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Art et Culture Publié le mercredi 21 avril 2010 | Débats Courrier d’Afrique

Grande figure d’Afrique de l’Ouest : Fily Dabo Sissoko, entre politique et littérature



Fondateur du Parti Progressiste Soudanais (PPS), Fily Dabo Sissoko fait partie des figures de proue qui ont œuvré pour l’avènement de l’indépendance en Afrique en général et, au Soudan français (actuel Mali) en particulier. Mais, dès l’accession du Soudan à l’indépendance, au moment où la plupart des partis politiques maliens étaient coalisés pour soutenir les idéaux socialistes prônés par Modibo Keïta, premier président du Mali, Fily Dabo Sissoko choisit, quant à lui, de rester dans l’opposition. Irréductible, il le sera jusqu’à son arrestation en 1962 puis son exécution en 1964. Outre les activités politiques qu’il a menées avec dextérité et abnégation, Fily s’est aussi frayé un chemin dans le monde littéraire. Ses poésies, ses essais politiques et ethnologiques ont contribué, et contribuent encore, à faire connaître l’identité culturelle malinké.

L’homme politique

Né le 15 mai 1900 à Horokoto, village du cercle de Bafoulabé1, situé à 400 km au nord-ouest de Bamako (Mali), Fily Dabo Sissoko est le fils de Sirinam Sissoko, chef du canton de Niambia et de Diarama Dialla Dabo. Il est Khassonké2. Au départ, prédestiné au métier de marabout, Fily Dabo Sissoko ira finalement à l’école française à la suite du décès précoce de son frère ainé qui la fréquentait déjà. Après ses études primaires à Bafoulabé puis à Kayes de 1909 à 1911, Fily obtient son ticket d’entrée à l’Ecole normale des instituteurs de Saint-Louis (Sénégal) – cette école sera transférée deux ans plus tard à Gorée. En mai 1914, il débute sa longue carrière d’enseignant.
Dès 1933, il devient chef du canton des Malinkés en remplacement de son père et abandonne l’enseignement. Pour mieux appréhender l’histoire de son pays et celle des pays environnants, il entreprend divers voyages à travers le Soudan, la Guinée-Conakry, le Sénégal… “Partout, écrit-il, nous avons promené notre curiosité insatisfaite et nous avons essayé de comprendre…”. Son ouverture d’esprit lui attire la sympathie des chefs traditionnels et du colonisateur qui l’aident à se faire une place dans l’arène politique. Et dès octobre 1945, Fily Dabo Sissoko – candidat d’une liste d’Union républicaine et résistante (URR) – est élu député du Soudan-Niger à la première Assemblée constituante française. Pour ce scrutin, il est en compétition avec trois autres candidats : son compagnon et ami Mamadou Konaté, Modibo Keïta et Tidiane Sidibé. Il atterrit au Palais Bourbon où il retrouve les Sénégalais Léopold Sédar Senghor et Lamine Guèye, ainsi que l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny.
Le 13 février 1946, Fily Dabo crée le Parti Progressiste Soudanais (PPS) et s’apparente au groupe communiste. Quatre mois plus tard, avec le soutien de l’administration coloniale, il est réélu à la deuxième Assemblée constituante. En novembre 1946, à la tête d’un collège unique établi pour le Soudan, il est encore réélu pour siéger à la première législature de la IVème République avec son colistier martiniquais, Jean Silvandre. Il s’affilie désormais à la Section française de l’internationale ouvrière (S.F.I.O.) d’obédience socialiste. Il est régulièrement réélu jusqu’en 1956.
Il prend part aux activités de nombreuses commissions constituées au sein de l’hémicycle à savoir : la Commission du travail et de la sécurité sociale, la Commission des territoires d’outre-mer, la Commission de l’éducation nationale, la Commission de la justice et de la législation (1948), et la Commission de la réforme administrative (1950). Et parallèlement, il soumet plusieurs propositions de loi visant, entre autre, l’égalité des droits des pensions et des retraites ; la suppression des formes de culture obligatoire pour les agriculteurs indigènes ; l’abrogation du code pénal indigène en Afrique Occidentale Française (AOF) et en Afrique Equatoriale Française (AEF), etc. Il dépose également avec son homologue Félix Houphouët-Boigny un autre projet de loi concernant la refondation immédiate de l’enseignement public en AOF.
Du 5 au 10 septembre 1948, Fily Dabo Sissoko est nommé Secrétaire d’Etat au commerce et à l’industrie dans le cabinet de Robert Schuman. A partir de 1949, il est membre permanent du Conseil général du Soudan qu’il préside de 1953 à 1955. Il est également membre du Grand Conseil de l’AOF et fait partie, plusieurs années durant, de la délégation française auprès de l’Organisation des Nations-Unies (ONU).
En 1957, il préside, à Dakar, le congrès constitutif du Mouvement socialiste africain (MSA) de Lamine Guèye et en devient le vice-président. Ce mouvement intègre, en 1958, le Parti du regroupement africain (PRA). Avec Hammadoun Dicko, autre député soudanais, il prend position contre le projet de Fédération du Mali3, voulue par Modibo Keïta et Léopold Sédar Senghor, au motif que cette fédération “distendrait les liens naturels et indispensables existant entre le Soudan et la Côte d’Ivoire”. Le mouvement est dissout le 31 juillet 1959.

