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Société Publié le mardi 7 octobre 2025 | BBC

Comment valoriser les eaux de ruissellement : ce que proposent les experts

Comment valoriser les eaux de ruissellement : ce que proposent les experts
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Comment valoriser les eaux de ruissellement : ce que proposent les experts
Chaque goutte d’eau qui tombe du ciel compte. Hydrologues, agronomes et ingénieurs s’accordent à reconnaitre que les eaux de ruissellement représentent une opportunité pour nourrir l’Afrique à travers l’agriculture.

Chaque goutte d'eau qui tombe du ciel compte. Hydrologues, agronomes et ingénieurs s'accordent à reconnaitre que les eaux de ruissellement représentent une opportunité pour nourrir l'Afrique à travers l'agriculture.

Les spécialistes que nous avons interrogés (hydrologues, agronomes, environnementalistes) proposent des solutions qui pourraient aider à tirer profit des eaux de ruissellement.

Les chiffres du paradoxe hydrique

"Près de 95 % de la production alimentaire africaine est exclusivement alimentée par l'eau de pluie. En raison du manque d'eau et de conditions géographiques défavorables, seulement 5,5 % des terres arables sont irriguées. Ironiquement, bien que l'Afrique soit le deuxième continent le plus sec au monde, elle perd également la majeure partie de ses réserves d'eau de pluie", peut-on lire dans un article de Down To Earth inspiré du rapport 2024 sur l'Etat de l'Environnement en Afrique produit par le Centre pour la science et l'environnement (CSE), un groupe de réflexion et de recherche basé à Delhi (Inde).

Selon une estimation du CSE "l'Afrique subsaharienne dispose d'un potentiel de collecte des eaux de pluie de 13 365 000 mètres cubes", équivalent à "près de 44 550 fois le volume moyen d'eau qui s'écoule quotidiennement dans le Nil".

En effet, à chaque saison des pluies, l'Afrique subsaharienne fait face à un chaos hydrique : les villages et les villes se transforment en rivières, les semis sont submergés en milieu rural, les eaux stagnent un peu partout et entrainent des inondations.

Mais quelques mois plus tard, les eaux stagnantes s'évaporent progressivement, laissant la place à la sécheresse qui s'installe dans les villages, et à la famine dans certaines contrées, au gré des récoltes compromises.

De nombreux chercheurs estiment que cette contradiction est l'un des grands paradoxes de l'Afrique subsaharienne : de l'eau en abondance pendant trois ou quatre mois, puis un déficit hydrique qui pénalise l'agriculture le reste de l'année.

Les eaux de ruissellement représentent "beaucoup d'opportunité à exploiter (pour l'agriculture) surtout dans les pays du Sahel", selon Dr El Hadji Ousmane Ndiaye, hydrologue et enseignant-chercheur à l'Université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar.

Comment capitaliser ce surplus d'eau au bénéfice de l'agriculture ? Les experts estiment que le trop-plein d'eau peut être capté pour irriguer les champs et abreuver le bétail.

C'est quoi les eaux de ruissellement ?

"Les eaux de ruissellement sont les surplus d'eau de pluie n'ayant pas réussi à s'infiltrer dans le sol ou à s'évaporer et qui s'écoulent à la surface du sol", explique Dr El Hadji Ousmane Ndiaye, hydrologue et enseignant-chercheur à l'Université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar. "Le processus hydrologique se passe dans un espace topographique et hydrographique appelé bassin versant", poursuit-il.

Selon l'enseignant-chercheur, "il s'agit de la surface ou l'aire limitée par le contour à l'intérieur duquel l'eau précipitée se dirige vers l'exutoire de la rivière qui est le point le plus en aval du réseau hydrographique où transitent les eaux de ruissellement vers d'autres bassins versants ou vers la mer".

Dans cette logique de répartition hydrique, c'est "le bassin versant qui organise le ruissellement à partir des lignes de crêtes ou lignes de partage des eaux…".

Du point de vue du bilan hydrologique, Dr El Hadji Ousmane Ndiaye indique que "la lame d'eau écoulée est la partie de la pluie qui a effectivement ruisselé".

"Un potentiel très énorme" pour l'agriculture

Cette partie de la pluie qui a ruisselé "représente la hauteur d'une lame d'eau répartie uniformément à la surface du bassin versant de volume égal au volume écoulé à l'exutoire pendant la même période".

"Cette lame d'eau écoulée qu'on peut exprimer en volume d'eau est un potentiel très énorme en Afrique subsaharienne", estime Dr Ndiaye.

