La Tunisie, pays oléicole le plus important du Sud de la Méditerranée, se positionne comme l'une des principales puissances mondiales dans le secteur de l'huile d'olive. Selon le rapport du Conseil Oléicole International, en 2022, le pays occupait la troisième place en termes de production mondiale, avec une estimation de près de 240 000 tonnes d'huile d'olive produites. Cette production massive engendre chaque année des milliers de tonnes de résidus d'olive, créant ainsi un défi environnemental majeur, à savoir la gestion de ces déchets et la prévention des risques de pollution.
Le regard novateur de Yassine Khelifi
Depuis son enfance, Yassine a toujours été exposé au secteur agricole et oléicole grâce à sa famille. Il accompagnait souvent son père au moulin à huile, où il observait les ouvriers agricoles utiliser les grignons d'olive comme source de chauffage et de cuisine. Cette expérience a nourri son esprit innovant et lui a ouvert les yeux sur le potentiel des résidus d'huile d'olive.
Conscient des problèmes environnementaux et des défis posés par l'élimination des déchets de l'huile d'olive, il décide de fonder BioHeat pour offrir à ses clients une source d'énergie alternative et durable.
Natif de la région agricole de la Manouba, en Tunisie, Yassine Khelifi est de souche ingénieur géomaticien. Avec sa startup, il exploite les déchets de la transformation de l'huile d'olive pour fabriquer des briquettes.
De l'olive au feu : un processus révolutionnaire de fabrication des briquettes écologiques
Les briquettes BioHeat sont fabriquées à partir de grignons d’olives rachetés auprès des huileries qui les considèrent comme des déchets. Le processus de production de ces pépites se fait majoritairement à la main.
"Nous faisons le ramassage au niveau des huileries. Et nous transportons les grignons jusqu’à l’usine", explique Yassine Khelifi.
“Ensuite, avec l'aide d'une équipe de 5 ouvriers et un gestionnaire, poursuit-il, les briquettes sont obtenues par le pressage hydraulique d’une machine de presse fabriquée localement à l’aide d’un ingénieur afin de répondre essentiellement aux besoins de la startup. Car les machines existantes sur le marché sont dédiées à la fabrication des briquettes à base de sciure de bois. Or le bois et les grignons d’olives n’ont pas les mêmes caractéristiques (humidité, viscosité, densité, …)”.
Après le pressage, les briquettes sont découpées manuellement puis transportées pour le séchage sur des clichés dans une serre. "Ces briquettes sont séchées à l’air libre pendant 25 jours. Ce qui permet d’obtenir 7 à 8% d’humidité et une faible empreinte carbone", ajoute t-il.
Une fois les briquettes séchées, elles sont emballées manuellement dans des cartons d'une capacité de 15 kg par carton.
Le fondateur de BioHeat souligne, par ailleurs, que les briquettes combustibles produites sont entièrement naturelles, sans l'ajout d'aucun produit chimique. Elles ne nécessitent pas non plus d'abattage d'arbres vivants.
Des retombées multiples
Cette ingéniosité produit de multiples retombées, dont notamment la réduction des déchets et des émissions de CO2. Le recyclage et la transformation des résidus d'olive en bûches permettent de donner, en effet, une seconde vie à ces déchets. Cela contribue à réduire la quantité de déchets organiques envoyés dans les décharges ou rejetés dans la nature.
Certifiés par le laboratoire SGS tunisie, les produits BioHeat combustibles sont 100% naturels avec un rejet en CO2 inférieur à 80% comparativement aux combustibles traditionnels (bois de chauffe, charbon de bois). Ils permettent ainsi une alternative plus écologique et moins néfaste pour la santé des consommateurs en plus d’aider à lutter contre le changement climatique.
