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Santé Publié le vendredi 7 septembre 2012 |

Interview avec le Dr Charles Sika, Pharmacien, Spécialiste des affaires réglementaires

Le phénomène du marché pharmaceutique illicite est un véritable problème de Santé Publique en Côte d’Ivoire. Nous avons rencontré Dr Charles SIKA afin de recueillir son avis sur la question.

1-Bonjour docteur, pouvez-vous vous présenter brièvement à nos lecteurs ? Je suis Dr Charles SIKA, Pharmacien et consultant en affaires réglementaires dans
l’industrie pharmaceutique.

2-Docteur, vous êtes spécialiste des affaires réglementaires, expliquez nous ce
que c’est les affaires réglementaires?

Les affaires réglementaires, c’est une discipline de l’industrie pharmaceutique qui traite de la réglementation relative à la fabrication, la mise sur le marché, la distribution et la publicité sur le médicament.

Comme vous pouvez l’imaginer, le médicament est un produit spécifique destiné à guérir mais qui peut sous certaines conditions s’avérer nocif. Aussi, des dispositions réglementaires existent dans tous les pays du monde de façon à garantir sa qualité et encadrer de façon stricte la commercialisation,
la distribution et la publicité sur les médicaments. Pour votre information, entre
la découverte d’une molécule dont on suppose les vertus thérapeutiques et la
mise sur le marché de ce produit, il peut parfois y avoir plus d’une dizaine voire une vingtaine d’années. Durant tout ce temps, le laboratoire a l’origine de la découverte,
va procéder à de nombreux tests en laboratoire et en situation réelle conformément aux dispositions réglementaires internationales afin de s’assurer que le médicament candidat est efficace et bien toléré par le patient. C’est donc vous dire combien de fois les choses sont encadrées ; ne sont mis sur le marché que les médicaments qui satisfont a toutes ces exigences. Une fois sur
le marché, le circuit de distribution et la délivrance sont également contrôlés. Ainsi, seuls les pharmaciens disposant d’un agrément grossiste répartiteur peuvent exercer cette activité.
Au niveau de l’officine, l’ouverture et l’exploitation d’une officine est également régie par des lois. N’importe quel pharmacien, ne peut se permettre d’ouvrir une officine et l’exploiter.
Enfin, le médicament étant un produit qui peut s’avérer dangereux s’il est mal utilisé, la publicité sur le médicament est elle aussi réglementée et ne s’adresse qu’aux professionnels de la santé à l’exception des certains produits en vente libre. Toutes ces dispositions visent un but, s’assurer que le médicament mis sur le marché soit de bonne qualité et reste sous le contrôle des
professionnels du médicament que sont les pharmaciens jusqu’à sa délivrance aux patients.

3- Pouvez-vous nous expliquer exactement ce que c’est que le médicament
de la rue ?

Le médicament de la rue est un produit pharmaceutique qui est vendu en dehors des circuits conventionnels de distribution et qui se retrouve entre les mains de personnes non habilitées à le délivrer. Il pose deux problèmes majeurs. D’abord sur sa nature : il s’agit soit de produits de contrefaçon, de produits sous dosés, de produits dont la composition ne répond pas aux normes scientifiques ou de produits mal conservés.

Le second problème qu’il pose est celui de la qualification des personnes qui le manipulent dans la rue. En effet, ces personnes n’ont aucune qualification pour en assurer la délivrance et les conseils relatifs aux conditions d’utilisation et autres précautions d’emploi.

4-En quoi ces médicaments sont ils dangereux pour la santé ?

Ces médicaments de par leur nature présentent un danger pour la santé publique car ils donnent au patient l’illusion de se soigner alors qu’ils aggravent sa situation. Ces médicaments sont mis en cause dans l’explosion du nombre de cas d’insuffisance rénale et bien d’autres maladies en Cote d’Ivoire.

