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Société Publié le mercredi 18 avril 2018 | Abidjan.net

Le journaliste Serge Bilé revient sur l’œuvre Aimé Césaire pour la Côte d’Ivoire ( Interview)

© Abidjan.net Par DR
Le journaliste Serge Bilé revient sur l’œuvre Aimé Césaire pour la Côte d’Ivoire ( Interview)
photo: L`écrivain Aimé Césaire (g) et Serge Bilé (Ph: d`archives)​
C’était l’un des plus brillants écrivains du XXIe siècle. Aimé Césaire s’est éteint le 17 avril 2008. Le chantre de la négritude avait eu droit à des obsèques nationales chez lui à la Martinique, en présence de hautes personnalités politiques et culturelles du monde entier. L’hommage s’était prolongé à Paris avec l’installation d’une fresque, évoquant les moments-clé de sa vie, au Panthéon. Le journaliste ivoirien Serge Bilé, installé à Fort-de-France depuis 1994, a bien connu le poète, dramaturge et homme politique martiniquais. Il lui a consacré un livre Dans le jardin secret d’Aimé Césaire. Aujourd’hui, pour le dixième anniversaire de sa disparition, il décrypte les liens que le chantre de la négritude entretenait avec la Côte d’Ivoire et son premier président Félix Houphouët-Boigny. Entretien…



Comment avez-vous rencontré Aimé Césaire et comment vous est venu l’idée de ce livre ?

C’était en avril 1995. J’étais arrivé à la Martinique neuf mois plus tôt pour présenter le journal télévisé à la demande de la rédactrice en chef de RFO. Aimé Césaire m’a reçu aimablement à la mairie, m’a dit qu’il me regardait le soir sur le petit écran, avant d’ajouter ces mots qui m’ont touché : « Vous êtes martiniquais comme moi et je suis ivoirien comme vous ». En 2001, quand il a mis fin à son dernier mandat, je lui rendais visite régulièrement. Nous avons noué des liens. J’avais le privilège d’accompagner sa vie de retraité, en assistant aux audiences qu’il accordait à ses visiteurs et en ayant quelquefois également des tête-à-tête avec lui. Ça s’est passé comme ça jusqu’à sa mort le 17 avril 2008. Je n’avais pas l’intention de faire un livre de tout ça. En tout cas, ça ne m’avait pas traversé l’esprit jusqu’à l’an dernier. Je me suis dis que je n’avais pas le droit de garder pour moi tout ce que j’avais vu et entendu durant cette période. Avec ce livre, j’ai voulu montrer le poète différemment de ce qui avait été fait jusqu’ici, en plongeant dans son intimité et en faisant découvrir certains aspects méconnus de sa personnalité.


De quoi vous parlait Aimé Césaire quand vous le rencontriez ?


On parlait de tout : de l’actualité, de ses espoirs, de ses combats, du passé, de l’esclavage et bien évidemment de la négritude. Il me parlait aussi de Félix Houphouët-Boigny qu’il a côtoyé dès 1946 sur les bancs de l’Assemblée Nationale française. Césaire m’a raconté que Houphouët voulait retarder l’indépendance de la Côte d’Ivoire pour mieux la préparer. Mais le général de Gaulle a brusqué les choses et l’a mis devant le fait accompli. Dépité, Houphouët a confié à Césaire : « Je suis arrivé sur le quai de la gare avec mon bouquet de fleurs à la main, mais le train était déjà parti ! »


Quelles sont les relations entre Aimé Césaire et Houphouët-Boigny ?


Les deux hommes s’apprécient, même si Aimé Césaire et Houphouët-Boigny ont des divergences. Contrairement à Houphouët-Boigny, Aimé Césaire refusera par exemple, malgré les sollicitations, d’entrer dans un gouvernement français, durant toute sa vie publique ! Mais à l’Assemblée Nationale, ils se serrent les coudes. Le 19 mars 1946, Houphouët-Boigny vote la loi de départementalisation, proposée par Césaire, qui érige la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion, en départements. Le 11 avril 1946, Césaire se range aux côtés d’Houphouët-Boigny pour abolir le travail forcé en Côte d’Ivoire et dans les colonies africaines. Echange de bons procédés ! Césaire et Houphouët-Boigny se renvoient d’autant plus facilement la balle que le premier est membre du groupe communiste auquel le second est apparenté. Pour Césaire, le marxisme est affaire de conviction. Pour Houphouët-Boigny, ce rapprochement relève d’un choix tactique.


Aimé Césaire et Houphouët-Boigny finissent cependant par quitter le groupe communiste ? Etait-ce pour les mêmes raisons ?

