Journaliste politique, Joachim Beugré a fait les beaux jours de journaux prestigieux comme l’hebdomadaire « Notre Temps », les quotidiens « Le Jour » et « 24 heures ». Aujourd’hui reconverti dans les affaires, précisément l’immobilier et la restauration, après avoir été Chef de cabinet au ministère de la Justice, puis Directeur de cabinet au ministère de la Construction, Joachim Beugré n’a, pour autant, pas déposé la plume. Bien contraire, il se lance avec fracas dans la littérature en signant « Côte d’Ivoire : coup d’état de 1999, la vérité enfin ! ». Un premier livre, dans lequel l’auteur fait la lumière sur un événement marquant de l’histoire récente de la Côte d’Ivoire.
Le Patriote : Pourquoi avoir attendu maintenant, soit plus de 10 ans, pour faire éclater la vérité sur cet évènement qui a marqué l’histoire récente de la Côte d’Ivoire ?
Joachim Beugré : C’est une question que beaucoup de lecteurs me posent. J’estimé que pour écrire sur le coup d’Etat de 1999, il ne fallait pas dans un premier temps se précipiter pour dire des contre-vérités. Ensuite, j’ai été occupé dans mes différentes fonctions à faire beaucoup d’autres choses. J’ai été au ministère de la Justice, puis celui de la Construction. Je fus même préoccupé à monter un journal. Dans un troisième temps, bien que l’information fût prête à être publiée, il y avait trop de passion et il fallait attendre que les esprits se calment un peu. Et aujourd’hui avec l’avènement de la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation, j’ai pensé que c’était le moment opportun de mettre sur le marché ce livre. Son contenu, qui donne certaines informations utiles sur cet épisode de l’histoire de notre pays, et pourrait contribuer à la manifestation de la vérité, notamment sur ce qui a pu se passer à cette époque-là. Voici pourquoi ce livre a mis tout ce temps à être sur le marché.
LP : Comment a germé dans votre tête, l’idée de ce livre ?
JB : Ce livre est un double témoignage. Cela dit, j’avoue que j’ai eu la chance de rencontrer les vrais auteurs du coup d’état de 1999 par un concours de circonstance. A l’époque, j’étais chef du service politique au quotidien « Le Jour ». En menant des investigations pour comprendre la situation politique tendue à cette époque, je suis tombé sur un petit groupe de militaires. C’était, à cette période, le grand mécontentement contre le régime du PDCI et singulièrement le président Bédié. C’est ainsi que j’ai décidé de les suivre de près. Et petit à petit, ce qui ressemblait à un mécontentement s’est transformé en une tentative de renversement du chef de l’Etat d’alors. Ayant suivi attentivement les événements, trois mois avant, j’ai eu envie de les rencontrer à nouveau lorsque le coup d’état s’est opéré, pour mesurer leur enthousiasme. C’est ainsi qu’ils ont choisi de se confier à moi, en demandant de rétablir la vérité si demain l’histoire était travestie. C’est pourquoi, je dis que ce livre est un double témoignage. Il y a d’abord ce que moi-même j’ai vécu et ensuite ce que ces jeunes gens m’ont confié lorsque je les ai interviewés. Il y a d’ailleurs quatre entretiens dans le livre : ceux de Diomandé Souleymane alias La Grenade, Koné Gaoussou alias Jah Gao, Aboudramane Ouattara, l’enfant de Kong et Ibrahim Coulibaly dit IB. C’est une série d’interviews qui constituent leur témoignage. Et moi, en tant que journaliste ayant vécu ces événements, je rends également un témoignage.
LP : Confirmez-vous que ces quatre personnes interviewées sont les vrais auteurs de ce coup d’Etat ?
JB : En terme de pionniers, je dirai oui ce sont ces quatre personnes. Ce sont elles qui se sont retrouvées, réunies régulièrement pour projeter ce coup d’état. Voilà pourquoi je les ai présentées comme étant les quatre pionniers de ce coup d’état.
L P : En général, les militaires ne sont pas très bavards. Comment avez-vous réussi à les amener à se confier à vous ?
