Gagnoa - Des élèves, qui devraient être en classe pendant toute l’année scolaire, se retrouvent, en partie ou tout le temps, dans des mines d’orpaillages illégaux dans le département d’Oumé dans la région du Gôh. Trois d’entre eux exerçant dans les sites de Dougbafla et de Doka se sont ouverts à l’AIP. Lumière sur un fléau qui gagne du terrain.
Il est cinq heures de l’après-midi d’août 2022, lorsque nous honorons un rendez-vous, dans un kiosque à café, non loin d’un hôtel d’Oumé. Urbain (nom d’emprunt), un élève en classe de troisième dans un établissement secondaire d’Oumé, nous y attend. Un quart d’heure d’attente. Point d’orpailleur. « Ici, tout le monde est méfiant, » nous explique notre guide en guise d’avertissement et de consolation. Seulement, voilà. Quelques minutes plus tard. Nous apercevons de l’autre côté de la rue, un élégant jeune homme, vêtu d’une chemise propre sur un pantalon jeans neuf qui nous fait signe de le rejoindre. L’inconnu s’exprime dans un français correct. Originaire du gros village de Dougbafla, situé à cinq kilomètres de la ville d’Oumé. Il explique très rapidement comment lui et ses amis ont rejoint un site d’orpaillage situé à deux kilomètres de Dougbafla.
Selon le jeune homme, son père n’arrivait plus à acheter ses fournitures et tenues scolaires. Chaque jour, c’était 5 km en aller et 5 km au retour, qu’il parcourait. Pour manger à midi, tous, originaires du même village de Dougbafla, se cotisait. « Il m’arrivait souvent de manger sans cotiser et cela me gênait », confesse le jeune homme, tête baissée. Un passé douloureux qu’il ne souhaite plus le revivre. « Fort heureusement », dit-t-il, sa vie va connaître un autre virage, lorsqu’il s’est retrouvé par la force des choses, « coursier » de circonstance.
En effet, un orpailleur, un adulte celui-là, courtisait sa cousine et lui, se chargeait de transmettre les messages à la jeune femme. « Il me donnait un peu d’argent pour les commissions », note Urbain. C’est ainsi que de fil en aiguille, ce dernier lui propose de venir travailler sur le site, vu qu’il sait lire et écrire. Il est à retenir de la confession de K.B., que sa tâche, au début, consistait à inscrire les noms de tous ceux qui venaient sur le site dans un cahier, et chaque soir, ensemble, ils faisaient le « pointage », comme ils le disent dans leur jargon. Comme revenu, K. B. souligne qu’il recevait mille francs pour le déjeuner, et deux mille francs le soir, à la descente, sauf le vendredi où il n’y avait pas de travail.
« J’ai préféré demeurer dans l’orpaillage, parce que c’était dur pour moi à la maison et à l’école », fait-il observer. Et voilà deux ans que ce travail sans avenir si ce n’est le chômage au bout ou la prison, dure. Peut-être qu’il devient lucide. Urbain confie que son père a pu récupérer sa plantation qu’il avait hypothéquée quelques années auparavant. Objectivement, il devrait donc reprendre les cours en 2022-2023. Il indique que ses amis, une dizaine environ, tous issus du même village, travaillent dans les sites d’orpaillage pour avoir de l’argent.
