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Société Publié le vendredi 24 juin 2011 | L’intelligent d’Abidjan

Me Drissa Traoré, président du MIDH : ‘’Il ne faut pas sacrifier la justice pour la réconciliation’’

En votre qualité d’activiste des droits humains, qui
a pris part à diverses rencontres internationales sur
des pays sortant de crise, quel regard jetez-vous, sur
le concept de justice transitionnelle que votre pays la
Côte d’Ivoire, expérimente actuellement ?

La justice transitionnelle repose sur l’idée que les Etats
en transition de la dictature vers la démocratie ou de la
guerre/crise grave vers la paix, doivent mettre en place
des mécanismes, chargés de prendre en compte le
lourd héritage des graves violations des droits de
l’Homme. L’idée est de lutter contre la répétition des
faits enregistrés pendant la période visée. Ces
mécanismes sont au nombre de quatre. A savoir : le

devoir de vérité ou le devoir de mémoire qui veut que,
la lumière soit faite sur l’ensemble des crimes du
passé. Cela se fait soit par des commissions d’enquête,
soit par des commissions vérité et réconciliation. Il faut
dire que le nom importe peu, puisqu’on a diverses
appellations. Par exemple, au Togo, c’est commission
Vérité, Justice et Réconciliation, au Maroc, c’était
l’instance Equité et Réconciliation….. Une commission
vérité a donc vocation de faire la lumière sur les
crimes du passé et faire des recommandations.
Ensuite, elle a le devoir de juger et de lutter contre
l’impunité, qui met en œuvre le mécanisme de justice.
Il est important voire inévitable, que des crimes graves,
des violations des Droits de l’Homme soient traduits
devant les juridictions. Dans ce contexte, la justice
pénale joue un rôle important. A côté, l’on relève le
devoir de réparer, qui nécessite que les victimes
puissent avoir des réparations pour le préjudice
souffert. Puis, les réformes. Parmi les plus courantes,
l’on relève la révocation des services publics de
personnes ayant commis des abus, la création de
nouvelles institutions pour protéger les droits de
l’Homme, la mise en place de formations en droits de
l’Homme ou l’introduction d’amendements juridiques

et constitutionnels, pour améliorer la manière de
gouverner et mieux protéger les droits de l’Homme. A
ce niveau, la question de la réforme des forces de
sécurité est également importante.

Entre autres mécanismes, les poursuites judicaires
et une commission baiptisée Dialogue, Vérité
et Réconciliation (DVR) sont à ce jour en cours
d’activation. Ces deux outils, sont-ils appropriés au cas
ivoirien ?

Il faut dire d’emblée que, ces deux mécanismes
rentrent dans le cadre des mécanismes de justice
transitionnelle et participent de l'instauration d'un
climat de paix durable et d'une confiance dans les
institutions. La culture de l'impunité ayant un lien avec
la crise postélectorale, il convient de lutter contre
celle-ci, par des poursuites judiciaires contre tous les
auteurs de crimes graves et de violations des droits
humains quelle que soit leur appartenance politique
ou ethnique. Les poursuites judiciaires vont éviter des
sentiments ou même des tentatives de vengeance ou
de justice privée. C’est pourquoi, nous disons qu’il ne
faut pas sacrifier la justice pour la réconciliation.

Défenseur des droits humains vous-même, quelles sont
les différentes infractions qui pourraient faire l’objet
d’un procès dans le cadre de l’activation de l’axe relatif
aux poursuites judiciaires ?

Il y a eu évidemment beaucoup de violations des
droits humains. En principe, pour connaître l’ensemble
des infractions, les juridictions nationales sont
compétentes. C’est pourquoi, nous appelons au
renforcement des capacités, des pouvoirs, des
juridictions locales et de leurs animateurs. Pour en
revenir à la question, il y a les crimes et les délits. Les
crimes les plus graves, à savoir les crimes économiques,
les crimes de génocide et les crimes contre l’humanité,
suite à la saisine de la Cour Pénale Internationale,
par le Président de la République, SEM Alassane
Ouattara, vont relever de la compétence de cette
juridiction internationale. Au niveau local, les procès
vont porter sur les crimes et délits relatifs aux violences
postélectorales. Ce sont l’atteinte à la sûreté de l’Etat,
les meurtres, les enlèvements, les achats d’armes de
guerre, les pillages, etc. Notre justice va connaître de
tous ces faits-là.

Ce processus de justice négative, enclenché
concomitamment avec la justice positive que prône la
commission DVR, ne va-t-il pas gêner la réconciliation
nationale ?