JB : Après la mort d’Houphouët-Boigny, à un moment donné, l’ivoirité était un sujet qui préoccupait toute la Côte d’ivoire et même l’extérieur du pays. Officiellement, le président Bédié l’a créé pour fédérer la nation ivoirienne mais malheureusement dans les faits l’ivoirité a été l’élément diviseur des Ivoiriens et, à cette époque-là, ils étaient effectivement divisés. C’était patent au niveau de la société. J’ai alors voulu savoir comment cette division était ressentie dans l’armée. On dit souvent que l’armée est le reflet de la société. Pour vérifier cette assertion, j’ai cherché à comprendre ce qui se passait dans l’armée. Et un ami qui m’a dit qu’il connaissait un militaire avec qui, il prenait souvent un pot et qu’il peut me mettre en contact avec ce dernier pour que ce soit ma porte d’entrée dans ce milieu. Ce militaire avec qui j’ai eu ce contact, était Ibrahim Coulibaly alias IB. Voici comment j’ai fais sa connaissance par l’entremise d’un ami. Mais, contrairement à ceux qui ne parlent pas, j’ai peut-être eu la chance de tomber sur un militaire qui parle. IB, paix à son âme, c’était quelqu’un qui s’exprimait facilement et il ne cachait pas ses sentiments, encore moins ses projets. J’avoue que quand il m’a parlé de son projet de coup d’Etat, j’ai pensé au départ à un coup de bluff. Je le mentionne d’ailleurs dans le livre. Mais, j’ai commencé à prendre au sérieux ce qu’il me disait quand j’ai compris qu’il y avait d’autres groupes en dehors de lui qui nourrissaient la même idée c'est-à-dire renverser le régime d’Henri Konan Bédié. IB me faisait des confidences, et faisait en même temps attention à mon journal. Quand il a constaté que je ne publiais pas tout ce qu’il me disait, il a eu confiance en moi. Et cela l’a rassuré. C’est ainsi qu’après le coup d’Etat, lorsque je leur ai tendu mon micro pour l’interview, lui et ses camarades se sont complètement ouverts à moi. Ce qui m’a donné l’opportunité de recueillir assez d’informations pour ce livre.
LP : Nourrissiez-vous déjà l’idée de ce livre ?
JB : Lorsque j’ai fait la série d’interview avec eux je me suis dis que c’était plus important qu’un simple article de presse. Clairement, mon idée à cette époque là a été d’exprimer, de rendre public ces informations sous la forme d’un livre. Et je me suis confié à mon directeur de publication de l’époque, M. Diégou Bailly paix à son âme. Je lui ai dit que j’avais recueilli des témoignages de ces personnes et que j’avais l’intention de les publier dans le cadre d’un livre. Donc, depuis 2000, l’idée de publier un livre sur ces évènements était très claire dans mon esprit.
LP : En 2010 pendant la compagne électorale pour la présidentielle, le coup d’Etat de 1999 a cristallisé les débats. Le sujet était même le thème de campagne d’un candidat. Avez-vous regretté de n’avoir pas sorti le livre avant ?
JB : Non, je n’ai pas senti de regret. Bien contraire, cela m’a conforté dans l’idée selon laquelle j’avais bien fait d’attendre que la situation se calme. Il y avait tellement de passion à cette période que si je sortais ce livre, on m’aurait m’accusé de soutenir tel candidat contre tel autre. Aujourd’hui, il n’y a pas de bagarre politique encore moins d’élection présidentielle. L’atmosphère est relativement plus calme, donc propice à la sortie de ce type de livre.
