Il y a des patients que ni la mort, ni le temps n’efface de la mémoire du médecin traitant. T.B a représenté pour le Pr. Timité Adjoua Konan Margueritte, presqu’un fils. Terrassé en 1991 par le Sida à l’âge de sept ans, la pédiatre aura, à force de soins palliatifs et d’amour, tenté le tout pour lui sauver la vie. Retour sur le combat contre le virus de l’un des seize premiers enfants infectés en Côte d’Ivoire.
T.B, le Pr. Timité Adjoua Konan Margueritte l’avait connu en 1987, alors qu’elle était pédiatre au centre hospitalier universitaire (CHU) de Cocody. Agrégée en pédiatrie, Pr. Timité s’est vue confiée, un matin, par le professeur Assi Adou, alors chef du service de pédiatrie du CHU de Cocody le petit T.B. A le voir tout le temps malade, depuis sa naissance en 1984, les parents de cet enfant s’étaient résolus à lui faire subir des examens médicaux à l’extérieur. «Le père étant un haut cadre, l’enfant avait été envoyé à l’hôpital Necker-Enfants malades à Paris en France. C’est ainsi que le diagnostic a révélé qu’il avait le virus du Sida», raconte le Pr. Timité.
16 enfants détectés en 1989 en Côte d’Ivoire
Le couple est anéanti devant une nouvelle aussi terrifiante. Mais refuse de se résigner devant la cruauté du sort. L’hôpital parisien recommande l’enfant à l’ex-patron de la pédiatrie du CHU de Cocody dont le Pr. Timité était l’adjointe. Le CHU de Cocody venait ainsi, officiellement, d’avoir affaire au premier cas d’enfant diagnostiqué positif au virus de l’immuno- déficience humaine (VIH).
L’expérience était terrifiante à une époque où les antirétroviraux étaient encore un luxe pour l’Afrique. Mais les parents du petit garçon étaient bien décidés à tout essayer, en passant des commandes des médicaments disponibles à l’époque en France. Peu importait le coût. Commence alors pour le gamin, qui n’avait que trois ans, le long combat contre le virus de la pandémie du siècle. Mais comment avait-il été contaminé ? A cette question, le Pr Timité est formelle : «Le drame de cette famille, c’est que la maman saignait beaucoup pendant l’accouchement et a dû être transfusée. Malheureusement le sang était contaminé. C’est ainsi que elle et le bébé ont été infectés»
Vu qu’à l’époque le sang n’était pas testé, systématiquement, comme c’est le cas aujourd’hui, c’est ainsi que la vie de la mère et du fils basculèrent. Quelques mois après l’accouchement, sans se douter, l’enfant va irréversiblement présenter les signes du Syndrome de l’Immuno-déficience Acquise (SIDA). D’où son état maladif qui a fini par pousser les parents à se rendre en France pour un diagnostic. Le cas de cet enfant dont la confirmation clinique a été faite en 1987 va être le point de départ au CHU de Cocody d’une étude sur d’éventuels cas analogues qui aboutira en 1989, soit deux ans plus tard, à la publication des seize premiers enfants malades du SIDA en Côte d’Ivoire.
Entre-temps, le drame du petit T.B qui entrait dans sa cinquième année se poursuivait. «Le traitement était très astreignant parce qu’il fallait donner les médicaments à l’enfant toutes les huit heures. Et la dernière prise journalière était à 23 heures. La mère était donc obligée de rester éveillée jusqu’à cette heure de la nuit pour lui donner ses médicaments», rappelle avec une vive émotion la pédiatre, qui reconnaît que c’était une véritable épreuve pour la maman. Par pudeur, la pédiatre n’a pas voulu raconter les complications liées aux effets secondaires de la prise de médicaments qu’elle a dû gérer.
63.000 enfants infectés entre 2009 et 2010
Mais le drame de la mère elle-même infectée et affectée est indescriptible. Quand le père fit son test et se découvre séronégatif, sa réaction surprend plus d’un. Une véritable mise à mort : il décide tout simplement de répudier la mère de crainte d’être contaminé. Sans état d’âme. La mère ainsi abandonnée avec son enfant malade, ne va pas pour autant baisser les bras. « Elle était régulièrement devant mon bureau à 7heures quand elle n’avait pas dormi la veille. Je lui consacrais une demi-heure, parfois une heure pour lui remonter le moral », révèle la pédiatre de l’enfant. Obligée qu’elle était, de jouer à la fois le rôle d’une psychologue.
