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Art et Culture Publié le mercredi 25 février 2015 | Le Sursaut

Négritude: gloire et honte

© Le Sursaut Par Diasporas-News
Aimé Césaire
Avec Aimé Césaire, vient de disparaître la dernière figure emblématique de la Négritude. Courant qui a bouleversé en bien et peut-être en mal la conscience collective des peuples noirs d’Afrique et même de la diaspora.

S’il faut comprendre avec Albert Camus que « l’écrivain est embarqué dans la galère de son temps », alors l’attitude de certains Africains noirs et de la diaspora, qui ont décidé de prendre la plume pour décrier ou dénoncer certaines choses, se justifie. Il s’agit des Antillais Aimé Césaire, Léon Gontran Damas, Guy Tyrolien et des Sénégalais Léopold Sédar Senghor et David Diop.

Si le concept a été forgé par Césaire (Cahier d’un retour au pays natal), le courant littéraire de la négritude sera épousé par tous ces écrivains qui partagent avec lui la douloureuse condition du peuple noir bafoué dans le cadre de l’infâme traite négrière et de la honteuse colonisation.

Oui, tous avaient compris qu’il fallait réagir. Réagir contre le funeste projet colonial d’assimilation culturelle. L’Africain a aussi son identité. C’est pourquoi le penseur français Jean Paul Sartre avait bien complaisamment affirmé que « la négritude était la négation de la négation de l’homme noir ». En effet, l’homme blanc avait nié au Noir sa culture, le ravalant au stade de bête qu’il fallait dresser, à laquelle il fallait inculquer non une façon de penser mais des automatismes comme à un cheval de course ou un chien policier. Pourtant, le Noir est un homme à part entière et son peuple aussi digne que tous les autres peuples qui peuplent la surface de la terre. L’attitude des négritudiens répondait au principe scientifique tel qu’exprimé par Sartre. Moins et moins donnant plus, la négritude ne pouvait être que l’affirmation des valeurs noires.

C’est à juste titre qu’Aimé Césaire la définit comme « la simple reconnaissance du fait d’être noir et l’acceptation de ce fait, de notre destin de Noir, de notre histoire et de notre culture ». Léopold Sédar Senghor ne dit rien d’autre quand il déclare : « C’est l’ensemble des valeurs culturelles du monde noir, telles qu’elles s’expriment dans la vie, les institutions et les œuvres des Noirs ». On pourrait multiplier les définitions de tous ceux qui ont emprunté le chemin de la réflexion qui mène à la négritude. Mais, ce qui est frappant dans tous les écrits de la négritude, c’est la douloureuse histoire du peuple noir traumatisé pour bien des générations encore. On peut donc se poser la question de savoir si la négritude a été pour ce peuple une catharsis ? La nécessaire psychanalyse pour traiter les névroses causées par l’impérialisme occidental ?
Il faut simplement constater que la négritude a beaucoup apporté aux Africains, mais aussi à la civilisation occidentale.

Au plan littéraire

Tout écrit est empreint de sensibilité, ce qui lui confère son originalité et son authenticité. Bien qu’utilisant la langue du colon, c’est-à-dire le français, les négritudiens ont ouvert à cette langue de nouvelles perspectives en l’enrichissant d’une nouvelle façon de penser et en lui octroyant une forêt de néologismes qui ont densifié de façon efficiente sa banque lexicale.

Pour les techniciens de la langue, ce nouveau courant est un réservoir inépuisable. Un vaste champ d’étude pour comprendre les ressorts de la civilisation nègre. Des images et réalités dépeintes découlent un exotisme magnétique pour un peuple blanc las d’une vieille civilisation dont les valeurs se sont gelées dans un cartésianisme froid d’où il y a très longtemps ont foutu le camp la chaleur humaine, le partage, la solidarité et toutes ces autres valeurs qui invitent l’homme à aller vers l’homme. Evidemment, les réalités africaines n’auraient pas pu être parfaitement dépeintes car vouloir traduire une langue, c’est la sectionner, l’altérer, la dénaturer et c’est pourquoi ces écrivains de la négritude avaient du mérite.

Au plan politique

Le projet de la négritude, au départ, n’était pas politique mais a fini par avoir des incidences politiques. En effet, il semble juste de reconnaître que la négritude a influencé la politique de la Françafrique de l’époque. La large diffusion des idées dans le cadre du courant de la négritude a fait comprendre aux Africains qu’ils pouvaient prendre leur destin en main. Nous pouvons donc réfléchir par nous-mêmes et pour nous-mêmes. C’est le début des luttes émancipatrices et politiques pour les indépendances entraînant aussi l’éveil des nationalismes. Organisations syndicales (SAA) ou politiques (RDA) se mettent en place pour penser les stratégies qui peuvent amener la décolonisation. Et surtout les indépendances. Des hommes politiques africains dont un certain Félix Houphouët-Boigny émergent. Ce dernier dirigera la Côte d’Ivoire à partir de 1959. On se souvient de sa célèbre boutade à Senghor : « Senghor cultive les lettres, moi je cultive la terre ». Mais c’était vite dit. Le grammairien sénégalais va quitter le terrain du combat littéraire et culturel pour celui de la politique. Senghor devient président du Sénégal quand Césaire va diriger la municipalité de Basse-pointe et se fera élire député de la Martinique.