LP : Pour autant, depuis sa sortie, il semble que le livre dérange quand même dans le milieu politique…
JB : J’avoue qu’il a gêné un peu pour ne pas dire beaucoup, certains politiques aussi bien au sein du Rassemblement des Républicains que du Parti démocratique de Côte d’Ivoire voire du Front populaire ivoirien. Lorsque le livre est paru, j’ai été joint par un cadre du PDCI qui m’a dit qu’il ne comprend pas que maintenant qu’ils sont en alliance avec les gens du RDR dans le cadre du RHDP, je sors de telles informations qui pourraient gêner les deux partis. J’ai répondu que je n’étais ni PDCI ni RDR ou encore RHDP. Je suis journaliste, citoyen et j’écris sans forcément porter une casquette et donc je suis désolé que ça gêne mais le plus important c’est que l’opinion sache ce qu’il s’est passé. Ce n’est pas parce qu’ils s’entendent aujourd’hui, qu’ils ne doivent pas se dire la vérité. Le reproche venu du côté du FPI, c’est pourquoi je n’ai pas publié tôt ces informations qui auraient pu les intéresser dans le cadre de la campagne. Je leur ai dit que justement je ne voulais pas que ces simples informations soient retenues contre untel ou untel. J’ai voulu le sortir dans une atmosphère relativement sereine. Et c’est ce que j’ai fait. Vous savez, c’est trente-deux ans après l’affaire Kragbé Gnagbé que l’auteur Gadji Joseph a sorti son livre. Donc, dix ans me paraissent relativement peu. Le plus important, ce sont les éclaircis que ce livre apporte sur le coup d’Etat de 1999.
LP : N’empêche qu’il rappelle de vieilles querelles entre ceux qui sont aujourd’hui en alliance ?
JB : Oui, ça peut rappeler de vieilles querelles mais je pense qu’honnêtement ces hommes politiques sont suffisamment matures. Si les présidents Bédié et Ouattara ont pu taire leurs différends pour mettre en place le RHDP, ce n’est pas ce livre là qui peut empêcher et gêner la réconciliation nationale. Bien au contraire, quand on s’aime bien on se dit la vérité et la contribution que j’apporte devrait pouvoir apaiser les protagonistes de cette époque là et tous ceux qui ont soif d’informations sur ce sujet.
LP : Lors de la dédicace du livre, il y a quelques semaines, vous avez dit que ce coup d’état était évitable. Pourquoi ?
JB : Oui. Je l’ai dit parce que jusqu’au dernier moment, c’était un coup d’essai pour ceux que feu le général Guéi a appelé les jeunes gens. Le coup d’Etat a été préparé entre septembre et décembre 1999. Comme ils le disent eux-mêmes, ils ont tenté quelque chose et si ça ne marchait, le monde entier allait comprendre que les militaires ne sont pas contents d’Henri Konan Bédié. Cela dit, je pense que l’élément déclencheur de ce putsch a été le discours du président Henri Konan Bédié le 22 décembre à l’Assemblée nationale. S’il avait pris une mesure allant dans le sens de l’apaisement, les militaires n’auraient pas eu d’argument ou de prétexte pour commettre le coup d’état. Ça c’est le premier point. Ensuite, lorsque le coup d’état se déroulait, si l’armée et la gendarmerie avaient fait preuve de fermeté, ce coup d’état ne serait pas un succès. Quand ils ont vu qu’il n’y avait pas de résistance en face, ils ont décidé d’aller jusqu’au bout et ce qui est drôle dans l’affaire, c’est qu’ils ont choisi celui qui doit diriger le pays après avoir fait le coup d’état contrairement à ce qui se passe ailleurs où on sait clairement qui est le chef et quand on finit le coup, le chef prend la parole. Pendant le coup d’Etat, il y a eu une période de flottement de 48h, le temps que le général Robert Guéi revienne de son village et fasse une déclaration pour se proclamer président de la République. Voilà pourquoi je dis que l’affaire n’était pas très bien huilée au départ. Si, les autorités politiques et militaires d’alors avaient été vigilantes, elles auraient pu déjouer ce coup d’état.
LP : Dans votre prochain livre à paraître, vous abordez l’épineuse question de la crise du 19 septembre 2002. Encore un sujet qui va fâcher ?
JB : Absolument un sujet qui va fâcher. Je suis tout à fait d’accord avec vous, mais je reste dans la droite ligne de ce qui m’a motivé à sortir ce livre. Il s’agit d’une série d’évènements qui ont connu leur aboutissement en 2010 avec la chute du président Gbagbo et je vais le démontrer dans les deux prochains livres qui vont paraître bientôt.