Malgré leur caractère écologique et le processus de fabrication innovant, les briquettes sont commercialisées à un prix compétitif d’environ 0.765 DT par kilogramme (environ 150 F Cfa). Elles sont également disponibles en paquets de 13 kg, avec un prix de 10 DT par carton (environ 2000 F Cfa). De plus, seulement 1 kg de ces briquettes permet de remplacer l’équivalent de 3 kg de bois.
D’autre part, les bûches écologiques fabriquées à partir de résidus d'olive participent à l’utilisation durable des ressources. Au lieu d'utiliser du bois provenant d'arbres abattus, elles valorisent les sous-produits de l'industrie de l'huile d'olive et contribuent à la préservation des écosystèmes forestiers.
Le recyclage et la transformation de ces résidus d'olive en bûches écologiques favorisent le développement d'une économie circulaire, où les déchets sont valorisés et réintroduits dans le processus de production. Cela encourage une utilisation plus efficace des ressources et réduit la dépendance aux matières premières vierges.
Dans le même temps, la trouvaille intervient dans la stimulation de l'économie locale avec un impact social direct.
Grâce à l’initiative, des opportunités d'emploi ont été créées, avec l'embauche de quatre ouvriers, ainsi que d'un chef de production et d'un responsable de la logistique et des ventes. En collectant les résidus d'olive auprès des producteurs locaux, l'entreprise soutient l'économie rurale en offrant une source de revenus supplémentaire aux agriculteurs.
Au-delà du marché intérieur, l'entrepreneur travaille sur l’échelle internationale et exporte déjà vers la France où les briquettes BioHeat sont utilisées pour les locomotives à vapeur et le chauffage.
Les défis et limites d'une innovation audacieuse
Dans sa quête d'une solution écologique, Yassine Khelifi fait face à certains défis et limitations. L'un des principaux défis réside dans la capacité de production relativement restreinte de l'entreprise.
"La machine de presse produit 1000 tonnes de briquettes par an, tandis que notre capacité de séchage est de 400 tonnes actuellement. De ce fait, nous ne sommes qu’à 40% de notre capacité de production sur 100%. L’un de nos plus gros défis concerne la logistique, il nous faut beaucoup d’espace de séchage", indique l’entrepreneur tunisien non sans faire appel à des financements.
De plus, la période d'extraction saisonnière des résidus d'olive de novembre à mars crée une disponibilité limitée des matières premières le reste de l'année, entraînant des défis en termes de continuité de production.
La dépendance à l'industrie de l'huile d'olive, la non disponibilité des matières premières et les fluctuations des prix peuvent également affecter la production.
Outre l'augmentation des risques liés à la santé et à la sécurité des travailleurs, le travail manuel utilisé dans le chargement, la coupe, le transport, le séchage et l'emballage des briquettes, indique une capacité de production limitée. Ceci constitue également une équation à résoudre pour répondre à une demande croissante ou à des besoins commerciaux plus importants.
À une époque où les problèmes environnementaux suscitent une inquiétude croissante, et où l'innovation et l'entrepreneuriat social jouent un rôle essentiel dans la recherche de solutions durables, Yassine Khelifi incarne parfaitement cette approche holistique, combinant des aspects écologiques, économiques et sociaux, pour transformer les défis environnementaux en opportunités prometteuses. Son initiative témoigne du potentiel de l'entrepreneuriat social à générer un impact positif pour un avenir plus durable et résilient pour la planète.
Les perspectives futures de Yassine sont prometteuses avec un objectif clair d’étendre son impact sur le marché africain grâce à sa technologie novatrice. En mettant en place et en vendant des machines de presse pour valoriser les résidus d’autres produits tels que l’huile de soja et les transformer en combustibles solides, il contribue à la résolution de problèmes tout en créant des sources d’énergie alternatives. A l'échelle mondiale Yassine Khelifi envisage également une expansion de ses produits, l’ouverture de plusieurs points de ventes en Europe et en Asie. Cette ambition témoigne de sa vision à long terme et de sa volonté de diffuser son impact à l’échelle mondiale en offrant des solutions écologiques et environnementales.
Par L. Lago