x Télécharger l'application mobile Abidjan.net Abidjan.net partout avec vous
Télécharger l'application
INSTALLER
PUBLICITÉ

Économie Publié le mardi 18 septembre 2012 | L’Elephant Déchaîné

Côte d’Ivoire...Développement : «L’art de l’émergence bénéfique»

Vous, altruistes bâtisseurs d’émergence du nouveau millénaire, grands philanthropes travaillant pour la nation, poursuivez votre projet plein de noblesse. Mais la population ne comprend pas toujours le sens de vos rêves. « Votre programme est dangereux ! » vous oppose-t-on souvent. Comment, dans ces conditions, faire fructifier vos ambitions ?
Le dernier séminaire que nous avons tenu à Bassam (Ne pas dire Grand-Bassam, ça fait ringard !) vient de concocter un synopsis dont les axes stratégiques forts vous aideront à y parvenir. L’originale de ce mode d’emploi est la propriété du journaliste Alain Devalpo, mais ce pastiche-ci peut tout aussi bien valoir pour tous les scénarii. Déclinons-les ensemble.

L’eau, source de vie !
Commençons par l’eau. C’est connu qu’elle est la source de la vie. Pour un émergeur digne de ce nom, mettre l’eau à la disposition des populations est un acte de développement d’une très haute portée. Car pas de mégalopole, pas d’émergence. Or pas d’eau, pas de mégalopole. La course au gigantisme est synonyme de réussite. De plus, nos sociétés vivent à l’ère du fluide. L’économie est un écheveau de flux tendus. C’est une loi d’airain de la nature, l’homme doit s’y soumettre. Et ce secteur offre un large éventail d’opportunités.
Pour séduire les décideurs, la démesure sera votre premier atout. Incitez vos ingénieurs à ébaucher des plans pharaoniques : percer un tunnel de 150 kilomètres depuis Bonoua, construire un pipeline (de même longueur) pour faire venir l’eau pure comme le cristal qui s’y trouve, positionnez ce complexe à deux cents mètres de la plage (ce n’est pas grave si dans moins de quinze ans la mer recouvre le tout), creusez sous les localités ayant la malencontreuse idée de se trouver sur le tracé… L’exploit technologique, solution nourrissant l’orgueil national, occultera les désagréments pour les autochtones.
Sachez tirer parti de la concurrence entre capitaux étrangers en mettant aux prises les Occidentaux de l’IFC, les Arabes de la BID et les Chinois de la CDB : elle favorise la démesure et sert vos projets. Semez également sur le terrain politique en flattant l’ego mégalomaniaque des grands élus qui rêvent tous d’avoir une basilique industrielle dans leur région. L’idéal serait d’avoir un ministre dans sa poche. Enfin, façon de parler. Une fois que vous aurez gagné leur confiance, ils sauront faire pression où il faut pour multiplier les zéro sur vos lignes de crédits. Mais, par-dessus tout, pour qu’aucune objection ne s’élève contre vous, même de la part d’ONG aigries, votre investissement doit annoncer des milliers d’emplois (un chiffre rond, s’il vous plaît, ça pose son émergeur). Le chantier terminé, si l’on vous fait remarquer que les promesses ne sont pas tenues, restez serein : c’est la faute à la crise, ou à la guerre, ou à Voltaire ! Actionnez vos accointances gouvernementales pour obtenir le label d’utilité publique : ce dispositif administratif procure un véritable passe-droit.
Entourez-vous de bureaux d’études ayant pignon sur rue et maîtrisant l’art de la casuistique, propre à rendre tout dossier indéchiffrable. Quand le fait le plus anodin se présente de manière abstraite, les curieux se découragent. Rien de tel pour chasser l’importun que l’abscons. Surtout qu’il y ait dans vos dossiers, plusieurs pages d’annexes remplies de diagrammes. La science est l’apanage des scientifiques, seul un polytechnicien sera en mesure de calculer les m3 d’H2O qui s’écoulent dans le pipeline P en un temps t. Et il n’y a en pas dans ces pays, sinon ils auraient déjà émergé ! Pour se forger un avis, les élus –si jamais ils sont consultés– s’en tiendront aux conclusions de vos études sérieuses, véridiques et bien intentionnées. Ne vous embarrassez pas de subtilité pour gagner la presse nationale : quelques contrats publicitaires et ce secteur sinistré vous mangera dans la main.
Pour financer ces projets à la viabilité économique hautement douteuse, il est capital d’emprunter la voie des partenariats public-privé (ppp). En raflant la construction, la maintenance, la gestion et l’exploitation pendant 99 ans, votre maîtrise sera totale, et les collectivités publiques pieds et poings liés. Vos experts expliqueront doctement que vos bénéfices reflètent votre confiance inébranlable dans le pays, et le fardeau des pertes publiques sera dépeint comme un moindre mal au regard des emplois –hum !– créés. Si l’ampleur des déficits devient trop salée au goût de vos commanditaires, fournissez-leur des chiffres propres à enivrer les plus sceptiques. Multipliez les hectares de surfaces irriguées et les millions de foyers connectés au réseau d’eau courante. Flirtez hardiment avec l’absurde !
Si le secteur de l’eau ou de l’électricité réserve de juteux contrats (type centrale d’Azito), ne négligez pas celui de l’éducation, à l’exemple des inscriptions en ligne ou de la réhabilitation des universités, à cent mille francs le brin de gazon. C’est un marché prometteur ! Surtout si vous y ajoutez des équipements de fibre optique et autres wi-fi pour l’E-Learning. La fourniture de consommables sera votre chasse gardée à vie. Ne pas oublier que l’époque est à la virtualité. Car enfin, il n’est nul besoin de besoins pour faire prospérer une idée !