LP : Peut-on avoir une idée de leur intitulé ?
JB : Oui je peux vous dire que le second livre qui est déjà chez l’imprimeur s’intitule : « Côte d’Ivoire 2002 : les dessous d’une guerre ». Il va paraître très probablement en Avril à Paris et quelques semaines plus tard en Côte d’Ivoire.
LP : Quelle est la trame de ce livre ?
JB : Il y a beaucoup de sujets qui, à l’époque, ont fait polémique. Notamment l’élection du président Gbagbo. J’essaie de démontrer dans ce livre qu’en octobre 2000, on a eu droit à tout sauf à une élection démocratique. Ça c’est le premier sujet qui est traité dans ce livre. Le second sujet, c’est ce qu’on a appelé le complot de la Mercédès noire qui a eu lieu les 7 et 8 janvier 2001. Beaucoup de choses ont été dites à cette époque là. Donc dans ce deuxième livre, il y a un chapitre qui traite de ce sujet et qui dit exactement ce qui s’est passé les 7et 8 janvier 2001. Je parle de la veillée d’armes, c’est comment une poignée de militaires ivoiriens se sont organisés au Burkina Faso. Il ne faut pas avoir peur de dire les choses telles qu’elles sont. Mais contrairement à ce qu’on peut penser, l’essentiel des préparatifs de la rébellion de 2002 a été fait à Abidjan au nez et à la barbe des services des renseignements ivoiriens et dans ce livre, je décris ce qui s’est passé la nuit du 18 au 19 septembre 2002.
LP : Abordez-vous la question du financement de la rébellion qui a fait polémique ici ?
JB : Absolument, j’aborde la question, souffrez que je ne rentre pas dans les détails. J’évoque aussi la position de la France qui jouait le rôle du véritable équilibriste à cette époque-là. Et un élément très important, c’est la table ronde de Marcoussis en janvier 2003, où j’y étais en tant que reporter de mon journal « 24heures ». J’ai donc suivi les coulisses de ce sommet et je fais une brèche sur ce qui nous attendait après Marcoussis.
LP : N’avez-vous pas peur qu’on vous colle une étiquette d’écrivain politique ?
JB : Non, ça ne me gêne nullement qu’on me colle l’étiquette d’écrivain politique. Je suis journaliste et tout le monde connaît ma carrière, j’ai été chef de service politique au journal « Le Jour », puis directeur de publication et rédacteur en chef. Mes prises de position politique sont connues. J’ai vécu un épisode malheureux sous le général Guéi (ndlr, il a été battu en 2000 par des militaires après un article sur la filiation du général Guéi, à l’époque chef de la junte militaire au pouvoir) et je n’ai pas peur. Cela dit, je ne suis pas romancier, je pourrai écrire des romans plus tard mais pour le moment les sujets politiques de mon pays m’intéressent. Après cette série d’écrits sur la situation politique de mon pays, je pourrai m’essayer dans d’autres domaines purement littéraires mais pour l’instant ça ne me gêne nullement qu’on me traite d’écrivain politique.
LP : Pour finir, doit-on s’attendre à un livre sur la crise post – électorale de 2010-2011?
JB : Absolument, parce que ce qui s’est passé d’Octobre 2010 à Avril 2011 ne peut pas rester sous silence. Même s’il y a plusieurs livres sur ce sujet, j’apporterai ma contribution parce que j’estime que la série que j’ai commencée s’arrête après la chute du président Gbagbo et donc je me plais à dire que je suis en train d’écrire une trilogie : un premier livre sur le coup d’état de 1999, un deuxième sur la rébellion de 2002 et le troisième portera sur les évènements de 2010 et 2011 en Côte d’Ivoire qui ont abouti à la chute du président Gbagbo. Et, il n’est pas exclu qu’après cela, j’écrive sur le régime actuel parce que il faut l’avouer qu’il y a matière aussi à écrire. J’ai écrit sur le régime de Bédié, ceux le régime de Guéi et de Gbagbo, j’écrirai sur le régime du président Ouattara pour peu qu’il y ait des sujets qui donnent matière à écrire. Et, ils ne manquent pas.
