« Dans les cinq ans à venir, si rien n’est fait, il sera difficile de nourrir la population du département de Bettié, voire de la région de l’Indénié-Djuablin. Les productions vivrières se raréfient. Même en période de production, l’abondance n’est plus la même qu’avant. Et tout coûte si cher !» Cette sentence de Mme Bidi Aimée, Présidente de la seule coopérative des commerçantes de vivriers d’Abengourou sonne comme un appel urgent. En effet, le constat est amer. Les cultures vivrières cèdent de plus en plus le pas à l’hévéa. Le jeune planteur Kouamé Adou Jonas partage l’avis de Mme Bidi Aimée. Selon lui, le problème de la menace que représente l’hévéaculture pour les cultures vivrières a été posé avant la crise lors de plusieurs séminaires organisés à l’intention des planteurs. Mais il constate que rien de ce qui a été décidé n’est mis en application à tel point que la situation devient encore plus délicate.
L’hévéa, une durée de vie problématique
Une des raisons qui justifie les craintes d’Adou Jonas est la trop longue durée de vie de l’hévéa qui est de 30 à 50 ans selon la variété. Surtout, il dénonce l’impossibilité d’utiliser le sol ensuite du fait de son appauvrissement par l’arbre à caoutchouc. Par ailleurs, il faut d’abord déraciner les plants vieillis avant toute réutilisation du sol. Quand l’on sait que sur un hectare, on peut dénombrer entre 555 et 600 pieds d’hévéa, on apprécie la difficulté du labeur. Selon Mme Bidi, beaucoup de paysans ont délaissé le vivrier pour transformer leurs parcelles en plantations d’hévéa. Elle cite volontiers le cas d’Agnibilékrou où des parcelles sont vendues et transformées en champs d’hévéa.
Béttié, le scandale
Lorsque l’on évoque les menaces de l’hévéaculture sur l’autosuffisance alimentaire dans la région de l’Indénié-Djuablin, le cas du département de Bettié est le plus souvent cité. Certains paysans de cette zone sont obligés d’aller chercher des parcelles ailleurs pour y cultiver des plantes nourricières qu’ils reviennent ensuite vendre dans le département. Toute la nourriture de Bettié vient donc du pays Akyé au-delà du fleuve Comoé où encore d’Apprompronou à une centaine de kilomètres plus loin au Nord, voire…d’Abidjan. Ce qui se répercute forcément sur le prix des denrées. Dans les restaurants de cette petite localité brusquement projetée à l’état de ville grâce à l’hévéaculture, le plat dans les restaurants se négocie à partir de 1000 FCFA contre 300 FCFA à Abengourou par exemple.
A l’antenne locale de l’Ocpv (Office de commercialisation des produits vivriers), l’on tire la sonnette d’alarme. Le responsable de la structure étatique fait le constat que durant les 7 premiers mois de l’année (de février à juillet), des produits de consommation courante (le manioc, l’arachide, le riz local, le gombo) dans la région ont connu une hausse de prix par rapport à la même période les années précédentes. C’est clair, les produits vivriers connaissent une baisse cruciale de production selon D.M. qui rapporte des plaintes des commerçantes de vivriers contre les hévéaculteurs qui leur font ombrage. Notre source à l’Anader soutient cette observation et fait le constat que la courbe de production du vivrier va decrescendo. Ainsi, de 2008 à 2009, la production de manioc dans le département d’Abengourou est passée de 266628 tonnes à 160670,5 tonnes soit une baisse de 39.73%.Cette décroissance peut être constatée au niveau du riz, du maïs, de la tomate. Seule la banane semble tirer son épingle du jeu, mais pour combien de temps encore ? Au même moment, les productions d’hévéa passaient de 3375 tonnes à 4969 tonnes soit une hausse de 47.22%. Nos tentatives pour obtenir les chiffres relatifs aux surfaces cultivées au niveau des produits vivriers se sont heurtées à la réticence des services de l’Anader. Au Minagra (ministère de l’Agriculture) Assiro Mathias, l’ex-Directeur régional, avouait que la sécurité alimentaire est sérieusement menacée par l’hévéaculture. Et pourtant, cette vision semble ne pas être un souci pour les hévéaculteurs. K. Djè et M. Koffi se défendent. « Nous plantons des cultures vivrières dans les champs d’hévéa »disent-ils en ch?ur. Cette solution est-elle durable ? Une source proche de l’Anader en donne la réponse. Pour elle, l’hévéa ne tolère d’autres plantes qu’au plus pendant 5 ans. Dès que l’arbre prend de l’ampleur, il empêche toute autre végétation de prospérer. Par opposition au cacao qui est un arbuste et peut tolérer des plantes comme le manioc ou la banane, l’hévéa a vite fait de couvrir de son feuillage les plantes qui sont disséminées à ses pieds.
