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Société Publié le jeudi 16 janvier 2014 | L’intelligent d’Abidjan

Interview / Daouda Kéita, président d’une ONG : ‘‘Par an, plus de 2 mille ivoiriens quittent la Côte d’Ivoire’’

Stop Aventure Clandestine (SAC) est une organisation non gouvernementale (ONG) qui lutte contre l’émigration clandestine. Daouda Kéita, président de cette ONG (créée en 2008) s’est confié à L’Intelligent d’Abidjan pour expliquer les actions menées par son organisation. Tout en déplorant que des milliers d’Ivoiriens quittent la Côte d’Ivoire pour une vie meilleure en Occident, Daouda Kéita en appelle à la mobilisation de tous, pour combattre l’émigration clandestine.
Plus de cinq (5) ans après, peut-on en savoir plus sur les réelles motivations de la création de votre ONG qui lutte contre l’émigration clandestine?
Après des études secondaires, je me suis rendu à Paris. Pendant 10 ans, j’y étais, avant d’aller en Angleterre, où je réside jusqu’à ce jour, pour des affaires. Vu mon expérience d’aventure et étant né en Côte d’Ivoire qui est une terre de migrants, depuis les indépendances, j’ai décidé de mettre sur pied cette ONG. Basée à Abidjan, en Angleterre et qui a des antennes un peu partout dans le monde notamment au Mali, aux Etats Unis, à Paris. Nous essayons d’apporter une solution à l’émigration clandestine qui vide l’Afrique de ses bras valides.

Comment peut-on convaincre des jeunes à abandonner l’aventure quand on réside soi-même en Europe et au regard des difficultés sur le continent ?
Vu la grande pauvreté en Afrique, demander à des jeunes de ne pas tenter l’aventure, c’est difficile de se faire comprendre. Pour les jeunes, l’aventure c’est l’Eldorado. Toutefois, force est de reconnaître que l’aventure n’aboutit forcement pas à la réussite. Pis, on peut vivre des situations difficiles si on restait chez soi.

Des jeunes peuvent considérer vos propos comme simplement de belles phrases, loin de les convaincre à aller à l’aventure. Concrètement, pourquoi estimez-vous que la jeunesse africaine ne doit pas coûte que coûte faire le choix de l’aventure ?
Je vais prendre le cas des jeunes qui en voyant des footballeurs à la télé, dans les journaux, signant des contrats de transfert s’élevant à plusieurs millions voire milliards de FCFA, sont tentés par une aventure pour une grande carrière sportive. De façon hasardeuse, ils s’y lancent. La suite est généralement difficile. L’aventure sans précaution conduit à des situations dramatiques. Quand l’objectif est de partir même sans visa, on s’expose à de nombreux problèmes. Il faut traverser le dessert, dans les zones dangereuses comme la Libye et aller à Lampedusa. Depuis 2008, j’ai parlé de cette île qui est aujourd’hui à 350 000 immigrés comme population sans compter les morts. La ville étant saturées, la communauté européenne à saisi la mairie sur les conditions des personnes repêchées après les naufrages. Tout ceci pour dire qu’il y a de graves dangers que courent les personnes qui veulent, nonobstant qu’elles ne sont pas en règle, aller en Europe pour un bien- être.

Depuis 2008, vous êtes sur le terrain. Le constat, plus de cinq (5) ans après ?
Bien évidemment, les immigrants n’ont pas de papier. Quand ils arrivent, ils ne peuvent pas aller travailler, parce que les visas et les passeports sont biométriques. Aujourd’hui, les difficultés sont multipliées par mille, par rapport à avant où on pouvait prendre les papiers d’un frère ou d’un cousin pour aller se promener sans problème. Résultats : les rapatriements, les emprisonnements, ne manquent pas. Pour des immigrés, il est mieux de rester en prison en Europe que de revenir en Afrique, c’est vraiment la honte ! Ces immigrés sont rejugés chaque trois mois parce qu’ils refusent de rentrer dans leurs pays. Certains restent dans cette situation parfois pendant un ou deux ans jusqu’à ce qu’ils acceptent d’être expulsés. Pis, les risques de morts sont élevés. Ils sont nombreux nos frères et sœurs qui meurent avant d’arriver à destination. C’est vraiment déplorable parce qu’il y a des familles entières où il y a des bébés et des femmes enceintes, qui y vont avec tout le danger que cela entraine. Par an, ce sont près de 30.000 personnes qui mettent leur vie en danger. Nous sentons une progression au niveau de la Côte d’Ivoire, du fait de la crise qu’a connue le pays. Ce sont, par an, plus de 2000 jeunes ivoiriens qui cherchent à partir en Occident. Ces jeunes déscolarisés pour la plupart, s’orientent dans le domaine sportif notamment le football. Parmi les émigrants, le nombre de femmes est moindre que celui des hommes. Mais celles qui y vont pratiquent, pour le grand nombre, le plus vieux métier au monde ; la prostitution. Sans papier, les jeunes et les femmes sont vulnérables et n’importe qui peut les utiliser à ses fins. Soit pour la drogue ou la prostitution.

