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Société Publié le mardi 17 janvier 2012 | Nord-Sud

Pour gagner leurs procès : Ces détenus qui préfèrent les marabouts aux avocats

Tribunal des flagrants délits du Plateau. Ce mardi 6 septembre 2010, il est 15 heures quand le tribunal ouvre le dossier N°10 de ce jour : une affaire de vol de nuit portant sur un disjoncteur. Selon le procès verbal, S.O., 41 ans, chauffeur à Anono, s’est introduit dans une cour, tard dans la nuit et a volé un disjoncteur. Malgré ses dénégations, il va être condamné à 5 mois fermes. Au sortir de la salle d’audience, nous surprenons, par hasard,une conversation entre les proches de S.O. qui venaient d’assister au procès. Déprimée, celle qui semble être sa mère, signifie à un homme du groupe que le marabout qu’ils ont consulté pour éviter la condamnation de S.O. est un escroc. Il avait prévu que la peine du condamné allait être «commuée» en une relaxe simple. Attiré par ces allégations pour le moins surprenantes, nous cherchons à en savoir plus sur cette affaire de marabout censée influencer le juge. Profitant de nos nombreux détours au tribunal dans le cadre des flagrants délits, nous sommes tombés sur des discussions similaires, sans jamais pouvoir les vérifier. Très souvent, c’est à l’entrée de la salle des audiences avant l’ouverture des portes. Les jours passent, puis le vendredi 04 novembre 2011, dans le même tribunal, le juge con­damne D.I., 35 ans et C.A., 39 ans à 12 mois fermes pour escroquerie. Une fille dans la salle s’écrie, en proie à un malaise. Un petit groupe de personnes, sûrement des connaissances, l’aident à sortir. L’un des policiers du tribunal les accompagne à la sortie pour s’assurer qu’elle n’est pas mal en point. Nous les suivons également. Dehors, la jeune fille se reprend. Quelque chose retient notre attention. On ignore s’ils s’apitoient sur le sort de D.I ou de C.A, mais une autre jeune fille qui est avec eux explique en bambara que le boulot n’a pas été bien fait. Et un jeune homme de poursuivre qu’ils auraient dû essayer le marabout qu’il avait proposé. Oued Elie Ali, président de l‘association Monique Barnet, versé dans la protection des prisonniers, note que ces cas sont légion. Courant 2011, un des détenus qu’il suivait à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca) lui a annoncé, avant son procès, que ses parents lui demandaient de prendre un marabout pour suivre son dossier.

300.000 F.CFA pour un marabout

Il était prêt à engager 200 voire 300.000 Fcfa dans l’affaire à leur demande. Oued Elie l’en a dissuadé. « Je lui ai dit qu’aucun marabout ne peut l’aider. Et c’est ce que nous essayons de dire aux détenus. Ce qu’il leur faut, c’est un avocat », explique-t-il. Le phénomène est très souvent difficile à identifier. Mais selon l’Ong, ils sont nombreux les détenus qui préfèrent confier leurs destins au marabout ou au charlatan plutôt que de prendre un bon avocat. Au barreau de Côte d’Ivoire, on en parle souvent. Me Diabaté, avocat au barreau, est d’accord qu’il n’est pas facile d’avoir les preuves de telles pratiques. Mais ce n’est pas pour autant qu’elle n’a pas cours. Il livre un cas qu’il a lui-même vécu. Le cousin à l’un de ses amis, commissaire divisionnaire, l’a rencontré pour défendre un dossier dont il ne donne pas de détails. « J’ai engagé le dossier à mes propres frais, parce qu’il m’a signifié qu’il n’a pas d’argent. Puis, un jour, il m’a dit qu’il a consulté un marabout qui lui a fait une prédiction : il va gagner le procès, sans même me payer un centime ». Le client a préféré consacrer l’argent qu’il avait au marabout. L’affaire est en cours, mais l’avocat n’a plus la même motivation. Ici, la pratique s’illustre sous une autre forme. Selon Me Diabaté, certaines personnes n’hésitent pas à demander le nom du juge qui s’occupe de leurs dossiers, dans le but d’aller l’envoûter. Toutefois, il en a fait la précision, il est difficile d’apporter la preuve matérielle. C’est une habitude qu’il qualifie tout simplement d’ ‘‘africaine’’. « C’est l’incrédulité. En général, le bas-peuple a une idée arrêtée de l’avocat. C’est quelqu’un qui travestit le mensonge pour le rendre en vérité. Ils se demandent alors pourquoi ne pas se référer au marabout ». Tout comme Me Diabaté, Me Abdoulaye Méité du cabinet de Me Bine K. Lambert entend parler du phénomène. Pour le cartésien qu’il est, il lui faut des preuves. En évoquant le sujet, il précise qu’il peut arriver que, par un pur hasard, le tribunal plaide en faveur de la personne qui a eu recours au maraboutage. Ce n’est jamais l’œuvre du marabout ou du charlatan. Mais en est-on vraiment sûr? Parce que S., un marabout à Abobo-Avocatier pense le contraire. Plusieurs clients, dit-il, viennent le voir dans la discrétion pour lui demander d’ « attacher » (envoûter) tel ou tel juge afin qu’il rende une décision en faveur d’un parent détenu. Il jure que ces pratiques marchent quand les clients exécutent bien le sacrifice exigé. Sans toutefois omettre d’ajouter que « c’est Dieu qui décide en fin de compte». En tout cas, pour Me Abdoulaye Méité, c’est la pauvreté et l’ignorance qui poussent les gens à faire ces choix. Beaucoup ignorent ce que c’est que le droit. Oued Elie Ali lie le phénomène à une simple escroquerie. « Souvent, les parents, pour profiter de l’argent du prévenu, lui demandent de débourser une forte somme qu’ils engageront auprès d’un marabout ». En réalité, le marabout n’aura qu’une petite partie de l’argent. Quelquefois, c’est le marabout, pour escroquer son sujet, qui propose ses services. En 2011, se souvient-il, deux marabouts incarcérés pour escroquerie à la Maca ont annoncé aux autres prisonniers qu’ils avaient les moyens de les faire sortir de là. « Cette histoire nous a tous fait mourir de rire », commente-t-il. Comme par hasard ( ?), la Maca a été cassée pendant la crise post-électorale, et les prisonniers se sont tous échappés.

Une enquête de Raphaël Tanoh
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