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Société Publié le mercredi 6 mai 2015 | Le Patriote

Enquête /Treize ans après l’assassinat de Balla Kéita à Ouagadougou : Retour sur le lieu du drame

Le 1er août 2002, l’ex-ministre de l’Enseignement supérieur et la Recherche scientifique sous le président Félix Houphouët-Boigny, Balla Kéïta, est assassiné à Ouagadougou dans la capitale burkinabé. L’annonce de ce crime fait l’effet d’une bombe au regard du statut politique dont jouissait le défunt, et vient complexifier les rapports, à l’époque déjà exécrables, entre Ouagadougou et Abidjan. Nous avons revisité le lieu du crime, treize ans après les faits. Constat et témoignages.

Bois du Bologne, ce jeudi 13 novembre 2014 dans la capitale Ouagalaise. Il ne reste plus aucun indice qui puisse intéresser encore un technicien en scène de crime à la villa 325 dans ce quartier. L’examen approfondi des lieux étant bouclé, il y a treize ans, et l’enquête elle-même classée au registre des archives criminelles bien que les résultats n’aient jamais été communiqués. Mais cette villa devant laquelle nous nous tenons, ce jeudi, reste le symbole d’un drame encore vif dans la mémoire collective. Pour rappel, c’est dans la résidence, derrière ce portail, que l’horreur a été découverte dans la nuit du 1er au 2 août 2002. Le corps sans vie de Balla Kéïta, ex-ministre ivoirien de l’Enseignement supérieur et la Recherche scientifique a été retrouvé. Poignardé à mort dans sa chambre, selon les premières informations livrées à l’époque par les enquêteurs. Au moment des faits, Balla Kéita était le Secrétaire général de l’Union pour la Démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI), le parti créé par le Général Robert Gueï. Treize ans après ce drame qui a marqué l’opinion publique, le crime reste encore, officiellement, non élucidé.
A Ouagadougou, notre curiosité s’est portée sur cette villa, où la vie de l’ex-bouillant ministre du président Félix Houphouët-Boigny s’est arrêtée, brutalement, atrocement. Les troubles au sommet de l’Etat burkinabé qui ont conduit à l’instauration d’une transition ont été un moment de flottement qui nous a permis d’apprendre des choses à travers une plongée dans les archives de cette histoire et des personnes ressources du dossier que nous avons rencontrées. Ce jeudi-là, dans la ruelle qui mène à la villa 325, règne un calme plat. Comme toujours d’ailleurs. Devant les centaines de villas, habitées, des gardiens assis sur des bancs devisent. «Ce sont tous des agents secrets affectés à la surveillance des personnalités qui vivent encore dans ces villas», nous informe notre guide, lui-même agent des renseignements burkinabé. Ce dernier précise que désormais les personnalités en exil sont logées à la cité des hôtes de Ouaga 2000.
En effet, plusieurs villas de luxe y ont été construites et sont réservées aux personnalités d’une certaine renommée en exil, en séjour politique ou d’affaires à Ouagadougou. C’est dans l’une de ces résidences d’Etat d’ailleurs que vit présentement l’ex-chef de la junte guinéenne Dadis Camara. Mais contrairement à la discrétion des autres résidents, ce sont des éléments en treillis qui sont postés devant la résidence de l’ex-homme fort de la Guinée. Nous y avons dénombré au moins 5 militaires, kalachnikov en main. Personne n’entre et ne sort dans le périmètre sans être repéré. Nous y avons fait un tour la veille et le dispositif sécuritaire est à toute épreuve. C’est d’ailleurs aussi dans l’une des villas des hôtes de Ouaga 2000 que Michel Kafando, dès sa désignation comme président intérimaire pour conduire la transition au Burkina Faso, a dû habiter quelques semaines avant d’intégrer le palais de Kosyam. Son prédécesseur, Yacouba Issac Zida, devenu par un jeu de tour son Premier ministre, n’ayant jamais quitté sa résidence sise en face du Conseil de l’Entente en plein centre-ville de Ouagadougou. La résidence de ce dernier a tout simplement connu un embellissement pour présenter une allure digne d’un haut serviteur de l’Etat.
Le quartier résidentiel de la zone du bois n’est donc plus une forteresse sécuritaire, comme au temps où ses villas accueillaient d’illustres personnalités comme Charles Taylor, Pascal Lissouba, ancien président de la Centrafrique, ou encore quelques figure de proue du Front islamique du salut (Fis), cette formation politique algérienne qui prônait un Etat islamique. Aujourd’hui, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même bien que les villas soient encore habitées par des personnalités peu célèbres qui ont maille à partir avec les autorités de leur pays respectif. Quand nous arrivons devant la villa 325, l’entrée présente le décor d’une résidence à l’abandon. Le grand portail ainsi que la petite porte sont rongés par la rouille. Les grilles de la porte dérobée des agents de sécurité sont soigneusement fourrées de morceaux de carton et le plafond rongé par la moisissure. A l’intérieur, curieusement, la cour brille par un entretien remarquable. Aucune prise de vue n’est autorisée. Deux agents de sécurité prennent du thé. Ma présence en compagnie de l’un des leurs n’enlève aucun soupçon. Il n’y a eu qu’un échange de nom en guise de civilité entre nous. Aucun d’eux ne s’est intéressé à notre statut.