La responsabilité des collectivités décentralisées et de l’Etat
Au niveau des autorités décentralisées, l’on encourage plutôt cette culture de l’hévéa. Assamoi Kouamé, 3ème vice-président du défunt Conseil général a été le responsable d’un projet de création de plantations d’hévéa. A l’en croire, ce projet visait à lutter contre la pauvreté chez les jeunes et les femmes. Avec l’appui technique de la Saph (Société africaine des plantations d’hévéa), les promoteurs de projets ont reçu des plants qui leur ont été revendus avec 50% de réduction. Jusqu’à l’an dernier, le Conseil général avait ainsi aidé à réaliser plus de 250 hectares d’hévéa (le chiffre n’est pas exhaustif). Selon l’ex-conseiller général, l’Union européenne a même formé et installé des pépiniéristes à Abengourou, Niablé et Agnibilékrou. A la Saph, une source très introduite qui a préféré garder l’anonymat minimise pourtant la menace de l’hévéa. Pour elle, l’apport de sa structure tout comme celui de la Saic (société agro-industrielle de la Comoé) se limite à un appui technique aux producteurs. Cependant, la ruée vers l’hévéa, qui a commencé timidement en 1998 sous le président Bédié, connaît aujourd’hui un réel engouement à tel point que l’on estime à plus de 4977 hectares la superficie exploitée par 1402 planteurs. Nos efforts pour obtenir les chiffres au niveau de l’Anader ont rencontré un refus poli du directeur régional de cette structure. Pour Dossan René Kouakou, Président de l’ONG OMDH2025 (Objectif du millénaire pour le développement humain), le problème de la menace de l’hévéaculture par rapport au vivrier est fondé surtout à Bettié. Toutefois, il estime que des espaces, notamment des bas-fonds, sont encore inexploités dans ce département et peuvent servir pour les cultures vivrières. Au demeurant, l’Etat pourrait prendre des mesures pour imposer aux paysans de réserver une partie de leurs terres aux cultures vivrières.
« Nous voulons être des salariés comme des fonctionnaires »
Pour expliquer cette course effrénée vers l’hévéaculture, c’est le jeune Adou Jonas qui en donne un début de réponse. « Contrairement au cacao dont la production est liée à des périodes précises, l’hévéa, une fois rentré en production, permet d’avoir de l’argent chaque mois, comme les fonctionnaires. Mais ce que les gens oublient, c’est que de la même façon dont cet argent arrive vite, il part aussi vite dans l’entretien du champ et des ouvriers ». En effet, les nombreuses résidences cossues construites par des jeunes souvent à peine sortis de l’adolescence montre à quel point l’arbre à caoutchouc rapporte. Notre source à l’Anader abonde dans le même sens. Il fustige surtout les cadres : «En recherchant des revenus additionnels, ils viennent planter de l’hévéa sur de grandes portions qu’ils ont achetées ou dont ils ont héritées. Et ils ne font que l’hévéa, sans même penser à réserver un peu d’espace pour le vivrier ». En fait, ce qui fait le succès de l’hévéa, c’est le côté pécuniaire. D’après notre source à la Saph, le kilogramme de caoutchouc naturel qui se vendait au prix garanti de 756 FCFA est en chute constante. Il y a donc à craindre les conséquences d’une baisse généralisée des prix du produit. La présence active des structures d’encadrement comme la Saph ou la Saic qui aident non seulement à l’entretien des plantations mais aussi à la commercialisation, fait de l’hévéa une mine d’or pour les paysans et aussi des cadres qui y voient une manne pour leur retraite future. Ces sociétés à l’image de la Saph possèdent 2700 hectares d’hévéa à Bettié qui est considéré ici comme le Manaus de l’Indénié-Djuablin. Par ailleurs, de grands hévéaculteurs possèdent souvent des centaines d’hectares sans un seul mètre carré de vivrier. Sur plusieurs kilomètres où les plants filiformes d’hévéa se suivent, on ne voit jamais un seul pied de manioc ou de banane qui constituent pourtant l’alimentation de base ici. Pire, les populations avec à leur tête le grand planteur Adé Pra Augustin, demandent le déclassement de la forêt classée de Songan. Mais là, les autorités craignent, si cela venait à être fait, que les nouvelles terres ne soient encore envahies de plants d’hévéa.
