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Économie Publié le mercredi 25 juin 2014 | PME-PMI Magazine

De l’informel, sortez couverts ! : Application à la réforme portant création de l’ACD (Arrêté de Concession Définitive).

© PME-PMI Magazine Par DR
Maître Bertin Paul-Arnaud ZEHOURI, notaire conseil
La Côte d’Ivoire est résolument engagée sur le chemin de diverses réformes dont le rythme s’est accéléré aux mois de Mars et Avril 2014. Elles concernent le droit des sociétés, le droit immobilier et foncier, le droit des sûretés, le droit du crédit etc. Toutes, il faut le dire, inspirées par l’idéal de dérèglementation, de simplification, de rapidité, de réduction des coûts de divers services ou prestations voire de diminution de la cherté de la vie.

Au demeurant, l’exécutif a compris que les ivoiriens doivent sortir de l’informel (au niveau du foncier, du logement, des affaires, de la famille, de la consommation etc..) assez vite pour devenir des assujettis au droit fiscal mais aussi des associés au partage des dividendes induites des retombées économiques du pays. Objectifs ô combiens louables et unanimement salués.

Il est toutefois important de relever que la plupart desdites évolutions législatives ou réglementaires restent inconnues du commun des ivoiriens. Cet état de fait est sans aucun doute lié à l’insuffisance de pédagogie dans l’information technique et juridique. Tout donne donc à penser que la sortie de l’informel en objet se dessine sans maîtrise des risques et sans garantie de sécurité juridique.

Conséquence, l’on note des confusions au niveau de la mise en oeuvre desdites réformes. Un constat partagé par les professionnels du droit qui eux - mêmes, semblent être à la merci de pratiques quotidiennes à contre-courant des textes en vigueur.

Au fil des parutions de ce magazine spécialisé, nous tenterons de commenter quelques pans de ces réformes avec le cas échéant des propositions constructives en gardant à l’esprit le cap de l’émergence à l’horizon 2020 à atteindre nécessairement avec toutes les chances de garanties de sécurité juridique pour le bien des uns et des autres.

Dans le présent exposé, intéressons nous aux questions suscitées par la réforme de l’ACD prévue par l’ Ordonnance n°2013-481 du 02 Juillet 2013.

En vue de simplifier et sécuriser l’acquisition de la propriété foncière, l’Etat de Côte d’Ivoire a, par ordonnance n°2013-481 du 02 Juillet 2013 et par décret n°2013-482 du même mois, institué l’Arrêté de concession définitive (ACD) comme le seul et unique acte qui consacre la propriété foncière urbaine.

Cette réforme est conçue pour les détenteurs de terrains urbains non immatriculés à leur nom à l’effet de les motiver à se faire établir un Arrêté ministériel qui confère des droits de propriété. En effet, le bénéficiaire de l’ACD jouit par cela même, de l’usus, du fructus et de l’abusus qui constituent les trois attributs de la propriété. Autrement dit, muni de l’ACD, l’usager a le droit de jouir de son terrain en l’exploitant suivant ses besoins (l’usus). Il a pareillement le droit de le mettre en location ou à la disposition de tous tiers moyennant une contrepartie ou à titre gratuit (fructus). En outre, le bénéficiaire de l’ACD a le droit de disposer de son terrain, soit en le vendant, soit en l’affectant sous la forme d’une libéralité (abusus).

Or on peut bien se rendre compte que l’ACD n’est pas le certificat de propriété foncière final car il existe en fin de parcours foncier ce qui a été baptisé par la réforme Certificat de Mutation de la Propriété Foncière (CMPF).

En réalité, le titulaire d’un ACD désireux de céder sa parcelle, devra trouver un acquéreur. Avec le concours d’un notaire, l’acte d’acquisition devra être publié au livre foncier pour permettre au Conservateur de la propriété foncière de confectionner le Certificat de Mutation de la Propriété Foncière (CMPF) au profit du nouvel acquéreur.

Ce dernier acte a pour conséquence préalable, le versement par l’acquéreur de droits d’enregistrement au taux de 6 % de la valeur exprimée dans l’acte (depuis l’ordonnance n°2014-163 du 2 avril 2014 modifiant l’article 760 du Code général des Impôts, tel que modifié par l’ordonnance n°2013-280 du 24 avril 2013). En plus des droits d’enregistrement, l’acquéreur acquitte entre les mains du notaire (à charge par lui de la reverser à l’Etat) , la taxe de publicité foncière (TPF au taux de 1,2 % de la valeur exprimée dans l’acte). A la charge de l’acquéreur également le droit de timbre et la TVA liquidée et indirectement supportée par lui sur la base des émoluments tarifés du notaire. La totalité des fonds ainsi acquittée est versée dans les comptes du trésor public, ce qui représente un apport substantiel au budget de l’Etat de l’ordre de 30 à 35 % d’après les spécialistes. La création d’un titre de propriété est donc une source de revenus confortables pour l’Etat qui aura ainsi la capacité de réaliser des routes, des ponts, des écoles, des industries, des investissements en matière de recherche scientifique et militaire etc...