Souvenirs épars

Notre guide avait plus d’une nouvelle distrayante à leur donner ou demander et entre deux éclats de rire, nous pouvons alors prendre une image à distance à partir de notre portable sans nous faire remarquer. A la question de savoir si la villa est encore habitée, la réponse est affirmative. «Si elle n’était pas habitée nous ne serions pas là», renchérit un des éléments affecté à la garde. Seulement, il ne fallait pas compter sur lui pour révéler l’identité de la personnalité qui habite cette résidence symbole du drame du 1er août 2002 qui a coûté la vie à Balla Kéita. Nous n’aurons pas également le temps d’avoir des indices sur l’identité de celui ou celle qui y vit. A priori tout portait à croire, au regard du calme plat, qu’il n’y avait personne. Tout ce que nous avons pu recueillir comme information était déjà connu, sauf que la villa est restée plusieurs années sans avoir été habitée après le drame. C’est bien plus tard, dans la cinquième année, selon les informations reçues, qu’elle a été réhabilitée. Mais tout ce temps, elle était gardée et personne n’y avait accès. Aussi, ceux qui sont aujourd’hui affectés à la sécurité de cette villa n’étaient pas là au temps du défunt Balla Kéita. Ils ne sont véritablement informés de ce dossier qu’après y avoir été affectés. Il fallait voir ailleurs et notre guide avait un contact sûr dans l’équipe qui a enquêté sur ce crime en 2002.
Deux jours plus tard, nous avons rendez-vous dans un bistrot avec un officier de la gendarmerie, qui a bien voulu, sous le couvert de l’anonymat, évoquer le sujet avec nous. Ce dernier avait eu la chance de participer à l’enquête sur ce crime. «Nous avons retrouvé le coupable, et nous avons bouclé l’enquête en moins d’un mois. Le reste ne nous appartenait plus», déclare d’entrée, ce dernier. Selon lui, on ne sait pas exactement à quelle heure le crime a été commis, en revanche l’on sait qu’il s’est produit dans la nuit du 1er au 2 août 2002, après que le dernier visiteur de l’hôte soit parti. Le responsable de cette atrocité était-il une femme ou un homme? La réponse de l’ex-membre de l’enquête est formelle : c’est une femme. Et le commentaire du sachant de ce crime laisse gamberger. «Balla ne raccompagnait jamais ses visiteuses au portail. Elles ressortaient toutes seules et repartaient. Une fois qu’il les annonçait la sécurité ne faisait que fouiller les visiteurs et l’informer de l’arrivée d’untel», lâche l’officier de l’armée d’élite burkinabé, d’un ton qui exprime toute la gravité de l’information qu’il donne. De ce fait, aucun témoin n’a donc assisté à la scène. Il s’est donc, à en croire notre source, passé plusieurs heures avant que l’alerte ne soit donnée. Au moment où la gendarmerie et la police bouclaient le quartier et se partageaient les rôles, le coupable avait eu suffisamment du temps pour s’éloigner du lieu du crime. «C’était la première fois que nous étions en face d’une situation où une personnalité étrangère est assassinée sur le sol burkinabé alors même qu’il était sous la protection des renseignements généraux. Quelque chose n’avait pas marché ?», s’interroge notre informateur. Mais alors que nous nous attendions à ce qu’il mette en cause le dispositif sécuritaire, c’est plutôt le défunt qu’il accable. «Balla n’était pas n’importe qui, mais quand on est une personnalité, il y a au-delà de la sécurité qui vous est affectée, un minimum de précaution à prendre quant aux gens que vous autorisez à avoir accès à vous. La jeune dame qui a mis fin à ses jours n’était jamais venue dans sa villa auparavant. Elle n’était donc pas fichée par la sécurité», commente-t-il. Selon ce dernier, l’enquête s’est faite par élimination et plusieurs pistes ont été mises à rude épreuve avant d’être écartées. « Il n’y a eu aucun signe de lutte. Le corps était tout couvert de sang. Balla était couché quand il a été poignardé, il n’a donc pas pu crier ou alerter la sécurité. Le médecin légiste a conclu qu’il avait été drogué avant d’être tué. Et nous nous avons conclu qu’il s’est trouvé en compagnie d’une personne en qui, il avait confiance», fait remarquer le gendarme. En tout état de cause, la gendarmerie et la police ont dû mettre les bouchées doubles face à la pression médiatique de ce crime. Notre interlocuteur soutient même que la gendarmerie a dû exploiter des informations d’un chauffeur de taxi qui a transporté la criminelle la nuit du crime. Ce qui a permis de confirmer le portrait robot de la meurtrière préalablement dressé sur la base des informations de la sécurité affectée à la villa du défunt. Mais l’autre information de taille livrée par l’ex-enquêteur est que cette dernière a utilisé une fausse identité. «Elle a été arrêtée alors qu’elle tentait de regagner la Côte d’Ivoire. Nous avons fait notre travail et je crois que nous l’avons très bien fait d’ailleurs. Le reste ne nous incombait plus», déclare cet homme qui estime que si les services secrets burkinabè ne parvenaient pas à élucider ce crime, c’aurait été un grand déshonneur. « Je sais que le rapport de cette enquête a été remis au gouvernement ivoirien par le truchement de l’ex-ministre de la Sécurité et de l’Intérieur, Emile Boga Doudou. La mise en alerte des services de renseignements a aussi permis de prévenir d’autres crimes qui étaient en cours de préparation», précise notre informateur. Ce, après que la meurtrière a été soumise à un interrogatoire. Lequel aurait également été remis aux autorités ivoiriennes après l’enquête. Si cette information est avérée, il faut alors croire que l’enquête sur l’assassinat de Balla Keïta n’a même pas pris plus d’un mois. Ce, d’autant plus que l’ex-ministre ivoirien de la sécurité Boga Doudou, a lui aussi été assassiné dans la nuit du 19 septembre 2002. Soit 49 jours après le crime de la ville a 325 du quartier Bois de Bologne. Mais pourquoi entourer d’un mystère une enquête bouclée depuis bien longtemps ? C’est bien là que s’arrêtent les faits et que commencent, la raison d’Etat et toutes les spéculations induites.

