Mais attention, il faut maintenir une ligne consciente avec son supérieur. Je me propose aujourd’hui, pour les lecteurs d’Esprit, et sur la base d’expériences sous différents tropiques, d’explorer cette problématique relationnelle travailleur-patron et de proposer trois axes :
Le travail
La raison de la relation, le ciment, l’objet, de la relation avec le patron, c’est le travail. Il faut entretenir une relation de travail saine avec son patron. Nous avons souvent tendance à nous plaindre de notre patron parce qu’il préfère tel ou tel agent parmi les autres. Mais se peut-il autrement ? Lorsque le patron lui aussi a des patrons qui lui exigent des résultats ou qu’un patron doive faire survivre sa boîte dans le monde impitoyable des affaires, il n’a pas le choix que de compter sur ses employés qui réagissent vite, qui travaillent efficacement, qui ont les réflexes appropriés. Naturellement, il concentrera sur ces employés tout le travail. Ce n’est pas une gestion rationnelle de la distribution collective des tâches. Il est un peu contraint par les circonstances. Il aurait bien aimé travailler avec tous, mais son esprit s’est concentré sur deux ou trois individus, les plus productifs. Comme de nombreux patrons ne voient pas la nécessité de se recycler et de mettre à jour leurs connaissances de la psychologie et de l’environnement du travail, le fossé se creuse entre ceux qui travaillent bien et ceux qui avancent à un rythme pas toujours satisfaisant. Tout ceci illustre bien que l’acharnement au travail est la raison fondamentale de l’établissement d’une relation stable avec son patron.
La loyauté
La loyauté est le maillon essentiel de la relation entre un patron et un travailleur. Si le patron n’a pas confiance en son collaborateur, s’il le soupçonne de ne pas maintenir la confidentialité des documents ou des décisions, s’il a l’impression qu’il sera lâché à la moindre secousse, s’il sent que des stratégies commerciales seront livrées aux concurrents, il se rétractera. La loyauté, c’est l’attachement à l’institution, aux règles, à la boîte. D’ailleurs, la base lexicale de la loyauté, c’est le mot Loi. Au Japon, il y a des entreprises privées où sont instituées des cérémonies rituelles pendant lesquelles l’employé prête serment et jure de rester loyal à cette entreprise quoi qu’il advienne. On ne peut pas vouloir que le patron soit proche de nous si nous ne donnons pas de gage d’adhésion à l’esprit de l’institution et d’attachement.
Il ne faut toutefois pas confondre loyauté et fidélité. Au travail, il faut d’abord et prioritairement être loyal. La fidélité peut venir ensuite, mais elle est essentiellement affective, c’est-à-dire un attachement émotionnel au patron. Un patron changera de poste, nous le suivrons. Un patron est dans une mauvaise passe, nous sommes à ses côtés. Ça, c’est de la fidélité, nécessaire dans certaines sphères de vie. Si on ne sait pas faire la distinction entre loyauté et fidélité, l’institution fonctionnera mal. Si par le plus heureux des hasards, la loyauté et la fidélité se rencontrent en une patronne ou en un patron, alors l’entreprise entière ou l’institution feront des merveilles.
Enfin, la notion de loyauté doit aller aussi avec la transparence. Il faut faire l’effort de dire au patron certaines choses que l’on serait tenté de cacher : un travail mal fait, des résultats d’une recherche dont les recommandations ne lui plairaient pas, les conflits d’intérêts, des vérités qu’il refuse d’accepter.
La distance
Nous en arrivons au dernier axe qui me paraît le plus important dans la relation entre le patron et le travailleur : la distance consciente.
Si vous montrez à votre patron que vous êtes un surhomme, que vous êtes capable de faire tout et d’être partout, il vous traitera comme un surhomme. Il vous demandera l’impossible et l’insurmontable. Il se fâchera parce que vous n’avez pas décroché son appel à 02h57 du matin. Il vous boudera parce que vous n’aurez pas terminé le rapport de 50 pages qu’il vous a commandé 30 minutes plus tôt, il vous fera des reproches parce que vous n’avez pas su diviser votre en corps en deux, pour être au même moment au séminaire du Plateau et à celui de Pékin. Mais il a raison, il se fâchera parce qu’avant, quand il vous a embauchés, vous décrochiez son appel à 02h57 même quand vous étiez plongé dans un profond sommeil ; il a raison parce que vous terminiez son rapport de 100 pages en dix minutes ; il vous criera dessus parce que vous aviez l’habitude d’être en même temps à Tokyo, Washington, Londres et Kigali. Vous lui avez donné l’habitude de faire l’impossible, il vous réclamera donc l’impossible. Et toute impossibilité de faire l’impossible sera considérée comme trahison.
