Abidjan - "Je n’ai jamais eu peur, j’aimais me battre", assure Vieux-Père, 24 ans, ex-chef repenti d’un gang de "microbes", assis à
l’ombre d’un mur du centre socio-éducatif d’Abobo, un des grands quartiers populaires d’Abidjan.
"Microbe", c’est ainsi que les Ivoiriens ont baptisé les enfants-brigands qui volent, agressent et parfois tuent pour vivre à Abidjan. Ils seraient plusieurs centaines, selon l’ONG ivoirienne Indigo, qui aide une quarantaine d’entre eux à se réinsérer.
Haïs autant que craints, ces jeunes criminels sont originaires des
quartiers pauvres de la capitale économique ivoirienne. Le phénomène est apparu avec la crise politico-militaire de 2002-2011 à Abobo, puis s’est étendu à d’autres grands quartiers comme Yopougon et Koumassi.
Symptôme de l’exaspération grandissante des populations à l’égard de ces délinquants, un chef "microbe" a été torturé, décapité et brûlé en 2015, après d’autres lynchages populaires.
Pendant près de dix ans, Vieux-Père, désormais repenti et pris en charge par une association de réinsertion, a vécu cette vie violente, écumant les rues, jouant souvent de ses poings ou du couteau. Il a quitté l’école dès l’âge de 7 ans. "Je voyais des gens se battre, ça me plaisait beaucoup, j’ai voulu les rejoindre."
"Je me suis retrouvé avec les gars les plus forts d’Abobo, j’étais fier ! J’aimais leur manière de vivre. Paix à leur âmes, ils sont tous décédés", se souvient-il en citant les noms de certains caïds: Dragon, Gongo...
Vieux-Père a quitté le foyer familial après une altercation avec son père. "Il ne supportait pas de me voir traîner avec les autres", explique-t-il. Il a alors dormi dans la rue pendant deux ans, avant de trouver une petite maison pour 15.000 francs CFA par mois (23 euros) "avec un matelas" dans le quartier d’Abobo.
- Le gang ’Air France’ -
En 2008, il intègre "Air France", l’un des nombreux gangs de "microbes" d’Abobo. "Très rapidement, j’ai dû me battre avec le chef, Ismaël, pour gagner ma place et montrer que je n’étais pas peureux", raconte-t-il, désignant une large cicatrice sur son coude, souvenir d’un coup de machette asséné par Ismaël. La bande "Air France", composée d’une quarantaine d’adolescents, sévit la
nuit.
"On se rejoignait le soir avec le groupe et on partait avec nos machettes dans le sac à dos", raconte Vieux-Père. "Parfois, on louait même des gbakas (minibus privé de transport) pour emmener tout le gang. On attaquait tout le monde."
Vieux-Père assure n’avoir jamais tué personne. "Ceux d’entre nous qui ont tué sont aujourd’hui morts", dit-il, relatant avoir échappé à un lynchage après une attaque qui avait mal tourné dans le quartier d’Adjamé, plus grand marché de la ville et théâtre de nombreuses rapines. "Les habitants m’ont capturé et m’ont frappé violemment, partout. J’ai encore des cicatrices au crâne", souligne le jeune homme en caressant de ses doigts incrustés de crasse sa petite épaisseur de cheveux.
"Voilà pourquoi je ne peux pas bien me coiffer", rigole-t-il. Il échappe de peu à la mort. Ses soins sont alors payés par "ses gars", avec la cagnotte du gang, qui fonctionne selon des règles. "Dès qu’on volait de l’argent, on en gardait la moitié pour le groupe, en cas de coup dur, ou pour payer les cautions ou les fêtes", se souvient Vieux-Père.
- ’Reprendre une nouvelle vie’ -
Vieux-Père est propulsé chef des "Air France" en 2015 à la mort de son prédécesseur en prison. "Ismaël m’avait confié le groupe avant d’entrer en prison. Ils ont vu que j’étais +garçon+ (expression pour dire qu’on est courageux et viril, ndlr)", assure-t-il, sans aucune vantardise. Mais l’apprenti-chef rêve d’une autre vie. Le 12 mars 2016, "le jour de (son) anniversaire", il quitte le gang avec deux amis.
"Je ne me sentais plus heureux. Je gagnais de l’argent mais je me posais toujours la question : et si on agressait mes parents comme j’agresse les autres?" Grâce à la mise en place d’un programme de réinsertion sociale de l’ONG Indigo pour les enfants "microbes", le jeune homme espère aujourd’hui s’offrir un commerce de pièces détachées automobiles. "On a tous envie de reprendre une nouvelle vie", dit-il, en se faisant le porte-parole de la quarantaine d’adolescents suivis par l’ONG.
Vieux-Père tente aujourd’hui de gagner sa vie autrement, avec un petit boulot de ferrailleur ou en travaillant à la grande casse automobile d’Abobo. Illettré, il participe depuis un mois à des cours du soir de lecture et écriture.
Vieux-Père assure même avoir repris contact avec sa famille. Mais il continue à vivre dans sa petite maison, avec l’un de ses camarades, un ancien des "Air France". "Le gang est mort", assure-t-il. "Certains sont partis après moi, les autres, je ne sais pas ce qu’ils sont devenus..."
sc/pgf/de/lp/ak/ol
l’ombre d’un mur du centre socio-éducatif d’Abobo, un des grands quartiers populaires d’Abidjan.
