Couples surexposés, enfants illégitimes, relations extraconjugales s’invitent dans le débat politique. Mais où se situe la limite entre la transparence nécessaire à la liberté d’information et le secret légitime de la vie privée de nos élus?
Bienvenue à l’ère de l’instantanéité de l’information et de la «peopolisation» des personnalités. Une période dans laquelle la vie amoureuse, l’état de santé, la fortune, etc., d’un élu ou d’un haut commis de l’Etat, n’est plus marqué du sceau du secret. Et pourtant la question autrefois était jugée taboue voire interdite. Il était donc impensable de parler de la vie privée d’un élu sur la place publique. En Afrique, dit-on, on ne parle pas de la vie d’un chef comme si l’on parlait de celle d’un individu ordinaire. « Le politique a tout déprogrammé, on ne respecte plus le chef comme on le faisait par le passé. Houphouet le vénéré est devenu Houphouet le voleur quand lui-même a réintroduit le multipartisme dans le pays », décrypte l’universitaire Mamadou Konaté. « Tout a d’ailleurs commencé avec lui, avec sa vieillesse », renseigne M. Konaté. Le débat autour de la vie privé des Présidents ivoiriens s’est poursuivi avec le Président Henri Konan Bédié. Au départ, c’est surtout sa fortune qui faisait jaser. La politique aidant, les polémistes ont été tentés de glisser sur d’autres terrains, notamment celui de la santé du leader du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci). « Sans être médecins, certains détracteurs lui ont détecté une cirrhose du foie et selon leur diagnostic, il n’en avait pas pour longtemps. C’est dommage que les gens choisissent de faire la politique de la sorte, en cherchant à abattre leurs adversaires sur des choses aussi ignobles. Ce n’est pas élégant », condamne Etienne N’Guessan, un cadre du Pdci qui lorgne aujourd’hui vers le Rassemblement des républicains (Rdr), le parti au pouvoir. Un avis largement partagé par Jérôme Climanlo Coulibaly, ancien secrétaire général de l’Union des socio-démocrates (Usd) de feu Zadi Zaourou, aujourd’hui secrétaire général du Rassemblement du peuple de Côte d’Ivoire (Rpci). « Ce n’est pas normal d’en parler », dénonce-t-il. Pourtant, loin de s’estomper, cette façon de faire la politique a plutôt gagné du terrain. Et l’un des acteurs politiques ivoiriens qui a payé un lourd tribut (et qui continue de le payer) à cette sorte de voyeurisme, c’est bien l’actuel président de la République, Alassane Ouattara. « Il a été attaqué de partout. En même temps qu’on lui déniait la nationalité, certains ont tenté de mettre en doute sa bonne moralité ; en même temps qu’on l’a accusé d’avoir des châteaux en Espagne, on lui reproche de n’avoir rien bâti dans ce pays qui ne serait pas le sien. Il eut sans doute fallu que, comme en France où les hommes politiques ont une sorte d’accord de principe pour ne pas polémiquer sur la vie privé d’un des leurs, les acteurs politiques ivoiriens mettent le holà. Malheureusement, il ne s’est trouvé personne pour condamner cette façon de faire la politique », relève Etienne N’Guessan, sans doute pas au bout de ses peines. Devrait-on expressément légiférer là-dessus ? « Je n’y verrai aucun inconvénient », assure notre interlocuteur qui s’offusque de la façon dont les malaises dont ont été victimes en 2009, le Président Alassane Ouattara à Gagnoa et le leader du Pdci, Henri Konan Bédié, en mai 2013, ont fait l’objet de commentaires jugés «nauséabonds et indécents. On parle bien de vie privée. Ce qui veut dire que cela doit rester privé ». Pour Albert Flindé, conseiller du président de la République « les gens n’ont pas le pouvoir de parler de cette vie privée. Mais aucune loi ne les défend. Ils peuvent en parler, mais la façon dont on parle manque de décence », considère-t-il. L’ancien ministre de la Formation professionnelle dit ne pas comprendre l’interprétation faite de cette situation. « Au nom de la politique, il y a des choses qu’il faut éviter de dire et de faire, même si on dit que la politique est un jeu sans règle. Ouattara est notre frère et il faut rester sensibles à ces moments», plaide-t-il. Et d’inviter l’ensemble des acteurs politiques à tout mettre en œuvre pour ne pas mettre sur la place publique leur vie privée. Mais là où le bât blesse, c’est que tout le monde n’est pas du même avis que ces interlocuteurs. Au nombre de ceux-ci, le juriste-politiste, Geoffroy-Julien Kouao. « Un