Il est malheureusement observé que les usagers du service public foncier en ce compris les professionnels du droit, ne perçoivent que difficilement la différence entre l’ACD et le CMPF. Aussi, allons-nous tenter d’expliquer selon notre perception des deux actes délivrés par le même Exécutif, leur fonction utilitaire.

Le détenteur de l’ACD peut disposer de son bien soit en le cédant à une tierce personne, soit en le donnant sous forme de libéralité, ainsi que nous l’avons mentionné plus tôt. Mais il peut également apporter son titre en garantie hypothécaire pour obtenir un financement bancaire.

Si ce mode d’accès au titre de propriété par la procédure de l’ACD a le mérite d’accroitre le gain du temps, il est néanmoins permis de se poser des questions quant à la fiabilité d’un tel acte administratif sur le long terme. Par ailleurs, il est possible que l’Etat perde par ce raccourci de la trésorerie.

En pratique, l’opération débute par une décision du détenteur des droits coutumiers sur la parcelle, lequel dépose directement sans aucun contrôle, une demande d’ACD auprès du Ministère de la Construction. Cette administration enrôle la demande, moyennant le paiement de droits allant de 70.000 FCFA selon les zones à 110.000 Francs CFA. Bien entendu, ce droit ne comprend pas les frais du dossier technique qui oscillent entre 100 000 Francs CFA et 300.000 FCFA.

Officiellement, il est annoncé que l’ ACD est signé au bout de 2 mois dès lors que le dossier comporte toutes les pièces et droits prévus. En réalité, malgré un dossier complet, nombreux sont les usagers et les professionnels du droit qui sont désillusionnés par les délais qui s’allongent désormais à 8, 9 mois, voire parfois au delà. Les agents du ministère de la construction en général, ceux du guichet unique en particulier répètent, sans aucune raison plausible, que le délai de deux mois n’est pas tenable pour obtenir la signature d’un ACD alors que c’est ce délai qui a été communiqué à la communauté nationale et internationale d’affaires pour attirer l’investissement local ou étranger.

Le procédé informatique censé informer les usager de l’avancement de leur dossier en temps réel semble être à court de performance. On ne trouve aucune information fiable sur le site du ministère de la construction concernant le suivi des actes. Le site peut vous annoncer que votre dossier est transmis à tel service bien que dans la réalité, le dossier n’a même pas quitté le guichet unique.

Inutile de commenter les informations dites officielles données aux usagers via des textos émis depuis les téléphones mobiles personnels des agents du ministère parce que bien souvent, l’information n’est pas vérifiée ni parfois, l’expéditeur retrouvé. Au final, les couloirs du guichet unique ou les étages du ministère ne désemplissent pas comme par le passé, des usagers, perdus, à la recherche de la vraie information sur leur dossier sur fond des rumeurs administratives, engageant d’interminables faux frais parfois sans garantie de succès.

Après la délivrance de l’ACD, le porteur peut s’adresser à une banque pour garantir le financement d’un projet. En contrepartie, la banque inscrit ses charges qui viennent grever la propriété.
En effet, le notaire, Officier Public, instruit et assermenté pour conférer authenticité notamment à tous les actes de la chaine foncière semble être écarté du jeu jusqu’à ce que le porteur de l’ACD décide de l’affecter à une banque moyennant l’obtention d’un financement ou de le céder.

Or, il est fort probable que l’objectif poursuivi par les propriétaires terriens se limite uniquement à la création d’un titre qui les identifie définitivement à leur parcelle. Dans ce cas, l’ACD suffirait largement à leur bonheur, donc plus forcement besoin de l’apporter sur un marché pendant longtemps (10, 15,20,30 ans).

Autrement dit, le passage chez le notaire est différé pendant aussi longtemps que le titulaire de l’ACD n’aura pas décidé de vendre son terrain ou de souscrire un crédit hypothécaire.

Cette pratique est effectivement confirmée par les termes de l’ordonnance du 2 Juillet 2013 en son article 9 qui dispose que "la mutation des terrains urbains ayant fait l’objet d’un Arrêté de Concession Définitive, se fait par acte authentique et donne lieu à un Certificat de Mutation de Propriété Foncière délivré par le Conservateur de la Propriété Foncière et des Hypothèques ». Autrement dit, l’intervention du notaire n’est pas rendue nécessaire avant la délivrance de l’ACD".