Une idéologie “contestée”

“L’étonnant ce n’est pas que Sissoko soit fétichiste, l’étonnant, c’est qu’il n’ait pas cessé de l’être et en reste convaincu, malgré la lecture de Descartes, de Spinoza, de Platon, etc. Il parle de Frazer, de Lévy-Bruhl et les réfute (…) Son grand maître est Fustel de Coulanges, c’est vers La cité antique qu’il se retourne, c’est là qu’il trouve son point d’appui. Il sait que lui-même est aussi une panthère. Mais rien à voir avec les hommes panthères criminels.” Ces propos, admiratifs, d’André Gide, parus dans son journal de janvier 1938, se veulent aussi une réponse aux théories développées par Fily Dabo Sissoko.
Lors de la Conférence de Brazzaville, en février 1944, un document très critique de Fily Dabo à l’égard des leaders africains, adeptes de l’assimilation culturelle, a d’ailleurs fait l’objet d’un long débat. Dans ce document présenté comme étant le témoignage des aspirations de l’Afrique occidentale française “Fily Dabo Sissoko entend démontrer que l’apport de l’âme nègre dans le courant évolutif de l’humanité n’est pas négligeable et qu’il est même essentiel à l’évolution actuelle de l’humanité. Pour cela, affirme-t-il, il conviendrait que primo le “Noir” reste noir, de vie et d’évolution, et que secundo le “Blanc” essaye par tous les moyens appropriés, de faire évoluer le Noir selon sa ligne d’évolution propre noire…”4
En octobre 1946, Fily Dabo se désolidarise de ses homologues députés, dans les ultimes moments de la tenue du congrès de Bamako devant aboutir à la création du Rassemblement Démocratique Africain (RDA). Pourtant, il a signé auparavant le manifeste des députés africains dans lequel étaient mentionnés les objectifs suivants : “l’égalité des droits politiques et sociaux ; les libertés individuelles et culturelles ; des assemblées locales démocratiques, etc.” Le 16 octobre, soupçonnant le parti communiste de manipuler ses confrères, Fily Dabo atterrit à Bamako, par un vol spécial, pour demander à son électorat de saboter le congrès qui est programmé pour le 18 octobre 1946. Finalement, après de longues tractations, il se ravise et en préside la séance d’ouverture.

Après la proclamation de l’indépendance du Mali, Fily-Dabo Sissoko, Hammadoun Dicko et Kassoum Touré, mis à l’écart par leurs adversaires de l’Union soudanaise (US-RDA), parti au pouvoir, sont arrêtés le 20 juillet 1962, accusés d’avoir commandité un soulèvement des commerçants contre la création du franc malien. Aussitôt jugés publiquement par un tribunal populaire du 24 au 27 juillet, ils sont condamnés à mort pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Face à la pression nationale et internationale, leur peine sera commuée en une peine de travaux forcés à perpétuité. Mais tous trois seront fusillés, le 6 juillet 1964. Fily Dabo Sissoko avait soixante-quatre ans. Il a marqué de son empreinte l’histoire politique et littéraire de son pays, le Mali.

Jean-Louis MELAGNE



Quelques œuvres littéraires de Fily

• 1936 : La Politesse et la civilité des Noirs (essai publié dans le Bulletin de la recherche du Soudan)
• 1950 : Les Noirs et la culture : Introduction aux problèmes de l'évolution des peuples noirs (essai publié à New York)
• 1953 : Crayons et portraits (poésie, Mulhouse, Imprimerie Union)
• 1953 : Harmakhis, poèmes du terroir africain (Paris, Éditions de la Tour de Guêt)
• 1955 : Sagesse noire, sentences et poèmes malinkés (Paris, Éditions de la Tour de Guêt)
• 1955 : La passion de Djimé (roman, Paris, Éditions de la Tour de Guêt)
• 1957 : Coup de sagaie, controverse sur l'Union française (essai, Paris, Éditions La Tour de Guêt)
• 1959 : Une page est tournée (essai, Dakar, Diop)
• 1962 : La savane rouge (Avignon, Presses universelles)
• 1963 : Poèmes de l'Afrique noire (recueil de poésie, Paris, Éditions Debresse)
• 1970 : Les Jeux de destin (poésie, Paris, Éditions Jean Grassin)
• 1970 : Au-dessus des nuages de Madagascar au Kenya (poésie, Paris, Éditions Jean Grassin)

(Cette bibliographie n'est pas exhaustive)
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