Réalisée par Y. Sangaré Coll : Sali Coulibaly (Stagiaire)
Le Patriote : Pourquoi avoir attendu maintenant, soit plus de 10 ans, pour faire éclater la vérité sur cet évènement qui a marqué l’histoire récente de la Côte d’Ivoire ?
Joachim Beugré : C’est une question que beaucoup de lecteurs me posent. J’estimé que pour écrire sur le coup d’Etat de 1999, il ne fallait pas dans un premier temps se précipiter pour dire des contre-vérités. Ensuite, j’ai été occupé dans mes différentes fonctions à faire beaucoup d’autres choses. J’ai été au ministère de la Justice, puis celui de la Construction. Je fus même préoccupé à monter un journal. Dans un troisième temps, bien que l’information fût prête à être publiée, il y avait trop de passion et il fallait attendre que les esprits se calment un peu. Et aujourd’hui avec l’avènement de la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation, j’ai pensé que c’était le moment opportun de mettre sur le marché ce livre. Son contenu, qui donne certaines informations utiles sur cet épisode de l’histoire de notre pays, et pourrait contribuer à la manifestation de la vérité, notamment sur ce qui a pu se passer à cette époque-là. Voici pourquoi ce livre a mis tout ce temps à être sur le marché.
LP : Comment a germé dans votre tête, l’idée de ce livre ?
JB : Ce livre est un double témoignage. Cela dit, j’avoue que j’ai eu la chance de rencontrer les vrais auteurs du coup d’état de 1999 par un concours de circonstance. A l’époque, j’étais chef du service politique au quotidien « Le Jour ». En menant des investigations pour comprendre la situation politique tendue à cette époque, je suis tombé sur un petit groupe de militaires. C’était, à cette période, le grand mécontentement contre le régime du PDCI et singulièrement le président Bédié. C’est ainsi que j’ai décidé de les suivre de près. Et petit à petit, ce qui ressemblait à un mécontentement s’est transformé en une tentative de renversement du chef de l’Etat d’alors. Ayant suivi attentivement les événements, trois mois avant, j’ai eu envie de les rencontrer à nouveau lorsque le coup d’état s’est opéré, pour mesurer leur enthousiasme. C’est ainsi qu’ils ont choisi de se confier à moi, en demandant de rétablir la vérité si demain l’histoire était travestie. C’est pourquoi, je dis que ce livre est un double témoignage. Il y a d’abord ce que moi-même j’ai vécu et ensuite ce que ces jeunes gens m’ont confié lorsque je les ai interviewés. Il y a d’ailleurs quatre entretiens dans le livre : ceux de Diomandé Souleymane alias La Grenade, Koné Gaoussou alias Jah Gao, Aboudramane Ouattara, l’enfant de Kong et Ibrahim Coulibaly dit IB. C’est une série d’interviews qui constituent leur témoignage. Et moi, en tant que journaliste ayant vécu ces événements, je rends également un témoignage.
LP : Confirmez-vous que ces quatre personnes interviewées sont les vrais auteurs de ce coup d’Etat ?
JB : En terme de pionniers, je dirai oui ce sont ces quatre personnes. Ce sont elles qui se sont retrouvées, réunies régulièrement pour projeter ce coup d’état. Voilà pourquoi je les ai présentées comme étant les quatre pionniers de ce coup d’état.
L P : En général, les militaires ne sont pas très bavards. Comment avez-vous réussi à les amener à se confier à vous ?
