INTRODUCTION
Généralement traduite par «la voix du peuple est celle de Dieu», l’expression «vox populi vox dei» soulignerait l'importance de l'avis du peuple dans le régime démocratique et dans certaines religions. Ainsi, appliquée dans le secteur des medias, cette assertion met en relief le poids de l’opinion du peuple qui, à son tour, pourrait être soutenue par Dieu.
Néanmoins, le concept de « vox populi vox dei » pourrait avoir des limites si nous nous référons au penseur et moine Alcuin qui, dans son adresse à Charlemagne, en l’an 798, a dit «vox populi populus stupidus» ; c’est-à-dire, en substance, que «la nature turbulente de la foule est toujours très proche de la folie».
Alcuin voulait ainsi attirer l’attention du Souverain sur le fait qu’au lieu d’écouter le peuple, il devrait plutôt se méfier de la voix de ce dernier.
Face aux constats de nombreux cas d’incitation à la violence et à la haine en Afrique, il est impérieux de s’interroger sur l’identité réelle des propriétaires ou promoteurs des organes de presse. D’où l’intérêt du thème de ce panel : « Vox populi vox dei : au nom de qui les médias africains parlent-ils ? ».
Dans l’optique de mieux cerner notre approche, nous circonscrirons notre analyse autour du cas spécifique de la Côte d’Ivoire.
DEVELOPPEMENT
Les médias nationaux contribuent au développement du pays. Pour mieux comprendre cela, nous ferons une rétrospective qui s’appréciera sur deux (02) périodes durant lesquelles les médias se sont exprimés en faveur du développement de la nation ivoirienne:
- De l’indépendance en 1960 au multipartisme en 1990 ;
- De l’ouverture de l’espace médiatique en 1990 à ce jour.
A- Médias d’Etat : Instruments de développement
À l’indépendance, le gouvernement ivoirien a eu pour soucis de doter notre pays de médias nationaux. Un quotidien national, dénommé « Fraternité Matin », est alors né sur les cendres de « Abidjan Matin » et une Télévision Nationale a été portée sur les fonts baptismaux en plus de la Radio Nationale qui existait déjà.
La mission de ces médias, s’inscrivant dans le cadre de la politique, du développement et de l’unité nationale, était sans ambiguïté.
Les agents de la presse nationale étaient considérés et appelés « agents de développement », à l’instar des fonctionnaires et de tous les autres travailleurs.
A la Radio, à la Télévision et dans le quotidien Fraternité Matin, des services spéciaux avaient été créés pour produire et animer des émissions et magazines spécifiques, consacrés à l’agriculture ; secteur sur lequel repose encore le développement de notre pays.
A titre d’exemple, la coupe nationale du progrès fut une célèbre émission-compétition des années 70-90, produite à l’intention de la population paysanne, majoritairement analphabète.
Ce programme permettait à ceux-ci de s’informer, de s’instruire et de mieux assimiler les nouvelles techniques agricoles à travers de larges plages horaires en langues nationales.
Ainsi donc, si notre pays battait des records dans le domaine agricole, nous pouvons affirmer que les médias y ont pris une part active.
De nos jours encore, les médias d’Etat continuent de consacrer des émissions et des éditions spéciales à l’agriculture, à la promotion de l’investissement dans notre pays et à la mise en valeur de ses nombreux atouts.
Au plan moral et culturel, les médias ont permis aux populations de mieux connaître leur histoire à travers des émissions et des documentaires telle que l’émission intitulée « connais-tu mon beau pays ? », de Radio Côte d’Ivoire.
Ainsi, des émissions comme « Mensonge d’un soir » et « Faut pas fâcher », de la RTI, ou encore « Zapping » de Radio Nostalgie, visent l’atteinte des objectifs de construction morale et culturelle de l’africain en général, et de l’ivoirien en particulier.
Cependant, le monopole exercé par l’Etat sur les médias a connu ses limites. Il a constitué un frein à la libre expression et à la pluralité des opinions, privant les citoyens d’idées et d’opinions contraires toutes aussi fécondes. Ce qui, indéniablement, a conduit à réduire la portée de leur efficacité.