Enfin, ils favorisent le développement de résistances bactériennes et parasitaires c`est à-dire qu’ils rendent les microbes et parasites résistants aux médicaments
habituellement utilisés pour les combattre. Le risque est grand pour tous y compris ceux même qui ne consomment pas les médicaments
de la rue. Car si vous vous retrouvez infectés par l’un de ces germes ou parasites rendus résistants par les médicaments de la rue, les médicaments que vous utilisez habituellement pour traiter votre mal ne seront plus efficaces.
Il faudra des doses plus fortes ou des associations de médicaments
pour venir à bout de votre maladie avec tout ce qu’il y a comme
conséquence. C’est pourquoi nous devons tous nous engager afin de sensibiliser nos parents, amis, collègues, employés sur cette grave menace qu’est le médicament de la rue.

5- Quelles sont les dispositions arrêtées en Côte d’ivoire pour garantir la qualité des médicaments sur le marché?

A l’instar de tous pays, la côte d’ivoire dispose dans sa législation pharmaceutique des outils réglementaires permettant de garantir la qualité des médicaments fabriqués ou importés par les circuits conventionnels. Ainsi, l’organe chargé de l’application de ces dispositions réglementaires
est la Direction de la Pharmacie et du Médicament.
Pour ma part, je pense que cette structure fait le maximum pour remplir sa mission malgré la faiblesse de ses moyens humains et
matériels.

6 - Pourquoi malgré toutes ces dispositions les médicaments se retrouvent
ils dans la rue ?

La majeure partie des médicaments qui se retrouve dans la rue ne passe pas par les circuits conventionnels que sont les grossistes privés et publics. Il s’agit le plus souvent de médicaments en provenance de chine, d’inde ou de quelques pays africains. Ces médicaments franchissent nos frontières sans passer par les voies légales et se retrouvent sur les marchés. Il faut aussi reconnaitre que ce marché bénéficie également d’un approvisionnement provenant du coulage des stocks d’officine ou de grossistes privés ou
des pharmacies d’hôpitaux publics.

A ce sujet, les causes sont multiples mais le vol en est la principale.
C’est d’ailleurs ce qui explique que depuis quelques années, le nombre
de cambriolage et pillage d’officines est en constante croissance.

7- N’y a t’il pas de complicité des pharmaciens ?

Je ne m’avancerais pas sur ce terrain car n’ayant pas la preuve matérielle
de l’implication de pharmaciens dans ce trafic de médicament.
Toutefois, il est clair qu’à l’instar des autres corporations, la profession pharmaceutique a certainement en son sein des brebis galeuses qui posent des actes qui n’honorent pas la profession. Et si des cas d’approvisionnement du marché parallèle sont avérés, il appartient
à l’Ordre des pharmaciens d’en tirer toutes les conséquences et de prendre les mesures qui s’imposent avec le soutien ferme du ministère de la santé.

8- A votre avis quel devrait être l’implication des autorités face à ce marché en plein essor ?

Au début, nous avions quelques vendeurs ambulants. En absence de réaction
de nos autorités, nous avons vu naitre sur chaque marché, un espace dédié à la vente des médicaments où chacun peut s’approvisionner en toute
liberté. Aujourd’hui, c’est une véritable filière qui s’est mise en place avec des
structures bien établies : des grossistes, des semi grossistes et des détaillants. A
coté de cela, des cliniques chinoises se sont ouvertes dans toutes les communes
et villes du pays et proposent librement des médicaments non homologués en cote d’ivoire. Je ne saurai vous dire pourquoi les autorités n’ont pas réagit à temps devant ce fléau. Il est vrai que nous avons connu une crise majeure, mais la crise à elle seule ne peut pas justifier toutes ces dérives. C’est pourquoi, il convient de façon urgente que l’état mette en oeuvre ses moyens de répression afin de mettre fin à de telles pratiques qui portent gravement atteinte à la santé publique.

Le ministère de la santé l’a bien compris et a organisé au mois de juin dernier, un atelier d’élaboration du plan opérationnel 2012-2015 de lutte contre le trafic illicite et la contrefaçon des médicaments. Les recommandations prises montrent non seulement l’engagement des autorités politiques mais aussi la volonté des acteurs du secteur pharmaceutique de mettre un terme à ce fléau......................................

9 - Quel devrait être l’implication des organisations professionnelles de pharmaciens pour mettre fin à ce fléau ?