A l’Anader (Agence nationale d’appui au développement rural), cette quête de nouvelle terre est vécue de visu. « Même les vergers de café et de cacao sont souvent détruits pour l’hévéa » affirme une source proche de l’Anader.
Il faut pourtant sauver nos assiettes !
Si les acteurs de l’hévéaculture refusent de voir le danger que représente cette plante pour l’autosuffisance alimentaire, il reste indéniable que des mesures énergiques sont à prendre si la Côte d’Ivoire ne veut pas dépendre de l’extérieur pour les autres vivriers en plus du riz. Mme Bidi Aimée dénonce certes la concurrence déloyale que leur livrent des commerçants venus du Ghana voisin, mais la solution, selon elle, doit être recherchée en interne. Pour Assiro Mathias, il ne serait pas superflu de faire revenir les structures comme la Sodefel (Société de développement des fruits et légumes), la soderiz (Société de développement du riz), la cidv (compagnie de développement du vivrier) qui ont laissé la place à l’Anader. Ces organes qui ont fait les beaux jours des cultures vivrières en Côte d’Ivoire pourraient jouer un rôle efficace dans l’encadrement des paysans. L’ingénieur agronome recommande également la polyculture qui permettrait de combiner des cultures pérennes en n’oubliant surtout pas le vivrier. « Un assolement raisonné » et surtout une campagne de sensibilisation et une forte implication de l’Etat peuvent changer la donne avant qu’il ne soit trop tard. Selon une source bien informée des problèmes agricoles, il ne faut pas exclure l’hypothèse d’une surproduction de caoutchouc. Dans pareil cas, les cours vont baisser, ce sera la catastrophe et les paysans qui négligent le vivrier seront les premières victimes de la famine qui se profile à l’horizon. Il faudra craindre alors une hausse des cours des produits vivriers qui seront rares sur le marché. C’est pourquoi, selon lui, il faut impliquer tout le monde en commençant par les cadres si l’on veut relever le défi de l’autosuffisance alimentaire. Le Conseil Général d’Abengourou qui a compris l’imminence du danger a mis en place un fonds de garantie pour les femmes qui souhaitent s’adonner à la culture du vivrier. Ce qui a permis la mise en place de plantations de manioc en vue de la production de l’attiéké, notamment dans le village de Kodjina. « Nous regrettons le fait que la filière du vivrier ne soit pas organisée. Il est difficile d’investir dans un secteur mal structuré » dénonce Assamoi Kouamé de l’ex-Conseil général. Cette désorganisation dans la filière du vivrier est confirmée par Mme Bidi Aimé, présidente de la Coopérative des commerçantes du vivrier. « Nous ne sommes pas encadrés. C’est l’Ocpv qui nous aide. Mais elle ne suit que la commercialisation. Nous voulons sortir de l’informel » confie-t-elle avant de dénoncer le coût du transport et l’état des routes qui concourent à la cherté et la raréfaction des produits vivriers. Le président de l’ONG OMDH2025, qui supervise avec succès un projet hévéicole dans le Nzi-comoé et dans d’autres régions du pays, pense qu’il faut sensibiliser les paysans car il est exclu de leur demander de ne pas planter l’hévéa qui leur procure des revenus substantiels chaque mois. Pour lui, le besoin en caoutchouc est énorme, n’ayant pour seul concurrent que la matière synthétique issue du pétrole. Prenant l’exemple du Nzi-Comoé, ce haut cadre de l’administration a indiqué que l’hévéa a permis de réaliser des prouesses notamment par la création des richesses et d’emploi durables. L’espoir résiderait-il dans le récent don de 16 milliards de FCFA offerts à la région de l’Indénié-djuablin par la BAD ? Boa Thiémélé Amoakon Edjampan, ex-président du Conseil général semble le confirmer : « Avec l’appui du gouvernement, la BAD a mis à notre disposition 16 milliards 600 millions de francs du Fonds africain de développement. Ce projet dénommé projet d’appui aux infrastructures agricoles permettra de faire des travaux d’aménagement agricole. Ainsi tout ce qui est bas-fonds dans la région sera aménagé pour permettre la culture du riz, la pisciculture, le vivrier. Plus de 600 kilomètres de routes seront réhabilitées sur cinq ans. Il y aura aussi un appui technique aux professionnels de l’agriculture que sont les coopératives afin qu’elles produisent dans de meilleures conditions en conditionnant bien leurs produits». Gageons que ce projet donne tort aux pessimistes. Cette boutade d’Adé Fernand, un notable de Bettié en dit, long sur l’inextinguible détermination des paysans à faire de l’hévéa : « s’il le faut, nous irons faire notre marché à Paris. Mais pour rien au monde, nous n’abandonnerons l’hévéaculture ».
