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Société Publié le mercredi 26 février 2014 | Le Patriote

Interview/ Sidiki Bakaba (Cinéaste et ancien DG du Palais de la Culture) : “Nous devons nous pardonner par amour de notre prochain”

Acteur, comédien et réalisateur de renom, Sidiki Bakaba a été pendant dix ans directeur général du Palais de la culture d’Abidjan-Treichville. A Paris, précisément dans le 13ème Arrondissement, il a bien voulu, entre deux occupations, se confier au Patriote. Dans cet entretien, il explique pourquoi et comment il s’est retrouvé dans la Résidence de Laurent Gbagbo, au plus fort de la crise postélectorale, et exhorte les Ivoiriens à tourner la page de la guerre, pour s’inscrire résolument dans la voie du pardon et de la réconciliation.
Le Patriote : Comment vous sentez-vous aujourd'hui ?
Sidiki Bakaba : Je me porte comme un charme, d'autres diraient comme un vieux bouc. Je respire le soleil et la vie. Je souhaite de tout cœur une réconciliation avec mes frères du nord, du sud, de l’est et de l'ouest de la Côte d'Ivoire. Le président Houphouët-Boigny disait que « la paix, n'est pas un mot mais un comportement ». Est-ce que nous avons gardé cette sagesse ? Nous, les Ivoiriens, nous nous sommes égarés. Il faut que nous nous ressaisissions et qu'on se dise qu'il n’y a rien de plus précieux que la paix. La chose la plus difficile, c'est le premier pas et j'ai beaucoup d'espoir parce que le premier pas est fait. Le président Alassane Ouattara avait promis de libérer des militants de l'opposition et il a tenu parole. Je suis convaincu que tous les prisonniers politiques seront libérés. Nous les Ivoiriens, nous devons détruire en nous les ranc?urs, la haine afin d'aller à une véritable réconciliation. A l'heure où nous sommes en train de faire cette interview, il y a des bébés qui naissent en Côte d'Ivoire et nous devrons leur inculquer l'amour du prochain. Il faut effacer définitivement la haine et penser à la Côte d'Ivoire de demain. Nous savons tous que chacun a souffert dans sa chair mais notre force est de pouvoir pardonner. Si Dieu lui-même ne pardonnait pas, est-ce qu'il aurait un seul être humain sur cette terre ? Je ne le crois pas.

LP. La Côte d'Ivoire étant dans le processus de réconciliation, que pensez-vous de certains pro-Gbagbo qui n'abondent pas dans le même sens que vous ?
SB : J’ai été blessé mais les douleurs et les larmes passent, seul l'amour du prochain doit rester. Chaque être humain a sa culture et moi je suis un petit-fils du marabout Cheick Fantamadi Chérif. J'ai grandi dans une famille où le pardon est salvateur quoiqu'il vous arrive. Je dis souvent que je n'en veux à personne. Vous savez, ce qui échappe à nos consciences nous revient sous forme de destin. Laurent Gbagbo est plus qu'un ami c'est un frère. J'ai dit à l'un de vos confrères français, que le président Ouattara et Gbagbo sont tous les deux mes grand-frères.

L.P : Au plus fort de la crise postélectorale, vous vous êtes retrouvé à la résidence de Gbagbo n'était-ce pas pour le soutenir ?
SB : J'habitais dans la même rue que lui, c'est vous dire que j'ai été moi-même pris dans cette guerre. J'étais chez moi quand les bombardements avaient commencé et croyez-moi, les détonations étaient insupportables et il fallait bien que j'aille m'abriter quelque part. J'ai vu construire cette résidence, qui est le symbole de ma souveraineté. Il y avait trois endroits où je pouvais me réfugier : L'ambassade de l'Arabie Saoudite qui était collée à ma maison, c'était des amis mais il n'y avait personne. L’ambassade d'Israël s'était vidée. Autour de ma maison, le sol était jonché de morts, la seule alternative qui me restait, c’était d’aller aller me réfugier à la Résidence de Gbagbo. Si le président Ouattara ou Bédié avait été là, j'aurais eu la même réaction. Depuis août 2013, ce sont plus d'une soixantaine de pro-Gbagbo qui ont été remis en liberté provisoire parmi lesquels Pascal Affi N'Guessan. Le FPI peut jouer alors son rôle d'opposition et tout cela est un bon signe.