Certaines personnes ont tendance à opposer la justice
à la réconciliation. Mais, pour nous, la justice permet
de réguler et d'apaiser les relations sociales et donc,
conduit à une situation apaisée, favorable à la
réconciliation. La justice dite ‘’négative’’ est
dissipatrice des rancœurs. Elle contribue à lutter contre
les vengeances et apaise la douleur des victimes. En
réhabilitant les victimes, la justice leur redonne espoir.
Ainsi, la justice est-elle source de stabilité. Par son
caractère de régulateur de la société, la justice est un
élément de cohésion sociale et de lutte contre
l'anarchie. Le binôme justice-réconciliation,
généralement opposé dans les processus de sortie de
crise est, de notre approche, indissociable. Les Etats
sans véritable justice, peuvent maintenir une situation
d’apparente stabilité ou d'unité. Mais, ils finissent par
imploser ou à tout le moins, par connaître des
situations explosives et déstabilisatrices. La justice ne
gêne pas à mon avis la réconciliation ou encore les

travaux de la commission DVR. Sacrifier la justice pour
la réconciliation est intolérable et inacceptable aussi
bien d'un point de vue éthique, que de la considération
et du respect, que l’Etat doit témoigner aux victimes.
Celles-ci pourraient tenter de se faire justice
autrement. Pour le MIDH, la justice et la réconciliation
constituent un tandem qui conduit à une société de
paix durable. Ce qu'il faut, c'est que chacun des acteurs
puisse agir de bonne foi, en privilégiant l'intérêt de la
nation.

Si on vous suit bien, les auteurs des infractions
postélectorales doivent être jugés. Et s’ils sont
coupables des faits qui leur sont reprochés, ils doivent
en payer les conséquences…

Au MIDH, nous avons fait de la lutte contre l'impunité
notre credo ou notre cheval de bataille. Il n'est pas
convenable pour nous, de sacrifier la justice sur l'autel
de la réconciliation. Comme je le disais tantôt, la
réconciliation ne saurait exclure la justice et les
procédures pénales. Il faut rappeler que
conceptuellement et en pratique, les mécanismes de
justice transitionnelle se renvoient les uns aux autres.

Cela devient évident, lorsque l’on considère les
conséquences possibles de la mise en œuvre de l’un
des mécanismes, à l'exclusion des autres. En l’absence
de mécanismes de recherche de vérité, de réformes
institutionnelles ou de programmes de réparations
pour les victimes, punir un nombre restreint d’auteurs
de violations, peut être perçu comme un acharnement
sur des boucs émissaires ou une forme de revanche
politique. Donc, une justice de la vengeance. De même,
rechercher la vérité sans initiative, pour punir les
auteurs des violations, réformer les institutions et un
programme de réparation, peut n’apparaître comme
rien de plus que des mots. Des réparations en
l’absence d’autres mesures de justice transitionnelle,
peuvent être considérées comme de l’argent sale, un
moyen d’acheter le silence ou le consentement des
victimes. Enfin, réformer les institutions sans essayer
de satisfaire les attentes légitimes de justice, vérité et
réparation des victimes, se révèlera non seulement
inefficace d’un point de vue des responsabilités, mais
également, un probable échec en soi. Pour l'heure,
nous constatons malheureusement que seuls, les
membres d'un camp sont poursuivis et il conviendrait
de faire en sorte que tous les auteurs de violations des

droits humains soient traités de la même manière.
C’est pourquoi, nous souhaitons que les procès ne se
limitent pas, qu’aux seules infractions postélectorales
qui vont de la concussion aux appels à la haine, à la
violence et au meurtre. En passant par les achats
d’armes de guerre.

Si vous devrez lancer un appel, lequel serait-il ?

Notre appel, c’est de laisser la justice en toute
indépendance, sans aucune interférence, faire son
travail. Il reste simplement la volonté à des animateurs
de l’administration judiciaire et à d’autres acteurs de
l’administration judiciaire le courage. Nous, au Midh,
estimons que c’est notre folie collective qui a fait que
nous n’avons pas pu éviter ou surmonter la crise
postélectorale. Et ce qui est positif dans le processus
aujourd’hui, c’est la volonté des Ivoiriens de se
réconcilier. Mais, cela doit se faire dans la bonne foi. Il
faut que ceux qui parlent de réconciliation pensent
réellement la réconciliation. Il ne faut pas dire
réconciliation et après attiser la haine et la violence.
Nous avons foi en la réussite du processus. C’est la
raison pour laquelle depuis 2008, nous réfléchissions

déjà sur la réconciliation, sur la question de la justice
transitionnelle qui inclut la commission DVR, mais aussi
et surtout la justice ordinaire dans un processus de
sortie de crise et induit les refontes des secteurs de la
sécurité et de l’administration publique ainsi que la
réparation pour les victimes. Nous avons l’obligation,
tous, gouvernants et gouvernés, politiques, société
civile, presse, nous sommes tous appelés à œuvrer à
l’aboutissement de ce processus de réconciliation
nationale. Au Président de la République, le Midh
voudrait l’inviter à doter la commission Dialogue, vérité
et réconciliation d'un mandat clair et à en faire une
structure véritablement indépendante. Dans cette
perspective, la composition de la commission doit tenir
compte des groupes sociaux professionnels. Ces
groupes doivent avoir une participation active quand
au choix des commissaires devant animer l’institution.
Il conviendrait, avant de déterminer le mandat et la
période que va couvrir la commission, de procéder à
une consultation nationale afin de recueillir, l’avis des
populations à travers des questionnaires ou autres
mécanismes. Si ces éléments sont pris en compte et
que la bonne foi nous anime tous, il n’y a pas de raison
que le processus de justice transitionnelle, n’aboutisse

à son objectif : réconcilier la Côte d’Ivoire avec elle et
avec des valeurs de justice et non plus de l’impunité.

M Tié Traoré
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