Armand Déa, correspondant
L’hévéa, une durée de vie problématique
Une des raisons qui justifie les craintes d’Adou Jonas est la trop longue durée de vie de l’hévéa qui est de 30 à 50 ans selon la variété. Surtout, il dénonce l’impossibilité d’utiliser le sol ensuite du fait de son appauvrissement par l’arbre à caoutchouc. Par ailleurs, il faut d’abord déraciner les plants vieillis avant toute réutilisation du sol. Quand l’on sait que sur un hectare, on peut dénombrer entre 555 et 600 pieds d’hévéa, on apprécie la difficulté du labeur. Selon Mme Bidi, beaucoup de paysans ont délaissé le vivrier pour transformer leurs parcelles en plantations d’hévéa. Elle cite volontiers le cas d’Agnibilékrou où des parcelles sont vendues et transformées en champs d’hévéa.
Béttié, le scandale
Lorsque l’on évoque les menaces de l’hévéaculture sur l’autosuffisance alimentaire dans la région de l’Indénié-Djuablin, le cas du département de Bettié est le plus souvent cité. Certains paysans de cette zone sont obligés d’aller chercher des parcelles ailleurs pour y cultiver des plantes nourricières qu’ils reviennent ensuite vendre dans le département. Toute la nourriture de Bettié vient donc du pays Akyé au-delà du fleuve Comoé où encore d’Apprompronou à une centaine de kilomètres plus loin au Nord, voire…d’Abidjan. Ce qui se répercute forcément sur le prix des denrées. Dans les restaurants de cette petite localité brusquement projetée à l’état de ville grâce à l’hévéaculture, le plat dans les restaurants se négocie à partir de 1000 FCFA contre 300 FCFA à Abengourou par exemple.
A l’antenne locale de l’Ocpv (Office de commercialisation des produits vivriers), l’on tire la sonnette d’alarme. Le responsable de la structure étatique fait le constat que durant les 7 premiers mois de l’année (de février à juillet), des produits de consommation courante (le manioc, l’arachide, le riz local, le gombo) dans la région ont connu une hausse de prix par rapport à la même période les années précédentes. C’est clair, les produits vivriers connaissent une baisse cruciale de production selon D.M. qui rapporte des plaintes des commerçantes de vivriers contre les hévéaculteurs qui leur font ombrage. Notre source à l’Anader soutient cette observation et fait le constat que la courbe de production du vivrier va decrescendo. Ainsi, de 2008 à 2009, la production de manioc dans le département d’Abengourou est passée de 266628 tonnes à 160670,5 tonnes soit une baisse de 39.73%.Cette décroissance peut être constatée au niveau du riz, du maïs, de la tomate. Seule la banane semble tirer son épingle du jeu, mais pour combien de temps encore ? Au même moment, les productions d’hévéa passaient de 3375 tonnes à 4969 tonnes soit une hausse de 47.22%. Nos tentatives pour obtenir les chiffres relatifs aux surfaces cultivées au niveau des produits vivriers se sont heurtées à la réticence des services de l’Anader. Au Minagra (ministère de l’Agriculture) Assiro Mathias, l’ex-Directeur régional, avouait que la sécurité alimentaire est sérieusement menacée par l’hévéaculture. Et pourtant, cette vision semble ne pas être un souci pour les hévéaculteurs. K. Djè et M. Koffi se défendent. « Nous plantons des cultures vivrières dans les champs d’hévéa »disent-ils en ch?ur. Cette solution est-elle durable ? Une source proche de l’Anader en donne la réponse. Pour elle, l’hévéa ne tolère d’autres plantes qu’au plus pendant 5 ans. Dès que l’arbre prend de l’ampleur, il empêche toute autre végétation de prospérer. Par opposition au cacao qui est un arbuste et peut tolérer des plantes comme le manioc ou la banane, l’hévéa a vite fait de couvrir de son feuillage les plantes qui sont disséminées à ses pieds.