"Une pluie de 117 mm tombant sur un bassin versant de 21km² dans la zone de Bambey a donné un volume écoulé de 502400 m3", révèle-t-il en guise d'exemple.

"Dans les bassins urbains de la presqu'ile du Cap-Vert, les travaux de René Ndimag Diouf, chercheur de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar ont révélé pour la pluie de fréquence décennale, un volume ruisselé de 344 692 m3 pour le bassin de Grand Yoff qui a une superficie de 9,7km² et un volume ruisselé de 155 440 m3 pour le bassin de Ngor sur une superficie seulement de 3,5km² ", poursuit-il.

"Vous imaginez les volumes ruisselés dans les bassins versants urbains des autres villes du Sénégal et dans les bassins des pays comme la Guinée Conakry où les précipitations sont largement plus importantes. Ce sont donc des milliards de mètres cubes d'eau mobilisable chaque année en Afrique subsaharienne", fait remarquer l'enseignant-chercheur.

Par conséquent, dit-il, cela représente "beaucoup d'opportunité à exploiter surtout pour les pays du Sahel, du Sénégal au Tchad où l'insécurité alimentaire a été aggravée par les phases de sécheresses antérieures et la situation géopolitique dans la région avec les conflits actuels imposés par les groupes armés".

"Dans les pays du Sahel, comme il y'a une saison sèche plus longue (…), l'utilisation des eaux de ruissellement serait une bonne option pour prolonger les activités agricoles (…) et surtout pour améliorer les rendements", argumente-t-il.

"Dans des pays comme le Sénégal, avec la disponibilité des eaux de ruissellement, les agriculteurs peuvent prolonger la saison agricole qui dure 3 à 4 mois dans beaucoup de zones du bassin arachidier en pratiquant l'irrigation pour d'autres types de culture", indique Dr El Hadji Ousmane Ndiaye.

"Dans le bassin arachidier sénégalais, les rendements dans l'agriculture pluviale dépendent de la qualité de la saison des pluies, notamment le début, la fin et la répartition dans le temps et dans l'espace des précipitations, ce qui rend très incertain de bons rendements d'une année à l'autre", souligne Dr Ndiaye.

A son avis, avec l'exploitation des eaux de ruissellement, "une agriculture plus diversifiée avec l'introduction du maraichage et même l'arboriculture fruitière permettrait de lutter contre l'insécurité alimentaire dans la région".

Les bassins de rétention, des ouvrages mal exploités

"En Afrique subsaharienne, le potentiel est faiblement utilisé par rapport aux volumes ruisselés dans les bassins versants. Au Sénégal, le programme des bassins de rétention était prometteur car l'approche opérationnelle visait à stocker beaucoup d'eau de pluie dans certains endroits du pays", rappelle Dr Ndiaye.

"Des pays comme le Burkina Fasso et le Niger exploitent beaucoup plus les eaux de ruissellement que le Sénégal où cette option jusqu'à présent est assez limitée malgré le potentiel énorme", renchérit l'enseignant chercheur.

Le 29 mars 2006 à Dakar, alors qu'il présidait la cérémonie d'ouverture d'un séminaire international sur "Les bassins de rétention et la grande muraille verte", le président Abdoulaye Wade avait émis le souhait de réaliser un bassin de rétention par village ou par commune sur le territoire national, pour régler le problème des inondations, mais aussi pour booster l'agriculture de contre saison.

Malheureusement, l'objectif fixé n'a pas été atteint puisque seules quelques communes avaient bénéficié de ces ouvrages devenus un danger pour les populations, surtout avec les risques de noyade pour les enfants.

Par défaut d'entretien, ces ouvrages à ciel ouvert constituent également des problèmes de santé publique (paludisme) et environnementaux, favorisant le développement des moustiques et des bactéries, avec les déchets qui y sont déversés par les riverains.

"Vous imaginez actuellement les bénéfices pour l'agriculture de contre saison au Sénégal si les eaux de ruissellement sont collectées dans les plateaux de Thiès, en Casamance, au Sénégal Oriental, dans certaines parties du Ferlo et surtout dans nos villes", s'exclame Dr El Hadji Ousmane Ndiaye.

Toutefois, "les eaux de ruissellement peuvent avoir des effets variables sur les sols, parfois négligeables, parfois catastrophiques", indique Dr Aliou Gori Diouf, géographe spécialiste en Environnement et Changement climatique.

"Tout dépend de leur volume, de l'intensité du ruissellement, de la pente du terrain et de la sensibilité des sols concernés. Lorsque le ruissellement est intense, sur des pentes marquées et des sols fragiles, l'impact peut être écologiquement désastreux", explique-t-il.

