Nairobi – Des criminels lourdement armés enchaînent à un rythme effréné les attaques souvent violentes contre des autobus et des véhicules privés et contre des villages dans le nord de la Côte d’Ivoire, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les forces de sécurité ont en grande partie échoué à protéger la population ou à enquêter sur ces crimes.
Pour lutter contre les crimes de plus en plus violents, le gouvernement ivoirien devrait de toute urgence augmenter le nombre de patrouilles dans les zones durement touchées et équiper correctement la police et la gendarmerie en vue de protéger la population. Le gouvernement devrait également désarmer les anciens combattants largement soupçonnés d’être impliqués dans les attaques et s’assurer que les autorités au sein du système de justice pénale puissent mener des enquêtes approfondies et traduire en justice les auteurs des crimes.
« Les personnes qui vivent, travaillent et voyagent dans le nord de la Côte d’Ivoire sont terrorisées par des hommes armés qui semblent agir sans grande crainte d’être arrêtés, encore moins traduits en justice », a indiqué Corinne Dufka, directrice de la Division Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « Le gouvernement ivoirien doit protéger les personnes contre ces attaques incessantes et souvent violentes. »
En octobre 2014, Human Rights Watch a mené plus de 40 entretiens avec des négociants, des propriétaires d’autobus, des chauffeurs et des passagers ; des membres des forces de sécurité ; des représentants du gouvernement à Abidjan et à Bouaké, la deuxième ville de Côte d’Ivoire par la taille ; des travailleurs humanitaires locaux et internationaux ; des représentants des populations immigrantes ; ainsi que des représentants de la mission des Nations Unies en Côte d’Ivoire et de l’Union européenne.
Human Rights Watch a documenté 15 attaques violentes commises par des gangs armés, dans lesquelles au moins quatre chauffeurs et passagers ont trouvé la mort et au moins 22 personnes ont été blessées. Des témoignages dignes de foi apportés par des résidents de Bouaké ont fourni des précisions sur huit attaques supplémentaires commises aux alentours de cette ville. Toutes les attaques, sauf deux, ont eu lieu en 2014.
Un chauffeur d’autobus âgé de 34 ans a décrit une attaque contre son véhicule en juillet au cours de laquelle il a reçu trois balles, et deux passagers – un greffier de tribunal à la retraite et un enseignant – sont décédés de leurs blessures par balles. « Ils ont tiré dans les pneus et criblé de balles l’avant de l’autobus », a-t-il raconté. « J’ai perdu le contrôle de l’autobus qui est sorti de la route pour finir dans les buissons... Le sang coulait tellement, je me suis écroulé. »
Des témoins et des représentants des autorités locales ont expliqué que le banditisme constitue depuis longtemps un problème dans le Nord, avec une concentration des attaques en 2011 et 2012. Mais les résidents ont tous constaté qu’après une légère amélioration en 2013, la situation a progressivement et considérablement empiré en 2014.
Des victimes, des témoins et des résidents du Nord ont décrit des attaques quasi quotidiennes menées par des groupes allant de 2 à 15 hommes armés de fusils d’assaut Kalachnikov, de pistolets et, dans certains cas, de lance-grenades. Ils ont décrit un schéma récurrent dans lequel des hommes sortaient de la végétation le long de la grande route et tiraient en l’air pour forcer les conducteurs à s’arrêter. Si le chauffeur ne s’arrêtait pas, ils visaient directement le véhicule, ciblant souvent le conducteur lui-même ou criblant le véhicule de balles sans distinction.
Les victimes ont indiqué que les forces de sécurité n’ont généralement pas effectué de patrouilles régulières et adéquates pour empêcher les attaques ou n’ont pas mené d’enquêtes ni traduit en justice les assaillants. Les conducteurs ont expliqué que les longues portions de route sans présence visible des forces de sécurité ont rendu les conducteurs et les voyageurs vulnérables face aux attaques.
Les victimes qui ont signalé des attaques aux forces de sécurité ont indiqué que, dans de nombreux cas, les forces de sécurité n’ont pas enquêté ou ont mené une enquête superficielle après que les victimes ont déposé une plainte auprès de la police. De nombreuses victimes ont cessé de signaler les attaques en raison de l’absence de réponse. Des fonctionnaires de la justice à Bouaké ont indiqué que les tribunaux dans leur juridiction n’ont jugé qu’une poignée d’affaires de vols avec violence jusqu’à présent en 2014.
Des attaques ont été menées à tout moment du jour ou de la nuit, et les criminels sont souvent restés à un même endroit pendant des heures, volant tout voyageur passant par là, tout en menaçant les autres avec leur arme. Des victimes, des témoins et des représentants des autorités locales ont fait part d’une accélération des attaques autour des principales vacances, y compris Noël, le Nouvel An, Pâques et l’Aïd el-Kébir, et les jours de marché, lorsque les voyageurs étaient plus susceptibles d’avoir des cadeaux, de l’argent pour leur famille ou les bénéfices de leur travail.
Des représentants des autorités locales et des membres des forces de sécurité ont indiqué qu’en général, ils manquaient de ressources pour mener des patrouilles adéquates, répondre rapidement aux attaques et enquêter sur les crimes. Un gendarme a expliqué que, souvent, ils ne donnent pas suite aux plaintes parce qu’ils passent la majeure partie de leur temps à patrouiller sur le terrain.
La plupart des victimes et des témoins pensaient que les attaquants étaient d’anciens combattants de l’époque du conflit armé qu’a connu le pays, parce que leurs armes étaient semblables à celles utilisées par les factions armées, parce qu’une formation de type militaire qui caractérisait les attaques, et en raison du nombre élevé d’anciens combattants vivent à Bouaké ou à proximité.
La situation sécuritaire dans le nord de la Côte d’Ivoire est instable depuis qu’une rébellion militaire a divisé le pays en deux en 2002. En 2009, les rebelles connus sous le nom de Forces Nouvelles ont dans une certaine mesure cédé le contrôle du Nord aux autorités civiles. Cependant les commandants rebelles ont continué à exercer un contrôle considérable sur les affaires sécuritaires et judiciaires dans cette région jusqu’à la fin de la crise postélectorale de l’année 2011 et n’étaient pas disposés à prendre des mesures contre les dizaines de milliers d’anciens combattants qui s’étaient battus à leurs côtés. La présence d’un grand nombre d’anciens combattants dans le Nord, qui n’ont toujours pas été désarmés, réintégrés dans la société ou recrutés dans l’armée, compromet la sécurité dans cette région.
Les résidents et les chauffeurs ont décrit un sentiment de traumatisme lié à la violence. Beaucoup ont indiqué qu’ils avaient peur de voyager. Une femme a raconté la terreur qu’elle a ressentie lors d’une attaque sur la grande route entre Bouaké et Korhogo en mars : « Il y a eu une longue fusillade, tout le monde a paniqué et hurlé. Sur le moment, j’ai vraiment pensé à ma fille, je l’avais laissée à la maison le matin même et j’ai cru que je ne la reverrais jamais. Mais c’est quand j’ai vu les hommes dans le bus trembler comme des enfants que j’ai eu vraiment peur. »