«Encore vous ! On ne vous voit que lorsqu’il se met à pleuvoir ». Les mains sur les hanches, la moue désagréable, cette habitante d’Abobo Clouetcha nous observe comme on aurait regardé un oiseau de mauvais augure. Son domicile, qui fait face à un bassin d’orage, garde encore les marques des dernières inondations. Lorsque les pluies montent en intensité, le bassin déborde et c’est la panique dans les maisons. Les autres habitations qui se trouvent sur le même alignement n’échappent pas à la crue d’eau. « Tous les ans, vous venez faire des reportages ici, mais ça ne change pas», ajoute notre interlocutrice avec amertume. Les autorités ont essayé de creuser une voie qui relie le bassin d’orage au caniveau qui longe la route d’Alepé. Mais l’ouvrage, assez rudimentaire, n’a pas empêché les inondations. En 2008, une femme très âgée s’est noyée dans sa maison à cet endroit. L’appel du plan Orsec (ndlr, Organisation des secours), pour que les populations quittent leurs maisons semble tombé dans des oreilles de sourds. Toujours la même excuse : « Nous n’avons nulle part où aller». Avec le nombre de décès recensés l’an dernier dans les quartiers précaires, le préfet d’Abidjan Diakité Sidiki, coordinateur du plan Orsec, a décidé de passer au plan B. Depuis quelques mois déjà, plusieurs logis qui environnent le bassin ont été démolies. Mais les principales habitations qui bordent cette zone sont encore débout. C’est dans l’une d’elle que se trouve notre interlocutrice. Sur les murs, on peut lire les inscriptions AD (ndlr, A Détruire) du plan Orsec. Comme réponse, les habitants ont essayé d’effacer les mots gravés avec un marqueur. Le signe qu’ils n’ont pas l’intention de quitter les lieux. C’est le même sentiment qui anime les habitants d’Anyama « Ran-extension 2 ». Là aussi, des dizaines de familles logent quasiment au milieu d’un bassin d’orage. Convaincus qu’il faut des canalisations pour évacuer l’eau, les populations n’ont pas l’intention d’abandonner leurs domiciles. Pourtant, depuis des années, elles vivent avec l’angoisse des inondations. L’année dernière, par exemple, des biens de familles aux valeurs souvent inestimables, ont été ravagés par l’eau. Au moment où des millions d’Abidjanais dormaient tranquillement dans leurs lits pendant les fortes averses, à Anyama « Ran-extension 2 », certains nageaient pour sortir de leurs domiciles inondés. Pendant que d’autres buvaient carrément la tasse. Malgré tous ces déboires, rien n’a été fait pour éviter les mêmes situations cette année. Les fameuses canalisations souhaitées par la population sont restées au stade de prières. Et les familles occupent toujours les mêmes maisons. A la Riviera Bonoumin, on est confronté aux mêmes difficultés. Installés au large d’un énorme bas-fond qui traverse le quartier, les résidents assistent chaque année à une crue d’eau qui envahit leurs splendides duplex. Impuissants, beaucoup ont fini par abandonner leurs maisons encore en chantier. Pour les habitants qui font face au bas-fond, les travaux de l’Office national de l’assainissement et du drainage (Onad) sont l’unique espoir. L’Onad veut éviter les débordements du bas-fond en érigeant des ouvrages. Mais visiblement, ce ne sera pas pour cette saison. Tout comme à Abobo Clouetcha, l’énormité des travaux nécessite de grands moyens. Dans le N°004 de l’« Urbanistique », le mensuel du ministère de la Construction, du logement, de l’assainissement et de l’urbanisme, Tapé Zékré abordait la question avec beaucoup d’assurance. « (…) Le ministère a déjà soumis un plan d’urgence des travaux au gouvernement. En attendant la fin de l’étude d’actualisation du schéma directeur d’assainissement de la ville, le ministère a inventorié les travaux à réaliser pour parer la saison des pluies. Les besoins en matière d’assainissement de la ville sont énormes. Ce plan s’attaque aux travaux d’urgence à réaliser avant la pluie », indiquait l’expert en assainissement et conseiller technique du ministre de la Construction. Avant d’indiquer plus loin que les investissements en assainissement sont très lourds et ne sont pas visibles. Du côté du plan Orsec, on compte retourner à Abobo-Clouétcha pour achever la démolition des maisons qui côtoient le bassin d’orage.
Raphaël Tanoh
Raphaël Tanoh