Les Journées mémoires sur le thème « La traite négrière de l’Afrique à l’esclavage aux Antilles et en Guyane françaises », qui se tiennent depuis trois semaines à la Bibliothèque nationale d’Abidjan Plateau, amorcent les derniers virages. Mme Emilie Rubrice, chargée de Communication de l’Association des Antillais de Guyane en Côte d’Ivoire (Aag-Ci), fait le bilan à mi-parcours.
Trois semaines après le lancement des journées de mémoires sur le thème « La traite négrière de l’Afrique à l’esclavage aux Antilles et en Guyane françaises », estce qu’on peut déjà avoir un bilan artistique et culturel ?
Oui, je pense qu’effectivement, après trois semaines, le bilan est plutôt positif, puisque nous avons reçu près de 400 à 500 personnes pour ne citer que ceux qu’on a codifiés, en tant que visiteurs. Mais, je vous dirais que déjà dans les observations, les remarques des visiteurs, je peux affirmer que ça été un réel succès. Beaucoup de personnes, venant ici, m’ont dit avoir beaucoup appris. Et nous sommes très contents de ces observations, dès lors que notre objectif premier est de partager ces trois cents ans de mémoires, ces trois cents ans de d’histoire avec nos amis ivoiriens et nos amis vivant en Côte d’Ivoire, quelles que soit leurs origines. Donc, ça été un véritable succès.
Partager trois cents ans d’histoire à quelles fins ?
Partager trois cents ans à cinq cents ans d’histoire, ça dépend dans quelle période vous vous mettez, certains vous dirons que l’esclavage a duré plus de cinq siècles. Les faits sont les suivants : on ne construit pas un présent sans connaître son passé. Et comment construire un futur si nous avons du mal à savoir qui nous sommes ? D’où nous venons ? Et qu’est-ce qui s’est passé ? Au-delà de la connaissance, il est important pour l’homme de retenir ces valeurs universelles de solidarité, de fraternité que l’esclavage nous a léguées, parce qu’à l’issue de l’esclavage, on aurait pu penser que les Noirs vont haïr les Blancs. Mais ce n’est pas le cas ! Nous avons su tirer des leçons d’humanisme de ces trois cents ans d’histoire. Et nous souhaitons, une fois rappelé, que l’objectif c’est d’abord de vivre ensemble. Et c’est Glissant qui disait que si nous voulons apprécier la beauté du monde et si nous voulons être solidaires de ces souffrances, il nous faut apprendre à se souvenir ensemble.
Ces journées ont permis de revivre la souffrance des Noirs aux Antilles et en Guyane. Quels sont les effets que cela produit en vous ?
Je ne vais pas décrire la souffrance comme élément primordial du sentiment qu’on a pris pour revivre cette période. Je dirais plutôt que je suis très fière. Très fière de ces ancêtres qui, dès leur départ d’Afrique, ont gardé cette flamme de liberté, cette soif de liberté, ce désir de vivre libre et qu’ils ont alimenté en le transmettant d’esclaves en esclaves. Ce qui fait qu’aujourd’hui, je suis là avec vous, en train de vous parler. Je suis très fière de nos ancêtres qui ont su à cette époque, dans les conditions que nous savons, faire vivre cette flamme afin qu’aujourd’hui nous, petites filles et petits fils d’esclaves, nous puissions vivre librement. Je n’ai pas un sentiment de douleur. C’est tout à fait le contraire. C’est un sentiment de joie, un sentiment de fierté, c’est un sentiment d’appartenance commune, c’est une histoire biologique que nous vivons. C’est notre histoire biologique, et à ce titre que je ne souhaiterai surtout pas que les gens qui sortent d’ici aient le sentiment de haine. Tout à fait le contraire. Je souhaiterais qu’ils soient fiers de nos ancêtres parce que nous avons vis-à-vis d’eux une dette indescriptible.
Vous avez parlé de pardon et de tolérance; d’où est-ce qu’on devrait tirer toutes ces forces pour pouvoir pardonner, selon vous ?
Eh bien, de nos ancêtres. Ce sont nos ancêtres, d’abord, qui nous ont donné une leçon de vie. Ils ont quitté la plantation sans tuer tout le monde; ils se sont révoltés, ils ont brisé leurs chaînes. Ils ont reconstruit la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui. Donc, si j’ai une chose à dire, osons regarder derrière pour mieux avancer devant. Il faut puiser dans les leçons du passé, qui sont des leçons d’humanisme, d’ouverture, d’acceptation de l’autre. On ne va pas haïr, mais on ne va pas oublier. J’invite tout un chacun à ne pas oublier, le passé construit le présent et bâtira demain.
Vous sentez- vous plus Antillaise ou Africaine?
Je suis d’abord Antillaise, parce que les trois cents ans d’histoire ont fait un nouvel être, un peuple nouveau, un peuple qui a su conjuguer ses apports africains, ses apports espagnoles, ses apports indiens, ses apports européens et comme disait Walcott Derek qui est prix Nobel de littérature, «Et si je ne suis pas tout ça, je suis tout au monde.»
