Cette ANALYSE est la 2ème partie d’une analyse dont la Ière partie a été publiée le samedi 11 mars.
Nous avons vu, la semaine dernière, que de Victor Hugo à Hegel, l’Afrique a toujours été perçue à travers le prisme étroit et réducteur d’une vision purement occidentale. Cette vision s’est prolongée, au XIXè et XXè siècles, avec la lecture colonialiste du monde, le colonisateur européen ayant la certitude d’accomplir, partout sur la planète, une mission civilisatrice. Dans le monde, sur la période allant du XVIè siècle aux années 1960, seuls cinq pays ont échappé à l’emprise de l’Europe. En Afrique, seul le Liberia, un cas très particulier (1), et, peut-être l’Ethiopie, malgré l’occupation fasciste italienne pendant la Seconde guerre mondiale, n’ont pas été colonisés. La colonisation est l’un des marqueurs du vieux monde dont l’agenda et l’organisation ont été décidés par l’Europe.
Dans un livre particulièrement intéressant, L’Eclipse des Dieux – Grandeur et Désespérances des peuples noirs (2), l’anthropologue et économiste Tidiane N’Diaye montre, qu’avant d’être asservie, l’Afrique recèle des civilisations grandioses. Reprenant la phrase d’Elie Wiesel, Prix Nobel de la Paix (1986), Tidiane N’Diaye, d’une façon qui n’est jamais partiale ou polémique, encore moins enfermée dans le carcan idéologique de l’anticolonialisme, invite l’Afrique à se réapproprier son histoire. Selon Elie Wiesel : « Ceux qui ne connaissent pas leur histoire s’exposent à ce qu’elle recommence. »
En démontrant que l’Afrique est, avant la colonisation, le siège de civilisations dont on n’a pas fini de mesurer l’importance ni le degré de développement, Tidiane N’Diaye cherche à nous dire une seule chose : l’Afrique a sa propre histoire et l’homme noir a un passé. Selon certains scientifiques, qui font de l’Afrique le berceau de l’humanité, l’histoire des peuples noirs commence même bien avant celle des peuples indo-européens. Laissons aux paléontologues et aux anthropologues le soin de trancher la question du premier proto-humain ou du plus vieil hominidé, afin de savoir si, au commencement, était l’homme noir.
De façon plus modeste, je me contenterai de dire, en dehors de toute approche « victimaire », c’est que l’Afrique, avant la colonisation, est le berceau de très grandes civilisations. La vision européo-centrée nous dit que l’Afrique marche à côte de l’histoire (cf les analyses outrancières de Victor Hugo ou de Hegel), parce que ce sont les historiens occidentaux et arabo-musulmans qui écrivent cette « histoire universelle » à partir de marqueurs civilisationnels qui deviennent la norme. L’envahisseur arabo-musulman justifie ainsi l’esclavage : « Les seuls peuples à accepter l’esclavage sont les nègres, en raison d’un degré inférieur d’humanité, leur place étant plus proche du stade animal. » Tous les arguments faussement scientifiques, mais aussi religieux, serviront à justifier l’esclavage.
Il est temps de revisiter ces remarquables civilisations que sont les royaumes du Grand Zimbabwe, de l’Egypte négro-africaine, de Nubie, d’Ethiopie, du Ghana, du Mali. L’Empire du Ghana est considéré comme le premier Etat structuré de l’Afrique de l’Ouest. L’Empire du Mali a été fondé au XIIè siècle. Les ruines du Grand Zimbabwe attestent de l’existence d’une civilisation bantoue dès le XIè siècle. Tombouctou, ville du Mali, a connu un âge d’or au cours duquel des milliers de livres auraient été écrits. Ces livres, près de 100 000 manuscrits qui commencent à être exhumés, vont permettre de mieux connaître l’histoire de l’Afrique. Ils datent de la période impériale ouest-africaine, à l’époque des Empires du Ghana et du Mali et de l’Empire Songhaï. Leurs contenus, qui couvrent les domaines de l’astronomie, de la musique, de la botanique, du droit, des sciences, de l’histoire, de la religion, du commerce, témoignent d’une Afrique qui écrit sa propre histoire.
Il est donc temps, pour l’Afrique, de revisiter son Histoire longtemps enfermée dans une vision européo-centrée. Il est temps aussi de sortir des discours convenus d’un panafricanisme identitaire qui sert de fonds de commerce aux derniers retardataires de l’Histoire. La colonisation a donné naissance à des Etats-nations. L’histoire moderne de l’Afrique consiste à interroger le concept d’Etat-nation : comment la consolidation de l’Etat permet-elle de consolider l’existence d’une nation ? L’Etat n’est-il qu’une forme d’appropriation du pouvoir par un groupe ethnique au détriment des autres ethnies qui composent la nation ? On sait que Félix Houphouët-Boigny a réussi à unifier 60 ethnies pour créer la nation ivoirienne. L’identité panafricaine est-elle une réalité ou un mythe qui condamne l’homme noir à être de nulle part, excepté de cette abstraction qui se nomme l’Afrique ? Faut-il dire : « Nous, les Africains » ? Ou, « Nous, les Ivoiriens ? », « Nous, les Maliens ? », etc.
Autant de questions qui se posent à une Afrique plurielle.
Christian Gambotti
Directeur général de l’Institut Choiseul (Paris, Abidjan)
Directeur de la rédaction du magazine AFRIKI PRESSE
Directeur de la Collection L’Afrique aujourd’hui, Editorialiste.