Ne donnez pas à votre patron des habitudes que vous ne pouvez pas assumer par la suite. Le patron doit connaître vos limites physiques, intellectuelles et mentales. Il doit savoir le point de rupture à partir duquel vous craquerez sous la pression. Cela est difficile, mais apprenez (à vos risques cependant) à dire non au patron, quand cela est nécessaire. Le patron n’est pas votre ami. Ne souhaitez même pas qu’il le soit. Beaucoup essaient de s’attirer les faveurs du patron, en jouant sur les cordes sociales. Certaines le courtiseront, d’autres grefferont leur programme social au sien. Ils iront à l’Église et à la Mosquée fréquentées par leurs patrons. Ils s’installeront dans les bars et lounges où le patron a ses habitudes. Ils iront au sport avec lui, s’inscriront à son club de maracana. À l’occasion de la Fête des Mères, ils combleront les mères de leurs patrons de cadeaux, oubliant qu’ils ont eux-mêmes une mère vieillissante dans la case à qui ils n’ont jamais rien offert. Vienne la Saint Valentin, ils couvriront la femme de leurs patrons de roses d’un rouge violent, leur offriront des bijoux de grande valeur, c’est à peine s’ils ne voudraient pas aimer les femmes de leurs patrons à leur place et leur éviter tout le harcèlement d’une relation amoureuse souvent tonitruante. Que ne feraient-ils pour s’attirer la bienveillance de leurs patrons. Ces comportements sont devenus tellement communs que les patrons eux-mêmes ont fini par se convaincre que les employés qui ne se comportent pas ainsi ne sont pas "loyaux".
Croyez-moi, ne cherchez pas à devenir l’ami de votre patron. Ça ne vous arrangera pas. Dans l’oubli de vos confidences, vous vous lâcherez, vous vous laisserez aller à la découverte de votre moi profond et il plongera dans vos secrets, il saura ainsi toutes vos faiblesses, il saura que vous aimez le champagne, que vous avez une vie sexuelle débridée, que vous construisez une splendide demeure pour votre retraite, que vous avez de bons investissements, que vous avez une vie familiale souvent difficile, que vous avez l’ambition d’être plus grand que lui un jour, qu’il vous est arrivé comme tout être humain de faire des coups tordus, il réfléchira alors par trois fois avant de vous proposer à des nominations ou des promotions. Il y a des patrons, surtout Africains, qui sont très "territoriaux" (pour angliciser l’expression), donc jaloux de leur espace, de leurs prérogatives et qui n’acceptent jamais qu’un subalterne ait quelque chose de supérieur, quel que soit le domaine. Rester distant permet de gérer mieux leurs susceptibilités.
Gardez une distance stratégique avec votre patron. Pas de zèle. Pas de courtisanisme. Pas de sentimentalisme. Pas de fusion.
C’est peut-être parce que beaucoup de personnes n’ont pu prendre de la distance que leurs vies et leurs carrières ont été ruinées.
Un dernier conseil : gardez votre indépendance d’esprit. Elle vous mènera vers un destin insoupçonné.
Le travail
La raison de la relation, le ciment, l’objet, de la relation avec le patron, c’est le travail. Il faut entretenir une relation de travail saine avec son patron. Nous avons souvent tendance à nous plaindre de notre patron parce qu’il préfère tel ou tel agent parmi les autres. Mais se peut-il autrement ? Lorsque le patron lui aussi a des patrons qui lui exigent des résultats ou qu’un patron doive faire survivre sa boîte dans le monde impitoyable des affaires, il n’a pas le choix que de compter sur ses employés qui réagissent vite, qui travaillent efficacement, qui ont les réflexes appropriés. Naturellement, il concentrera sur ces employés tout le travail. Ce n’est pas une gestion rationnelle de la distribution collective des tâches. Il est un peu contraint par les circonstances. Il aurait bien aimé travailler avec tous, mais son esprit s’est concentré sur deux ou trois individus, les plus productifs. Comme de nombreux patrons ne voient pas la nécessité de se recycler et de mettre à jour leurs connaissances de la psychologie et de l’environnement du travail, le fossé se creuse entre ceux qui travaillent bien et ceux qui avancent à un rythme pas toujours satisfaisant. Tout ceci illustre bien que l’acharnement au travail est la raison fondamentale de l’établissement d’une relation stable avec son patron.
La loyauté
La loyauté est le maillon essentiel de la relation entre un patron et un travailleur. Si le patron n’a pas confiance en son collaborateur, s’il le soupçonne de ne pas maintenir la confidentialité des documents ou des décisions, s’il a l’impression qu’il sera lâché à la moindre secousse, s’il sent que des stratégies commerciales seront livrées aux concurrents, il se rétractera. La loyauté, c’est l’attachement à l’institution, aux règles, à la boîte. D’ailleurs, la base lexicale de la loyauté, c’est le mot Loi. Au Japon, il y a des entreprises privées où sont instituées des cérémonies rituelles pendant lesquelles l’employé prête serment et jure de rester loyal à cette entreprise quoi qu’il advienne. On ne peut pas vouloir que le patron soit proche de nous si nous ne donnons pas de gage d’adhésion à l’esprit de l’institution et d’attachement.