Le Président François Hollande vient d’inaugurer le Mémorial Acte (Centre caribéen d'expressions et de mémoire de la traite et de l'esclavage). Cela représente quoi pour vous ?
C’est un monument qui est dédié à la mémoire de la traite de l’esclavage. Ce mémorial qui se trouve actuellement à Pointe-à-Pitre nous fait aussi honneur parce que ce mémorial va renfermer la mémoire. Tous les éléments qui pourraient faire vivre cette mémoire et on va la partager avec tous les peuples du monde. J’invite tout un chacun, qui aura la chance d’aller en Guadeloupe, de visiter ce mémorial, dont je suis sûre, est une œuvre de connaissance, de nous permettre de réunir et de penser ensemble un devenir commun.
Un centre d’action culturelle en Côte d’Ivoire, cela fait partie de vos ambitions ?
Tout à fait, nous sommes conscients que la culture doit être au cœur du débat, dans la mesure où un homme sans culture n’est pas un homme. La preuve en est, lorsqu’en effet, le nègre a abandonné ses cultures pour devenir un outil de production, il n’est plus un homme, il est un objet de production. Lorsqu’il devient lui-même, il devient un homme pleinement capable, un homme qui réfléchit. Nous souhaiterions créer la Maison des Antilles, qui doit être un lieu d’expression culturelle sous toutes ces formes : danses, chants, philosophie, arts plastiques, les beaux-arts, peinture, sculpture, mais, aussi un lieu où les êtres humains vivants en Côte d’Ivoire, les enfants ivoiriens, peuvent venir se frôler à la culture antillaise dans nos rythmes et dans nos valeurs, des similarités avec les leurs et poursuivre la recherche en la matière, qui nous permettraient encore une fois de mieux vivre ensemble.
Quelles leçons principales voulez-vous partager, aux sorties de ces Journées mémoires ?
La leçon que je voudrais partager est de leur dire que les spécialistes des affaires des nègres, ce sont les nègres eux-mêmes. Et que le nègre, il faut qu’il se raconte sa propre histoire, sinon, si on laisse faire les autres, il est évident que l’histoire ne peut qu’être corrigée, modifiée. Nous savons qu’un homme sans histoire n’est pas un homme. On a tout intérêt aujourd’hui, à s’y mettre ; il y a beaucoup à faire. La route est longue, ce n’est qu’un début, nous sommes à la première édition. J’émets le vœu que cette édition soit la première, qu’il y aura d’autres qui vont suivre. Nous savons que le ministre de la Culture travaille sur ce sujet et que nous aurons l’occasion de nous retrouver encore une fois peut-être pas à la Bibliothèque nationale, mais dans un lieu de culture, pour pouvoir réfléchir à ce sujet, faire œuvre de mémoire, reconnaître le passé avec une certaine fierté et réalisme et faire face à notre demain.
Réalisée par Edouard GONTO
Trois semaines après le lancement des journées de mémoires sur le thème « La traite négrière de l’Afrique à l’esclavage aux Antilles et en Guyane françaises », estce qu’on peut déjà avoir un bilan artistique et culturel ?
Oui, je pense qu’effectivement, après trois semaines, le bilan est plutôt positif, puisque nous avons reçu près de 400 à 500 personnes pour ne citer que ceux qu’on a codifiés, en tant que visiteurs. Mais, je vous dirais que déjà dans les observations, les remarques des visiteurs, je peux affirmer que ça été un réel succès. Beaucoup de personnes, venant ici, m’ont dit avoir beaucoup appris. Et nous sommes très contents de ces observations, dès lors que notre objectif premier est de partager ces trois cents ans de mémoires, ces trois cents ans de d’histoire avec nos amis ivoiriens et nos amis vivant en Côte d’Ivoire, quelles que soit leurs origines. Donc, ça été un véritable succès.
Partager trois cents ans d’histoire à quelles fins ?
Partager trois cents ans à cinq cents ans d’histoire, ça dépend dans quelle période vous vous mettez, certains vous dirons que l’esclavage a duré plus de cinq siècles. Les faits sont les suivants : on ne construit pas un présent sans connaître son passé. Et comment construire un futur si nous avons du mal à savoir qui nous sommes ? D’où nous venons ? Et qu’est-ce qui s’est passé ? Au-delà de la connaissance, il est important pour l’homme de retenir ces valeurs universelles de solidarité, de fraternité que l’esclavage nous a léguées, parce qu’à l’issue de l’esclavage, on aurait pu penser que les Noirs vont haïr les Blancs. Mais ce n’est pas le cas ! Nous avons su tirer des leçons d’humanisme de ces trois cents ans d’histoire. Et nous souhaitons, une fois rappelé, que l’objectif c’est d’abord de vivre ensemble. Et c’est Glissant qui disait que si nous voulons apprécier la beauté du monde et si nous voulons être solidaires de ces souffrances, il nous faut apprendre à se souvenir ensemble.
Ces journées ont permis de revivre la souffrance des Noirs aux Antilles et en Guyane. Quels sont les effets que cela produit en vous ?