Nous avons vu, la semaine dernière, que de Victor Hugo à Hegel, l’Afrique a toujours été perçue à travers le prisme étroit et réducteur d’une vision purement occidentale. Cette vision s’est prolongée, au XIXè et XXè siècles, avec la lecture colonialiste du monde, le colonisateur européen ayant la certitude d’accomplir, partout sur la planète, une mission civilisatrice. Dans le monde, sur la période allant du XVIè siècle aux années 1960, seuls cinq pays ont échappé à l’emprise de l’Europe. En Afrique, seul le Liberia, un cas très particulier (1), et, peut-être l’Ethiopie, malgré l’occupation fasciste italienne pendant la Seconde guerre mondiale, n’ont pas été colonisés. La colonisation est l’un des marqueurs du vieux monde dont l’agenda et l’organisation ont été décidés par l’Europe.
Dans un livre particulièrement intéressant, L’Eclipse des Dieux – Grandeur et Désespérances des peuples noirs (2), l’anthropologue et économiste Tidiane N’Diaye montre, qu’avant d’être asservie, l’Afrique recèle des civilisations grandioses. Reprenant la phrase d’Elie Wiesel, Prix Nobel de la Paix (1986), Tidiane N’Diaye, d’une façon qui n’est jamais partiale ou polémique, encore moins enfermée dans le carcan idéologique de l’anticolonialisme, invite l’Afrique à se réapproprier son histoire. Selon Elie Wiesel : « Ceux qui ne connaissent pas leur histoire s’exposent à ce qu’elle recommence. »
En démontrant que l’Afrique est, avant la colonisation, le siège de civilisations dont on n’a pas fini de mesurer l’importance ni le degré de développement, Tidiane N’Diaye cherche à nous dire une seule chose : l’Afrique a sa propre histoire et l’homme noir a un passé. Selon certains scientifiques, qui font de l’Afrique le berceau de l’humanité, l’histoire des peuples noirs commence même bien avant celle des peuples indo-européens. Laissons aux paléontologues et aux anthropologues le soin de trancher la question du premier proto-humain ou du plus vieil hominidé, afin de savoir si, au commencement, était l’homme noir.
De façon plus modeste, je me contenterai de dire, en dehors de toute approche « victimaire », c’est que l’Afrique, avant la colonisation, est le berceau de très grandes civilisations. La vision européo-centrée nous dit que l’Afrique marche à côte de l’histoire (cf les analyses outrancières de Victor Hugo ou de Hegel), parce que ce sont les historiens occidentaux et arabo-musulmans qui écrivent cette « histoire universelle » à partir de marqueurs civilisationnels qui deviennent la norme. L’envahisseur arabo-musulman justifie ainsi l’esclavage : « Les seuls peuples à accepter l’esclavage sont les nègres, en raison d’un degré inférieur d’humanité, leur place étant plus proche du stade animal. » Tous les arguments faussement scientifiques, mais aussi religieux, serviront à justifier l’esclavage.
Il est temps de revisiter ces remarquables civilisations que sont les royaumes du Grand Zimbabwe, de l’Egypte négro-africaine, de Nubie, d’Ethiopie, du Ghana, du Mali. L’Empire du Ghana est considéré comme le premier Etat structuré de l’Afrique de l’Ouest. L’Empire du Mali a été fondé au XIIè siècle. Les ruines du Grand Zimbabwe attestent de l’existence d’une civilisation bantoue dès le XIè siècle. Tombouctou, ville du Mali, a connu un âge d’or au cours duquel des milliers de livres auraient été écrits. Ces livres, près de 100 000 manuscrits qui commencent à être exhumés, vont permettre de mieux connaître l’histoire de l’Afrique. Ils datent de la période impériale ouest-africaine, à l’époque des Empires du Ghana et du Mali et de l’Empire Songhaï. Leurs contenus, qui couvrent les domaines de l’astronomie, de la musique, de la botanique, du droit, des sciences, de l’histoire, de la religion, du commerce, témoignent d’une Afrique qui écrit sa propre histoire.
Il est donc temps, pour l’Afrique, de revisiter son Histoire longtemps enfermée dans une vision européo-centrée. Il est temps aussi de sortir des discours convenus d’un panafricanisme identitaire qui sert de fonds de commerce aux derniers retardataires de l’Histoire. La colonisation a donné naissance à des Etats-nations. L’histoire moderne de l’Afrique consiste à interroger le concept d’Etat-nation : comment la consolidation de l’Etat permet-elle de consolider l’existence d’une nation ? L’Etat n’est-il qu’une forme d’appropriation du pouvoir par un groupe ethnique au détriment des autres ethnies qui composent la nation ? On sait que Félix Houphouët-Boigny a réussi à unifier 60 ethnies pour créer la nation ivoirienne. L’identité panafricaine est-elle une réalité ou un mythe qui condamne l’homme noir à être de nulle part, excepté de cette abstraction qui se nomme l’Afrique ? Faut-il dire : « Nous, les Africains » ? Ou, « Nous, les Ivoiriens ? », « Nous, les Maliens ? », etc.
Autant de questions qui se posent à une Afrique plurielle.
Christian Gambotti
Directeur général de l’Institut Choiseul (Paris, Abidjan)
Directeur de la rédaction du magazine AFRIKI PRESSE
Directeur de la Collection L’Afrique aujourd’hui, Editorialiste.