JB : Après la mort d’Houphouët-Boigny, à un moment donné, l’ivoirité était un sujet qui préoccupait toute la Côte d’ivoire et même l’extérieur du pays. Officiellement, le président Bédié l’a créé pour fédérer la nation ivoirienne mais malheureusement dans les faits l’ivoirité a été l’élément diviseur des Ivoiriens et, à cette époque-là, ils étaient effectivement divisés. C’était patent au niveau de la société. J’ai alors voulu savoir comment cette division était ressentie dans l’armée. On dit souvent que l’armée est le reflet de la société. Pour vérifier cette assertion, j’ai cherché à comprendre ce qui se passait dans l’armée. Et un ami qui m’a dit qu’il connaissait un militaire avec qui, il prenait souvent un pot et qu’il peut me mettre en contact avec ce dernier pour que ce soit ma porte d’entrée dans ce milieu. Ce militaire avec qui j’ai eu ce contact, était Ibrahim Coulibaly alias IB. Voici comment j’ai fais sa connaissance par l’entremise d’un ami. Mais, contrairement à ceux qui ne parlent pas, j’ai peut-être eu la chance de tomber sur un militaire qui parle. IB, paix à son âme, c’était quelqu’un qui s’exprimait facilement et il ne cachait pas ses sentiments, encore moins ses projets. J’avoue que quand il m’a parlé de son projet de coup d’Etat, j’ai pensé au départ à un coup de bluff. Je le mentionne d’ailleurs dans le livre. Mais, j’ai commencé à prendre au sérieux ce qu’il me disait quand j’ai compris qu’il y avait d’autres groupes en dehors de lui qui nourrissaient la même idée c'est-à-dire renverser le régime d’Henri Konan Bédié. IB me faisait des confidences, et faisait en même temps attention à mon journal. Quand il a constaté que je ne publiais pas tout ce qu’il me disait, il a eu confiance en moi. Et cela l’a rassuré. C’est ainsi qu’après le coup d’Etat, lorsque je leur ai tendu mon micro pour l’interview, lui et ses camarades se sont complètement ouverts à moi. Ce qui m’a donné l’opportunité de recueillir assez d’informations pour ce livre.
LP : Nourrissiez-vous déjà l’idée de ce livre ?
JB : Lorsque j’ai fait la série d’interview avec eux je me suis dis que c’était plus important qu’un simple article de presse. Clairement, mon idée à cette époque là a été d’exprimer, de rendre public ces informations sous la forme d’un livre. Et je me suis confié à mon directeur de publication de l’époque, M. Diégou Bailly paix à son âme. Je lui ai dit que j’avais recueilli des témoignages de ces personnes et que j’avais l’intention de les publier dans le cadre d’un livre. Donc, depuis 2000, l’idée de publier un livre sur ces évènements était très claire dans mon esprit.
LP : En 2010 pendant la compagne électorale pour la présidentielle, le coup d’Etat de 1999 a cristallisé les débats. Le sujet était même le thème de campagne d’un candidat. Avez-vous regretté de n’avoir pas sorti le livre avant ?
JB : Non, je n’ai pas senti de regret. Bien contraire, cela m’a conforté dans l’idée selon laquelle j’avais bien fait d’attendre que la situation se calme. Il y avait tellement de passion à cette période que si je sortais ce livre, on m’aurait m’accusé de soutenir tel candidat contre tel autre. Aujourd’hui, il n’y a pas de bagarre politique encore moins d’élection présidentielle. L’atmosphère est relativement plus calme, donc propice à la sortie de ce type de livre.
