques. Des hommes enracinés dans la culture du peuple. Aujourd'hui, si les Etats africains avec leurs dirigeants ou leurs leaders politiques ont causé la perte de leurs populations, c'est parce que, ils ont été tous formatés par les dirigeants occidentaux. Pour moi, il est temps que les dirigeants africains développent de nouveaux discours proprement africains. Les populations africaines ont connu tous ces malheurs parce que les dirigeants formés à l'occident pour la plupart ont triché avec les règles.

L.P : Quel est le principal enseignement la crise ivoirienne, aux Africains et au monde ?

C.H. K.: C'est qu'il faut arrêter le massacre dans l'impunité la plus totale. Arrêter le gâchis. La Côte d'Ivoire a des atouts considérables. D'abord, c'est sa population à qui il faut rendre hommage parce qu'elle ne s'est pas laissée manipuler par les politiciens. Elle est sortie massivement malgré les contraintes et les violations des droits de l'Homme pour choisir son dirigeant pour les cinq années à venir. Elle a pris son destin en mains. Et chaque fois que le peuple prendra son destin en mains comme les Ivoiriens l'ont fait le 28 novembre 2010, il y aura toujours des changements qualitatifs même s'ils s'opèrent dans la douleur. La grande leçon de cette crise est donc la détermination du peuple ivoirien qui a montré aux dirigeants et au monde entier que c'est lui qui détermine et opère les grands changements. C'est donc clair que les dirigeants ont compris qu'ils ne peuvent plus instrumentalisés les différences ethniques des populations ivoiriennes.

L.P. : Laurent Gbagbo conduit à la Haye, est-ce le début d'une nouvelle ère en Afrique ?

C.H.K. : Peut-être dans la mesure où, l'impunité n'est plus possible, n'est plus tolérable. Il faut que les présidents actuels d'Afrique et les futurs présidents sachent que tous leurs mauvais actes seront sanctionnés, punis et jugés. A la différence de ce qui s'est passé pendant les 50 premières années des Indépendances. Si on pouvait juger les dirigeants en Afrique, c'est la meilleure solution, mais, comme l'Afrique ne dispose pas de tout l'arsenal juridique nécessaire, il faut donc recourir à la CPI. Il ne faut pas aussi que les juridictions internationales comme la CPI, soient des juridictions à double vitesse qui ne sont promptes qu'à juger seulement les dirigeants du Sud. Il faut qu'elles soient promptes à juger aussi les auteurs de méfaits dans les pays du Nord, ce qui n'est pas encore le cas.

L.P. Gbagbo à la CPI, pourquoi pas Hissène Habré ?

C.H.K. : Pourquoi pas, Hissène Habré pourrait lui aussi être conduit à la CPI. Moi-même je me pose la question, pourquoi, jusque-là, il n'est pas encore jugé ? Ce qui est sûr, il faut qu'il soit jugé pour les actes commis. Si on doit le conduire à la Haye, il faut le faire.

L.P. : Après « l'Aventure Ambiguë » et « Les Gardiens du Temple » à quand le prochain grand classique de l'écrivain Cheick Hamidou Kane?

C.H.K. : Je nourris la grande ambition de réaliser une œuvre avec tous les grands artistes d'Afrique qui reconstituerait un pan réel de l'histoire de l'Afrique, l'Empire du Mandingue hautement dirigé par Soundjata Keita. A l'heure actuelle, l'Afrique gagnerait à tirer les leçons qu'enseigne ce grand empire. Le mandingue avait été littéralement assujetti par Soumangourou Kanté et les populations avaient perdu leur liberté au point où pour se parler, ils utilisaient des gourdes de peur de se faire entendre par l'oppresseur. Soumangourou les avait privés de la liberté de parole. Et ils s'entretuaient malgré les relations de parenté qui liaient tous ces petits royaumes. Quand Soundjata Keita combat Soumangourou Kanté, il offre la liberté à tous ces petits royaumes et les réorganisent à travers une charte de Kouroukanfoi qui est une constitution tirée des cultures et des pratiques traditionnelles de l'Afrique. Cette charte est contemporaine d'une autre charte qui est la Magma -cartas. On est frappé en comparant la charte de Kouroukanfoi à celle de la Magma -carta de leurs similitudes. L'une et l'autre dise, toute vie est une vie. La vie humaine est sacrée, tout le monde a droit à la vie et à son intégrité physique, à sa fortune, à son bien-être. Toutes ces deux chartes régissent et stratifient ou organisent les différentes couches de la société. A travers la charte de Kouroukanfoi, c'est la preuve que les Africains ont inventé leur propre manière de gouverner que les Africains eux-mêmes ignorent. C'est ce que va essayer de retracer l'œuvre que nous souhaitons réaliser avec tous les grands artistes d'Afrique.

L.P. : Un débat fait rage au Sénégal, c'est la probable candidature de Wade, quelle est votre opinion sur la question ?

C.H.K. : Pour moi, le débat a duré trop longtemps. Ma crainte, c'est que quelle que soit ma réponse, si la Cour constitutionnelle valide cette candidature de Wade, on risque d'avoir des problèmes au Sénégal. Ce que je souhaite, c'est exhorter les concitoyens à éviter la violence. Que la crise ivoirienne sert d'exemple à tous. Je connais bien le président Wade, il est mon aîné, mon ancien condisciple, j'aurai bien souhaité qu'il fasse tout son possible pour que la fin de son mandat ne soit pas émaillé de violence. Il ne faudrait pas qu'il perde de vue tout ce qu'il a fait de bien pendant ses dix années de pouvoir. Que l'exemple de Léopold Sédar Senghor et de Julius Nyerere l'inspire. Le Sénégal est l'un des Etats de l'Afrique de l'Ouest qui n'a pas connu de violentes perturbations ces 50 dernières années. Je ne souhaite pas que ce soit sous la présidence d'un condisciple comme Wade que cela advienne au Sénégal. En un mot, que la fin de son mandat ne contredise pas son engagement patriotique au Sénégal et l'Afrique. Il doit faire preuve de grandeur d'esprit. Le Sénégal est l'un des rares pays africains à n'avoir pas encore connu de coup d'Etat. Il faut donc préserver cet acquis et cette fierté. Je demande à mon aîné Wade de permettre au Sénégal d'avancer dans la paix sans violence.

Réalisée par Moussa Keita
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