B- Cible des médias ivoiriens
Selon la dernière étude menée par Friedrich Ebert Stiftung, en Côte d’Ivoire, en 2012, les radios et chaines de télévision publiques présentent une programmation ethnique, linguistique, religieuse, politique et sociale variée aux couleurs de la diversité nationale ivoirienne. Depuis leur explosion dans les années 90, les radios communautaires et de proximité ont réellement participé à l’équilibre de cette hétérogénéité.
Leurs émissions offrent une représentation sinon exhaustive au moins proche de la variété régionale ivoirienne. Elles sont généralement émises en langues locales et traitent des sujets de la communauté.
Cependant, cette étude révèle un déséquilibre croissant entre l’absence de presse écrite régionale et la prédominance des journaux des communautés urbaines.
Les médias couvrent tous les évènements, sujets et cultures, y compris les questions économiques, culturelles, locales, et les sujets d’investigations.
De l’avis général, chaque citoyen peut se retrouver dans le spectre de la presse et de l’audiovisuel. Les journaux spécialisés ivoiriens (économie, faits divers, sports) ne cessent de se multiplier.
En ce qui concerne la bonne gouvernance, de façon générale, l’existence d’une presse, d’une radio et d’une télévision plurielles en Afrique comme ailleurs, est régulatrice du système de gestion saine et assure, par la qualité et la diversité des contenus, un développement certain.
Dans ce sens, en Côte d’Ivoire, les médias aident l’Etat à se bâtir ; ils essayent d’informer les populations sur les exigences de la démocratie, notamment en matière électorale. De même qu’ils tentent d’expliquer les notions liées au développement.
Non seulement le gouvernement ivoirien veut assurer le droit à l’information pour tous, mais il entend aussi permettre aux médias d’avoir accès à toutes les informations. Ainsi, le Ministère de la Communication a mis en place la Commission d’Accès à l’Information d’Intérêt Public et aux Documents Publics ; en abrégé, CAIDP.
La tutelle encourage également les entreprises de presse privée à payer leurs journalistes selon la grille de la convention collective signée en 2014 avec les syndicats.
Dès lors, les dirigeants politiques ou d’entreprises ne pourront plus désormais se dérober devant la presse. Somme toute, tout est mis en œuvre par les pouvoirs publics pour aider les médias à offrir des programmes de qualité à la population.
En Côte d’Ivoire, l’ouverture de la scène politique et de l’espace médiatique en 1990 a permis à la presse nationale de s’enrichir de plusieurs titres privés.
Par ses critiques et observations, ils attirent l’attention des autorités sur des dysfonctionnements, les mesures et les actes qui pourraient entraver le développement du pays.
Ceci a été rendu possible grâce au fait que l’Etat ivoirien s’est inscrit volontairement dans la logique du respect du principe fondamental du respect de la liberté de la presse ; toute chose qui favorise le développement des médias dans l’intérêt du pays.
Par ailleurs, malgré quelques problèmes liés au coût et à l’accès à Internet, la presse électronique fait une percée importante en Côte d’Ivoire, où la remontée récente dans le classement de Reporters Sans Frontières des pays respectant la liberté de la presse est un témoignage éloquent.
Néanmoins, fort est de constater que les médias privés font la part belle à la politique, accordant peu de place et d’intérêt aux questions de développement.
Dans les publications affiliées plus directement à la politique, les journalistes sont partisans avant d’être journalistes ; et l’obédience politique règne. L'ancien ministre Ibrahim Sy Savané relevait déjà en 1996 que les hommes politiques détenaient de manière occulte la plupart des journaux ; limitant d’emblée l’indépendance éditoriale.
Ainsi, les propriétaires des médias privés ont souvent une influence directe sur le contenu éditorial. Ils contrôlent l’aspect politique et économique de leur produit, même s’ils se dédouanent généralement de cet état de fait.
Un autre constat est qu'il existe très peu d’entreprises de presse dignes de ce nom. La plupart d’entre elles ont été suscitées ou créées par des partis politiques ou des promoteurs ayant des ambitions politiques.
Par conséquent, elles ne fonctionnent pas comme des entreprises normales, respectant les procédures comptables, avec des entrées et des sorties justifiées d'argent. La majorité de leurs travailleurs n’est pas payée régulièrement, contrairement à l’accord relatif à l’application de la convention collective signée par les patrons de presse, sous l’autorité du Ministère de la Communication.