La responsabilité des collectivités décentralisées et de l’Etat
Au niveau des autorités décentralisées, l’on encourage plutôt cette culture de l’hévéa. Assamoi Kouamé, 3ème vice-président du défunt Conseil général a été le responsable d’un projet de création de plantations d’hévéa. A l’en croire, ce projet visait à lutter contre la pauvreté chez les jeunes et les femmes. Avec l’appui technique de la Saph (Société africaine des plantations d’hévéa), les promoteurs de projets ont reçu des plants qui leur ont été revendus avec 50% de réduction. Jusqu’à l’an dernier, le Conseil général avait ainsi aidé à réaliser plus de 250 hectares d’hévéa (le chiffre n’est pas exhaustif). Selon l’ex-conseiller général, l’Union européenne a même formé et installé des pépiniéristes à Abengourou, Niablé et Agnibilékrou. A la Saph, une source très introduite qui a préféré garder l’anonymat minimise pourtant la menace de l’hévéa. Pour elle, l’apport de sa structure tout comme celui de la Saic (société agro-industrielle de la Comoé) se limite à un appui technique aux producteurs. Cependant, la ruée vers l’hévéa, qui a commencé timidement en 1998 sous le président Bédié, connaît aujourd’hui un réel engouement à tel point que l’on estime à plus de 4977 hectares la superficie exploitée par 1402 planteurs. Nos efforts pour obtenir les chiffres au niveau de l’Anader ont rencontré un refus poli du directeur régional de cette structure. Pour Dossan René Kouakou, Président de l’ONG OMDH2025 (Objectif du millénaire pour le développement humain), le problème de la menace de l’hévéaculture par rapport au vivrier est fondé surtout à Bettié. Toutefois, il estime que des espaces, notamment des bas-fonds, sont encore inexploités dans ce département et peuvent servir pour les cultures vivrières. Au demeurant, l’Etat pourrait prendre des mesures pour imposer aux paysans de réserver une partie de leurs terres aux cultures vivrières.
« Nous voulons être des salariés comme des fonctionnaires »
Pour expliquer cette course effrénée vers l’hévéaculture, c’est le jeune Adou Jonas qui en donne un début de réponse. « Contrairement au cacao dont la production est liée à des périodes précises, l’hévéa, une fois rentré en production, permet d’avoir de l’argent chaque mois, comme les fonctionnaires. Mais ce que les gens oublient, c’est que de la même façon dont cet argent arrive vite, il part aussi vite dans l’entretien du champ et des ouvriers ». En effet, les nombreuses résidences cossues construites par des jeunes souvent à peine sortis de l’adolescence montre à quel point l’arbre à caoutchouc rapporte. Notre source à l’Anader abonde dans le même sens. Il fustige surtout les cadres : «En recherchant des revenus additionnels, ils viennent planter de l’hévéa sur de grandes portions qu’ils ont achetées ou dont ils ont héritées. Et ils ne font que l’hévéa, sans même penser à réserver un peu d’espace pour le vivrier ». En fait, ce qui fait le succès de l’hévéa, c’est le côté pécuniaire. D’après notre source à la Saph, le kilogramme de caoutchouc naturel qui se vendait au prix garanti de 756 FCFA est en chute constante. Il y a donc à craindre les conséquences d’une baisse généralisée des prix du produit. La présence active des structures d’encadrement comme la Saph ou la Saic qui aident non seulement à l’entretien des plantations mais aussi à la commercialisation, fait de l’hévéa une mine d’or pour les paysans et aussi des cadres qui y voient une manne pour leur retraite future. Ces sociétés à l’image de la Saph possèdent 2700 hectares d’hévéa à Bettié qui est considéré ici comme le Manaus de l’Indénié-Djuablin. Par ailleurs, de grands hévéaculteurs possèdent souvent des centaines d’hectares sans un seul mètre carré de vivrier. Sur plusieurs kilomètres où les plants filiformes d’hévéa se suivent, on ne voit jamais un seul pied de manioc ou de banane qui constituent pourtant l’alimentation de base ici. Pire, les populations avec à leur tête le grand planteur Adé Pra Augustin, demandent le déclassement de la forêt classée de Songan. Mais là, les autorités craignent, si cela venait à être fait, que les nouvelles terres ne soient encore envahies de plants d’hévéa.
A l’Anader (Agence nationale d’appui au développement rural), cette quête de nouvelle terre est vécue de visu. « Même les vergers de café et de cacao sont souvent détruits pour l’hévéa » affirme une source proche de l’Anader.
Il faut pourtant sauver nos assiettes !
