Le géant Suisse du chocolat et du broyage Barry Callebaut et le négociant Singapourien de matières premières agricoles Olam ont fortement réduit leurs achats de fèves de cacao depuis mi-décembre suite à une augmentation effrénée des prix offerts aux fournisseurs, situés entre 230 et 250 fcfa supplémentaires par kilogramme de cacao dans les ports d’Abidjan et de san Pedro, a appris Reuters , jeudi, de plusieurs sources dans l’industrie.
Selon ces sources, les exportateurs sont contraints de surpayer les fèves de cacao aux fournisseurs s’ils veulent disposer des volumes nécessaires pour atteindre leurs objectifs dans un contexte de spéculation d‘exportateurs et des fournisseurs, ainsi que d’une baisse de la production de la récolte principale même si celle-ci est de 26% supérieure à celle de la saison dernière, mais en dessous des prévisions annoncées en début de saison.
Un exportateur international déplore « des déblocages spéculatifs à prix non fixé comme en 2017 permettant le surpaiement et des fournisseurs, ne respectant pas les prix du barème, capables d’imposer des prix à l’ensemble de la filière ; sans que ni les producteurs, ni l’État ou le CCC ne profitent de ces surpaiements aux intermédiaires allant jusqu’à 250 FCFA au-dessus du barème ».
Cette situation de forte concurrence créée artificiellement par les fournisseurs pour augmenter leurs marges, oblige les exportateurs à payer plus cher les fèves et pousse certains à réduire leurs achats ou d’autres à les arrêter, faute de moyens financiers adéquats pour surenchérir.
Cela fait planer encore le risque de défaut sur certains exportateurs incapables d’acheter les volumes nécessaires.
« Nous avons dû nous résoudre à ralentir fortement nos achats de cacao en brousse depuis la mi-décembre à cause de l’inflation des prix aux ports. Selon le barème, c’est 1930 fcfa/kg le cacao livré au port y compris le transport mais depuis décembre, le prix exigé par les fournisseurs est de 2230 ou 2250 fcfa/ kg » a dénoncé un responsable de Barry Callebaut qui refuse ce dictat des fournisseurs.
Un autre responsable chez Olam dénonce la même situation qui pousse la société à réduire drastiquement ses achats de cacao alors que les besoins sont importants et que la production baisse.
« C’est impossible d’acheter à 250 fcfa/kg au-dessus du prix du barème officiel qui garantit la rentabilité du business. Nous avons besoin de cacao mais pas à ce prix » a-t-il déclaré.
Selon 7 acheteurs de cacao installés à Soubré, San Pedro, Duékoué et Meagui, interrogés par Reuters, ce surpaiement est une prime qu’ils demandent aux exportateurs afin de bénéficier eux-aussi de la hausse des cours mondiaux du cacao qui atteignent des sommets.
Pour ce faire, les fournisseurs appelés « traitants » stockent les fèves au-delà des 15 jours réglementaires autorisés par le CCC et créent une pénurie artificielle qui pousse les exportateurs à accepter de payer des prix beaucoup plus élevés.
Bien que le surpaiement soit interdit par les règles de commercialisation du CCC, il est aujourd’hui largement pratiqué pour avoir le cacao dans un contexte de concurrence farouche, face aux fournisseurs qui imposent leurs prix grâce à leur maitrise de la commercialisation interne.
« C’est interdit mais on va faire comment ? C’est le seul moyen de gagner plus d’argent avec les exportateurs quand le marché mondial est en hausse et quand il n’y a pas assez de cacao pour tout le monde » a déclaré un important acheteur libanais basé à San Pedro qui confirme qu’il ne livre pas de cacao au port en dessous de 2230 fcfa/kg soit une marge supplémentaire de 300 fcfa/kg comparé au barème officiel du CCC.
Tout comme lui, un autre acheteur de cacao libanais installé à Soubré au cœur de la boucle du cacao, affirme que les marges étant insignifiantes par rapport au cours du marché mondial, il est normal que les exportateurs payent plus cher.
« Le barème du CCC ne nous donne pas beaucoup d’argent or nous dépensons beaucoup sur la route et dans les villages pour sortir le cacao et le livrer au port. Le barème ne prend pas en compte l’argent qu’on donne aux policiers et aux gendarmes sur la route » a-t-il justifié.
Cependant le CCC a augmenté la marge des intermédiaires de 20FCFA/kg entre 2023/2024 et 2024/2025 pour prendre en compte leurs demandes.
Un transformateur à San Pedro très inquiet pour l‘approvisionnement de son usine explique «ces traitants abusent de leur position dominante dans la commercialisation intérieure, pour exploser leur marge. En face de ces traitants, il y a des exportateurs indépendants, dont certains qui sont aussi traitants, qui ont spéculé sur les déblocages au risque du CCC comme en 2017. Avec le marché qui a fortement monté et n’ayant pas revendu leurs déblocages dans un délai de 6 jours comme le prévoient les règles de fonctionnement du CCC, ces exportateurs en PMEX ou COOPEX ont des gains de 2000 à 3 000 FCFA par kilo, et ils peuvent donc se permettre de surpayer les traitants qui veulent leur part du gâteau.
« En dehors du problème du surpaiement, si le marché tombe, ce sera une catastrophe financière pour le CCC encore plus importante qu’en 2017. Il faut comprendre que ce qui permet à certains exportateurs de surpayer, c’est la pratique interdite de la spéculation au risque de la Caisse Café Cacao. Quand ces exportateurs indépendants débloquent des contrats de vente avec le CCC, ils fournissent des contrats factices au CCC, puis ils se mettent d’accord avec des sociétés en Europe pour attendre et spéculer sur une hausse du marché, quand ça monte ils empochent les gains quitte à surpayer le cacao ; cette année ça été le jackpot, mais si ça tombe c’est le CCC qui prend les pertes.
Ces combines sont en train de déstabiliser tout l’écosystème, de la transformation jusqu’à la commercialisation interne et externe. Il faut que le CCC prenne contrôle de la commercialisation interne ».
Pour les petits exportateurs qui ne disposent pas des moyens financiers des multinationales, l’inquiétude est grande et le risque de défaut devient important et pousse le régulateur, le CCC et le gouvernement à agir pour freiner cette surenchère et la spéculation sur les contrats de vente.
« Si même des multinationales qui ont des ressources financières étendues comme Olam et Barry refusent de surpayer, ce n’est pas nous les petits et sans ressources qui allons le faire ? Il faut mettre fin à ça » demande le directeur d’une société locale d’exposition qui ne pense pas pouvoir acheter les 6000 tonnes dont il a besoin pour atteindre ses objectifs.
« Contrairement à ce que l’on voit, il n’y a pas assez de volume pour tout le monde. La production est en baisse, et le CCC a trop vendu et tout le cacao va chez quelques-uns en mesure de surpayer grâce à la spéculation, donc le risque de défaut est bien supérieur pour un grand nombre de sociétés comme la nôtre » a affirmé un autre exportateur qui est à la recherche de 9000 tonnes d’ici Mars et qui presse le CCC d’appliquer les règles.
« Le régulateur doit jouer son rôle et agir pour mettre fin à cela en sanctionnant les traitants, en renforçant les contrôles de stocks en brousse et en mettant fin à la spéculation sur les contrats de vente. Le surpaiement est interdit, Il faut donc appliquer le règlement a-t-il ajouté.
Interrogé, le CCC n’a pas souhaité répondre à Reuters.