A ce sujet je dirai que les pharmaciens
peuvent à juste titre être inquiets pour l’avenir de leur profession. Le médicament de la rue ne nuit pas qu’aux intérêts d’une corporation et de l’état mais il peut tuer d’innocents citoyens. Les organisations professionnelles de pharmaciens se sont mobilisées, ont dénoncé et continuent de dénoncer ce fléau. Mais il ne leur appartient pas de faire respecter les lois de l’état. Ce ne sont pas les pharmaciens qui prendront sur eux la responsabilité de déloger ces marchands de mort. L’Etat a par le passé et au plus haut niveau, démontré son engagement dans la lutte contre la piraterie des œuvres de l’art, nous pensons qu’il devrait en faire autant pour les médicaments de la rue.
Il ne faudrait pas attendre des intoxications à grande échelle pour déclencher
des plans d’urgence. Il ne faudrait pas que la Cote d’ivoire soit un pays où il est
plus facile de prospérer dans l’illégalité que dans les normes. C’est pourquoi , l’état marquerait fortement son engagement par une application ferme des recommandations de l’atelier telles que :
- l’affirmation de l’engagement politique du gouvernement à travers une déclaration publique du Président de la République ;
- la destruction médiatisée des sites connus de vente illicite de médicaments
; l’interdiction des cliniques dites « chinoises » et non autorisées ;
- l’implication formelle des collectivités locales dans la lutte contre le fléau des médicaments de la rue

10 - Le développement de ce marché n’est il pas du au fait que les médicaments vendus en pharmacies sont
chers?

Non je ne crois pas, d’une part parce que le dernier ajustement de prix des médicaments date de 1994 lors de la dévaluation du francs CFA.et d’autre part parce que malgré l’inflation galopante, le médicament est l’un des rares biens de consommation dont le prix n’a pas augmenté.Par ailleurs, les ajustements de 1994 ont été suivis de mesures d’accompagnement favorisant l’accessibilité :

l’ouverture du marché aux médicaments génériques, la substitution des prescriptions et le déconditionnement ouvrant la voie à la vente au détail pour les produits qui peuvent l’être.
De plus une étude locale démontre que les prix des médicaments vendus au détail dans la rue, lorsqu’ils sont ramenés à la boite reviennent plus chers qu’en pharmacie.
Enfin, au delà des couts d’achat, les médicaments de la rue occasionnent de
lourdes dépenses liées à l’aggravation de la maladie et même à la mort.

11-La production locale ne serait-elle pas une alternative pour permettre une meilleure accessibilité ?

En effet, la production locale est une des pistes à envisager pour améliorer l`accessibilité aux soins de santé ; des initiatives privées locales existent et il y a un peu moins d’une dizaine d`unités de production locale. Toutefois, si la politique pharmaceutique nationale propose un certains nombre de pistes pour favoriser l’émergence d`une véritable industrie pharmaceutique locale ; l’absence de mesures concrètes ne permet pas pour l’instant d’atteindre ce noble objectif. En effet de nombreuses difficultés (fiscalité, taxes douanières, couts des intrants, frais d`approche, difficultés liés au transfert de technologie) font qu`au final ces unités locales n`arrivent pas à être aussi compétitives que les produits importés.Je pense par exemple que pour certains médicaments essentiels distribués dans les hôpitaux publics, l`état devrait appliquer la préférence nationale afin d`aider nos rares producteurs locaux.

En outre, une exonération ou un rabattement des taxes sur l`achat des matières premières et de l`outillage permettrait à ces structures d`améliorer leur compétitivité.
A long terme, il faudrait étudier la possibilité d’exiger aux laboratoires que les médicaments essentiels (liste OMS) ne soient plus importés mais fabriqués localement.


12- Votre mot de fin

Je voudrais appeler chacun de nous à être un acteur majeur de la lutte contre les médicaments de la rue. Aux autorités, je voudrais adresser mes encouragements pour l’initiative de l’atelier d’élaboration du plan opérationnel 2012-2015 de lutte contre le trafic illicite et la contrefaçon des médicaments.
Je souhaite que les conclusions de cet atelier se traduisent en actions concrètes sur le terrain.
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