Comme preuve, le premier bilan dressé récemment (jeudi 14 mai 2015) par le Conseil National de la Presse (CNP) montre que seule 25% des entreprises sur plus d'une centaine est effectivement en règle.
Ce qui suppose que des journalistes continuent d’être mal rémunérés ; les rendant ainsi vulnérables face à des personnalités politiques peu scrupuleuses pour lesquelles ils écrivent essentiellement, en échange de quelques billets de banque.
Le plus alarmant est que ces professionnels ne bénéficient ni de la sécurité sociale, ni de bonnes conditions de travail.
Il en a résulté le constat flagrant et désolant que le contenu des médias porte plus sur la politique et le divertissement que sur les questions de développement.
Une interrogation découlant de ce qui précède, est de savoir si les partis politiques représentent effectivement la voix du peuple.
La plupart des violations des critères d’exactitude et d’impartialité est liée à l’influence politique.
Une étude menée par l’OLPED pendant les élections entre le 15 octobre et le 30 novembre 2010 a recensé 159 cas d’incitation à la violence dont 127 cas de manipulation.
La classification finale de cette étude a placé Fraternité Matin en tête des journaux les plus impartiaux de Côte d’Ivoire.
Ces résultats sont d’ailleurs corroborés par une étude récente réalisée en mars 2015 par la Direction de la Communication et du Développement des Médias du Ministère de la Communication relativement aux meilleurs médias ayant contribué à la Paix.
Les mensonges et l’usage de faux, constituent un autre phénomène de manipulation dans certains médias. Par exemple, sur le premier trimestre de 2012, Soir Info aurait publié 80% de cas de fiction (rumeur ou mensonge) !
Il arrive aussi parfois qu’un journal publie une actualité qu’il anti date.
Selon l’étude susmentionnée de Friedrich Ebert Stiftung (2012), le peuple n’a pas vraiment confiance en ses médias. A titre d’illustration, il en ressort qu’entre 2001 et 2005, il y a eu une chute de huit millions (8.000.000) d’exemplaires dans les ventes des journaux.
Par expérience, nous pouvons dire que très peu de militants cotisent pour faire vivre leurs partis politiques.
La possession d'une carte de militant et la preuve du versement régulier des cotisations n'est généralement exigée qu'aux candidats à des postes électifs au nom du parti.
Alors, même si des médias écrivaient des articles pour défendre la ligne politique de leurs mentors, en quoi leurs écrits et propos reflèteraient-ils ceux du peuple ?
En critiquant souvent maladroitement, les commanditaires des titres jouent négativement leur rôle de contre-pouvoir. De ce point de vue, certains médias ivoiriens tentent de se faire l'écho de la voix du peuple. Mais les sanctions du CNP infligées chaque année contre des titres montrent que ceux-ci ne reflètent pas véritablement la voix du peuple.
Néanmoins, la même étude de Friedrich Ebert Stiftung (2012) précise que depuis la dernière crise électorale, une nouvelle génération de lecteurs se tourne vers des journaux moins politisés ; mais cette volonté nouvelle minoritaire a du mal à se concrétiser sur le marché.
CONCLUSION
Si l’on peut certes décanter en faveur de « vox populi, vox dei », il n’en demeure pas moins que l’on devra faire preuve de bon sens pour faire la différence entre cette dernière assertion « Vox populi, populus stupidus » afin de mieux cerner le sens véritable de ce qu’est la communication du peuple, par le peuple.
Les médias africains doivent s’escrimer à défendre la veuve et l'orphelin. Mais hélas ! Ils ne ressemblent presque plus à la voix des sans voix. Les médias africains sont loin de ce que l’on attend d’eux ou du moins de ce que la voix du peuple attend. Malgré les séminaires de formation des journalistes pour une presse impartiale et juste, l’on voit toujours cette presse manipulée et corrompue.
La presse privée s’érige en gendarme de la bonne gouvernance en critiquant les actions du gouvernement, de façon peu ou prou objective. Toutefois, le constat est qu'il existe très peu d’entreprises de presse dignes de ce nom. Selon des récentes données statistiques du CNP, seulement une vingtaine des entreprises de presse respectent la convention collective.
La plupart des médias privés ont été suscités par des partis politiques ou par des promoteurs mus par des ambitions politiques.