En 1989, le CHU de Yopougon ouvre son premier service de pédiatrie. Pr. Timité Marguerite y est nommée, en qualité de chef de Service. Poste qu’elle occupe jusqu’à ce jour. Pour ses collègues qui rechignaient à y être affectés, elle quittait tout simplement un secteur «pestiféré» pour un autre. Car, faut-il le rappeler, à l’époque, le Sida ne faisait pas peur qu’aux seuls patients. Le personnel médical fuyait lui-même cette maladie, alors indomptée. A Yopougon, le Pr. Timité va continuer de suivre son malade T.B. Mais deux ans plus tard, en dépit du traitement, de l’amour et de la tendresse qu’elle y mettait à suivre l’enfant, comme son propre fils, la mort finit par avoir raison de lui. T.B aura lutté les sept années qu’il a passées sur la terre des Hommes, contre une pernicieuse maladie que son âge ne lui a pas permis de comprendre. Et sans avoir mis les pieds une seule fois dans une salle d’école.
Sept ans après le décès de ce petit garçon, qui n’était en réalité qu’un cas officiel parmi tant d’autres anonymes, en 1998, dans le cadre de l’initiative ONU-SIDA, la gratuité des soins est assurée aux enfants qui bénéficient des traitements antirétroviraux en Côte d’Ivoire. Dans le cadre de cette initiative, huit centres accrédités vont être identifiés dont un pour les enfants. Logé à la consultation de pédiatrie médicale du CHU de Yopougon, ce centre a constitué, de 98 à 2004, l’unique centre sur le territoire ivoirien dans le secteur public à offrir aux enfants l’accès aux médicaments ARV.« Depuis 98, les enfants infectés au VIH, ont droit, gratuitement, aux médicaments ARV et le cotrimoxazole, le bilan biologique de suivi et la consultation. Cependant, les traitements contre les infections opportunistes restent payants. Ces frais constituent le plus souvent des obstacles à une prise en charge thérapeutique complète et de qualité», explique le Dr Niamien Dénis, médecin spécialisé en santé publique et médecine communautaire. C’est que, plus d’une décennie après l’initiative ONU-SIDA qui consacre la gratuité des médicaments pour les enfants infectés du VIH, les statistiques donnent tout simplement froid dans le dos.
En effet, selon le ministre de la Santé et de la lutte contre le Sida, le Pr. N’Dri Yoman Thérèse, entre 2009 et 2010, la Côte d’Ivoire a enregistré 63.000 enfants infectés par le VIH. Ce qui suppose autant de femmes enceintes infectées. Pour le seul centre hospitalier universitaire de Yopougon, ce sont 864 femmes enceintes infectées pour la seule année 2011. Parmi elles, à peine 500 bénéficient d’une prise en charge. Le point est loin d’être exhaustif, cependant, il donne une nette idée de la pandémie du Sida en milieu pédiatrique : la lutte n’est pas encore gagnée.
Qui sauve une vie, sauve l’humanité
L’histoire du syndrome de l’immuno- déficience acquise, diagnostiqué pour la première fois aux Etats-Unis en 1981, quoiqu’il existât bien auparavant, s’est écrite jusque-là avec une grande souffrance pour l’humanité. Au regard des épreuves subies par les victimes du fait du virus de l’immuno- déficience humaine (VIH). Le Sida, c’est mille et une histoires qui se racontent toujours avec tristesse. Mais au delà de l’émotion, il s’agit ici de donner des repères, comme cet enfant né contaminé en1984 et qui est mort en 1991, à l’âge de sept ans. Les péripéties de la vie de cet enfant infecté, méritent d’être racontées. Mais que conclure, 21 ans après le décès du premier enfant infecté du CHU de Cocody ? Beaucoup de choses. Car, même si la Côte d’Ivoire et le monde entier cherchent toujours à exorciser la pandémie, force est de reconnaître les progrès réalisés par la médecine. Avec l’arsenal thérapeutique qui s’étoffe de plus en plus et la gratuité des médicaments, l’espérance de vie des personnes vivant avec le VIH s’en trouve rallongée. On peut donc dire que le mystère se dissipe. Lentement et surement. Hier à l’étroit, sans possibilité de mener certaines activités comme la prise en charge nutritionnelle, et psycho-sociale adéquate, les Etats-Unis viennent de doter le CHU de Yopougon d’un centre de traitement ambulatoire pédiatrique (CTAP). Un centre qui aura vocation à être, selon l’ambition du ministère ivoirien de la santé, le centre national de référence de la prise en charge du VIH pédiatrique en Côte d’Ivoire. Baptisé du nom du Pr.Timité Adjoua Konan Margueritte, cette pionnière de la lutte acharnée contre le VIH chez les enfants depuis 1987 ; ce centre est tout simplement porteur d’espoir dans le traitement des milliers d’enfants infectés du VIH/Sida. C’est que tout enfant diagnostiqué positif en Côte d’Ivoire (l’examen TCR étant gratuit) dans les six semaines suivant sa naissance, selon les normes de l’OMS, a des chances de vivre et grandir sans faire la maladie. L’espoir est donc permis. «Qui sauve une vie, sauve l’humanité», dixit Robert Spira.
