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Économie Publié le lundi 14 avril 2014 | Le Nouveau Consommateur Hebdo

Tonian Amalaman, Président de l’Autorité de Régulation de la Restauration et des Métiers de l’Alimentation (Arrma): « Si nous voulons appliquer la loi, tous les restaurants vont fermer »

Dans cette interview, le président de l’Autorité de régulation de la restauration et des métiers de l’alimentation (Arrma) fait le point des activités de sa structure. Il revient sur la menace du virus Ebola, les dispositions à prendre pour l’éviter et invite les Ivoiriens à une alimentation saine.

Où en êtes-vous aujourd’hui avec le programme de l’Arrma ?
Aujourd’hui, nous sommes à plus de six mille points visités dans quatre communes. Je veux parler des garbadrômes, des kiosques, des espaces de choukouya, de pain-condiments, etc. qui font partie du gotha du vivier de l’informel. Nous avons ainsi démarré au plus bas de l’échelle, c’est-à-dire par la zone la plus sensible, la plus visitée et pratiquée par plus de 80% des Ivoiriens. Les esprits sont positifs, mais les actions sont négatives. Nous avons trouvé des acteurs engagés dans leurs activités, mais dont les comportements ne respectent pas forcément les exigences de la corporation. Mais ce sont des gens qui sont ouverts et prêts à changer leurs habitudes et à améliorer la vie des Ivoiriens. Nous leur avons expliqué que leur métier nécessite une formation parce que leur poids dans l’économie ivoirienne n’est plus à démontrer. Il est clair que notre travail est très étendu et nous avançons lentement mais sûrement.

Il y a là, une nécessité de formaliser tous les métiers de la restauration en Côte d’Ivoire.
Absolument ! Cette activité traditionnelle qui reste dans les habitudes africaines a existé dans les comportements européens et américains, mais les choses ont évolué aujourd’hui. Les sandwichs simples sont devenus des Hamburgers consommés dans le monde entier, des pizzas de la vielle femme italienne sont devenues des repas mondialement reconnus. Il faudrait que les types d’alimentation à l’ivoirienne puissent avoir une audience internationale. Cela passe par des normes qui respectent des conditions d’hygiènes indiscutables !

Quel est l’accueil réservé à vos équipes dans les établissements visités ? N’y a-t-il pas de résistance ?
Des résistances ? Non ! Beaucoup d’ignorance, mais très peu de résistance. Ils sont tous disposés à nous écouter et à comprendre le bien-fondé de nos actions.

Quelle sera la suite de vos activités?
Vous savez, le développement n’est pas une vue de l’esprit. Ce n’est pas un slogan. On ne va pas continuer à travailler dans le secteur de la restauration en Côte d’Ivoire de manière empirique. Les habitudes des uns et des autres doivent évoluer et le changement doit être une réalité. L’émergence doit se ressentir à tous les niveaux. Donc, nous sommes en train de nous battre pour avoir les financements nécessaires afin de procéder à une profonde réforme du secteur.

Il est évident qu’un tel programme requiert de gros moyens financiers. Quels sont vos soutiens ?
Ce n’est pas facile, il faut l’avouer. 80% de nos activités sont réalisées sur fonds propres. L’Arrma se bat pour trouver des financements. De toutes les façons, l’objectif n’a pas de prix parce que, chaque jour qui passe, des dangers de divers ordres guettent les Ivoiriens. Ils doivent comprendre qu’on mange pour vivre et non pour mourir. Il s’agit pour nous d’éclairer les Ivoiriens sur leur conduite alimentaire et une telle opération concerne toutes les couches de la population.

Vous ne recevez pas l’appui du gouvernement ?
C’est à nous de démontrer notre importance par la qualité de nos prestations. Je ne veux pas être de ceux qui tendent la main. Nous allons prouver l’importance de notre activité et le fait qu’elle est indispensable à la vie des Ivoiriens. Mais je rappelle que nous avons été honorés par le président de la République qui nous a reçus. Le président de l’Assemblée Nationale et le premier ministre nous ont également reçus. Les premières personnalités du pays n’ont pas manqué de nous encourager dans cette mission.