Me Affoussiatta BAMBA-LAMINE
Ministre de la Communication
Porte-Parole Adjointe du Gouvernement
Généralement traduite par «la voix du peuple est celle de Dieu», l’expression «vox populi vox dei» soulignerait l'importance de l'avis du peuple dans le régime démocratique et dans certaines religions. Ainsi, appliquée dans le secteur des medias, cette assertion met en relief le poids de l’opinion du peuple qui, à son tour, pourrait être soutenue par Dieu.
Néanmoins, le concept de « vox populi vox dei » pourrait avoir des limites si nous nous référons au penseur et moine Alcuin qui, dans son adresse à Charlemagne, en l’an 798, a dit «vox populi populus stupidus» ; c’est-à-dire, en substance, que «la nature turbulente de la foule est toujours très proche de la folie».
Alcuin voulait ainsi attirer l’attention du Souverain sur le fait qu’au lieu d’écouter le peuple, il devrait plutôt se méfier de la voix de ce dernier.
Face aux constats de nombreux cas d’incitation à la violence et à la haine en Afrique, il est impérieux de s’interroger sur l’identité réelle des propriétaires ou promoteurs des organes de presse. D’où l’intérêt du thème de ce panel : « Vox populi vox dei : au nom de qui les médias africains parlent-ils ? ».
Dans l’optique de mieux cerner notre approche, nous circonscrirons notre analyse autour du cas spécifique de la Côte d’Ivoire.
DEVELOPPEMENT
Les médias nationaux contribuent au développement du pays. Pour mieux comprendre cela, nous ferons une rétrospective qui s’appréciera sur deux (02) périodes durant lesquelles les médias se sont exprimés en faveur du développement de la nation ivoirienne:
- De l’indépendance en 1960 au multipartisme en 1990 ;
- De l’ouverture de l’espace médiatique en 1990 à ce jour.
A- Médias d’Etat : Instruments de développement
À l’indépendance, le gouvernement ivoirien a eu pour soucis de doter notre pays de médias nationaux. Un quotidien national, dénommé « Fraternité Matin », est alors né sur les cendres de « Abidjan Matin » et une Télévision Nationale a été portée sur les fonts baptismaux en plus de la Radio Nationale qui existait déjà.
La mission de ces médias, s’inscrivant dans le cadre de la politique, du développement et de l’unité nationale, était sans ambiguïté.
Les agents de la presse nationale étaient considérés et appelés « agents de développement », à l’instar des fonctionnaires et de tous les autres travailleurs.
A la Radio, à la Télévision et dans le quotidien Fraternité Matin, des services spéciaux avaient été créés pour produire et animer des émissions et magazines spécifiques, consacrés à l’agriculture ; secteur sur lequel repose encore le développement de notre pays.
A titre d’exemple, la coupe nationale du progrès fut une célèbre émission-compétition des années 70-90, produite à l’intention de la population paysanne, majoritairement analphabète.
Ce programme permettait à ceux-ci de s’informer, de s’instruire et de mieux assimiler les nouvelles techniques agricoles à travers de larges plages horaires en langues nationales.
Ainsi donc, si notre pays battait des records dans le domaine agricole, nous pouvons affirmer que les médias y ont pris une part active.
De nos jours encore, les médias d’Etat continuent de consacrer des émissions et des éditions spéciales à l’agriculture, à la promotion de l’investissement dans notre pays et à la mise en valeur de ses nombreux atouts.
Au plan moral et culturel, les médias ont permis aux populations de mieux connaître leur histoire à travers des émissions et des documentaires telle que l’émission intitulée « connais-tu mon beau pays ? », de Radio Côte d’Ivoire.
Ainsi, des émissions comme « Mensonge d’un soir » et « Faut pas fâcher », de la RTI, ou encore « Zapping » de Radio Nostalgie, visent l’atteinte des objectifs de construction morale et culturelle de l’africain en général, et de l’ivoirien en particulier.
Cependant, le monopole exercé par l’Etat sur les médias a connu ses limites. Il a constitué un frein à la libre expression et à la pluralité des opinions, privant les citoyens d’idées et d’opinions contraires toutes aussi fécondes. Ce qui, indéniablement, a conduit à réduire la portée de leur efficacité.
