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Société Publié le mercredi 14 juillet 2021 | AIP

La langue worodougouka en décrépitude dans la localité de Séguéla

Séguéla- Assimilé au kôyaka dont les similitudes sont frappantes pour des oreilles moins averties et plus connu des populations en Côte d’Ivoire, le worodougouka, langue maternelle des populations autochtones de Séguéla, est en pleine décrépitude en raison de facteurs tant endogènes qu’exogènes.

Une immersion dans les rues de la capitale de la région du Worodougou pour comprendre les raisons d’une telle situation et envisager, si possible, des pistes de solutions pour sauvegarder ce patrimoine linguistique.

Une langue avec ses particularités

Pour Somadé Diomandé, chef du village de Gbôlô, dans le périmètre communal de Séguéla, par ailleurs secrétaire général du directoire des rois et chefs traditionnels de Côte d’Ivoire, section du Worodougou, « il y a une grande différence entre le kôyaka parlé à Mankono, le mahouka parlé à Touba et le worodougouka parlé à Séguéla. (…) Il faut être vraiment un autochtone de souche et collaborer avec les anciens pour faire la différence. »

« Séguéla est formé de 13 cantons. Pour les anciens, pour les connaisseurs, chaque canton a son petit accent. (…) Les gens du Mebala, le canton principal, ont leur accent, ceux du Kouranan, ont leur accent, les gens de l’Assolo, de Tiema, du Nafana ont leur accent », explique-t-il à propos des déclinaisons langagières au niveau local. Le chel Diomandé a précisé que le worodougouka originel est plus parlé ‘’au cours des réunions des anciens, au niveau de la chefferie traditionnelle et dans les villages reculés’’ du département.

Une vision des choses partagée par le premier adjoint au maire de Séguéla, Sindou Dosso.

« Nous appartenons au grand groupe malinké qui a des variantes, surtout l’intonation. Le worodougouka a son intonation, le mahouka a son intonation. Et même au niveau du Worodougou, le kani’ga (langue parlée à Kani, l’autre département de la région) a son intonation.

…phagocytée par d’autres langues

« Au fur et à mesure qu’on s’éloigne de Séguéla, vous verrez que le worodougouka subit les influences des autres langues aux alentours », fait savoir Sindou Dosso, estimant que la situation de dégénérescence est due au fort impact combiné du kôyaka et du malinké.

A propos du malinké, parfois connu sous le vocable de dioula, son influence est plus que réelle sur les populations autochtones, particulièrement la jeune génération.

Pour Coulibaly Siaka dit ‘’Diégo’’, photographe, « ça dépend de leur milieu de vie parce que pleins quittent les villages pour se chercher en ville et là, leurs langues sont le dioula et le français. »

Quand il n’est pas assimilé au kôyaka, le worodougouka est dilué par le malinké. Une réalité confirmée par le chef Somadé Diomandé.

« C’est l’évolution heiin. Vous savez, Séguéla est une ville cosmopolite. Tous les pays de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest, ndlr) sont représentés avec une forte densité, de sorte que c’est le malinké qui domine », souligne-t-il.

« Ce qui explique qu’on ne parle pas trop le worodougouka, c’est que la majorité des jeunes est aujourd’hui en ville. Et, pour se faire comprendre, c’est le français ou le dioula », a justifié Bakayoko Hussein dit « Eric Capit », un jeune citadin rencontré dans l’un des plus importants « Grins » (lieu de rassemblement pour prendre le thé et causer) situé au centre-ville de Séguéla.

Le worodougouka a perdu du terrain en raison des influences du français, du kôyaka et du « dioula », justifie tout habitant de Séguéla interrogé en proposant une proposition pour la régénérescence de cette langue locale.

Des pistes de solutions

Pour nombre de personnes interrogées, des pistes de solution existent pour remédier à cette situation de dégénérescence de la langue worodougou.

Primo, le retour aux sources traditionnelles est le plus recommandé. « Il faut que les jeunes gens viennent, ne serait-ce, qu’en vacances à Séguéla. Cela va leur permettre de se frotter à la langue et de ne pas l’oublier totalement comme c’est le cas pour plusieurs d’entre eux aujourd’hui », propose l’actuel chef de village de Séguéla, Diomandé Nama surnommé ‘’Parisien’’ pour avoir passé une bonne partie de sa vie précisément en France.

Le chef Somadé Diomandé ne dit pas autre chose lors qu’il affirme que « les jeunes doivent côtoyer les anciens, parler avec les personnes âgées. »

Secundo, des initiatives visant à perpétuer cet héritage linguistique sont menées par des personnes au nombre desquelles le pasteur Traoré Moussa, linguiste, président-fondateur de l’ONG Alphabétisation fonctionnelle au service du développement (ALFOSED). Cette organisation caritative a ainsi pu produire des documents sur la grammaire et l’orthographe du worodougouka.

(AIP)

Kouassi Patrice, Chef du bureau régional du Worodougou à Séguéla



Encadré 1 : Et pourtant, cette langue n’est pas officiellement reconnue

« Dans les documents officiels, la langue parlée ici, c’est le kôyaka. Le worodougouka n’a fait son apparition que récemment », a relevé un expert culturel qui a souhaité garder l’anonymat.