Je ne vais pas décrire la souffrance comme élément primordial du sentiment qu’on a pris pour revivre cette période. Je dirais plutôt que je suis très fière. Très fière de ces ancêtres qui, dès leur départ d’Afrique, ont gardé cette flamme de liberté, cette soif de liberté, ce désir de vivre libre et qu’ils ont alimenté en le transmettant d’esclaves en esclaves. Ce qui fait qu’aujourd’hui, je suis là avec vous, en train de vous parler. Je suis très fière de nos ancêtres qui ont su à cette époque, dans les conditions que nous savons, faire vivre cette flamme afin qu’aujourd’hui nous, petites filles et petits fils d’esclaves, nous puissions vivre librement. Je n’ai pas un sentiment de douleur. C’est tout à fait le contraire. C’est un sentiment de joie, un sentiment de fierté, c’est un sentiment d’appartenance commune, c’est une histoire biologique que nous vivons. C’est notre histoire biologique, et à ce titre que je ne souhaiterai surtout pas que les gens qui sortent d’ici aient le sentiment de haine. Tout à fait le contraire. Je souhaiterais qu’ils soient fiers de nos ancêtres parce que nous avons vis-à-vis d’eux une dette indescriptible.
Vous avez parlé de pardon et de tolérance; d’où est-ce qu’on devrait tirer toutes ces forces pour pouvoir pardonner, selon vous ?
Eh bien, de nos ancêtres. Ce sont nos ancêtres, d’abord, qui nous ont donné une leçon de vie. Ils ont quitté la plantation sans tuer tout le monde; ils se sont révoltés, ils ont brisé leurs chaînes. Ils ont reconstruit la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui. Donc, si j’ai une chose à dire, osons regarder derrière pour mieux avancer devant. Il faut puiser dans les leçons du passé, qui sont des leçons d’humanisme, d’ouverture, d’acceptation de l’autre. On ne va pas haïr, mais on ne va pas oublier. J’invite tout un chacun à ne pas oublier, le passé construit le présent et bâtira demain.
Vous sentez- vous plus Antillaise ou Africaine?
Je suis d’abord Antillaise, parce que les trois cents ans d’histoire ont fait un nouvel être, un peuple nouveau, un peuple qui a su conjuguer ses apports africains, ses apports espagnoles, ses apports indiens, ses apports européens et comme disait Walcott Derek qui est prix Nobel de littérature, «Et si je ne suis pas tout ça, je suis tout au monde.»
Le Président François Hollande vient d’inaugurer le Mémorial Acte (Centre caribéen d'expressions et de mémoire de la traite et de l'esclavage). Cela représente quoi pour vous ?
C’est un monument qui est dédié à la mémoire de la traite de l’esclavage. Ce mémorial qui se trouve actuellement à Pointe-à-Pitre nous fait aussi honneur parce que ce mémorial va renfermer la mémoire. Tous les éléments qui pourraient faire vivre cette mémoire et on va la partager avec tous les peuples du monde. J’invite tout un chacun, qui aura la chance d’aller en Guadeloupe, de visiter ce mémorial, dont je suis sûre, est une œuvre de connaissance, de nous permettre de réunir et de penser ensemble un devenir commun.
Un centre d’action culturelle en Côte d’Ivoire, cela fait partie de vos ambitions ?
Tout à fait, nous sommes conscients que la culture doit être au cœur du débat, dans la mesure où un homme sans culture n’est pas un homme. La preuve en est, lorsqu’en effet, le nègre a abandonné ses cultures pour devenir un outil de production, il n’est plus un homme, il est un objet de production. Lorsqu’il devient lui-même, il devient un homme pleinement capable, un homme qui réfléchit. Nous souhaiterions créer la Maison des Antilles, qui doit être un lieu d’expression culturelle sous toutes ces formes : danses, chants, philosophie, arts plastiques, les beaux-arts, peinture, sculpture, mais, aussi un lieu où les êtres humains vivants en Côte d’Ivoire, les enfants ivoiriens, peuvent venir se frôler à la culture antillaise dans nos rythmes et dans nos valeurs, des similarités avec les leurs et poursuivre la recherche en la matière, qui nous permettraient encore une fois de mieux vivre ensemble.
Quelles leçons principales voulez-vous partager, aux sorties de ces Journées mémoires ?
La leçon que je voudrais partager est de leur dire que les spécialistes des affaires des nègres, ce sont les nègres eux-mêmes. Et que le nègre, il faut qu’il se raconte sa propre histoire, sinon, si on laisse faire les autres, il est évident que l’histoire ne peut qu’être corrigée, modifiée. Nous savons qu’un homme sans histoire n’est pas un homme. On a tout intérêt aujourd’hui, à s’y mettre ; il y a beaucoup à faire. La route est longue, ce n’est qu’un début, nous sommes à la première édition. J’émets le vœu que cette édition soit la première, qu’il y aura d’autres qui vont suivre. Nous savons que le ministre de la Culture travaille sur ce sujet et que nous aurons l’occasion de nous retrouver encore une fois peut-être pas à la Bibliothèque nationale, mais dans un lieu de culture, pour pouvoir réfléchir à ce sujet, faire œuvre de mémoire, reconnaître le passé avec une certaine fierté et réalisme et faire face à notre demain.
Réalisée par Edouard GONTO