B- Cible des médias ivoiriens
Selon la dernière étude menée par Friedrich Ebert Stiftung, en Côte d’Ivoire, en 2012, les radios et chaines de télévision publiques présentent une programmation ethnique, linguistique, religieuse, politique et sociale variée aux couleurs de la diversité nationale ivoirienne. Depuis leur explosion dans les années 90, les radios communautaires et de proximité ont réellement participé à l’équilibre de cette hétérogénéité.
Leurs émissions offrent une représentation sinon exhaustive au moins proche de la variété régionale ivoirienne. Elles sont généralement émises en langues locales et traitent des sujets de la communauté.
Cependant, cette étude révèle un déséquilibre croissant entre l’absence de presse écrite régionale et la prédominance des journaux des communautés urbaines.
Les médias couvrent tous les évènements, sujets et cultures, y compris les questions économiques, culturelles, locales, et les sujets d’investigations.
De l’avis général, chaque citoyen peut se retrouver dans le spectre de la presse et de l’audiovisuel. Les journaux spécialisés ivoiriens (économie, faits divers, sports) ne cessent de se multiplier.
En ce qui concerne la bonne gouvernance, de façon générale, l’existence d’une presse, d’une radio et d’une télévision plurielles en Afrique comme ailleurs, est régulatrice du système de gestion saine et assure, par la qualité et la diversité des contenus, un développement certain.
Dans ce sens, en Côte d’Ivoire, les médias aident l’Etat à se bâtir ; ils essayent d’informer les populations sur les exigences de la démocratie, notamment en matière électorale. De même qu’ils tentent d’expliquer les notions liées au développement.
Non seulement le gouvernement ivoirien veut assurer le droit à l’information pour tous, mais il entend aussi permettre aux médias d’avoir accès à toutes les informations. Ainsi, le Ministère de la Communication a mis en place la Commission d’Accès à l’Information d’Intérêt Public et aux Documents Publics ; en abrégé, CAIDP.
La tutelle encourage également les entreprises de presse privée à payer leurs journalistes selon la grille de la convention collective signée en 2014 avec les syndicats.
Dès lors, les dirigeants politiques ou d’entreprises ne pourront plus désormais se dérober devant la presse. Somme toute, tout est mis en œuvre par les pouvoirs publics pour aider les médias à offrir des programmes de qualité à la population.
En Côte d’Ivoire, l’ouverture de la scène politique et de l’espace médiatique en 1990 a permis à la presse nationale de s’enrichir de plusieurs titres privés.
Par ses critiques et observations, ils attirent l’attention des autorités sur des dysfonctionnements, les mesures et les actes qui pourraient entraver le développement du pays.
Ceci a été rendu possible grâce au fait que l’Etat ivoirien s’est inscrit volontairement dans la logique du respect du principe fondamental du respect de la liberté de la presse ; toute chose qui favorise le développement des médias dans l’intérêt du pays.
Par ailleurs, malgré quelques problèmes liés au coût et à l’accès à Internet, la presse électronique fait une percée importante en Côte d’Ivoire, où la remontée récente dans le classement de Reporters Sans Frontières des pays respectant la liberté de la presse est un témoignage éloquent.
Néanmoins, fort est de constater que les médias privés font la part belle à la politique, accordant peu de place et d’intérêt aux questions de développement.
Dans les publications affiliées plus directement à la politique, les journalistes sont partisans avant d’être journalistes ; et l’obédience politique règne. L'ancien ministre Ibrahim Sy Savané relevait déjà en 1996 que les hommes politiques détenaient de manière occulte la plupart des journaux ; limitant d’emblée l’indépendance éditoriale.
Ainsi, les propriétaires des médias privés ont souvent une influence directe sur le contenu éditorial. Ils contrôlent l’aspect politique et économique de leur produit, même s’ils se dédouanent généralement de cet état de fait.
Un autre constat est qu'il existe très peu d’entreprises de presse dignes de ce nom. La plupart d’entre elles ont été suscitées ou créées par des partis politiques ou des promoteurs ayant des ambitions politiques.
Par conséquent, elles ne fonctionnent pas comme des entreprises normales, respectant les procédures comptables, avec des entrées et des sorties justifiées d'argent. La majorité de leurs travailleurs n’est pas payée régulièrement, contrairement à l’accord relatif à l’application de la convention collective signée par les patrons de presse, sous l’autorité du Ministère de la Communication.