L'impact des changements climatiques

Au Sénégal, par exemple, avec les effets du changement climatique, plusieurs zones du pays ont connu ces dernières années des pluies extrêmes occasionnant des inondations à Dakar, à Touba, à Tambacounda, etc. au détriment d'autres régions du pays qui sont moins arrosées.

"Au Sénégal, même si la pluviométrie annuelle n'a pas encore rattrapé celle des années 50, le changement climatique augmente les évènements pluvieux extrêmes", soutient Dr El Hadji Ousmane Ndiaye.

"Le 26 août 2012, des inondations catastrophiques ont été observées dans les bassins versants urbains de Dakar après une averse de 161mm tombée entre 9h16mn et 11h46mn dont 144mm en 51minutes. Selon Honoré Dacosta, un chercheur du laboratoire d'hydromorphologie de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, l'intensité de cette pluie dépasse tous les extrêmes enregistrés jusque-là", rappelle M. Ndiaye.

"En 2024, la ville de Kaolack a enregistré une pluie de 181mm provoquant de graves inondations. Cette année, Tambacounda au Sénégal oriental a reçu deux fortes pluies qui ont entrainé des inondations spectaculaires. Dans la ville de Touba, les inondations sont toujours catastrophiques depuis que la pluie de fréquence centennale a été enregistrée comme en 2024", poursuit le chercheur.

"L'exemple de Touba montre effectivement que le changement climatique augmente la fréquence des événements extrêmes qui peuvent causer des inondations dont l'occurrence augmente fortement depuis le début des années 2000 dans nos villes", explique ce membre actif de l'Association Sénégalaise pour la Protection de l'Environnement et de l'Association "Touba Xepp Ndox Mu Neex" (Touba arrosée d'eau potable) qui regroupe 250 experts sénégalais.

Comment pourrait-on valoriser les eaux pluviales ?

Pour Ansoumane Bodian, enseignant chercheur en hydrologie au Département de Géographie de l'Université Gaston Berger de Saint-Louis, "il serait bien de valoriser ces ressources en eau par la mise en place d'ouvrages hydrauliques tels que des bassins de rétention, des mini barrages sur les petits cours d'eau et des barrages sur les grands hydrosystèmes comme les fleuves Gambie et Casamance, etc."

Selon lui, "il serait (aussi) bien de mettre en place, par exemple, des systèmes de récupération des eaux de ruissellement pour alimenter la nappe et par conséquent lutter contre l'intrusion du biseau salé, surtout au niveau de la bande centrale salée".

Pour sa part, le géographe Dr Aliou Ngori Diouf, spécialiste en Environnement et Changement climatique, propose des solutions plus radicales.

"Il ne suffit (…) pas de capter l'eau, mais il faut plutôt mettre en place des mécanismes permettant son usage efficace et rentable", dit-il.

"Les eaux de ruissellement peuvent être collectées dans les zones inondées, là où elles posent des problèmes. Leur exploitation est d'autant plus rentable qu'elles sont utilisées à proximité de leur point de collecte, sans nécessiter de transfert coûteux sur de longues distances", explique-t-il.

L'environnementaliste propose une "réorganisation de l'occupation du sol" dans les zones inondables.

A son avis, "les zones inondables ne devraient pas être urbanisées, mais réservées à des activités agricoles". Il estime que "cette reconversion faciliterait directement l'usage des eaux retenues, en les valorisant pour l'irrigation et la production agricole".

"Dans les zones urbaines, des bassins de rétention ou des étangs peuvent stocker les eaux pluviales qui peuvent ensuite être redistribuées localement pour l'entretien des espaces verts, des jardins potagers familiaux, ou encore pour les projets d'agriculture urbaine sur les toits, les terrasses et les cours intérieures", suggère-t-il.

Pour se faire, Dr Diouf estime que cela nécessite beaucoup de courage.

"Cela implique un changement de mentalité et d'habitudes des citadins, qui doivent intégrer l'agriculture urbaine comme une stratégie de valorisation durable de l'eau", dit-il.

"En milieu rural, selon Dr Diouf, "il existe aussi des techniques éprouvées, comme en Tunisie, où des citernes souterraines permettent de stocker l'eau de pluie excédentaire pendant la saison humide. Ces réserves peuvent ensuite être utilisées pour l'agriculture, l'élevage, ou d'autres usages domestiques".

"Ces systèmes, constitués de réservoirs enfouis, pourraient être adaptés et expérimentés au Sénégal, moyennant des procédés garantissant la qualité et la potabilité relative de l'eau stockée", poursuit-il.