De 2008 à aujourd’hui, nous osons croire que votre organisation a mené des actions pour faire face à cette situation. Quel est le bilan que l’on fait à mi-parcours?
Nous avons sillonné les pays de la sous-région. Nous sommes allés en Libye, au Mali, en Mauritanie, au Burkina Faso et au Niger pour comprendre réellement ce qui motive tous ces jeunes africains à vouloir coûte que coûte aller à l’aventure. Nous nous sommes rendus compte que la pauvreté, souvent la guerre civile et l’instabilité en sont les raisons principales. Nous avons remarqué que les Burkinabés ne vont pas assez en Europe, ils viennent directement en Côte d’Ivoire et s’intègrent facilement, contrairement aux Maliens et aux Sénégalais qui cherchent à partir en Europe. Avec l’apport des gouvernements, on a essayé de mettre en place un cadre de travail pour les immigrés clandestins. Dès que ces immigrés arrivent, on leur donne des fonds pour se prendre en charge. Mais pour avoir ces fonds, il faut qu’ils aient des projets. A cet effet, j’ai monté une structure pour monter des projets et dès que les immigrés ont ces fonds, nous essayons de les aider pour ne pas qu’ils retournent après avoir eu beaucoup d’argent. Nous les suivons jusqu’à ce qu’ils s’intéressent à l’Afrique et qu’ils pensent à ne plus bouger. Nous avons approché la compagnie qui fait les passeports et les visas biométriques en Côte d’Ivoire pour limiter les passages clandestins. Et ce, en mettant plus de barrières afin qu’une personne n’utilise pas les papiers d’une autre pour voyager clandestinement. Nous attirons également l’attention des autorités pour une sécurité plus accrue sur les côtes. Nous avons rencontré le ministère de l’Education nationale pour un meilleur encadrement des jeunes, à travers des formations. Aussi, nous sommes en contact avec le ministère des Sports de la Côte d’Ivoire. Nous œuvrons pour la création des centres de football, la promotion de la politique de sport et étude en même temps. En résumé, nous travaillons pour que ces jeunes, qui ont abandonné l’école, puissent être retenus dans leurs pays, en étant occupé sainement. Nous œuvrons également pour éradiquer dans le milieu du sport des faux agents sportifs qui font partir les jeunes et les abandonnent après. Cette situation doit préoccuper tout le monde. Gouvernements, ONG, parents, tous doivent se mobiliser pour juguler le mal.

En plus des gouvernements, L’ONG est-elle en contact avec d’autres structures ?
L’ONG est en contact avec l’ambassade des Etats-Unis. Bientôt, nous aurons un cadre de travail avec cette ambassade. Nous échangeons également avec des organisations de jeunes. Nous travaillons pour des actions en vue, pour une meilleure prise en charge de la jeunesse. Nous entendons aider les jeunes qui exercent dans le secteur informel afin de leur permettre de rentrer dans un cadre formel. Nous allons accentuer la sensibilisation en expliquant aux jeunes que s’ils travaillent bien, ils peuvent avoir la chance d’avoir des crédits pour améliorer leurs conditions de vie. Nous avons également échangé avec la Chambre de métiers. Cette année, nous allons travailler avec ce département pour bien encadrer les jeunes. Tout ceci pour combattre efficacement l’émigration clandestine.

Une mission qui demande des moyens conséquents. Bénéficiez-vous d’appuis ?
Nous travaillons sur fonds propres. Pour le moment, nous n’avons pas d’appuis extérieurs.

Un appel…
Je pense que tous, nous devons sensibiliser à notre niveau la population, pas seulement les jeunes mais aussi les parents. Qui, doivent mettre un point d’honneur sur la scolarité parce qu’avec un bon niveau d’études, on peut prétendre avoir du travail dans son pays. Il faut sensibiliser les enfants qu’on n’a pas besoin de partir à l’aventure pour se réaliser. Il faut qu’il y ait des téléfilms qui sensibilisent sur la question. Les gouvernements doivent s’y impliquer efficacement. La priorité doit être à la jeunesse, surtout au niveau de l’éducation, et je propose qu’il y ait des stages rémunérés parce que ces stages peuvent retenir les jeunes en attendant qu’ils aient un bon travail. On entend mener des actions en réseau, avec les Etats africains et européens pour proposer aux jeunes des stages rémunérés. En Côte d’Ivoire, la majorité des stages ne sont pas rémunérés et, ces essais sont reconduits sur plus d’une année, des fois. En Europe, quand on a fini les études, ou quand on a un niveau d’études qui n’est pas assez élevé, vous êtes payé chaque mois, et si vous avez un loyer, l’Etat vous aide à le payer. Malheureusement, ce n’est pas le cas en Afrique. Ils sont nombreux ces jeunes qui sont allés au Canada, en Europe et qui ne veulent plus revenir. J’insiste pour que les gouvernements fassent un programme efficace de développement des formations et d’insertion des jeunes dans la vie active.
Raymond Dibi
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