Comme preuve, le premier bilan dressé récemment (jeudi 14 mai 2015) par le Conseil National de la Presse (CNP) montre que seule 25% des entreprises sur plus d'une centaine est effectivement en règle.
Ce qui suppose que des journalistes continuent d’être mal rémunérés ; les rendant ainsi vulnérables face à des personnalités politiques peu scrupuleuses pour lesquelles ils écrivent essentiellement, en échange de quelques billets de banque.
Le plus alarmant est que ces professionnels ne bénéficient ni de la sécurité sociale, ni de bonnes conditions de travail.
Il en a résulté le constat flagrant et désolant que le contenu des médias porte plus sur la politique et le divertissement que sur les questions de développement.
Une interrogation découlant de ce qui précède, est de savoir si les partis politiques représentent effectivement la voix du peuple.
La plupart des violations des critères d’exactitude et d’impartialité est liée à l’influence politique.
Une étude menée par l’OLPED pendant les élections entre le 15 octobre et le 30 novembre 2010 a recensé 159 cas d’incitation à la violence dont 127 cas de manipulation.
La classification finale de cette étude a placé Fraternité Matin en tête des journaux les plus impartiaux de Côte d’Ivoire.
Ces résultats sont d’ailleurs corroborés par une étude récente réalisée en mars 2015 par la Direction de la Communication et du Développement des Médias du Ministère de la Communication relativement aux meilleurs médias ayant contribué à la Paix.
Les mensonges et l’usage de faux, constituent un autre phénomène de manipulation dans certains médias. Par exemple, sur le premier trimestre de 2012, Soir Info aurait publié 80% de cas de fiction (rumeur ou mensonge) !
Il arrive aussi parfois qu’un journal publie une actualité qu’il anti date.
Selon l’étude susmentionnée de Friedrich Ebert Stiftung (2012), le peuple n’a pas vraiment confiance en ses médias. A titre d’illustration, il en ressort qu’entre 2001 et 2005, il y a eu une chute de huit millions (8.000.000) d’exemplaires dans les ventes des journaux.
Par expérience, nous pouvons dire que très peu de militants cotisent pour faire vivre leurs partis politiques.
La possession d'une carte de militant et la preuve du versement régulier des cotisations n'est généralement exigée qu'aux candidats à des postes électifs au nom du parti.
Alors, même si des médias écrivaient des articles pour défendre la ligne politique de leurs mentors, en quoi leurs écrits et propos reflèteraient-ils ceux du peuple ?
En critiquant souvent maladroitement, les commanditaires des titres jouent négativement leur rôle de contre-pouvoir. De ce point de vue, certains médias ivoiriens tentent de se faire l'écho de la voix du peuple. Mais les sanctions du CNP infligées chaque année contre des titres montrent que ceux-ci ne reflètent pas véritablement la voix du peuple.
Néanmoins, la même étude de Friedrich Ebert Stiftung (2012) précise que depuis la dernière crise électorale, une nouvelle génération de lecteurs se tourne vers des journaux moins politisés ; mais cette volonté nouvelle minoritaire a du mal à se concrétiser sur le marché.
CONCLUSION
Si l’on peut certes décanter en faveur de « vox populi, vox dei », il n’en demeure pas moins que l’on devra faire preuve de bon sens pour faire la différence entre cette dernière assertion « Vox populi, populus stupidus » afin de mieux cerner le sens véritable de ce qu’est la communication du peuple, par le peuple.
Les médias africains doivent s’escrimer à défendre la veuve et l'orphelin. Mais hélas ! Ils ne ressemblent presque plus à la voix des sans voix. Les médias africains sont loin de ce que l’on attend d’eux ou du moins de ce que la voix du peuple attend. Malgré les séminaires de formation des journalistes pour une presse impartiale et juste, l’on voit toujours cette presse manipulée et corrompue.
La presse privée s’érige en gendarme de la bonne gouvernance en critiquant les actions du gouvernement, de façon peu ou prou objective. Toutefois, le constat est qu'il existe très peu d’entreprises de presse dignes de ce nom. Selon des récentes données statistiques du CNP, seulement une vingtaine des entreprises de presse respectent la convention collective.
La plupart des médias privés ont été suscités par des partis politiques ou par des promoteurs mus par des ambitions politiques.
Me Affoussiatta BAMBA-LAMINE
Ministre de la Communication
Porte-Parole Adjointe du Gouvernement