Urbain ne s’arrête pas là dans son témoignage. « Croyez-moi, le second aspect, c’est avoir de l’argent pour relever la concurrence qui est forte au niveau des filles », a ajouté le désormais ex-élève. D’ailleurs, les regrets du jeune homme pointent déjà. « Aujourd’hui, non seulement la tendance a baissé à cause de la présence des gendarmes-commando qui brûlent tout, mais aussi, pour avoir de l’or, c’est beaucoup plus complexe maintenant, puisqu’il faut plus de moyens. Apparemment, les gens disent qu’il faut creuser plus profondément. Donc, on en trouve plus comme avant. » La rentrée qui pointe, n’assure pas pour lui, une place à l’école, confirme l’éducateur, qui confirme que Urbain est dorénavant sur le liste des élèves exclus de cet établissement public,
Un groupe venu du village de Doka, à deux km de Dougbafla
Suivant notre guide, tous les deux vêtus de vêtements défraîchis, nous nous rendons sur le site de Dougbafla. À l’infini. Un paysage dénaturé par des puits et des tumulus de terre rouge. Au milieu de tout cela, des personnages, dont de jeunes enfants, maculés de boue. Venu de Doka, un autre village tout proche, Jean-Jacques, élève en classe de quatrième, est assis sur un morceau de carton, à même le sol. « Fais comme si tu ne me parles pas et regarde ailleurs », nous conseille-t-il. Nous comprenons bien vite qu’il ne veut pas se faire remarquer. JJ, comme l’appelle ses amis explique qu’au début, il allait visiter le site et était fasciné par le travail que menaient les gens : « Nous ne les apercevions pas, puisqu’ils étaient en train de creuser. »
« C’est en général des Burkinabés qui travaillent ici. Ils sont venus par car plein », nous explique-t-il. Selon JJ, « ce sont nos parents qui offrent aux orpailleurs les parcelles et parfois, leurs plantations de cacaoyers en production. Quant aux femmes, très majoritairement Malinké, elles font la cuisine sur place et vendent à manger. »
« Nous. Les élèves. Nous avons commencé à travailler avec eux, quand ils avaient besoin d’eau à boire », nous révèle le jeune homme. Le bidon d’eau de 25 litres qui était à cinq cents francs est vendu par les élèves à mille francs. Il ajoute que ses amis et lui font ce travail pour se faire un peu d’argent de poche pour les sorties sur Oumé les samedis soir, mais aussi, pour acheter de « bons portables », comme « nos amis qui font le boucan dans le village. »
Non loin de nous, un jeune tout frêle tamise maladroitement la terre. « Il est arrivé il n’y a pas longtemps de cela », fait observer le guide. Précision de taille, ses amis, une dizaine environ, et lui, prétextant n’avoir pas totalement abandonné l’école au détriment de l’orpaillage, même si au constat implacable, c’est l’école buissonnière qui est devenue la règle et donc le renvoi en fin d’année.
« Si tu fais orpaillage, c’est difficile de faire bonne école »
« Lorsque les orpailleurs sont arrivés dans le village de Doka, ils donnaient de l’argent au chef et aux présidents des jeunes. En contrepartie de l’utilisation des terres, les autorités villageoises exigeaient que les jeunes du village soient recrutés. C’est ainsi que de nombreux jeunes gens se sont retrouvés sur les sites, » nous raconte sans difficulté, un autre élève. Un peu plus âgé et robuste, cet autre jeune homme affirme, lui aussi, être élève, mais refuse de décliner son identité. « Ici, c’est la loi du silence, » fait-il observer, avant de préciser que les orpailleurs et les habitants du village leur interdisent formellement de parler aux journalistes.
Celui que nous nommerons Oscar, a pour rôle de jouer les agents de sécurité. « On surveille ceux qui creusent et le soir on les fouille », note-t-il. Par ailleurs, il dirige une équipe chargée d’empêcher les visites sur le site. Et, s’il y a des visiteurs, de les empêcher d’avoir des contacts avec les « creuseurs”. » Le travail se fait par groupe. Comme ses amis et lui vont à l’école pendant la journée, ils sont reversés dans le groupe de nuit. Toute l’année scolaire, cela s’est passé ainsi et ce sera pareil à la rentrée, assure Oscar.
Le site, selon ces jeunes, est réellement dangereux, et ceux qui creusent les trous peuvent y perdre la vie. « J’y ai assisté une fois. C’était effroyable » fait savoir notre dernier interlocuteur, Oscar. En plus, reconnaît-il, « si tu fais l’orpaillage, c’est difficile de faire bonne école ».
Il souligne que les départs anticipés en congés de Noël ou de Pâques a longtemps constitué de véritables aubaines pour nombre d’en eux, vu qu’il existe de nombreuses mines d’orpaillage illégaux dans toute la zone d’Oumé et Hiré. « Malheureusement pour eux, ce qu’ils croient être une porte de sortie, hypothèque dangereusement leur avenir, puisque sans issu », regrette la directrice régionale de l’éducation nationale de Gagnoa, Dame Amonkou Valentine.
Dogad DOGOUI
(AIP)
dd/tm