Qu'en est-il des eaux fluviales ?

Pour illustrer le volume des pertes en eau en Afrique subsaharienne, Ansoumane Bodian donne en exemple le fleuve Sénégal.

"Un exemple (qui) peut servir à illustrer les pertes en eau dans nos régions, c'est le fleuve Sénégal qui est le plus grand cours d'eau qui intéresse le Sénégal, avec une superficie de plus de 300 000 km2", souligne l'enseignant-chercheur en hydrologie à l'UGB de Saint-Louis.

"Dans ce bassin, les pluies varient de 1500 mm au sud dans la région de Mamou en Guinée-Conakry à 250-300 mm à Saint-Louis", explique-t-il tout en rappelant le volume encore faible d'eau valorisée du barrage de Manantali qui stocke de l'eau par moment.

"En effet, les apports du fleuve Sénégal à Bakel (station qui contrôle les apports en eau à la Vallée et au Delta) sont de 18-19 milliards de mètre cube d'eau. Sur ces 18-19 milliards de mètre cube d'eau, 13 milliards de mètre cube d'eau sont rejetés en mer par des lâchers au niveau du barrage de Diama", dit-il.

Selon lui, "ces deux chiffres montrent le faible niveau de valorisation des ressources en eau au niveau d'un bassin qui pourtant dispose d'ouvrages hydrauliques".

"Maintenant, imaginez le cas des cours d'eau qui n'ont pas d'ouvrages hydrauliques de stockage des eaux durant la période pluvieuse", regrette-t-il.

Pour sa part, le géographe Dr Aliou Gori Diouf, spécialiste en Environnement et Changement climatique, suggère que le trop plein d'eau des fleuves Sénégal ou Gambie, "pourraient également être dérivés vers des zones agricoles ou des vallées".

Des pistes de solutions durables

Toutefois, au regard des caractères internationaux des fleuves Sénégal et Gambie, Dr Aliou Gori Diouf estime que "toute stratégie de dérivation ou de prélèvement nécessite des négociations et une concertation entre les États membres des organisations de gestion fluviale, afin d'assurer une utilisation équitable et durable des ressources".

C'est dans cette perspective qu'il conseille de "s'appuyer sur la coopération régionale pour la gestion des fleuves transfrontaliers", pour que les eaux dites 'perdues' puissent "devenir une ressource précieuse pour renforcer la résilience agricole face aux sécheresses et aux aléas climatiques".

Les eaux de ruissellement stockées "ne préviennent pas la sécheresse, mais elles en atténuent les effets, (puisque) les activités rendues possibles grâce à l'eau stockée n'auraient pas pu être menées en l'absence de ces dispositifs", selon Dr Aliou Gori Diouf.

"La maitrise de l'eau est importante pour une agriculture résiliente au changement climatique. Donc, une politique nationale de maitrise et de valorisation des eaux de ruissellement permettra de rendre notre agriculture moins dépendante des pluies", suggère Ansoumane Bodian.

"Par exemple, la politique des bassins de rétentions était quelque chose d'intéressant qui permettait aux femmes de pratiquer du maraichage après la saison des pluies et les revenues issues de ces activités permettaient d'améliorer le niveau de vie", se rappelle-t-il.

Pour Dr Elhadji Ousmane Ndiaye, "il faut dès maintenant équiper nos bassins versants urbains en dispositifs de mesure de la pluviographie pour connaitre la structure des pluies qui causent les inondations".

"Il me parait également important la conception de systèmes de drainage basé sur les chemins naturels des eaux de ruissellement afin de capter le maximum de volume d'eau. En adoptant ces mesures, il sera possible de mieux soutenir le développement agricole d'ici 2030", fait remarquer Dr Ndiaye.

"Pour cela, je crois que les Etats doivent faire des investissements dans des infrastructures de collecte des eaux de ruissellement et dans des pays comme le Sénégal, l'aménagement de grands réservoirs dans les vallées du Car-Car, du Sine, du Saloum et du Ferlo est essentiel de capter le maximum de volumes d'eau de ruissellement à l'intérieur du pays", poursuit Dr Ndiaye.

Selon lui, "le renforcement des capacités institutionnelles des structures gouvernementales responsables de la planification et de la gestion de l'eau est également important pour qu'elles puissent intégrer la collecte des eaux de ruissellement dans leur mission".

Enfin, il invite les Etats à impliquer davantage les institutions de recherche spécialisées dans le domaine de l'eau pour encourager "le développement de technologies et de pratiques innovantes pour la collecte des eaux de ruissellement".


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