"Microbe", c’est ainsi que les Ivoiriens ont baptisé les enfants-brigands qui volent, agressent et parfois tuent pour vivre à Abidjan. Ils seraient plusieurs centaines, selon l’ONG ivoirienne Indigo, qui aide une quarantaine d’entre eux à se réinsérer.
Haïs autant que craints, ces jeunes criminels sont originaires des
quartiers pauvres de la capitale économique ivoirienne. Le phénomène est apparu avec la crise politico-militaire de 2002-2011 à Abobo, puis s’est étendu à d’autres grands quartiers comme Yopougon et Koumassi.
Symptôme de l’exaspération grandissante des populations à l’égard de ces délinquants, un chef "microbe" a été torturé, décapité et brûlé en 2015, après d’autres lynchages populaires.
Pendant près de dix ans, Vieux-Père, désormais repenti et pris en charge par une association de réinsertion, a vécu cette vie violente, écumant les rues, jouant souvent de ses poings ou du couteau. Il a quitté l’école dès l’âge de 7 ans. "Je voyais des gens se battre, ça me plaisait beaucoup, j’ai voulu les rejoindre."
"Je me suis retrouvé avec les gars les plus forts d’Abobo, j’étais fier ! J’aimais leur manière de vivre. Paix à leur âmes, ils sont tous décédés", se souvient-il en citant les noms de certains caïds: Dragon, Gongo...
Vieux-Père a quitté le foyer familial après une altercation avec son père. "Il ne supportait pas de me voir traîner avec les autres", explique-t-il. Il a alors dormi dans la rue pendant deux ans, avant de trouver une petite maison pour 15.000 francs CFA par mois (23 euros) "avec un matelas" dans le quartier d’Abobo.
- Le gang ’Air France’ -
En 2008, il intègre "Air France", l’un des nombreux gangs de "microbes" d’Abobo. "Très rapidement, j’ai dû me battre avec le chef, Ismaël, pour gagner ma place et montrer que je n’étais pas peureux", raconte-t-il, désignant une large cicatrice sur son coude, souvenir d’un coup de machette asséné par Ismaël. La bande "Air France", composée d’une quarantaine d’adolescents, sévit la
nuit.
"On se rejoignait le soir avec le groupe et on partait avec nos machettes dans le sac à dos", raconte Vieux-Père. "Parfois, on louait même des gbakas (minibus privé de transport) pour emmener tout le gang. On attaquait tout le monde."
Vieux-Père assure n’avoir jamais tué personne. "Ceux d’entre nous qui ont tué sont aujourd’hui morts", dit-il, relatant avoir échappé à un lynchage après une attaque qui avait mal tourné dans le quartier d’Adjamé, plus grand marché de la ville et théâtre de nombreuses rapines. "Les habitants m’ont capturé et m’ont frappé violemment, partout. J’ai encore des cicatrices au crâne", souligne le jeune homme en caressant de ses doigts incrustés de crasse sa petite épaisseur de cheveux.
"Voilà pourquoi je ne peux pas bien me coiffer", rigole-t-il. Il échappe de peu à la mort. Ses soins sont alors payés par "ses gars", avec la cagnotte du gang, qui fonctionne selon des règles. "Dès qu’on volait de l’argent, on en gardait la moitié pour le groupe, en cas de coup dur, ou pour payer les cautions ou les fêtes", se souvient Vieux-Père.
- ’Reprendre une nouvelle vie’ -
Vieux-Père est propulsé chef des "Air France" en 2015 à la mort de son prédécesseur en prison. "Ismaël m’avait confié le groupe avant d’entrer en prison. Ils ont vu que j’étais +garçon+ (expression pour dire qu’on est courageux et viril, ndlr)", assure-t-il, sans aucune vantardise. Mais l’apprenti-chef rêve d’une autre vie. Le 12 mars 2016, "le jour de (son) anniversaire", il quitte le gang avec deux amis.
"Je ne me sentais plus heureux. Je gagnais de l’argent mais je me posais toujours la question : et si on agressait mes parents comme j’agresse les autres?" Grâce à la mise en place d’un programme de réinsertion sociale de l’ONG Indigo pour les enfants "microbes", le jeune homme espère aujourd’hui s’offrir un commerce de pièces détachées automobiles. "On a tous envie de reprendre une nouvelle vie", dit-il, en se faisant le porte-parole de la quarantaine d’adolescents suivis par l’ONG.
Vieux-Père tente aujourd’hui de gagner sa vie autrement, avec un petit boulot de ferrailleur ou en travaillant à la grande casse automobile d’Abobo. Illettré, il participe depuis un mois à des cours du soir de lecture et écriture.
Vieux-Père assure même avoir repris contact avec sa famille. Mais il continue à vivre dans sa petite maison, avec l’un de ses camarades, un ancien des "Air France". "Le gang est mort", assure-t-il. "Certains sont partis après moi, les autres, je ne sais pas ce qu’ils sont devenus..."
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