Avant sa maladie et sa mort, j’étais un familier du salon d’Ahmadou Hampaté Ba. Comme tous les autres disciples, je m’y retrouvais, presque tous les jours, quand je n’étais pas au travail, à partir de seize heures. L’heure à laquelle le salon était ouvert à tous ceux qui voulaient voir le maitre. Pour un entretien particulier ou tout simplement l’écouter. Etant, comme il aimait le dire, un traditionnaliste, pas besoin de prendre un rendez-vous. D’ailleurs, il n’y avait pas de secrétaire de direction ou de secrétaire particulière chez l’ami intime de Félix Houphouët-Boigny, le seul qui pouvait déranger son programme en le déplaçant. Autant nous venions prendre des conseils auprès de lui, autant le père de la nation le faisait venir au palais présidentiel pour avoir son avis sur tel ou tel sujet. Souvent parler de tout et de rien. Avec Hampaté Ba, il n’y avait pas de sujet tabou. Tout proche de chez lui, à Marcory, j’étais le plus familier de la maison. S’il ne me voyait pas plusieurs jours dans la semaine, c’est son fils Barou qui passait chez moi pour savoir les raisons de mon silence. Si je prenais des notes au jour le jour, j’aurais depuis publié un livre de près de trois cents pages sur lui. C’est surtout dans le domaine politique que partaient toutes mes questions et tous nos entretiens. Une constance chez lui. Son aversion de la politique. Il ne passait pas une seule rencontre sans dire qu’il n’existe pas de solution en politique. « Ôte-toi pour que je m’y mette est sans aucune solution » restera tout le crédo de la politique. Ainsi en est-il de la jalousie et de l’envie. Les socialistes, les marxistes, les communistes ont voulu extirper cela dans l’esprit humain en créant une société égalitaire. La tombée du mur de Berlin fut l’échec de la société qu’on voulait égalitaire. Démontrant ainsi que les tenants d’une société régie par le péché originel auront toujours raison. Depuis des siècles, tous les régimes monarchiques, républicains et dictatoriaux sont passés par toutes les mesures pour faire des citoyens des gens heureux. Au fur et à mesure que les siècles passaient, les prisons se remplissaient de plus en plus. Aujourd’hui, avec ces années de technologie, du travail et de santé, des citoyens, en grande majorité, sont en rébellion constante contre les sociétés. Le terrorisme commence à devenir une actualité. Des gens ne se sentent bien nulle part. Ne veulent rien. N’ont peur de rien, même de la mort. Les solutions sont toujours trouvées mais ne donnent aucune satisfaction. Le combat est toujours repris. Et je dirai pour toujours. Comment combattre ce qui est du domaine de l’émotion ? Une question que j’ai toujours envie de poser aux économistes, aux politiciens et aux responsables municipaux. J’avais à peine vingt-trois ans lorsque j’ai écrit un petit roman intitulé : « Les désœuvrés du crépuscule. » Je ne le ferai publier, très tard, mais en édition numérique. Un genre pas encore adapté à la grande lecture. Pour l’écrire, je me suis rendu plusieurs fois dans les bidonvilles pour comprendre que des jeunes gens pouvaient rentrer en rupture de ban avec la société malgré tout ce qu’on leur proposait. Dans tous les pays au monde, les gouvernements n’ont cessé de prendre des solutions pour combattre la délinquance juvénile. Ils ont été versés dans des centres d’apprentissage, dans des foyers, dans des entreprises. Mais rien à faire. Leur nombre ne faisait que monter. Et pire, pas de jour au monde, sans que des enfants ne perdent leur vie en tentant des actes défendus ou contre la loi. Ces enfants sont hyper minoritaires mais ce sont les tonneaux vides qui font du bruit et qui dérangent les citoyens bien pesants. Toutes les mesures pour combattre la délinquance juvénile sont appropriées et efficaces. Néanmoins, il faudrait se pencher sur les solutions durables. A savoir les causes émotionnelles. L’enfant dans un bidonville manque de beaucoup de choses. Tous les matins il se réveille avec aigreur et dort avec colère. Toutes ses sorties sont entourées de jalousie et d’envie. On peut leur trouver du travail mais une petite minorité ne cherche plus du travail. Mais de la prospérité. Elle veut être comme l’homme d’affaires prospère, du grand banquier, du maitre de conférences, du haut fonctionnaire et j’en passe. Tous ceux qui dans sa vue ou dans son imaginaire représentent les bénis de Dieu. Et voilà comment va surgir le communisme. Si tout le monde est au même niveau on ne verra plus des révoltés dans la société. Des sociétés ont mis tous les habitants de certains pays en uniforme. Mais on a vu que cela n’a rien donné. On ne peut pas combattre la jalousie et l’envie par des lois. Que faut-il faire alors ? Evidemment que je n’oserais pas donner une solution. Je n’en ai pas. Mais c’est aux pouvoirs publics d’en trouver en interrogeant pendant des mois des personnes à la trempe d’Hampaté Ba, des sociologues, des religieux, des enfants, etc…Pendant longtemps, j’ai pensé que Dieu pouvait combattre l’envie et la jalousie. Mais de nombreux hommes de Dieu se plaisent dans le luxe et ne peuvent pas passer pour des modèles pour des jeunes en rupture de ban avec la société. Alors, c’est toute la société qui est appelée en recours. Ainsi va l’Afrique. A la semaine prochaine.
Société Publié le samedi 30 septembre 2017 | L’intelligent d’Abidjan