C’est donc dire que le worodougouka n’est pas officiellement reconnu comme faisant partie des 60 ethnies parlées en Côte d’Ivoire. Il est plutôt assimilé au kôyaka.



Encadré 2 : Entretien avec le pasteur Traoré Moussa, linguiste ayant travaillé sur le worodougouka

Le worodougouka, en tant que langue, existe-t-il ?

Oui, il existe. Le worodougouka fait partie du groupe qu’on appelle les Mandé nord. La famille linguistique, c’est la famille niger-congo qui comprend aussi le kôyaka, le mahouka, l’odiennéka et autres.

Certaines sources affirment cependant que le worodougouka n’est pas officiellement une langue, qu’en dites-vous ?

La difficulté est que nous-mêmes, Worodougouka, nous avons concouru au maintien de cette confusion. Les Kôyaka de Mankono sont surtout des marabouts et des commerçants qui se déplacent plus. Là où ça marche pour eux, ils s’installent avec leurs familles. Chez nous, il y avait des facteurs comme l’or, le diamant, la forêt qui maintenaient les gens sur place. Et le commerce n’était pratiqué que par les femmes qui, quand elles vont, reviennent toujours dans leurs foyers auprès de leurs hommes et enfants. Donc, nous étions une population fortement sédentaire. Les quelques-uns qui sortaient de chez nous pour aller en basse-côte, ils s’attachaient à une communauté à laquelle ils pouvaient s’identifier. Et la communauté la plus proche de nous linguistiquement est le kôyaka. Donc, le worodougouka, comme le kôyaka, comme le mahouka, comme l’odiennéka est une langue. Il a été pendant longtemps assimilé au kôyaka pour la raison que je viens de vous donner, c’est-à-dire que comme nous étions moins nombreux ailleurs et que notre parler était moins connu, on nous prenait tous pour des kôyaka. Surtout que notre langue, le worodougouka, avait beaucoup de similarités avec le kôyaka.

Aujourd’hui, de moins en moins de personnes venant de Séguéla parlent le worodougouka. Qu’est-ce qui peut bien expliquer cela ?

L’un des facteurs qui joue dans cette situation est qu’il y a la présence de locuteurs de langues similaires à la nôtre, notamment le dioula. Même ceux qui parlent le worodougouka aujourd’hui, beaucoup utilisent de plus en plus de mots Dioula. Par exemple, du côté de Diarabana (chef-lieu de sous-préfecture situé à une vingtaine de kilomètres de Séguéla, ndlr) quand ils parlent, ils utilisent des mots dioula. Il y a des ‘’r’’ dans leur parler. Or dans le worodougouka originel, il n’y a pas de ‘’r’’. Donc, il y a l’influence de la langue parlée par les ressortissants des pays voisins qui fait que le worodougouka n’est pas trop pratiqué.

Autre facteur, Séguéla est une zone d’attraction économique où les contacts avec les autres sont très poussés. On s’identifie à ceux-là. On passe la journée, tout le temps avec des personnes qui ne sont pas du Worodougou. Et, dans nos échanges, on utilise le français ou le dioula. Ça aussi, ça peut expliquer le fait que le worodougouka ne soit pas trop pratiqué de nos jours.

Le brassage aussi, par l’intermédiaire des mariages mixtes, fait que cette langue est de moins en moins parlée. Je prends mon exemple. Les enfants parlent moins le worodougouka, car elles sont à cheval sur cette langue et le yacouba que parle leur maman.

Il y aussi le brassage des cultures qui fait que les Worodougou qui sont frontaliers des Gouro, vers Massala, par exemple, ils parlent aussi le gouro. C’est la même chose pour ceux qui sont vers Semian et autres, à l’ouest, où ils parlent avec des mots yacouba.

Tous ces facteurs atténuent l’ampleur de l’utilisation de la langue worodougouka.

A votre niveau, quelles sont les actions menées pour maintenir le worodougouka dans le jargon des langues vivantes ?

En réalité, quand une langue n’est pas parlée, elle meurt. Et pour ne pas que cela arrive, l’ONG ALFOSED a entrepris depuis plusieurs années, à l’occasion de la journée nationale de la langue maternelle, des concours pour inciter les jeunes à pratiquer le worodougouka.

Une langue qui n’est pas écrite, meurt. Elle disparait. Et même, les structures changent avec le temps et les circonstances. (…) On a travaillé sur la langue et, par la grâce de Dieu, j’ai pu finaliser un document de grammaire et d’orthographe en worodougou avec toutes les règles possibles. Ça, c’est dans le but de pérenniser d’abord la langue en vue de son utilisation adéquate. Dans ce processus, le Conseil régional nous a beaucoup appuyés financièrement et avec des conseillers, notamment monsieur Koné dit ‘’Fallet’’ qui est un bon locuteur, ainsi que l’imam de Gbôlô et bien d’autres personnes.

On fait aussi de l’alphabétisation et aujourd’hui des personnes qui suivent les cours peuvent être autonomes en utilisant la langue worodougou.

Dossier réalisé par Kouassi Patrice, Chef du bureau régional du Worodougou à Séguéla
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