Si les acteurs de l’hévéaculture refusent de voir le danger que représente cette plante pour l’autosuffisance alimentaire, il reste indéniable que des mesures énergiques sont à prendre si la Côte d’Ivoire ne veut pas dépendre de l’extérieur pour les autres vivriers en plus du riz. Mme Bidi Aimée dénonce certes la concurrence déloyale que leur livrent des commerçants venus du Ghana voisin, mais la solution, selon elle, doit être recherchée en interne. Pour Assiro Mathias, il ne serait pas superflu de faire revenir les structures comme la Sodefel (Société de développement des fruits et légumes), la soderiz (Société de développement du riz), la cidv (compagnie de développement du vivrier) qui ont laissé la place à l’Anader. Ces organes qui ont fait les beaux jours des cultures vivrières en Côte d’Ivoire pourraient jouer un rôle efficace dans l’encadrement des paysans. L’ingénieur agronome recommande également la polyculture qui permettrait de combiner des cultures pérennes en n’oubliant surtout pas le vivrier. « Un assolement raisonné » et surtout une campagne de sensibilisation et une forte implication de l’Etat peuvent changer la donne avant qu’il ne soit trop tard. Selon une source bien informée des problèmes agricoles, il ne faut pas exclure l’hypothèse d’une surproduction de caoutchouc. Dans pareil cas, les cours vont baisser, ce sera la catastrophe et les paysans qui négligent le vivrier seront les premières victimes de la famine qui se profile à l’horizon. Il faudra craindre alors une hausse des cours des produits vivriers qui seront rares sur le marché. C’est pourquoi, selon lui, il faut impliquer tout le monde en commençant par les cadres si l’on veut relever le défi de l’autosuffisance alimentaire. Le Conseil Général d’Abengourou qui a compris l’imminence du danger a mis en place un fonds de garantie pour les femmes qui souhaitent s’adonner à la culture du vivrier. Ce qui a permis la mise en place de plantations de manioc en vue de la production de l’attiéké, notamment dans le village de Kodjina. « Nous regrettons le fait que la filière du vivrier ne soit pas organisée. Il est difficile d’investir dans un secteur mal structuré » dénonce Assamoi Kouamé de l’ex-Conseil général. Cette désorganisation dans la filière du vivrier est confirmée par Mme Bidi Aimé, présidente de la Coopérative des commerçantes du vivrier. « Nous ne sommes pas encadrés. C’est l’Ocpv qui nous aide. Mais elle ne suit que la commercialisation. Nous voulons sortir de l’informel » confie-t-elle avant de dénoncer le coût du transport et l’état des routes qui concourent à la cherté et la raréfaction des produits vivriers. Le président de l’ONG OMDH2025, qui supervise avec succès un projet hévéicole dans le Nzi-comoé et dans d’autres régions du pays, pense qu’il faut sensibiliser les paysans car il est exclu de leur demander de ne pas planter l’hévéa qui leur procure des revenus substantiels chaque mois. Pour lui, le besoin en caoutchouc est énorme, n’ayant pour seul concurrent que la matière synthétique issue du pétrole. Prenant l’exemple du Nzi-Comoé, ce haut cadre de l’administration a indiqué que l’hévéa a permis de réaliser des prouesses notamment par la création des richesses et d’emploi durables. L’espoir résiderait-il dans le récent don de 16 milliards de FCFA offerts à la région de l’Indénié-djuablin par la BAD ? Boa Thiémélé Amoakon Edjampan, ex-président du Conseil général semble le confirmer : « Avec l’appui du gouvernement, la BAD a mis à notre disposition 16 milliards 600 millions de francs du Fonds africain de développement. Ce projet dénommé projet d’appui aux infrastructures agricoles permettra de faire des travaux d’aménagement agricole. Ainsi tout ce qui est bas-fonds dans la région sera aménagé pour permettre la culture du riz, la pisciculture, le vivrier. Plus de 600 kilomètres de routes seront réhabilitées sur cinq ans. Il y aura aussi un appui technique aux professionnels de l’agriculture que sont les coopératives afin qu’elles produisent dans de meilleures conditions en conditionnant bien leurs produits». Gageons que ce projet donne tort aux pessimistes. Cette boutade d’Adé Fernand, un notable de Bettié en dit, long sur l’inextinguible détermination des paysans à faire de l’hévéa : « s’il le faut, nous irons faire notre marché à Paris. Mais pour rien au monde, nous n’abandonnerons l’hévéaculture ».
Armand Déa, correspondant