En juillet 1950, François Mitterrand est ministre de la France d’outre-mer et membre de l’UDSR, le parti du président du Conseil, René Pleven. Trois ans plus tôt, sur fond de guerre froide, les communistes ont été évincés du gouvernement de Paul Ramadier. Mais ils conservent leur capacité de mobilisation et leur position d’alliés privilégiés du RDA. Mitterrand veut casser ce pacte. Pour cela, il approche Houphouët-Boigny. De son côté, le député ivoirien a senti le vent tourner. Il sait qu’avec les dérives de Staline, le communisme fait de plus en plus peur en France et en Europe. Il est prêt à changer de cheval pour préserver, selon lui, les intérêts du RDA. C’est la rupture avec le PCF. En octobre 1956, Aimé Césaire claque à son tour la porte, après avoir dénoncé la mauvaise volonté du Secrétaire général du Parti communiste, Maurice Thorez, à condamner Staline et les méthodes qui l’ont conduit au crime. Comme Félix Houphouët-Boigny avant lui, Aimé Césaire est accusé de trahison par ses anciens compagnons.


Aimé Césaire est engagé dans le combat pour la décolonisation. Est-il intervenu sur les évènements en Côte d’Ivoire au moment par exemple de la marche des femmes sur Grand-Bassam?


Bien sûr! On se souvient que la marche des femmes a été organisée par Anne-Marie Raggi avec Marie Séry Koré, Marie-Georgette Mockey et bien d’autres, pour protester contre l’emprisonnement des leaders du PDCI-RDA, après les échauffourées qui avaient fait deux morts entre les partisans d’Houphouët-Boigny et les militants du Bloc Démocratique, lors d’un meeting d’Etienne Djaument à Treichville. A partir de là, les colons sont sur les dents. Ils suscitent des incidents dans plusieurs villes pour mieux asseoir la répression. Il y aura trois morts à Bouaflé le 21 janvier 1950, treize morts à Dimbokro le 30 janvier, trois morts à Séguéla le 2 février. Aimé Césaire est indigné. Il prend sa plume et écrit le poème Le temps de la liberté en hommage aux victimes. C’est un poème fort, comme il en a le secret. Il parle de Cavally, Sassandra, Bandama, ces petits fleuves au ventre gros de cadavres. Césaire se sent vraiment concerné par les mauvais traitements infligés aux Ivoiriens.


Comment Aimé Césaire voit-il Houphouët-Boigny ?

D’abord, il faut dire que Césaire et Houphouët-Boigny ne se rencontrent pas que dans l’hémicycle. Ce qui suppose qu’ils entretiennent des liens cordiaux. Avec le député congolais Jean-Félix Tchicaya, ils créent le journal L’Afrique qui ne paraîtra cependant qu’une seule fois. Ce journal se proposait d’assurer l’union de tous ceux qui luttent contre l’impérialisme. Césaire sera par la suite meurtri par les ratés de l’indépendance. En 2004, il fait cette déclaration qui en dit long: « Nous avons lutté pour la décolonisation et nous retrouvons une Afrique divisée, un nouveau tribalisme. Voyez l’Etat du Congo, du Liberia, de la Côte d’Ivoire. Ce n’est pas douloureux, ça ? Je me rappelle quand j’étais à l’Assemblée Nationale avec Houphouët-Boigny: nous le critiquions souvent très amicalement. Houphouët, en réalité, avait entrepris quelque chose et croyait l’avoir réussi. Peut-être parce qu’il avait des moyens tout à fait insuffisants ce n’était pas forcément la bonne direction, mais il y avait une expérience. Houphouët-Boigny voulait l’ivoirité. Il devait employer des moyens diplomatiques qui ont réussi tant qu’il est resté en vie, mais après le problème n’est pas résolu pour autant ».



Dans votre livre Dans le jardin secret d’Aimé Césaire (Kofiba éditions, 2017) vous évoquez un cadeau qu’Aimé Césaire a reçu d’Houphouët-Boigny et qu’il a gardé toute sa vie. Quel est ce cadeau ?

Il m’est arrivé de me rendre au domicile d’Aimé Césaire à Fort-de-France. Dès qu’on franchit la porte d’entrée, on est tout de suite happé par la grande bibliothèque qui occupe la partie gauche du salon. C’est un meuble en bois blanc où cohabitent toutes sortes de livres d’hier et d’aujourd’hui. On y trouve l’Iliade d’Homère, Les Misérables de Victor Hugo, Ici et maintenant de François Mitterrand, ou encore une revue sur la littérature en Côte d’Ivoire. Au milieu de tous ces livres, Césaire collectionnait également quelques objets africains, dont un collier de chef ivoirien. Il était fier de le montrer et de mentionner le nom de celui qui lui avait fait ce présent, à savoir Félix Houphouët-Boigny.



Propos recueillis par H. M’Bra, une correspondance particulière
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