L.P : Pendant que les obus tombaient, n'était-ce pas un risque vraiment inconsidéré pour vous de prendre un caméscope et de vouloir filmer ? De plus vous n'êtes pas un reporter …
SB : Effectivement, je n'en suis pas un mais je suis réalisateur et artiste, donc témoin de mon temps. Je me suis retrouvé dans un cauchemar et je voyais effectivement des corps mais les malheureux qui venaient de perdre la vie étaient des Ivoiriens de tous bords et de toutes ethnies et c'est cela qui me révoltait. Peut -être que c'était mon dernier jour et je ne sentais plus le risque que je prenais en filmant car chaque instant pouvait être le dernier. Je tiens à préciser que les images que je prenais n'étaient pas forcement contre tel ou tel camp, seul comptait mon témoignage. Devant la Résidence (de Gbagbo) en 2011, je filmais et quand j'entendais des jeunes tenir des propos haineux, je leur disais : « Ne dites pas cela, nous sommes tous des Ivoiriens». En fixant ces évènements, je pensais que ces images pourraient servir un jour à nos enfants et nos petits-enfants et que ce serait à eux de tirer leur conclusion. Ils se diront peut-être « pourquoi cette guerre absurde »? Ce n'était pas la première calamité que je vivais, c'est une histoire du destin. J'ai vu en 1985 une guerre civile en Guinée où j’étais parti distribuer des films où je jouais et où Alpha Blondy donnait un concert. Nous nous sommes trouvés par hasard dans cette tourmente. J'ai assisté en 1991à une tentative de coup d’Etat au Niger pendant que j’animais un stage de formation d’acteurs c'est vous dire donc que j'ai eu la malchance de vivre des choses horribles. En 2011, mon caméscope a été détruit mais ce qui m'importe, c'est ce que j'ai vu et qui reste dans ma tête. En ce qui concerne le Président Gbagbo, je le connais depuis une quarantaine d'années, avant même qu'il ait créé un parti. Quand j'avais 23 ans et que je faisais mes créations au théâtre il était à mes côtés à Abidjan avec le grand-frère Bernard Zadi Zaourou et d’autres.Aujourd'hui je vois cette période comme un passé douloureux qui n’a rien à voir avec une fiction au cinéma.

LP : A quoi pensiez-vous au moment où vous receviez les éclats d'obus ?
SB : Je vivais comme une injustice ces bombardements. Le jour où j'ai été blessé, c'était un après-midi où je me disais : « Si je pouvais convaincre le grand-frère Gbagbo de quitter de là, je l'aurais fait mais malheureusement plus rien n’était possible. J'ai vu un hélico tirer et j’ai eu juste le temps de m'abriter dans un poste de garde, c’était l’explosion et j’ai été blessé par des éclats d’obus. Je me suis dit : « C'est fini».

L.P : En voulez-vous aujourd’hui à l'armée française ?
SB : Je n'en veux à personne car ce sont des militaires français qui m'ont évacué au CHU et qui m'ont sauvé la vie et cela je ne l'oublie pas. Le Seigneur a éclairé mon cœur et j’ai compris que tout n'est pas blanc et tout n'est pas noir. A la guerre, c'est la folie humaine qui domine.

L.P : Si vous étiez en face de Gbagbo pendant les bombardements que lui auriez-vous dit ?
SB : «Mourir sur le champ de bataille n'est pas la seule forme de bravoure». C'est une phrase d’Alboury, Roi du Djolof. Il a choisi l’exil plutôt que l’esclavage. Face à son destin qu'est-ce qui animait le grand frère à ce moment-là ? Croyez-moi, pendant le bombardement, j'ai vu des personnes appeler des responsables français et leur demander d'intervenir afin d’arrêter les bombardements. J’ai été témoin. Personne n'avait envie de mourir et voir ce palais partir en fumée. J'aurais dit effectivement à Gbagbo : « Il faut partir ». Il m'aurait peut-être répondu : « C’est le point de vue d’un artiste». Quand De Gaulle s'est enfui en Angleterre pendant la deuxième guerre mondiale pour organiser la résistance, on a dit que «c’était un repli tactique».

L.P : Le président Ouattara a dit qu'il voudrait que tous les Ivoiriens exilés rentrent au pays. Quand rentrerez-vous ?
SB : Je ne suis pas un exilé, je suis parti avec l’accord de mon pays quand j’ai été rapatrié sanitaire. Je rentrerai quand toutes les conditions me concernant seront remplies.

L.P : Quelles sont ces conditions ?
SB : En Octobre 2010, j'ai été nommé Ambassadeur. Je dois pouvoir servir mon pays où que je sois. Pour rentrer, j’ai besoin de récupérer ma maison qui a été réquisitionnée en 2011 car j’ai une famille et je n’ai plus l’âge de vivre ailleurs que chez moi.

Réalisée à Paris par Ahmed Touré, correspondance particulière
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