Il ne faut toutefois pas confondre loyauté et fidélité. Au travail, il faut d’abord et prioritairement être loyal. La fidélité peut venir ensuite, mais elle est essentiellement affective, c’est-à-dire un attachement émotionnel au patron. Un patron changera de poste, nous le suivrons. Un patron est dans une mauvaise passe, nous sommes à ses côtés. Ça, c’est de la fidélité, nécessaire dans certaines sphères de vie. Si on ne sait pas faire la distinction entre loyauté et fidélité, l’institution fonctionnera mal. Si par le plus heureux des hasards, la loyauté et la fidélité se rencontrent en une patronne ou en un patron, alors l’entreprise entière ou l’institution feront des merveilles.
Enfin, la notion de loyauté doit aller aussi avec la transparence. Il faut faire l’effort de dire au patron certaines choses que l’on serait tenté de cacher : un travail mal fait, des résultats d’une recherche dont les recommandations ne lui plairaient pas, les conflits d’intérêts, des vérités qu’il refuse d’accepter.
La distance
Nous en arrivons au dernier axe qui me paraît le plus important dans la relation entre le patron et le travailleur : la distance consciente.
Si vous montrez à votre patron que vous êtes un surhomme, que vous êtes capable de faire tout et d’être partout, il vous traitera comme un surhomme. Il vous demandera l’impossible et l’insurmontable. Il se fâchera parce que vous n’avez pas décroché son appel à 02h57 du matin. Il vous boudera parce que vous n’aurez pas terminé le rapport de 50 pages qu’il vous a commandé 30 minutes plus tôt, il vous fera des reproches parce que vous n’avez pas su diviser votre en corps en deux, pour être au même moment au séminaire du Plateau et à celui de Pékin. Mais il a raison, il se fâchera parce qu’avant, quand il vous a embauchés, vous décrochiez son appel à 02h57 même quand vous étiez plongé dans un profond sommeil ; il a raison parce que vous terminiez son rapport de 100 pages en dix minutes ; il vous criera dessus parce que vous aviez l’habitude d’être en même temps à Tokyo, Washington, Londres et Kigali. Vous lui avez donné l’habitude de faire l’impossible, il vous réclamera donc l’impossible. Et toute impossibilité de faire l’impossible sera considérée comme trahison.
Ne donnez pas à votre patron des habitudes que vous ne pouvez pas assumer par la suite. Le patron doit connaître vos limites physiques, intellectuelles et mentales. Il doit savoir le point de rupture à partir duquel vous craquerez sous la pression. Cela est difficile, mais apprenez (à vos risques cependant) à dire non au patron, quand cela est nécessaire. Le patron n’est pas votre ami. Ne souhaitez même pas qu’il le soit. Beaucoup essaient de s’attirer les faveurs du patron, en jouant sur les cordes sociales. Certaines le courtiseront, d’autres grefferont leur programme social au sien. Ils iront à l’Église et à la Mosquée fréquentées par leurs patrons. Ils s’installeront dans les bars et lounges où le patron a ses habitudes. Ils iront au sport avec lui, s’inscriront à son club de maracana. À l’occasion de la Fête des Mères, ils combleront les mères de leurs patrons de cadeaux, oubliant qu’ils ont eux-mêmes une mère vieillissante dans la case à qui ils n’ont jamais rien offert. Vienne la Saint Valentin, ils couvriront la femme de leurs patrons de roses d’un rouge violent, leur offriront des bijoux de grande valeur, c’est à peine s’ils ne voudraient pas aimer les femmes de leurs patrons à leur place et leur éviter tout le harcèlement d’une relation amoureuse souvent tonitruante. Que ne feraient-ils pour s’attirer la bienveillance de leurs patrons. Ces comportements sont devenus tellement communs que les patrons eux-mêmes ont fini par se convaincre que les employés qui ne se comportent pas ainsi ne sont pas "loyaux".
Croyez-moi, ne cherchez pas à devenir l’ami de votre patron. Ça ne vous arrangera pas. Dans l’oubli de vos confidences, vous vous lâcherez, vous vous laisserez aller à la découverte de votre moi profond et il plongera dans vos secrets, il saura ainsi toutes vos faiblesses, il saura que vous aimez le champagne, que vous avez une vie sexuelle débridée, que vous construisez une splendide demeure pour votre retraite, que vous avez de bons investissements, que vous avez une vie familiale souvent difficile, que vous avez l’ambition d’être plus grand que lui un jour, qu’il vous est arrivé comme tout être humain de faire des coups tordus, il réfléchira alors par trois fois avant de vous proposer à des nominations ou des promotions. Il y a des patrons, surtout Africains, qui sont très "territoriaux" (pour angliciser l’expression), donc jaloux de leur espace, de leurs prérogatives et qui n’acceptent jamais qu’un subalterne ait quelque chose de supérieur, quel que soit le domaine. Rester distant permet de gérer mieux leurs susceptibilités.
Gardez une distance stratégique avec votre patron. Pas de zèle. Pas de courtisanisme. Pas de sentimentalisme. Pas de fusion.
C’est peut-être parce que beaucoup de personnes n’ont pu prendre de la distance que leurs vies et leurs carrières ont été ruinées.
Un dernier conseil : gardez votre indépendance d’esprit. Elle vous mènera vers un destin insoupçonné.