Par Alexandre Lebel Ilboudo
T.B, le Pr. Timité Adjoua Konan Margueritte l’avait connu en 1987, alors qu’elle était pédiatre au centre hospitalier universitaire (CHU) de Cocody. Agrégée en pédiatrie, Pr. Timité s’est vue confiée, un matin, par le professeur Assi Adou, alors chef du service de pédiatrie du CHU de Cocody le petit T.B. A le voir tout le temps malade, depuis sa naissance en 1984, les parents de cet enfant s’étaient résolus à lui faire subir des examens médicaux à l’extérieur. «Le père étant un haut cadre, l’enfant avait été envoyé à l’hôpital Necker-Enfants malades à Paris en France. C’est ainsi que le diagnostic a révélé qu’il avait le virus du Sida», raconte le Pr. Timité.
16 enfants détectés en 1989 en Côte d’Ivoire
Le couple est anéanti devant une nouvelle aussi terrifiante. Mais refuse de se résigner devant la cruauté du sort. L’hôpital parisien recommande l’enfant à l’ex-patron de la pédiatrie du CHU de Cocody dont le Pr. Timité était l’adjointe. Le CHU de Cocody venait ainsi, officiellement, d’avoir affaire au premier cas d’enfant diagnostiqué positif au virus de l’immuno- déficience humaine (VIH).
L’expérience était terrifiante à une époque où les antirétroviraux étaient encore un luxe pour l’Afrique. Mais les parents du petit garçon étaient bien décidés à tout essayer, en passant des commandes des médicaments disponibles à l’époque en France. Peu importait le coût. Commence alors pour le gamin, qui n’avait que trois ans, le long combat contre le virus de la pandémie du siècle. Mais comment avait-il été contaminé ? A cette question, le Pr Timité est formelle : «Le drame de cette famille, c’est que la maman saignait beaucoup pendant l’accouchement et a dû être transfusée. Malheureusement le sang était contaminé. C’est ainsi que elle et le bébé ont été infectés»
Vu qu’à l’époque le sang n’était pas testé, systématiquement, comme c’est le cas aujourd’hui, c’est ainsi que la vie de la mère et du fils basculèrent. Quelques mois après l’accouchement, sans se douter, l’enfant va irréversiblement présenter les signes du Syndrome de l’Immuno-déficience Acquise (SIDA). D’où son état maladif qui a fini par pousser les parents à se rendre en France pour un diagnostic. Le cas de cet enfant dont la confirmation clinique a été faite en 1987 va être le point de départ au CHU de Cocody d’une étude sur d’éventuels cas analogues qui aboutira en 1989, soit deux ans plus tard, à la publication des seize premiers enfants malades du SIDA en Côte d’Ivoire.
Entre-temps, le drame du petit T.B qui entrait dans sa cinquième année se poursuivait. «Le traitement était très astreignant parce qu’il fallait donner les médicaments à l’enfant toutes les huit heures. Et la dernière prise journalière était à 23 heures. La mère était donc obligée de rester éveillée jusqu’à cette heure de la nuit pour lui donner ses médicaments», rappelle avec une vive émotion la pédiatre, qui reconnaît que c’était une véritable épreuve pour la maman. Par pudeur, la pédiatre n’a pas voulu raconter les complications liées aux effets secondaires de la prise de médicaments qu’elle a dû gérer.
63.000 enfants infectés entre 2009 et 2010
Mais le drame de la mère elle-même infectée et affectée est indescriptible. Quand le père fit son test et se découvre séronégatif, sa réaction surprend plus d’un. Une véritable mise à mort : il décide tout simplement de répudier la mère de crainte d’être contaminé. Sans état d’âme. La mère ainsi abandonnée avec son enfant malade, ne va pas pour autant baisser les bras. « Elle était régulièrement devant mon bureau à 7heures quand elle n’avait pas dormi la veille. Je lui consacrais une demi-heure, parfois une heure pour lui remonter le moral », révèle la pédiatre de l’enfant. Obligée qu’elle était, de jouer à la fois le rôle d’une psychologue.
En 1989, le CHU de Yopougon ouvre son premier service de pédiatrie. Pr. Timité Marguerite y est nommée, en qualité de chef de Service. Poste qu’elle occupe jusqu’à ce jour. Pour ses collègues qui rechignaient à y être affectés, elle quittait tout simplement un secteur «pestiféré» pour un autre. Car, faut-il le rappeler, à l’époque, le Sida ne faisait pas peur qu’aux seuls patients. Le personnel médical fuyait lui-même cette maladie, alors indomptée. A Yopougon, le Pr. Timité va continuer de suivre son malade T.B. Mais deux ans plus tard, en dépit du traitement, de l’amour et de la tendresse qu’elle y mettait à suivre l’enfant, comme son propre fils, la mort finit par avoir raison de lui. T.B aura lutté les sept années qu’il a passées sur la terre des Hommes, contre une pernicieuse maladie que son âge ne lui a pas permis de comprendre. Et sans avoir mis les pieds une seule fois dans une salle d’école.