LP : Pour autant, depuis sa sortie, il semble que le livre dérange quand même dans le milieu politique…
JB : J’avoue qu’il a gêné un peu pour ne pas dire beaucoup, certains politiques aussi bien au sein du Rassemblement des Républicains que du Parti démocratique de Côte d’Ivoire voire du Front populaire ivoirien. Lorsque le livre est paru, j’ai été joint par un cadre du PDCI qui m’a dit qu’il ne comprend pas que maintenant qu’ils sont en alliance avec les gens du RDR dans le cadre du RHDP, je sors de telles informations qui pourraient gêner les deux partis. J’ai répondu que je n’étais ni PDCI ni RDR ou encore RHDP. Je suis journaliste, citoyen et j’écris sans forcément porter une casquette et donc je suis désolé que ça gêne mais le plus important c’est que l’opinion sache ce qu’il s’est passé. Ce n’est pas parce qu’ils s’entendent aujourd’hui, qu’ils ne doivent pas se dire la vérité. Le reproche venu du côté du FPI, c’est pourquoi je n’ai pas publié tôt ces informations qui auraient pu les intéresser dans le cadre de la campagne. Je leur ai dit que justement je ne voulais pas que ces simples informations soient retenues contre untel ou untel. J’ai voulu le sortir dans une atmosphère relativement sereine. Et c’est ce que j’ai fait. Vous savez, c’est trente-deux ans après l’affaire Kragbé Gnagbé que l’auteur Gadji Joseph a sorti son livre. Donc, dix ans me paraissent relativement peu. Le plus important, ce sont les éclaircis que ce livre apporte sur le coup d’Etat de 1999.
LP : N’empêche qu’il rappelle de vieilles querelles entre ceux qui sont aujourd’hui en alliance ?
JB : Oui, ça peut rappeler de vieilles querelles mais je pense qu’honnêtement ces hommes politiques sont suffisamment matures. Si les présidents Bédié et Ouattara ont pu taire leurs différends pour mettre en place le RHDP, ce n’est pas ce livre là qui peut empêcher et gêner la réconciliation nationale. Bien au contraire, quand on s’aime bien on se dit la vérité et la contribution que j’apporte devrait pouvoir apaiser les protagonistes de cette époque là et tous ceux qui ont soif d’informations sur ce sujet.
LP : Lors de la dédicace du livre, il y a quelques semaines, vous avez dit que ce coup d’état était évitable. Pourquoi ?
JB : Oui. Je l’ai dit parce que jusqu’au dernier moment, c’était un coup d’essai pour ceux que feu le général Guéi a appelé les jeunes gens. Le coup d’Etat a été préparé entre septembre et décembre 1999. Comme ils le disent eux-mêmes, ils ont tenté quelque chose et si ça ne marchait, le monde entier allait comprendre que les militaires ne sont pas contents d’Henri Konan Bédié. Cela dit, je pense que l’élément déclencheur de ce putsch a été le discours du président Henri Konan Bédié le 22 décembre à l’Assemblée nationale. S’il avait pris une mesure allant dans le sens de l’apaisement, les militaires n’auraient pas eu d’argument ou de prétexte pour commettre le coup d’état. Ça c’est le premier point. Ensuite, lorsque le coup d’état se déroulait, si l’armée et la gendarmerie avaient fait preuve de fermeté, ce coup d’état ne serait pas un succès. Quand ils ont vu qu’il n’y avait pas de résistance en face, ils ont décidé d’aller jusqu’au bout et ce qui est drôle dans l’affaire, c’est qu’ils ont choisi celui qui doit diriger le pays après avoir fait le coup d’état contrairement à ce qui se passe ailleurs où on sait clairement qui est le chef et quand on finit le coup, le chef prend la parole. Pendant le coup d’Etat, il y a eu une période de flottement de 48h, le temps que le général Robert Guéi revienne de son village et fasse une déclaration pour se proclamer président de la République. Voilà pourquoi je dis que l’affaire n’était pas très bien huilée au départ. Si, les autorités politiques et militaires d’alors avaient été vigilantes, elles auraient pu déjouer ce coup d’état.
LP : Dans votre prochain livre à paraître, vous abordez l’épineuse question de la crise du 19 septembre 2002. Encore un sujet qui va fâcher ?
JB : Absolument un sujet qui va fâcher. Je suis tout à fait d’accord avec vous, mais je reste dans la droite ligne de ce qui m’a motivé à sortir ce livre. Il s’agit d’une série d’évènements qui ont connu leur aboutissement en 2010 avec la chute du président Gbagbo et je vais le démontrer dans les deux prochains livres qui vont paraître bientôt.
LP : Peut-on avoir une idée de leur intitulé ?
