Jamais un art n’a eu autant d’impact sur la population africaine que le cinéma. Le septième art que Sembène Ousmane appelait l’école du soir a été pour beaucoup dans l’introduction du modernisme au sein des masses populaires qu’il enseignait dans tous les domaines. Le cinéma devenait la concrétisation imagée de l’oralité. Le cinéma sera, à n’en point douter, l’art qui va éloigner les Africains de la lecture, du livre. Si le livre, la lecture, ont été le tremplin du développement en Occident et même de la démocratie, les pays africains vont sauter des siècles pour se trouver dans la culture du cinéma. Du visuel. Déjà que les détenteurs du savoir n’avaient rien écrit de leur connaissance pour les générations à venir. Les gens ne mouraient pas, en Afrique, comme des mouches de maladies plus ou moins graves. Aujourd’hui encore des médicaments efficaces restent confidentiels. J’en veux pour preuve, des feuilles bouillies avec du citron et bu avec du miel qui donnent d’excellents résultats en matière de toux. Sans le cinéma, le destin africain aurait-il changé ? L’Afrique est-elle vraiment bien rentrée dans l’histoire ? L’oralité a fait des Africains, des gens qui aiment beaucoup parler, discuter et surtout condamner. Le refus de comprendre toute attaque ou du moins toute critique vis-à-vis de l’Afrique est préjudiciable à son développement. Que de belles envolées lyriques restées dans les mémoires sans être transcrites ! Que de propos de nos rois et empereurs qui auraient pu apporter plus aux dirigeants actuels dans l’art de commander. Aujourd’hui encore un Président vient et repart dans rien écrire comme s’il vivait dans l’Afrique d’autrefois, celle qui n’avait pas eu de contact avec le monde occidental, cette Afrique sans écriture ou l’Afrique ou une Afrique qui en faisait un secret, de l’ésotérisme, un mystère. L’image a pris un grand pas sur l’imagination des Africains. La presque disparition des salles de cinéma dans les pays africains n’est pas du tout une chose incompréhensible. Une autre image a succédé au grand écran. Le cinéma est désormais dans les foyers. On le trouve dans le salon, dans les chambres à coucher, dans la cuisine. Que de films, beaucoup de navets, en longueur de journée. Une vraie aubaine pour les chômeurs de toute catégorie et des ménagères qui vont donner une pédagogie de la vie aux petits enfants. Plus possible de limiter les programmes de télévision pour donner des heures de réflexions aux individus, à la conversation dans les foyers. De son salon on peut capter d’autres et même plus d’une centaine de chaines provenant de plusieurs pays. D’ailleurs le capitalisme triomphant s’y opposera. Les séries, les longs métrages, diffusent une idéologie et permet surtout de vendre les produits made in Occident. Le marché est la loi. Tout est bon pour faire vendre à des consommateurs, des téléspectateurs sans discernement. Les séries africaines qui obtiennent des financements concernent tout ce qui fait rire. Les sujets qui poussent à la réflexion sur l’identité et le destin de l’Afrique sont regardés avec méfiance. Cet après-midi, les résultats seront donnés à Ouagadougou. Déjà que ce n’est pas aussi l’engouement pour le grand public dans cette ville par rapport à d’autres salons comme le textile. Combien de pays africains verront-ils les films choisis par le jury à fortiori les autres films ? Même dans ce domaine tout reste ésotérique. A part un ou deux films, aucune production négro-africaine n’a rencontré un grand succès sur les écrans occidentaux malgré l’acharnement de ces réalisateurs à se faire apprécier par leurs maitres du nord. Il est temps de bâtir une autre conception du cinéma africain en sortant des schémas habituels tracés par les Occidentaux. Avec le numérique on verra de plus en plus de films africains. Qui va les regarder ? Si on en fait des vidéos comment échapper au piratage ? Le Nigeria compte sur sa nombreuse population. Les télévisions africaines peuvent-elles trouver la solution sans faire perdre les réalisateurs et les producteurs ? Le film déclaré vainqueur à Ouaga, cet après-midi, sera-t-il vu à Niamey, à Cotonou, à Bangui ? Dans quelles villes de Côte d’Ivoire sera-t-il projeté ? Il n’y a plus de salle sauf dans les foyers en face de la télévision qui est plus qu’un retour à la société de l’oralité. Il ne reste plus qu’à faire des projections publiques, donc gratuites, pour sauver le septième art africain. Dans ce cas, faire appel à des sponsors qui vont accompagner ces diffusions en présentant sous toutes les formes, leurs produits, pour les faire connaitre et les vendre. Et là c’est une autre affaire. Les grands groupes industriels dédaignent la culture. Ils préfèrent de loin le football, l’opium du peuple. Alors le gouvernement ! Il n’a jamais d’argent et en plus tout le monde tend la main vers lui comme des mendiants. Triste destin que le cinéma africain. Ainsi va l’Afrique. A la semaine prochaine.
Art et Culture Publié le samedi 7 mars 2015 | L’intelligent d’Abidjan