élu, que ce soit un député, un maire ou un président de la République n’a pas de vie privée parce qu’il a l’obligation d’informer sa population sur certains aspects de sa vie, notamment sa santé», argumente-t-il. «En tant que candidat, on exige qu’il soit en bonne santé», ajoute M. Kouao. C’est sans doute dans cette posture que se trouvent les cadres de l’opposition qui se laissent aller à toutes sortes de commentaires, s’agissant du Président Alassane Ouattara, récemment opéré d’une sciatique en France, selon un communiqué de la présidence de la République en date du 9 février 2014. « Que Ouattara nous dise la vérité sur son état de santé. La dictature n’est pas aussi aisée comme il le croit. Prendre des gens et les mettre en prison n’est pas un exercice aisé. C’est pourquoi ils l’ont pris dans un avion et l’ont emmené chez les Blancs pour le soigner », avait critiqué le président du Front populaire ivoirien (Fpi), Affi N’guessan, cette semaine, lors de ses différents meetings dans le district d’Abidjan. Une critique qui ne provoque pourtant pas une crise d’urticaire chez tous les partisans du chef de l’Etat. Charles Gnahoré, président de la Fédération des organisations républicaines pour la cohésion et l’émergence (Force 2015) invite les Ivoiriens à la sérénité. « C’est un homme comme tout le monde. Il peut avoir des pépins de santé », pense-t-il. Ce leader de mouvement proche de M. Ouattara croit dur comme fer que son président reviendra pour finir les travaux d’ « hercule qu’il a entamé pour le bonheur de son peuple. N’en déplaise à ses détracteurs », invite-t-il à retenir. Cadre du Rdr, H. Kouamé relativise lui aussi la polémique. « Ils oublient que leur fameux mentor est lui aussi un grand malade. Non seulement il a des ennuis avec ses dents, mais lui-même déclare qu’il a une arthrose. Sa femme, Simone n’est pas mieux lotie, sans oublier tous ses disciples qui traînent tous des bobos. Il n’y a donc pas besoin d’avoir quelque complexe que ce soit, surtout qu’au-delà de la santé, l’ex-chef de l’Etat est notoirement connu pour être un polygame. Même Affi qui parle aujourd’hui, tout le monde sait que sur le plan matrimonial, il n’est pas un exemple », relève-t-il. Entre déballages, règlements de compte, le débat sur la vie privée des acteurs politiques est bien lancé.
Eric Diomandé
Bienvenue à l’ère de l’instantanéité de l’information et de la «peopolisation» des personnalités. Une période dans laquelle la vie amoureuse, l’état de santé, la fortune, etc., d’un élu ou d’un haut commis de l’Etat, n’est plus marqué du sceau du secret. Et pourtant la question autrefois était jugée taboue voire interdite. Il était donc impensable de parler de la vie privée d’un élu sur la place publique. En Afrique, dit-on, on ne parle pas de la vie d’un chef comme si l’on parlait de celle d’un individu ordinaire. « Le politique a tout déprogrammé, on ne respecte plus le chef comme on le faisait par le passé. Houphouet le vénéré est devenu Houphouet le voleur quand lui-même a réintroduit le multipartisme dans le pays », décrypte l’universitaire Mamadou Konaté. « Tout a d’ailleurs commencé avec lui, avec sa vieillesse », renseigne M. Konaté. Le débat autour de la vie privé des Présidents ivoiriens s’est poursuivi avec le Président Henri Konan Bédié. Au départ, c’est surtout sa fortune qui faisait jaser. La politique aidant, les polémistes ont été tentés de glisser sur d’autres terrains, notamment celui de la santé du leader du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci). « Sans être médecins, certains détracteurs lui ont détecté une cirrhose du foie et selon leur diagnostic, il n’en avait pas pour longtemps. C’est dommage que les gens choisissent de faire la politique de la sorte, en cherchant à abattre leurs adversaires sur des choses aussi ignobles. Ce n’est pas élégant », condamne Etienne N’Guessan, un cadre du Pdci qui lorgne aujourd’hui vers le Rassemblement des républicains (Rdr), le parti au pouvoir. Un avis largement partagé par Jérôme Climanlo Coulibaly, ancien secrétaire général de l’Union des socio-démocrates (Usd) de feu Zadi Zaourou, aujourd’hui secrétaire général du Rassemblement du peuple de Côte d’Ivoire (Rpci). « Ce n’est pas normal d’en parler », dénonce-t-il. Pourtant, loin de s’estomper, cette façon de faire la politique a plutôt gagné du terrain. Et l’un des acteurs politiques ivoiriens qui a payé un lourd tribut (et qui continue de le payer) à cette sorte de voyeurisme, c’est bien l’actuel président de la République, Alassane Ouattara. « Il a été attaqué de partout. En même temps qu’on lui déniait la nationalité, certains ont tenté de mettre en doute sa bonne moralité ; en même temps qu’on l’a accusé d’avoir des châteaux en Espagne, on lui reproche de n’avoir rien bâti dans ce pays qui ne serait pas le sien. Il eut sans doute fallu que, comme en France où les hommes politiques ont une sorte d’accord de principe pour ne pas polémiquer sur la vie privé d’un des leurs, les acteurs politiques ivoiriens mettent le holà. Malheureusement, il ne s’est trouvé personne pour condamner cette façon de faire la politique », relève Etienne N’Guessan, sans doute pas au bout de ses peines. Devrait-on expressément légiférer là-dessus ? « Je n’y verrai aucun inconvénient », assure notre interlocuteur qui s’offusque de la façon dont les malaises dont ont été victimes en 2009, le Président Alassane Ouattara à Gagnoa et le leader du Pdci, Henri Konan Bédié, en mai 2013, ont fait l’objet de commentaires jugés «nauséabonds et indécents. On parle bien de vie privée. Ce qui veut dire que cela doit rester privé ». Pour Albert Flindé, conseiller du président de la République « les gens n’ont pas le pouvoir de parler de cette vie privée. Mais aucune loi ne les défend. Ils peuvent en parler, mais la façon dont on parle manque de décence », considère-t-il. L’ancien ministre de la Formation professionnelle dit ne pas comprendre l’interprétation faite de cette situation. « Au nom de la politique, il y a des choses qu’il faut éviter de dire et de faire, même si on dit que la politique est un jeu sans règle. Ouattara est notre frère et il faut rester sensibles à ces moments», plaide-t-il. Et d’inviter l’ensemble des acteurs politiques à tout mettre en œuvre pour ne pas mettre sur la place publique leur vie privée. Mais là où le bât blesse, c’est que tout le monde n’est pas du même avis que ces interlocuteurs. Au nombre de ceux-ci, le juriste-politiste, Geoffroy-Julien Kouao. « Un élu, que ce soit un député, un maire ou un président de la République n’a pas de vie privée parce qu’il a l’obligation d’informer sa population sur certains aspects de sa vie, notamment sa santé», argumente-t-il. «En tant que candidat, on exige qu’il soit en bonne santé», ajoute M. Kouao. C’est sans doute dans cette posture que se trouvent les cadres de l’opposition qui se laissent aller à toutes sortes de commentaires, s’agissant du Président Alassane Ouattara, récemment opéré d’une sciatique en France, selon un communiqué de la présidence de la République en date du 9 février 2014. « Que Ouattara nous dise la vérité sur son état de santé. La dictature n’est pas aussi aisée comme il le croit. Prendre des gens et les mettre en prison n’est pas un exercice aisé. C’est pourquoi ils l’ont pris dans un avion et l’ont emmené chez les Blancs pour le soigner », avait critiqué le président du Front populaire ivoirien (Fpi), Affi N’guessan, cette semaine, lors de ses différents meetings dans le district d’Abidjan. Une critique qui ne provoque pourtant pas une crise d’urticaire chez tous les partisans du chef de l’Etat. Charles Gnahoré, président de la Fédération des organisations républicaines pour la cohésion et l’émergence (Force 2015) invite les Ivoiriens à la sérénité. « C’est un homme comme tout le monde. Il peut avoir des pépins de santé », pense-t-il. Ce leader de mouvement proche de M. Ouattara croit dur comme fer que son président reviendra pour finir les travaux d’ « hercule qu’il a entamé pour le bonheur de son peuple. N’en déplaise à ses détracteurs », invite-t-il à retenir. Cadre du Rdr, H. Kouamé relativise lui aussi la polémique. « Ils oublient que leur fameux mentor est lui aussi un grand malade. Non seulement il a des ennuis avec ses dents, mais lui-même déclare qu’il a une arthrose. Sa femme, Simone n’est pas mieux lotie, sans oublier tous ses disciples qui traînent tous des bobos. Il n’y a donc pas besoin d’avoir quelque complexe que ce soit, surtout qu’au-delà de la santé, l’ex-chef de l’Etat est notoirement connu pour être un polygame. Même Affi qui parle aujourd’hui, tout le monde sait que sur le plan matrimonial, il n’est pas un exemple », relève-t-il. Entre déballages, règlements de compte, le débat sur la vie privée des acteurs politiques est bien lancé.
Eric Diomandé