Alexandre Lebel Ilboudo
Envoyé spécial à Ouagadougou

En ouverture
Ni procès ni vérité officielle
Pour rappel, le ministre Balla Keïta s’était installé dans la capitale burkinabé en mars 2001 pour des raisons politiques. Sur le sol burkinabé, il avait acquis le statut de refugié politique après la chute du Général Rorbert Gueï dont il était l’un des conseillers. Durant un peu plus d’un an, il mènera une vie paisible à Ouagadougou. Mais l’homme est une bête politique très expérimentée qui ne pouvait se tenir loin d’une scène politique. C’est ainsi qu’il devient, en mai 2002, le Secrétaire général de l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI). Balla reprend donc du poil de la bête, faisant montre d’un activisme qui gêne les autorités d’Abidjan d’alors. Surtout qu’il était connu pour ne pas avoir la langue de bois. Il n’aura été secrétaire général de ce parti que pendant 5 mois. Dès son assassinat, le procureur général Abdoulaye Barry avait présenté le dossier comme étant en bonne voie. Les enquêteurs avaient d’abord privilégié la piste du crime passionnel lorsqu’ils ont découvert une lettre au chevet de la victime dans laquelle il était écrit ceci : « Tu es séropositif. Tu m’as poignardé dans le dos en me transmettant le Sida, je te poignarde aussi dans le dos». Mais Balla Kéita, vu les examens médicaux post-mortem, n’a jamais été porteur du Vih. Selon notre source, c’est en exploitant les documents confidentiels que la piste du crime politique s’est confirmée. Notre source indique également que l’assassinat du ministre Balla a été commandité depuis Abidjan. Tous les détails de ce meurtre auraient été signifiés à l’ex-ministre Emile Boga Doudou. Mais pour le peu que croit savoir notre source, après la remise du rapport, l’ex- ministre ivoirien de la Sécurité et de l’Intérieur Emile Boga Doudou se serait dit surpris par les faits. Aussi intriguant que cela puisse paraître, la mort de ce dernier est intervenue dans la même semaine où le rapport lui a été remis, soit dans la nuit du 19 septembre 2002 à son retour de Paris. D’où tout le mystère qui entoure cet assassinat et confirme la thèse de la raison d’Etat. Treize ans après, il n’y a eu ni procès ni vérité officielle. Et peut-être qu’il y en aura jamais. Pendant ce temps, Balla Kéita dont la dépouille a été rapatriée en Côte d’Ivoire, repose à jamais à Korhogo.

Alexandre Lebel Ilboudo
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