Sept ans après le décès de ce petit garçon, qui n’était en réalité qu’un cas officiel parmi tant d’autres anonymes, en 1998, dans le cadre de l’initiative ONU-SIDA, la gratuité des soins est assurée aux enfants qui bénéficient des traitements antirétroviraux en Côte d’Ivoire. Dans le cadre de cette initiative, huit centres accrédités vont être identifiés dont un pour les enfants. Logé à la consultation de pédiatrie médicale du CHU de Yopougon, ce centre a constitué, de 98 à 2004, l’unique centre sur le territoire ivoirien dans le secteur public à offrir aux enfants l’accès aux médicaments ARV.« Depuis 98, les enfants infectés au VIH, ont droit, gratuitement, aux médicaments ARV et le cotrimoxazole, le bilan biologique de suivi et la consultation. Cependant, les traitements contre les infections opportunistes restent payants. Ces frais constituent le plus souvent des obstacles à une prise en charge thérapeutique complète et de qualité», explique le Dr Niamien Dénis, médecin spécialisé en santé publique et médecine communautaire. C’est que, plus d’une décennie après l’initiative ONU-SIDA qui consacre la gratuité des médicaments pour les enfants infectés du VIH, les statistiques donnent tout simplement froid dans le dos.
En effet, selon le ministre de la Santé et de la lutte contre le Sida, le Pr. N’Dri Yoman Thérèse, entre 2009 et 2010, la Côte d’Ivoire a enregistré 63.000 enfants infectés par le VIH. Ce qui suppose autant de femmes enceintes infectées. Pour le seul centre hospitalier universitaire de Yopougon, ce sont 864 femmes enceintes infectées pour la seule année 2011. Parmi elles, à peine 500 bénéficient d’une prise en charge. Le point est loin d’être exhaustif, cependant, il donne une nette idée de la pandémie du Sida en milieu pédiatrique : la lutte n’est pas encore gagnée.
Qui sauve une vie, sauve l’humanité
L’histoire du syndrome de l’immuno- déficience acquise, diagnostiqué pour la première fois aux Etats-Unis en 1981, quoiqu’il existât bien auparavant, s’est écrite jusque-là avec une grande souffrance pour l’humanité. Au regard des épreuves subies par les victimes du fait du virus de l’immuno- déficience humaine (VIH). Le Sida, c’est mille et une histoires qui se racontent toujours avec tristesse. Mais au delà de l’émotion, il s’agit ici de donner des repères, comme cet enfant né contaminé en1984 et qui est mort en 1991, à l’âge de sept ans. Les péripéties de la vie de cet enfant infecté, méritent d’être racontées. Mais que conclure, 21 ans après le décès du premier enfant infecté du CHU de Cocody ? Beaucoup de choses. Car, même si la Côte d’Ivoire et le monde entier cherchent toujours à exorciser la pandémie, force est de reconnaître les progrès réalisés par la médecine. Avec l’arsenal thérapeutique qui s’étoffe de plus en plus et la gratuité des médicaments, l’espérance de vie des personnes vivant avec le VIH s’en trouve rallongée. On peut donc dire que le mystère se dissipe. Lentement et surement. Hier à l’étroit, sans possibilité de mener certaines activités comme la prise en charge nutritionnelle, et psycho-sociale adéquate, les Etats-Unis viennent de doter le CHU de Yopougon d’un centre de traitement ambulatoire pédiatrique (CTAP). Un centre qui aura vocation à être, selon l’ambition du ministère ivoirien de la santé, le centre national de référence de la prise en charge du VIH pédiatrique en Côte d’Ivoire. Baptisé du nom du Pr.Timité Adjoua Konan Margueritte, cette pionnière de la lutte acharnée contre le VIH chez les enfants depuis 1987 ; ce centre est tout simplement porteur d’espoir dans le traitement des milliers d’enfants infectés du VIH/Sida. C’est que tout enfant diagnostiqué positif en Côte d’Ivoire (l’examen TCR étant gratuit) dans les six semaines suivant sa naissance, selon les normes de l’OMS, a des chances de vivre et grandir sans faire la maladie. L’espoir est donc permis. «Qui sauve une vie, sauve l’humanité», dixit Robert Spira.
Par Alexandre Lebel Ilboudo