Les mines du roi salomon
Mais la pierre angulaire de l’émergence c’est le binôme mines-agro-industries. Il est vrai qu’avec ces deux secteurs la biodiversité est mise à mal, mais ces sacrifices sont indispensables. D’ailleurs, les décideurs, eux, l’ont bien compris, qui créent une législation de plus en plus attractive (ou de moins en moins rigide, c’est selon). Ainsi, ils travaillent avec les banquiers et les partenaires au développement à abroger l’archaïque loi sur le foncier de 1998. Evoluer avec son époque a un coût.
Il vous faudra, sur ce dossier, conserver un moral à toute épreuve. Ayez foi en l’altruisme de votre dessein. Car, malgré tous vos engagements, les écologistes aboieront contre la caravane du progrès. Accaparement des terres agricoles, crieront-ils à tort et à travers. Ils seront rejoints par quelques esprits influençables, dont l’approche naïve peut dresser un obstacle imprévu. Des journalistes « mercenaires de la plume » d’un canard pachydermique peuvent se révéler des adversaires opiniâtres, qui vont décortiquer vos plans de manière maniaque. Ils ont ainsi fait couler le beau projet Satarem-Greensol. Misez sur votre service de communication pour leur obstruer l’attention de l’opinion. Noyez leurs enquêtes tatillonnes sous des monceaux d’articles clefs-en-mains dans les média de grande envergure. Evitez que la contestation ne s’étende, ne devienne emblématique ou gagne les tribunaux administratifs, au risque, non de perdre un quelconque procès, mais de retards dans votre chantier. Une bataille de chiffres ne peut opposer que des adversaires de même catégorie. Face aux arguments amateurs, invoquez la rigueur technocratique de vos spécialistes.
Avec l’ardeur des pionniers, brandissez l’intérêt national, voire international, face à la vision passéiste de vos contradicteurs. De prétendus chefs de villages peuvent dire, comme à Yamoussoukro, que ces terres sont leurs depuis 1942 et qu’il n’y a eu aucune purge de leurs droits fonciers. Contre ces chantres de l’autochtonie, reprenez avec aplomb les mots du patriarche de la communauté allogène malinké de Duékoué : « la terre appartient à Dieu, et Il la donne à qui Il veut, surtout à ceux qui la mettent en valeur ! » Revendiquez votre participation sincère et transparente aux concertations communautaires. Compte tenu de vos soutiens impolitiques et médiatiques, le dialogue, mené selon les méthodes modernes de Palo Alto, ne devrait pas vous inquiéter. Il se peut qu’ainsi battus à la loyale, vos adversaires choisissent le terrain du boycott et de l’occupation des concessions. La contre-offensive doit être graduée. Vous devrez peut-être piloter une campagne de dénigrement par voie de presse. Les articles ou émissions devront asséner sans preuve que ces empêcheurs d’émerger en rond sont des pro-Gbagbo, hostiles à la politique de renaissance de la Côte d’Ivoire nouvelle. Si vous n’étouffez pas la révolte dans l’œuf, votre lobbying devra œuvrer à la criminalisation de l’opposition à votre ouvrage. A la légitimité revendiquée par les protestataires, répondez par la légalité institutionnelle et le recours à la force publique. S’ils s’avisent de mettre des troncs d’arbres sur la route pour empêcher vos camions de passer sur « leurs » terres, comme à Bondoukou ou à Odienné, envoyez les Frci mater tous ces rebelles impénitents. Nulle révolte logique ne doit distraire votre marche. Et si on vous accule au bras de fer, montrez votre détermination : inondez les protestataires sous des nuages de gaz lacrymogènes, ou plus si nécessaire, regardez vers Marikana pour trouver l’inspiration. Si la tournure des évènements l’impose, la possibilité de décréter un chantier « zone militaire d’intérêt stratégique » en sécurisation, comme à Ity ou à Goin-Débé, n’est pas à écarter. Dans votre odyssée pour l’émergence, il se peut que des proches soient gagnés par une sensiblerie de mauvais aloi ; faites-leur la confidence que quand vous étiez haut comme un in-folio, La Voix, insidieuse et ferme, vous a dit : « La terre est un gâteau plein de douceurs».
Certes, planifier un grand marché public s’avère de plus en plus laborieux ; mais le jeu en vaut la chandelle. Les concessions accordées par les autorités s’étalent aujourd’hui sur un siècle. Pour votre entreprise et vos actionnaires, c’est la promesse de décennies de rentabilité. D’autant que l’éventail d’éléphants blancs du futur émergent ne cesse de s’élargir : le denier quart des rives du Bandama à transformer en rizière géante, le futur stade olympique à construire, les bus électriques pour transporter les étudiants, le chemin de fer San-Pedro-Conakry… Pour paraphraser George Orwell, dont l’un des personnages déclarait : « La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force », nous affirmons avec assurance : le nuisible, c’est le bénéfique.


Dr Abdoulaye SYLLA
Université de Cocody
PUBLICITÉ
PUBLICITÉ

Playlist Économie

Toutes les vidéos Économie à ne pas rater, spécialement sélectionnées pour vous

PUBLICITÉ