JB : Oui je peux vous dire que le second livre qui est déjà chez l’imprimeur s’intitule : « Côte d’Ivoire 2002 : les dessous d’une guerre ». Il va paraître très probablement en Avril à Paris et quelques semaines plus tard en Côte d’Ivoire.
LP : Quelle est la trame de ce livre ?
JB : Il y a beaucoup de sujets qui, à l’époque, ont fait polémique. Notamment l’élection du président Gbagbo. J’essaie de démontrer dans ce livre qu’en octobre 2000, on a eu droit à tout sauf à une élection démocratique. Ça c’est le premier sujet qui est traité dans ce livre. Le second sujet, c’est ce qu’on a appelé le complot de la Mercédès noire qui a eu lieu les 7 et 8 janvier 2001. Beaucoup de choses ont été dites à cette époque là. Donc dans ce deuxième livre, il y a un chapitre qui traite de ce sujet et qui dit exactement ce qui s’est passé les 7et 8 janvier 2001. Je parle de la veillée d’armes, c’est comment une poignée de militaires ivoiriens se sont organisés au Burkina Faso. Il ne faut pas avoir peur de dire les choses telles qu’elles sont. Mais contrairement à ce qu’on peut penser, l’essentiel des préparatifs de la rébellion de 2002 a été fait à Abidjan au nez et à la barbe des services des renseignements ivoiriens et dans ce livre, je décris ce qui s’est passé la nuit du 18 au 19 septembre 2002.
LP : Abordez-vous la question du financement de la rébellion qui a fait polémique ici ?
JB : Absolument, j’aborde la question, souffrez que je ne rentre pas dans les détails. J’évoque aussi la position de la France qui jouait le rôle du véritable équilibriste à cette époque-là. Et un élément très important, c’est la table ronde de Marcoussis en janvier 2003, où j’y étais en tant que reporter de mon journal « 24heures ». J’ai donc suivi les coulisses de ce sommet et je fais une brèche sur ce qui nous attendait après Marcoussis.
LP : N’avez-vous pas peur qu’on vous colle une étiquette d’écrivain politique ?
JB : Non, ça ne me gêne nullement qu’on me colle l’étiquette d’écrivain politique. Je suis journaliste et tout le monde connaît ma carrière, j’ai été chef de service politique au journal « Le Jour », puis directeur de publication et rédacteur en chef. Mes prises de position politique sont connues. J’ai vécu un épisode malheureux sous le général Guéi (ndlr, il a été battu en 2000 par des militaires après un article sur la filiation du général Guéi, à l’époque chef de la junte militaire au pouvoir) et je n’ai pas peur. Cela dit, je ne suis pas romancier, je pourrai écrire des romans plus tard mais pour le moment les sujets politiques de mon pays m’intéressent. Après cette série d’écrits sur la situation politique de mon pays, je pourrai m’essayer dans d’autres domaines purement littéraires mais pour l’instant ça ne me gêne nullement qu’on me traite d’écrivain politique.
LP : Pour finir, doit-on s’attendre à un livre sur la crise post – électorale de 2010-2011?
JB : Absolument, parce que ce qui s’est passé d’Octobre 2010 à Avril 2011 ne peut pas rester sous silence. Même s’il y a plusieurs livres sur ce sujet, j’apporterai ma contribution parce que j’estime que la série que j’ai commencée s’arrête après la chute du président Gbagbo et donc je me plais à dire que je suis en train d’écrire une trilogie : un premier livre sur le coup d’état de 1999, un deuxième sur la rébellion de 2002 et le troisième portera sur les évènements de 2010 et 2011 en Côte d’Ivoire qui ont abouti à la chute du président Gbagbo. Et, il n’est pas exclu qu’après cela, j’écrive sur le régime actuel parce que il faut l’avouer qu’il y a matière aussi à écrire. J’ai écrit sur le régime de Bédié, ceux le régime de Guéi et de Gbagbo, j’écrirai sur le régime du président Ouattara pour peu qu’il y ait des sujets qui donnent matière à écrire. Et, ils ne manquent pas.
Réalisée par Y. Sangaré Coll : Sali Coulibaly (Stagiaire)