Tous les gouvernements en Afrique de l’Ouest sont en alerte par rapport au virus Ebola qui sévit en Guinée et menace tous les pays voisins. La réaction du gouvernement ivoirien est connue : plus de consommation de rongeurs jusqu’à nouvel ordre. Des équipes médicales sont déployées le long des frontières dans le cadre de l’alerte. Quel est votre regard sur cette situation ?
Vous savez, il y a bien longtemps que nous avons tiré la sonnette d’alarme sur ce genre de situation, mais les habitudes ont la peau dure. En fait, l’Ebola constitue une menace actuellement. La maladie est à nos portes et elle fait de nombreuses victimes. Le gouvernement a pris des mesures surtout dans le cadre de l’alimentation. Mais il faut dire qu’il appartient aux Ivoiriens de prendre des précautions au niveau de leur habitude alimentaire. Il faut éviter de manger n’importe où et n’importe quoi, parce que nous entendons généralement ce refrain suicidaire du genre : « ça ne tue pas Africain ». Et au bout du compte, ce sont des décès subits que nous constatons. Concernant l’Ebola, le gouvernement a interdit la consommation des rongeurs jusqu’à nouvel ordre, mais qu’est-ce que nous voyons : les gens raffolent de ces viandes dans les restaurants. On parle d’Ebola parce que la maladie fait rage dans un pays voisin, mais il n’y a pas que l’Ebola ; il y a aussi et surtout ces tueurs silencieux que sont l’AVC, l’insuffisance rénale, la tuberculose, la cirrhose, etc. Toutes ces maladies font de nombreuses victimes chaque jour et nos incessantes interpellations sur la nécessité pour les Ivoiriens de changer les alimentations à risque et d’éviter les lieux insalubres en terme de restauration, semblent tomber dans des oreilles de sourds. Aujourd’hui, l’objectif de l’Arrma est de créer des conditions d’hygiène adéquates dans tous les lieux de restauration en Côte d’Ivoire. Je l’ai dit, nous avons à cet effet, recensé déjà plus 6 000 (six mille) restaurants dans les communes de Yopougon, Marcory, Cocody et Port-Bouët. Nous poursuivons ce recueil de données, puis nous passerons à une autre phase de notre action: la sensibilisation.

Pensez-vous que les dispositions arrêtées par les autorités suffisent à prévenir le mal ?
Je ne sais pas si cela est suffisant. Il faut poursuivre la sensibilisation. Aujourd’hui, tout le monde est exposé à la menace de l’Ebola. Et les Ivoiriens doivent comprendre qu’on n’a pas besoin d’être riche pour être propre. En tant qu’expert du métier, nous disons qu’en plus des mesures aux frontières, il faut prendre des dispositions en interne. Nous continuons de sensibiliser les Ivoiriens sur le danger qui nous guettent. Vous savez, la nourriture est pour l’homme ce qu’est le carburant pour la voiture. Vous ne pouvez pas mettre du diesel dans une voiture qui utilise du super. Ce n’est pas possible ! On n’avait pas besoin d’attendre la menace de l’Ebola pour faire attention à notre alimentation. La prévention ne peut être efficace que par une sensibilisation accrue des masses et la nécessité pour les populations de ne pas négliger les maladies liées à la mauvaise alimentation. L’Ebola n’est pas une maladie inventée. C’est une réalité ! L’Etat a le devoir de nous protéger et l’Etat a déjà informé les Ivoiriens de ce qu’il ne faut pas faire. Il appartient maintenant à chacun de nous de respecter les mesures prises et de contrôler chaque jour ce que nous mangeons.

Nous sommes au terme de cet entrétien. Quels sont les projets immédiats de l’Arrma ?
Je vais vous surprendre, mais aujourd’hui si nous voulons appliquer la loi, tous les restaurants vont fermer. Les conditions d’hygiène sont déplorables dans la plupart des restaurants. Les Africains négligent toujours l’essentiel. Ce n’est pas faire comme un Blanc que de manger propre, c’est tout simplement humain. Il faut qu’on arrête de manger du colorant. En ce moment, nous sommes en train de démarrer un grand programme de financement des restaurants pour leur permettre de rehausser un tant soit peu leur niveau d’accueil en terme d’hygiène. Les partenaires ont notre confiance et nous travaillons à faire avancer l’Arrma.

Des difficultés dans l’accomplissement de vos missions ?
Une difficulté majeure à signaler : nous nous heurtons à la réticence de certaines mairies et de certains agents de mairie. Je précise que nous ne sommes ni des concurrents, ni des trouble-fête. Nous avons été mis en mission par l’Etat de Côte d’Ivoire et de ce fait, nous constituons une complémentarité dans les actions des mairies. Évitons les intérêts personnels et faisons prévaloir les intérêts généraux pour des actions plus fortes sur le terrain. Je vais vous faire une confidence. L’autorité de régulation, de la restauration et des métiers de l’alimentation est la seule structure du genre qui existe dans le monde entier. Toute la Côte d’Ivoire doit s’enorgueillir d’avoir une telle structure et lui donner ses lettres de noblesse.

Interview réalisée par Samuel Guelah
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