Au vu de l’analyse ci-dessus, il est très probable que la réforme n’ait pas tenu compte du fait que les détenteurs des terrains seraient susceptibles de les céder à des tiers avant même d’avoir déposé un dossier de demande d’ACD au Ministère de la construction. Le faisant, ces détenteurs de droits coutumiers transfèrent leurs obligations visant à requérir la confection de l’ACD aux preneurs finaux.

Or, l’expérience tend à montrer qu’à ce niveau, il y’a un important échange de fonds qui semble échapper totalement à l’emprise des caisses de l’Etat et à fortiori à tout contrôle officiel contrariant ainsi la réforme du 2 Juillet 2013 qui vise à faire sortir les ivoiriens de l’informel en leur octroyant des titres de propriété hypothécables rapides et sûres. En pratique, les usagers mal intentionnés profiteront de l’occasion offerte par la reforme pour sortir de l’informel en masquant des trafics de flux financiers importants.

Cela est d’autant plus vrai que le seul acteur que découvrirait l’administration, c’est bien celui qui se présente pour demander son ACD, son vendeur ayant lui, pris le chemin de l’anonymat sans laisser de trace. Les paiements effectués (parfois 10,15,30,60 millions de FCFA) entre les mains du vendeur échapperaient de ce seul fait à l’Etat et constitueraient un manque à gagner outre qu’ils favoriseraient la circulation d’argent hors le circuit légal avec son corolaire de dangers que sont, les gruges, les abus de confiance, les escroqueries, les arnaques, les paiements indus ou par des faux billets, la non détection du délit de blanchiment d’argent du crime, de la drogue, du terrorisme, de la contrebande etc... servant à acquérir les terrains .

D’un autre côté, il y’a les questions récurrentes ou sous-jacentes de droit de la famille (régime matrimonial du vendeur, sa situation successorale) qui peuvent être sources de gros soucis si elles ne sont pas minutieusement traitées. Le vendeur est-il ou non en indivision avec d’autres personnes sur la parcelle? A t-il donc le droit de vendre seul ?, est-il mineur ? majeur incapable ? associé d’une société dont il ne détiendrait que des parts ?, serait-il uniquement usufruitier ou nu-propriétaire ? marié avec ou sans contrat, en instance de divorce ? etc…
Ce sont justement, ces missions de vérification que le notaire est chargé d’accomplir et qui lui permettent de réduire les germes de conflits liés à la propriété sur le long terme. Or comme on vient de le dire, le notaire n’est pas prévu dans le mécanisme qui mène à la délivrance de l’ACD.

Il ne sera donc pas étonnant, dans les trois, quatre, cinq années de la réforme, qu’un usager vienne à saisir le juge pour se plaindre qu’un tel a confectionné un ACD à son insu sur le terrain du plaignant. Cela pourrait rapidement se produire si tant est qu’au moment où le cédant reçoit les fonds, il en avait tellement besoin qu’il signerait un "papier quelconque" et tant pis si le preneur avait juré de ne toucher à la parcelle que s’il respectait certaines conditions suspensives. Le dos tourné, et alors que les conditions suspensives ne seraient pas totalement respectées ou que les conditions résolutoires seraient advenues, le preneur aurait vite fait de déposer sa demande d’ACD qu’il pourrait obtenir plus ou moins rapidement moyennant quelques coups d’accélérateurs donnés au niveau du Ministère.

Le vendeur n’aurait plus que le recours contentieux pour espérer annuler l’ACD pour non respect des conditions du contrat avec le nouvel attributaire de l’ACD, son pseudo acquéreur en fait. Or, en l’absence d’écrit, à fortiori de contrat authentique notarié liant le plaignant au titulaire de l’ACD, le juge ne fera que valider l’ACD et ne pourrait l’annuler. D’ailleurs, comment un juge pourra t-il, par le mécanisme du droit de contentieux administratif annuler un ACD qui bien que délivré par une autorité administrative n’est pas un acte administratif type mais un titre de propriété atypique ayant tous les attributs mais aussi les caractères de la propriété « usus, fructus, abusus, stabilité, inviolabilité, absolutisme, exclusivité et perpétuité ».

D’où la question simple de logique foncière. Pourquoi la réforme fait-elle l’économie de l’expertise du notaire à ce stade du processus de titrisation foncière?. L’ACD ayant les vertus d’un titre définitif, pourquoi sa confection n’est elle pas entourée des mêmes garanties de sécurité que le CMPF ?. Pourquoi ne pas rendre d’entrée, l’acte authentique notarié obligatoire pour maîtriser définitivement les risques naturels de la chaine de mutation foncière et collecter les taxes au profit de l’Etat?.