Au plan culturel

Si la négritude, en tant que mouvement culturel, n’avait pas existé, il aurait fallu l’inventer. Elle a pris sur elle toutes les humiliations, les frustrations et les meurtrissures physiques et morales que l’Afrique et sa diaspora ont connues. Et restituer au peuple noir sa dignité. Cela passe dans le combat de son affirmation. L’affirmation de sa réalité, de ses valeurs, de ses us et coutumes, de ses mythes et croyances. En cela, elle a permis de décomplexer le Noir qui avait fini par croire qu’il était sous-homme face à une suprématie blanche. Le mérite et la gloire reviennent aux négritudiens issus de l’oralité qui ont su utiliser, face aux Blancs leurs propres armes, l’écriture.

Négritude et avilissement du nègre

Les eaux purificatrices de la négritude avaient charrié les immondices de l’impérialisme occidental aux senteurs pestilentielles qui ont asphyxié, pendant des siècles d’infamies, le peuple noir. Comme la pluie qu’on attend et qui finit par tomber sur les champs devant notre satisfaction mais qui ne s’arrête plus et qui finit par faire des crevasses et des érosions dans la plantation au risque de détruire les semences, la négritude semble avoir laissé des lésions béantes dans la conscience nègre. En effet, l’Afrique a souffert. Elle a connu la déportation. Elle a perdu autour de 30 millions de ses enfants les plus valides dans l’esclavage et la traite négrière. Elle a subi les affres de la colonisation. Il fallait donc que des courants comme la négritude s’insurgent contre cela.

Mais, la dénonciation permanente de cet état de fait a fini par installer chez l’Africain un certain attentisme. Pour avoir été un peuple exploité, l’Afrique est en droit de recevoir tout de tous. Un droit, c’est-à-dire aussi une exigence. Il faut donner à l’Afrique parce qu’elle a vécu cela. Et l’Afrique est devenue ce mendiant, pourtant nanti de toutes ses facultés physiques et mentales, qu’on trouve à tous les coins de rue. La politique de la victimisation rend nos efforts vers le progrès stériles. Est-ce que demander l’aumône parce que nous avons été exploités est si honorable pour ce peuple qui se dit digne ? On se bat aujourd’hui pour réclamer les sempiternels dédommagements. Que diraient alors d’autres peuples ? Que dirait alors la Corée au Japon, elle qui, en 1910 a été annexée par le Japon et qui a subi les affres de la domination et de l’exploitation. Que dirait aussi le peuple juif ? Peuple dont l’histoire a été tourmentée par la souffrance et écrite dans le sang. En captivité pendant 400 ans en Egypte sous l’ère des pharaons, ce peuple qu’on dit pourtant élu de Dieu, a connu l’esclavage, l’humiliation et toutes sortes de sévices de la part d’inventifs tortionnaires. Même quand Dieu a décidé de le sortir d’Egypte, ce peuple a encore erré pendant 40 ans dans le désert. Il ne faut pas oublier Jérusalem détruite par les Babyloniens avec 70 ans en déportation sous le règne de Nabuchodonosor. Faut-il rappeler la domination romaine ? Ou plus récemment le gouvernement du troisième Reich ? Adolphe Hitler, le Furher, dans sa sinistre croisade épuratrice de la race aryenne avait exterminé près de 6 millions de Juifs dans des camps comme Treblinka ou encore Auschwitz. Faut-il rappeler aussi ce qu’il convient de nommer comme le génocide amérindien ? Quand Christophe Colomb découvrait les Amériques alors qu’il se croyait au pays d’Aladin, les Indiens étaient estimés à plusieurs millions d’habitants. Mais les premiers colons débarquant à partir XVIème siècle ont mené une répression sanglante contre ces autochtones dans le cadre de la conquête des espaces vitaux. C’est l’exemple du massacre Wounded Knee en 1890 où 400 Sioux ont été massacrés y compris femmes et enfants. De sorte qu’au début du 20 ème siècle, il ne restait d’Indiens qu’environ 200.000 personnes parquées comme des bêtes dans des réserves un peu partout comme l’Oklahoma ou l’Arizona. Même, si aujourd’hui, ils ont pu acquérir la citoyenneté américaine, il faut reconnaître que le traumatisme est grand. Bien d’autres peuples ont connu aussi des difficultés. Et, évidemment ces peuples les ont dénoncés à travers des mouvements, associations et écrits.

Mais, de tous, le peuple africain est le plus bruyant. Certainement qu’on croit être les seuls à avoir connu ce genre de situation. Certainement l’exploitation de l’homme par l’homme est le crime le plus odieux, mais il faut sortir du schéma sclérosant de la victimisation pour se poser en tant que valeur productive. Que celui qui a des oreilles entend ce que l’esprit dit à la négraille, aux négrites et autres negrillons.

Constant Guei
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