Pour éviter d’apporter une réponse objective aux questions posées ci-dessus, un processus parallèle semble avoir cours actuellement au ministère de la Construction pour corriger l’imperfection de la réforme. Il s’agit en effet de la procédure dite d’"Abandon de droit" .De quoi s’agit-il ? Et quel en serait le fondement juridique ?.

Préalablement à la demande de l’ACD, il se dit que le détenteur d’un terrain urbain ayant un titre quelconque (lettre d’attribution, attestation villageoise) doive, en présence d’un repreneur, souscrire une demande d’abandon de droit inscrite sur un formulaire disponible au ministère de la construction, acquitter la somme de 100.000 FCFA entre les mains des agents du ministère, établir un état domanial. Munis desdites pièces, l’abandonnant et le repreneur se présenteraient physiquement devant les agents du domaine urbain pour acquiescer l’opération. Ce rituel se ferait même si les usagers avaient requis préalablement les services d’un notaire et malgré les actes du notaire invalidés en l’espèce et supplantés par le formulaire rempli et signé sous l’œil de l’agent du domaine.

Il est tout de même admis que les usagers en question pourront se faire représenter par toute personne de leur choix. C’est peut-être à ce moment que le notaire pourrait intervenir, muni d’une procuration de ses clients pour les représenter devant l’agent administratif du Ministère de la Construction. Ironie du sort d’un Officier Public dont l’intervention serait de trop dans le processus de délivrance d’un titre de propriété sensé définitif, inattaquable parce qu’ emportant toutes les garanties de droit en pareille matière.

Exprimée autrement, la réforme a permis que les actes intermédiaires anciennement reçus par les sous-préfets , les maires et autres, commissions foncières villageoises soient en théorie supprimés à la satisfaction générale. Toutefois, ces interventions en marge de la loi et de la sécurité juridique semblent avoir été simplement transférées aux agents du ministère de la construction.

Ladite nouvelle procédure exceptionnelle d’abandon des droits diversement comprise par les exécutants des différentes directions régionales du ministère de la construction semble n’avoir aucune base légale. En effet, aucune disposition de Loi prévoit une telle pratique et les agents du ministère de la construction ne sauraient se substituer au notaire pour créer un titre de propriété dans un système foncier de droit écrit qui se veut crédible aux yeux de la communauté internationale et nationale.

A vrai dire, cette situation tend à créer un léger malaise car elle contrarie violemment la Loi de 1964 et son Décret d’application numéro 64-164 du 16 Avril 1964.

Selon l’article 131 dudit décret, "tous faits, conventions ou sentences ayant pour objet de constituer, transmettre, déclarer, modifier ou éteindre un droit réel immobilier, d’en changer le titulaire ou les conditions d’existence, tous baux d’immeubles excédant trois années, toutes quittances, ou cession d’une somme équivalent à plus d’une année de loyers ou fermages non échus doivent, en vue de leur inscription, être constatés par acte authentique. Il est fait défense au notaire de régulariser de tels actes par leur dépôt au rang de ses minutes. De même, il est fait défense au receveur d’enregistrer les actes visés ci-dessus s’ils ne sont pas dressés en la forme authentique".

Outre le non respect de la Loi contenu dans la pratique querellée, elle demeure le terreau de plusieurs problèmes qui ne seront découverts que plus tard. Cette pratique semble vider la réforme du titre foncier de son contenu en fragilisant la sortie de l’informel outre qu’elle priverait l’Etat d’une niche fiscale et financière importante.

Il faut espérer que les ivoiriens sortent de l’informel, mais couverts, notamment par les garanties offertes par le notaire, son sceau, ses conseils avisés, son assurance responsabilité, son fichier immobilier, son répertoire, sa solidarité professionnelle d’une part et la bonne tenue du livre foncier d’autre part.

Concluant, il nous apparaît que la pratique de l’ACD parallèlement au CMPF, n’est pas d’une clarté édifiante d’autant qu’elle complique la pratique et la compréhension des actes. En d’autres termes, l’ACD ne serait-il pas l’ancêtre de l’ACP (Arrêté de Concession Provisoire) tandis que le CMPF serait celui du CPF (Certificat de Propriété Foncière) ?. N’ya t-il pas un jeu de mot induisant une pratique source de conflits à moyen termes ?. Ne faudrait-il pas poursuivre les réflexions autour de la réforme foncière en impliquant tous les acteurs pour l’améliorer ?.

Me ZEHOURI Paul-Arnaud Bertin
NOTAIRE à ABIDJAN
A PARIS (France), Conseil Notarial
Enseignant des Facultés de Droit
Diplômé Supérieur de Notariat (DSN) PARIS X
Doctorat en Recherche Université de PARIS II
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